Fresnes le 15.9.72

Cher S.,
Je viens de recevoir ton mandat et je t’en remercie. C’est pas qu’on ai besoin de beaucoup d’argent ici car la bouffe ces dix dernières années c’est sérieusement amélioré. Mais enfin il y a une drogue dont on ne peut se passer c’est le tabac et il y a un tas de petites choses qu’on est obligé d’acheter pour accom­moder la bouffe : huile, vinaigre, margo etc... Aussi ton mandat a été bien venu.
Je regrette de n’avoir pas eu le plaisir de te lire cette semaine. Je n’ai d’ailleurs pas été gâté en courrier cette semaine. A part une lettre du Dr Olievenstein grand pontife de la psychiatrie en matière de drogue). Lettre de quatre lignes pour répondre à une lettre de quatre pages que je lui avais envoyée. Pas de nouvelle du Doc, mais enfin il doit venir au parloir lundi.
J’espérais te voir au parloir aujourd’hui parce que je sais que c’est le seul jour où tu es disponible, mais je pense que tu a beaucoup à faire dans ta maison tes jours de congé aussi je comprends très bien que tu ne puisses pas venir me voir. Et puis tu sais le parloir c’est pas très gai ! D’abord il y a une mauvaise sono et on est obligé de gueuler, à travers des plaques de plastique perforée, pour s’entendre. Enfin il faut croire que c’est une ques­tion d’habitude car les garçons ici me disent qu’ils arrivent à s’entendre...
J’ai été obligé d’interrompre ma lettre car on vient de m’appor­ter la potion Magique. Aussi il faut que je me dépêche si je ne veux pas délirer dans une demi heure. Hier j’ai réussi à écrire au Doc Trolonge mais j’étais tellement défoncé qu’il m’a fallu trois enveloppe pour écrire l’adresse. Et ce matin, oh ! surprise je croyais que j’avais écrit une lettre en hiéroglyphe... Ce matin j’ai vu le contre-expert psychiatre. Il était beaucoup plus sympa que le premier et m’a dit que mon séjour en prison ne résoudrait pas mes problèmes psychotiques. Enfin j’espère qu’il va me faire un rapport favorable car il m’a dit que je n’étais pas fou et que mes questions et réponses étaient très pertinentes, mais que... enfin... je souffrais de psycho-truc-machin-chose dû à une enfance malheureuse et un sentiment constant d’isolement. Nous avons discuté d’Anti-psychiatrie mais il est de la vieille école et il ne croit pas en ses résultats. Comment vas-tu toi et M.? Tu sais que j’avais envie de faire des sacs en cuir et divers autre objet pour gagné ma vie car étant à l’hôpital il m’était impossible de tra­vailler n’étant pas déclarée à la sécurité sociale mais manque de pot les garçons avec qui j’avais entrepris ce travail se sont fait la malle avec mon pognon que j’avais eu du mal à amassé et le travail que j’avais fait qui était en soit une petite œuvre d’art. Mais je leur pardonne car ce sont des junkies et entre junkies il n’est pas rare qu’on se fasse un coup de vice. La came m’a rendu cool et peut-être lâche. J’ai décidédé de faire du Hata Yoga et du Bouddisme Zen pour me rendre plus coole. Peut-tu me pro­curer le bouquin de Sartre : "Saint Genet comédien martir" tu le déposeras au parloir au bureau du Directeur à ton parloir (si parloir il is a). Écrire moi : un mot, une phrase mais écris-moi de temps en temps. Je suis si seul. Bien sur j’ai un ami de cellule que je connais depuis cinq ans mais le l’aide plus moralement et il m’accorde aucun réconfort. Bien sur nous nous aimions beau­coup et je le console dans ce moment de désespoir. Il a une fiancée et il se fait un nouveau cinéma pour savoir si il es le père du gosse qu’il croit être le sien. On compte les mois pour savoir si ce n’est pas un batard. Mais de toutes façons qu’il soit rouge, jaune ou noir il l’aceptera car il a besoin de de donner un but à sa vie. Je lui souhaite du bonheur quoique sa fiancée soit un ancienne junkies je doute que sa colle (ou son ménage car il a décidé de se marier ne tienne longtemps). Enfin j’espère que sa vie sera cool après toutes les fâcheuses expériense qu’il a vécu.
J’espère que les promoteurs n’ont pas encore construit leur saloperie de HLM devant ton garden car il était sauvage et joli et il me plaisait bien.
Je te quitte par je ne vois plus tellement les lignes. Ambrasse N., M. et toutes filles et les fils à N. et donne toutes mes amitiés à T. qui a toujours été un bon copain pour moi et qui a su me comprendre à demi-mot.
Je t’embre ainsi de M. Yotre frère qui pense souvent à vous.