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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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À propos des suicides de prison
Intolérable, n°4, 1972, p. 9-12.
Article mis en ligne le 11 avril 2014
dernière modification le 10 janvier 2024

par ArchivesAutonomies

Ces suicides ne se sont pas seulement passés en prison, le régime et l’administration pénitentiaires, le système pénal y ont une part directe. Ce sont des suicides de prison. Quelques exemples.

Fleury-Mérogis

27 mars 1972

SAÏD BELAÏD
19 ans.

Algérien dont la famille réside en France. Placé par un juge au Foyer des Épinettes. Arrêté : le directeur du Foyer refuse de le reprendre à sa sortie de prison. Considéré sans domicile légal, il est expulsé. Comme il n’a pas d’attaches en Algérie, il revient en France. Arrêté, il est menacé d’expulsion. Il se pend.

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Santé

9 juillet 1972

RICHARD LEVASSEUR
27 ans.

Dans la nuit du 8 au 9, il avale des barbituriques. Le 9 au matin, il est trouvé dans sa cellule dans un état de prostration avancé. Ni le service médical ni le service psychiatrique ne sont alertés. Le surveillant-chef Nadjar, venant dans la cellule, donne pour sanction non pas qu’on l’envoie au mitard mais qu’on lui tonde les cheveux qu’il portait longs. L’agent de service refuse d’exécuter l’ordre. Lorsque Nadjar s’en aperçoit vers 15 heures, le travail est exécuté par le coiffeur de la première division. Celui-ci racontera après que Levasseur encore sous barbirutiques n’avait plus de réaction. A 21 heures Levasseur se réveille, se regarde dans la glace. Un de ses camarades de détention témoigne : "Il découvrit un homme qu’il ne connaissait pas mais qui se regardait avec la même âme." Levasseur torsade son pyjama et se pend à la fenêtre.

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Fresnes

25 septembre 1972

GÉRARD GRANDMONTAGNE
30 ans.

Arrêté le 1er août 1972, sur provocation policière : dans l’hôpital où il est pour hépatite virale la police lui tend une souricière. Arrêté au Père-Lachaise (1-8-1972) sous chef de tentative de trafic.
Prévenu, à Fresnes. Partage la cellule d’un ami, lui-même dépressif et suicidaire. Aucune aide médicale (bien que Grand- montagne ait un casier psychiatrique, ait fait une tentative de suicide à la P. J. lors d’une précédente arrestation, et que ses lettres soumises à la censure témoignent du mauvais état des deux codétenus).
Le 25 septembre 1972, accusé sans preuve d’homosexualité, il passe au prétoire. Mis au mitard vers 11 heures du matin, sans aucune considération de son casier psychiatrique. Se pend aussitôt (en détachant des fils électriques ?). Son codétenu dans un mitard voisin affirme avoir entendu du bruit. Aucune surveillance ? M. Le Corno donnera une autre version de l’affaire, niant que ce fut au mitard.

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Nice

14 octobre 1972

JEAN-PIERRE MOTTO
19 ans 1/2.

Première inculpation pour un vol de voiture : il fait deux cents mètres avec la voiture volée ; deux mois de prison. Centre d’Éducation surveillée à Juvisy. Puis incarcération à Fleury. Il avait un dossier médical (depuis l’abandon par son père, il a des crises de chorée aiguë - étourdissements, crises).

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Fleury-Mérogis

22 octobre 1972

AHMED BEN HALLA
19 ans.

Il avait été placé dans une cellule de trois. Après un tabassage collectif par les gardiens, ils avaient été mis à l’isolement.
Sa mère, algérienne, le voit le samedi 21. Normal. Non-suicidaire.
Dimanche 22 : à 11 heures, il va au cinéma.
à 12 heures, il déjeune, à 12 heures 30, il est trouvé "pendu".
Il aurait été simplement évanoui au moment où on le trouve, et serait resté une heure sans soins (pas de médecin, pas d’ambulance).
Il n’y a dans sa cellule aucun point permettant d’accrocher un drap.
Sa mère constate une ecchymose à la tempe.
Le parquet a demandé une autopsie.

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Santé

30 octobre 1972

RENÉ MAY
21 ans, condamné aux Assises à dix ans de réclusion.

Il avait l’habitude de prendre des barbituriques. Avant la Toussaint, les surveillants, pour faciliter leur travail, distribuent au lieu de la dose quotidienne les doses pour quatre jours. May en profite pour obtenir contre des cigarettes des doses supplémentaires. Il absorbe une vingtaine de cachets de Merinax. Le surveillant constate vers 22 heures l’état de May et alerte trois fois le docteur Boruchowitsch. Celui-ci vient enfin et déclare : "Le pouls est normal." A 4 heures du matin May était mort. A la suite de cet incident : 1° protestation des autres détenus du bloc ; 2° le jeudi 14 novembre, trois internes de la Santé (Boru, Macline, Millot) donnent leur démission (conflit à propos de l’usage des tranquillisants). La famille de May est prévenue par le commissariat. Le sous-directeur Fiaganelli aurait refusé que la prison s’en charge.

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Fleury-Mérogis

14 novembre 1972

HABES DERADJI
14 ans, électricien.
13 frères et sœurs.

Avait commis en 1971 quelques délits "utilitaires" (vol de chaussures, d’aliments) ; il était passé devant le juge pour enfants de Corbeil ; il était suivi à la consultation du Centre d’Orientation éducative de Corbeil.
Arrêté pour la seconde fois en juillet 1972. Au lieu d’être envoyé devant le juge pour enfants, il passe devant le juge d’instruction ; celui-ci confie l’examen psychologique à une consultation privée à Melun.
A Fleury il ne donne aucun signe qu’il pourrait avoir envie de se suicider ; il fait des projets (suivre une F.P.A. d’électricien en bâtiments ; se faire opérer pour une fracture du bras mal réparée autrefois).
Il avait à Fleury un camarade assez dépressif ; quand on apprend à celui-ci la mort de Deradji, il fait une crise nerveuse ; il est mis quatre jours en contention, pieds et mains attachés ; il faut l’intervention d’un membre du personnel de l’Éducation surveillée pour qu’il soit mis en liberté.
La famille a appris par les jeunes de son quartier qu’Habes était en prison.
Pendant deux mois elle essaie en vain de savoir comment obtenir un permis de visite.
Habes meurt après être resté trois mois à l’isolement sans aucune visite.