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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Bilan critique du voyou
Article mis en ligne le 3 juin 2014
dernière modification le 31 mai 2014

par ArchivesAutonomies

Dans le texte qui suit, nous expliquons nos raisons d’aban­donner le projet du "Voyou", que nous-mêmes avons lancé en Janvier dernier. Dans ce bilan critique, nous comptions non seulement rendre compte de notre évolution à l’égard du "Voyou", mais aussi répondre en détail aux critiques qui nous ont été faites durant l’année qui s’achève. De plus, en partant de cette expérience de "journal", nous voulions analy­ser les possibilités et la fonction des différentes formes de publications (revues, tracts, affiches). Pour des raisons de temps et d’espace, il ne nous a pas été possible de tout faire. Les critiques ne trouveront donc pas de réponses systématiques. Dans le contenu général du texte, chacune trou­vera cependant les traits principaux de nos positions d’alors et de maintenant.
Pour parer au plus pressé, le texte qui suit ne se consacre donc qu’à la première partie de notre "programme", et ce d’une façon qui ne tient pas compte des développements que nous avions rédigés sous forme de notes. Nous le publions cependant, d’une part pour nous désolidariser de toute éven­tuelle reparution du "Voyou", d’autre part et surtout parce qu’il nous paraît être une petite contribution à la compréhension de la période que nous traversons.

1.

