le 20.9.72
(Donnes moi le numéro du département et le code postal !)
Cher S.,
Encore un jour de passé sans courrier ! J’écris beaucoup mais j’ai l’impression que je suis la voix qui crie dans le désert !
Depuis 10 jours je n’ai eu qu’une lettre de mon psychiatre et pourtant j’écris une, et parfois deux, lettres par jour. Tu avoueras que c’est décevant.
Je sais que tu as ton boulot et que le soir tu dois être crevé et que tu a plus envie de t’écrouler dans un fauteuil pour regarder la T.V. que de prendre un stylo pour écrire à ton taulard de frangin. Enfin quand tu as un moment écris un mot, une phrase, que tu mets dans une enveloppe avec un timbre à 30 (Because on a aucune raison de filer notre fric aux P et T !) Tu sais que c’est pas la longueur de la lettre qui fait plaisir mais de savoir de temps en temps qu’on est pas tout seul.
Je viens d’interrompre ma lettre pour donner quelques renseignements d’ordre judiciaire à un nouveau arrivant dans la cellule. C’est pas de la tarte pour lui parler car il est Colombien et qu’il parle l’anglais avec l’accent espagnol et moi je parle l’anglais avec l’accent de Montélimard. Enfin ça fait une distraction car nous étions deux en cellule depuis un mois et comme nous nous connaissons depuis 7 ans nous n’avions plus grand’chose à nous raconter.
Demain le Doc vient me voir et ça me fait super-plaisir. C’est pas vraiment le pied de voir quelqu’un dans ces cages de plastique mais ça me donne l’impression de respirer une bouffé d’air pure.
Je ne sais pas si je te l’ai dit (je me répète souvent car je perds la mémoire avec le Manix !) mais j’ai vu le contre-expert psychiatre. Nous avons eu un entretien un peu plus long qu’avec le premier. Enfin il me dit d’être optimiste qu’il fera ce qu’il peut pour que le tribunal ne soit pas trop dur avec moi car il ne pense pas que la prison soit une solution à mon problème.
S. il ne faut pas m’en vouloir. Je t’ai avouer ce que j’ai cacher pendant des années à tout le monde. C’est peut-être bien de t’en avoir parlé on ne peut pas jouer un rôle toute sa vie et il y a des moments où on a besoin de dire ce qu’on à sur le cœur. Peut être as tu des préjugés morales et c’est pour cette raison que je t’ai demandé de m’acheter le bouquin de Sartre "Jean Genet comédien martyre" peut-être qu’en le lisant tu comprendras quel enfer a été ma vie. Les bousons noirs, la violence, puis la drogue et le peace and love. Je veux faire la paix avec moi même. Essayer de vivre maigres mes défauts et m’adapter à la vie. Bien sûr je sais que si je sors tout va être compliqué pour moi mais je me débarrasserais de mon idée "born to lose". Je veux vivre sainement et librement. Te souviens-tu de votre projet à T. et toi d’acheter une fermette ? C’est à quoi je pense maintenant : "une chèvre et quelques mouton, une année bonne et l’autre non".
Je veux reprendre le vieux rêve des communautés phalanstériennes et non les microsociétés Hippies qui ne font qu’imiter notre société fasciste. La société m’a rejeté mais je subsisterai sans elle. Elle ne peut plus me faire de mal. Son système institutionnel m’a étouffé et je suis arrivé au font de l’angoisse. Je ne demanderai pas l’indulgence du tribunal mais je hurlerais l’injustice, je proclamerai la corruption policière et ses méthode barbare et arbitraire. Quoiqu’il m’en coûte je dirai la Vérité, ils ne me croiront pas car ils sont sûr d’être intègre et droit (c’est tellement pratique !) Je te quitte car le délire me guette et ils se servirons de ces lettres pour m’enfoncer...
Je t’embrasse
H.