Ce qu’il y a de caractéristique dans la période actuelle, à cheval entre la fin de la contre-révolution totale et l’affir­mation sans équivoque du mouvement communiste, est en derniè­re instance lié à la phase que connait le mouvement de la va­leur. Y-a-t-il crise de la valeur, au sens où celle-ci ne pourrait plus être le régulateur de la société ? L’activité mondiale productrice de plus-value ne connait pas encore de ralentissement général notable, et la réalité est plus nuancée.
En effet, tandis qu’une forte partie de l’économie, après le développement sans précédent des forces productives de l’a­près-guerre, se trouve "au bord" de l’automation et donc de la négation de la valeur et du salariat, d’autres secteurs sont encore dans un état relativement archaïque, et le capital se tourne à présent vers eux pour y développer son procès.
Cela ne se fait d’ailleurs pas sans contradictions, dans la mesure où le capital sait bien que ces archaïsmes font en fait partie de sa modernité. Mais il n’a pas le choix, et il est en train de saper lui-même les dernières bases de son existence historique.
Pour revenir aux pôles, secteurs, industries, etc... surdéve­loppés du capital, c’est en premier lieu dans ceux-ci que se fonde le renouveau communiste. La fraction de capital variable qui y est employée fait face à une telle accumulation de capi­tal fixe, connait un tel degré d’exploitation que sa résistan­ce - qui a toujours existé - doit à présent l’amener peu à peu à la critique de la valeur et du salariat, et ce sous peine de barbarie. Les formes de luttes actuelles de lutte du proléta­riat (sabotage, absentéisme...) ne sont que de premiers balbu­tiements, et le .problème devra être posé par ailleurs de savoir comment elles déboucheront sur l’affirmation communiste. Et ce en liaison avec le fait que dans ces mêmes zones sur-développées s’est formé, durant le grand essor capitaliste de l’après-guerre, un prolétariat de plus en plus massif de chômeurs plus ou moins permanents qui trouve contraint de constater que le salariat est à présent impossible pour lui, de même que tou­te autre activité productrice plus archaïque (domination réelle). Dans la lutte pour survivre dans ses ghettos, qu’elle "parasi­te" l’Etat (assistance sociale) ou qu’elle se livre au vol, cette fraction prolétarienne rejoint la précédente dans la cri­tique de la valeur (qui n’est que le développement de son ca­ractère contradictoire) ; et dans la mesure où les méthodes de luttes citées ne sont qu’un pis aller cette jonction, qui sera contrainte au dépassement, se fait aussi dans la manifestation violente, mais souvent aveugle et désespérée, du besoin du com­munisme.
Voilà en quoi le communisme est objectivement à l’ordre du jour. Voilà où se fonde le renouveau du mouvement communiste. Cepen­dant, ces zones avancées sont encore relativement isolées, et le capital a encore de larges bases où il n’est pas acculé à faire apparaitre sa contradiction mortelle. Dans ces zones, ce n’est pas tant le besoin du communisme qui se manifeste que la résistance aux formes modernes d’exploitation que le capital en voie de modernisation est contraint de développer. Parce que dans l’ensemble, la valeur est encore à même d’organiser la cohérence capitaliste de la société, les luttes de ceux qui "défendent" les archaïsmes ne peuvent encore rejoindre les lut­tes trop isolées de ceux qui "attaquent" le modernisme, car "rejoindre", en l’occurence, c’est immédiatement dépasser et détruire les déterminations anciennes. Il peut même y avoir af­frontement entre les deux fractions.
Par ailleurs, dans sa domination réelle et planétaire de la so­ciété, le capital détruit partout les modes de production pré-capitalistes, mais sans pouvoir les remplacer par un processus d’industrialisation progressive, parce qu’il est parvenu à un tel degré de composition organique que les masses qu’il "libè­re" des conditions pré-capitalistes sont d’emblée excédentai­res par rapport à ses besoins. De plus, dans la mesure où des tentatives d’implantation industrielle ont lieu dans ces zones elles ne font que précipiter le mouvement. Parce que, dans la domination réelle, toute révolution nationale devient une chi­mère, il se forme dans les pays dits sous-développés un prolé­tariat pour qui la survie immédiate devient un tel problème que, là aussi, le besoin du communisme commence à apparaitre de façon violente et désespérée.
Après s’être formidablement accumulé dans certains secteurs, les portant ainsi "au bord" du communisme, le capital se tourne vers ; ses arrières pour tenter d’y poursuivre son procès. C’est la possibilité qu’il a de se*’retourner vers d’autres sources de plus-value qui lui permet de circonscrire encore les mani­festations du besoin du communisme.
Le capital a toujours connu un inégal développement. Le prolé­tariat ne débouchera pas sur l’affirmation pratique du commu­nisme seulement lorsque l’ensemble de l’économie sera porté aux limites de l’automation, mais lorsque le développement des secteurs "de pointe" imposera une modification qualitative, i.e. quand le principe de la valeur sera à ce point menacé que le capital sera contraint de reprendre tout ou partie de ce qu’il a pu accordé auparavant, en remettant en cause le ni­veau de survie de la classe ouvrière. En attendant, le besoin embryonnaire du communisme coexistant avec la lutte pour l’amélioration de la survie au sein du système, et les interféren­ces, violentes ou non, entre ces deux pôles ne peuvent qu’ac­croître les difficultés du procès général du capital.
Ceci est le premier point d’ambiguité de la période. Le second lui est étroitement lié. Au renouveau communiste correspond la fin de la contre-révolution totale de l’après-guerre. Mais lui correspond aûssi le renouvellement de la contre-révolution. Malgré ses limites, la reprise révolutionnaire est trop mani­feste pour que la contre-révolution ne tente de l’endiguer en s’adaptant. En fait, c’est sous l’action de ses propres besoins de rajeunissement que le capital tente de se réformer, à la fois au niveau des secteurs les plus avancés (secteur anti­pollution en projet) et des secteurs archaïques. Ce mouve­ment contre révolutionnaire est un deuxième élément pour carac­tériser la période, et la tentative d’enclançhement d’une con­tre-révolution sur l’autre à peine entamée ajoute à son ambi­guité. Ainsi l’autogestion, que presque tous les rackets politiques rejetaient en Mai 68 comme une pure chimère, est aujour­d’hui devenue la panacée universelle, et seule l’insuffisante accumulation du capital l’empêche encore d’apparaitre pour ce qu’elle est le salariat sous une autre forme. Cette vague autogestionnaire, qui ressort des poubelles de l’histoire ce qui fut un moment, à présent dépassé, du mouvement communiste, re­flète l’ambiguité de la période. Il faudra en effet une ruptu­re telle dans le mouvement du capital que non seulement la vie de l’entreprise (ouvriers compris) mais aussi l’existence même de la catégorie "classe ouvrière", en tant que sans réserve, soit menacé pour que cette solution révèle ses limites, et con­traigne à passer du combat pour la survie au combat pour la destruction de la valeur, alors en état de caducité momentannée. En attendant, six mois d’"autogestion" permettront peut-être de sauver effectivement l’entreprise Lip.
Par ailleurs, la réforme du procès de travail, tant dans sa pratique limitée que dans ses vastes discours idéologiques, essaie de désamorcer la reprise révolutionnaire. Elle contri­buera sans doute à la consolidation de la contre-révolution, aussi longtemps que le mouvement révolutionnaire ne pourra dé­passer ses limites actuelles.

2.

Cette première approche des caractéristiques de la période et des fondements de son ambiguité permet de revenir sur l’analy­se qui fondait le projet-circulaire du "Voyou". Le caractère isolé et intermittant des ruptures - par quoi nous pressentions ce qu’il y a de transitoire dans la période actuelle - justi­fiait à nos yeux le titre et le contenu provocateurs de ce "journal des ruptures", de même que son irrégulière périodicité (cf. §7 et 8 du projet).
Mais, et ceci est un premier point, nous déduisions de l’existence de ces ruptures leur caractère communiste. Or, s’il y a rupture, c’est d’avec la domination absolue de la contre-révo­lution. Lorsque le communisme apparait actuellement, c’est com­me besoin, et non comme mouvement effectif tendant à transfor­mer les rapports de production. Les limites de la période ne sont pas simplement que le besoin du communisme n’est pas géné­ralisé, mais surtout qu’il n’y a pas encore de dépassement pra­tique des manifestations de ce besoin. Il n’y a pas encore af­firmation pratique du communisme. Ce besoin du communisme donne sans doute "le sens général de l’époque", mais ce n’est pas ce dernier qui fonde l’activité des communistes. Car cel­le-ci est fondamentalement liée à l’activité pratique du prolé­tariat, qui tend à imposer le communisme en se niant.
Or l’époque ne produit pas encore une telle activité du prolé­tariat. La pratique de celui-ci est encore liée à celle du ca­pital (liée et pas seulement produite, car la révolution est évidemment aussi produite par le rapport social du prolétariat au capital). Le prolétariat est en train de constater l’impos­sibilité de sa survie ; pour reprendre l’expression d’un cama­rade bruxellois à propos de la grève des dockers d’Anvers :
"Cest le dernier carré" qui se défend de mourir et qui meurt duand même. La violence du prolétariat qui se manifeste actuel­lement apparait comme violence du désespoir de ne pouvoir con­server sa place dans la communauté matérielle du capital. C’est le premier temps, négatif, de la renaissance du mouvement com­muniste, qui fonde le besoin du communisme, et sa traduction théorique, mais limite l’intervention pratique des révolution­naires, et donc ne fonde pas la nécessité d’un organe commu­niste.
La preuve de ces limites est fournie par toutes les manifesta­tions plus ou moins récentes, de même que dans la traduction théorique qui a pu en être faite : CES Pailleron, "Boues rouges" de Bastia, agressions dans le métro, mutineries dans les prisons, émeutes au Japon, etc. Dans tous les cas, il y a mani­festation de l’impossibilité de vivre dans le capitalisme, et révolte contre cette impossibilité, donc révolte contre le capital. Chaque fois, la signification réelle de ces révoltes a été donnée, et il a donc été montré que la seule réponse aux questions qu’elles posaient était le communisme, dont elles manifestaient le besoin parce qu’aucune solution capitaliste n’était possible.
Le sens de l’époque est incontestablement le communisme, mais la manifestation positive actuelle dont le prolétariat (lors­qu’il se manifeste) se fait l’agent est la négation du réfor­misme. Nous pouvons trouver chaque jour un fait qui exprime cette impossibilité du réformisme et ce besoin du communisme. Nous pouvons en faire un tract quotidien pour en parler - ou un journal - qui pourrait sans cesse répéter pratiquement la mê­me chose en l’adaptant à la situation particulière de chaque fait. C’est à ce genre d’activité que se livrent des groupes comme R.I. dans leurs tracts, mais sans y faire apparaître le communisme, il est vrai . C’est justement parce qu’ils n’ont pas la compréhension du communisme qu’ils peuvent s’activer ainsi de façon quasi-militante, en dénonçant invariablement la" contre-révolution, qu’ils limitent d’ailleurs le plus sou­vent au capitalisme d’Etat.
Bien entendu, "couvrir" ainsi l’actualité pour déboucher régu­lièrement sur les limites de l’époque et la constatation du besoin du communisme ne nous intéresse pas et confine à la propagande.

3.

En réponse à,notre projet, des camarades d’Aix nous écrivaient : "Ce qui nous rend favorables à ce projet, c’est qu’il corres­pond à la caractérisation de la période actuelle comme reprise révolutionnaire ainsi que vous le montrez au §1, et donc qu’il ne saurait apparaitre comme l’organe d’un regroupement formel". Or il s’est avéré justement que le regroupement qu’occasionna "le Voyou", et qui participait d’une tendance plus générale, était formel. Cela se révéla par exemple au cours d’une tentative d’intervention dans le mouvement lycéen parisien, et dans la dispersion des camarades qui suivit l’échec de cette tenta­tive. Des désaccords qui jusque là n’existaient que de façon relativement confuse, se précisèrent alors. Nous sommes donc amener à préciser l’estimation des camarades d’Aix : si la re­prise révolutionnaire permet les regroupements, l’ambiguité de la période ne garantit pas qu’ils ne seront pas formels, car les liens qui s’établissent ne peuvent encore être immé­diatement pratiques.
A propos du choix du "Voyou" comme titre, les camarades d’Aix nous reprochaient de "ne voir dans la révolte que la révolte et non, dans cette période, la révolution". Dans leur suresti­mation de la période, ils étaient plus logiques avec eux-mêmes que nous, et déduisaient du caractère révolutionnaire de la période la nécessité d’un journal dont le titre et la présen­tation auraient explicité la non-ambiguité de cette période. D’une estimation correcte mais insuffisamant approfondie, nous déduisions à tort la nécessité d’un journal. De leur coté, les camarades d’Aix auraient eu pleinement raison de fonder un journal - si l’image qu’ils se faisaient de la période n’avait été sur-estimée. Il s’établit ainsi entre nous un dialogue de sourds, et c’est pourquoi nous ne pûmes intégrer leurs remar­ques dans notre présentation.
Il est indispensable ici d’aborder, très sommairement, la ques­tion du centralisme par rapport à la révolution communiste, et en particulier celle de la nécessité ou non d’un organe central. Non pas que "Le Voyou" ait prétendu être l’organe du mouvement communiste, ni qu’il aurait pu prendre dans son projet un as­pect formel, mais parce que ce projet modifié, débarassé de son caractère "batard" ou "désuet", peut être repris par d’autres pour tenter d’en faire ce que nous critiquons ici.
Tout d’abord, nous estimons que l’existence même d’un journal ne saurait se concevoir en dehors de luttes qui affirment pra­tiquement le communisme. L’organe communiste ne peut qu’être l’émanation du mouvement s’attaquant à la valeur. En tant que tel, il a une utilité spécifique de tisser et renforcer des liens entre les diverses composantes - géographiques, sociales, etc. - du mouvement. C’est la différence entre "journal" et revues. Celles-ci se limitent forcément à une théorisation plus "abstraite" qui, finalement, rend compte pour l’essentiel du mouvement contradictoire du capital et du devenir de cette con­tradiction. Il faut donc que ces composantes soient déjà inclu­ses dans le procès d’éclatement de leur séparation en tant que catégories du capital.
Ceci amène une autre remarque : l’organicité du mouvement ne peut en aucun cas se traduire formellement par un journal au­tour duquel et par lequel se rassembleraient les composantes alors considérées comme hétérogènes. S’il y a mouvement com­muniste, il y a immédiatement dépassement des catégories capitalistes, dépassement de la variété et du localisme des situa­tions en une réalité générale commune, universelle. Telle est l’organicité réelle du mouvement communiste. Il peut donc y avoir 1, 2, 10, 100 "journaux" ou autres modes des expressions du mouvement, ils ne sont en aucune façon autonomes, séparés de ce mouvement. On ne peut reconnaître le caractère communis­te d’une révolution en ce qu’elle fait naitre un centre organisationnel, mais dans ce qu’elle fait.
Le mouvement communiste ne peut être exprimé ni par une centra­lisation formelle, ni par un autonomisme fédéraliste ou unio­niste. La première conception relève des tâches du capital qui doit rassembler les éléments hétéroclites dont il hérite à son avènement, et qu’il doit fondre, progressivement ou brutalement en un mode de production unitaire. Ce n’est pas par hasard si l’exemple le plus souvent cité (par LMC entre autres) pour jus­tifier un centralisme organisationnel est la "révolution bolchévique". En effet, en Russie la question était cruciale : ras­sembler, organiser le prolétariat, puis les paysans dans ce territoire immense et varié (quant aux rapports sociaux). L’ idéologie bolchévique est cohérente dans la totalité de ses éléments :

  • conscience devant être importée dans le prolétariat, car ce­ lui-ci n’est que le moyen de la révolution bourgeoise et donc ne peut trouver dans son être la matière et le but de son ac­tivité.
  • parti de révolutionnaires professionnels.
  • organe central extérieur à l’activité du prolétariat et lui pré-existant.
    Tout cela est contenu très clairement dans"Que Faire ?" et rien dans les écrits ou l’activité postérieurs de Lénine ne dément cette idéologie.

    La seconde conception (le fédéralisme anarchisant) nie tout au­tant le caractère communiste, c-à-d universel, du mouvement. C’est le côté pile du centralisme. On additionne des variétés et on croit faire de cette addition le garant d’une véritable communisation (règne de la liberté). Cette conception est en fait liée à l’apparition du capital et traduit une réaction contre son développement. Elle perd de son importance avec le puissant mouvement de centralisation du capital (tournant du siècle) mais tend à ré-émerger aujourd’hui dans la mesure où le capital n’est plus à même de développer unitairement son mode de production dans toutes les zones où les modes précapi­talistes sont dissous par la pénétration de la valeur. D’où la recrudescence de l’autonomisme régionaliste et nationaliste. Toutefois, dans ces zones également le mouvement ne pourra qu’ être communiste. On ne peut ici tenter de montrer ce que celui-ci y fera, ni en particulier analyser les rapports entre zones développées et zones non-développées dans le procès révolution­naire, mais on peut affirmer que ces idéologies ne tiennent que par l’existence du capital qui les produit.
    En bref, le fédéralisme et le centralisme ont en commun de con­sidérer les unités capitalistes commes des autonomies devant être dans le procès révolutionnaire pour le premier, préservées et pour le second, unifiées.
    Dans les manuscrits de 44, dont le contenu indéniable est le communisme, Marx dit à propos de la religion, mais cela vaut pour tout mouvement historique : (Ed. Soc. p. 97.)
    "Un être ne commence à se tenir pour indépendant que dès qu’il est son propre maître, et il n’est son propre maître que lors­qu’il doit son existence à soi-même. Un homme qui vit par la grâce d’un autre se considère comme un être dépendant. Mais je vis entièrement de la grâce d’un autre, si non seulement je lui dois l’entretien de ma vie, mais encore si en outre il a créé ma vie, s’il en est la source, et ma vie va nécessairement, un semblable fondement en dehors d’elle si elle n’est pas ma propre création. C’est pourquoi la création est une idée très difficile à chasser de la conscience populaire. Le fait que la nature et l’homme sont par eux-mêmes lui est incompréhensible parce qu’il contredit toutes les évidences de la vie pratique." Suit le fameux passage sur l’absurdité de se questionner sur l’origine de l’homme.
    Il en va de même pour le communisme. En effet, le mouvement social dans une sphère donnée trouve son autonomie ou sa maitrise dans et par le mouvement universel, et réciproquement, le mouvement social n’est universel que s’il affirme sa propre" maîtrise, c-à-d s’il ne trouve aucune autre contrainte à sa naissance que son propre être : la contradiction inscrite dans le MPC.
    Dans le centralisme, comme dans le fédéralisme, il y a la croyance, populaire et tenace, en la création du mouvement ré­volutionnaire. Non seulement la révolution n’est pas une ques­tion d’organisation, mais elle n’a pas a priori de problème d’organisation. Si le procès révolutionnaire, aujourd’hui, im­plique la communisation immédiate de la société par l’attaque immédiate contre la valeur, le prolétariat ne peut s’organiser que sur le mode d’être de son activité : l’être social, l’être humain. Son mouvement d’auto-suppression est inclus dans sa lutte contre le capital.
    En résumé, d’après tout ce qui précède, nous estimons :
    1) Qu’il ne saurait exister, aujourd’hui, d’organe communiste au sens de lien pratique entre des luttes de nature communiste, fût cet organe atténué du qualificatif "provocateur". Au­trement dit, tout organe communiste ne peut pré-exister au mouvement qui s’attaque pratiquement à la valeur.
    2) Il n’est nullement certain que ce mouvement produise cet organe en un exemplaire unique, l’unicité de la révolution com­muniste n’étant pas du domaine du formel.
    3) De toute façon, les tâches qui seront alors à accomplir, ainsi que leurs formes adéquates d’organisation, seront immé­diatement perceptibles. Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas à lutter pour, que tout sera clair pour tout le monde, mais que le prolétariat se ré-appropriera la théorie en étant contraint aux tâches communistes élémentaires. Alors qu’aujourd’hui leur prévision est en grande partie occultée, quant à leur caractère concret, par la domination réelle et fétichiste du capital.
    Le besoin du communisme ne pouvant alors plus être séparé d’une tentative réelle et pratique de satisfaction, cette unité fera s’effacer les"faux" besoins qui se greffent aujourd’hui sur ce besoin initial, et le transforme par suite à leur image. Par "faux besoins" nous entendons les besoins produits par le ca­pital, qui reflètent l’autonomisation des rapports sociaux et le fétichisme qui est inhérent à ce mouvement. Le projet du "Voyou" était l’expression d’un de ces "faux besoins" (de liens en l’occurence).
    Le mouvement communiste pratique aura une action sélective et bouleversante vis à vis de nos besoins et désirs actuels.

    Alain Ajax - Nicolas Will
    Paris, Septembre 73.