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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Le problème du socialisme (C. Meijer)
Internationalisme n°39, Novembre 1948
Article mis en ligne le 1er novembre 2015
dernière modification le 10 octobre 2015

par ArchivesAutonomies

Socialisme utopique

Il y a toujours eu des penseurs humanistes qui on fait des "plans" pour éliminer la pauvreté et les iniquités du monde. Pour la réalisation des "plans" ils faisaient appel aux riches et puissants de la terre. Cela va sans dire que le prolétariat était quasi inexistant et l’analphabétisme presque général, tandis que l’église et le bistrot étaient les seuls endroits de distraction. On ne pouvait guère trouver là les conditions pour changer le monde.

Le capitalisme selon Marx

A la fin de la première moitié du 19ème siècle Marx se fit connaître. Il disait qu’une société ne peut se changer par des "plans" fortuits, mais qu’elle se change par le développement des forces antagonistes engendrées par cette société même. Quand on cherche la perspective du développement d’une société on doit analyser les forces antagonistes en son sein. Quant au capitalisme c’est un système fort, révolutionnaire, qui transforme le monde dans ses fondements économique et politique et transforme ainsi la psychologie des hommes.
Le capitalisme n’est pas seulement une production d’articles pour les besoins des hommes, mais aussi et surtout une production de capital. Ce sont deux côtés du même processus. Les machines et les matières premières ne sont pas seulement des moyens de production mais c’est aussi du capital. C’est à dire : le but de la production, c’est de produire un profit (plus général, plus-value) pour les entreprises, et le moyen pour atteindre ce but se trouve dans la production des marchandises pour les besoins des hommes.

Marx nous enseigne que le double aspect de ce même processus mène à de grandes catastrophes dans la société : chômage, incertitude de l’existence, stagnation de production, pauvreté, guerre, abaissement de la culture en général.
Pour Marx, le problème du socialisme se posait ainsi : l’abaissement du niveau de vie, les catastrophes économiques sous forme de crises et de guerres engendrent une effervescence dans la classe ouvrière et dans cette effervescence apparaît la lutte de classe. La classe ouvrière devient consciente des causes de catastrophes sociales. Elle comprend que la contradiction entre les moyens de production comme moyens pour satisfaire aux besoins de consommation et comme moyen de produire des profits, les forces productives entrent en conflit avec la base juridique de la société et là exige la suppression du capital lui-même et son corollaire, le salariat. Il s’agit de donner de nouvelles règles économiques pour toute la production, l’industrie, l’agriculture et pour la distribution des biens. Une société sans marché, sans "valeur", sans prix et sans argent. Une économie réglée par le temps de travail. Le temps de travail servant de mesure et de base pour la production et la consommation. Une économie réglée par les travailleurs, eux-mêmes comme association de producteurs-consommateurs libres et égaux. (Voir La critique du programme de Gotha).

La crise actuelle

Cette perspective de catastrophe et de stagnation a suscité beaucoup d’erreurs chez les révolutionnaires. Pendant une trentaine d’années jusqu’en 1890 le capitalisme ne se développait guère (excepté en Allemagne après 1870) et on croyait le capitalisme déjà au bout de ses forces. Et cette stagnation donnait naissance à l’opinion que la période de la révolution devait commencer. Marx lui-même était victime de cette erreur. Après 1890 le capitalisme éprouvait de nouveaux stimulants par de nouveaux procédés de production et par "l’impérialisme". L’élévation du niveau de vie (engendré par l’augmentation de l’intensité du travail et par là l’augmentation de la valeur de la force de travail) s’est produit pour une très grande couche du prolétariat. Ce phénomène était en contradiction avec les prévisions des révolutionnaires et Rosa Luxembourg chercha à donner une explication dans son livre L’accumulation du capital. Elle cherchait à trouver qu’il s’agissait seulement d’un délai de la mort certaine du capitalisme.
En Allemagne 1923 on voyait de nouveau un "effondrement du capitalisme », et des discussions véhémentes sur la "crise mortelle" conduisaient à une scission du KAPD (Communistes de Conseils). Ceux qui ne pouvaient souscrire à la thèse de la "crise mortelle" étaient exclus à cause de leur "penchant réformiste". Mais la crise s’est montrée de longue durée puisque maintenant en 1948 le patient n’est pas encore mort. Et plus prudent, on parle à présent de "capitalisme décadent".

Rosa Luxembourg.

Il est bon d’examiner un peu les théories de "l’effondrement". Rosa avait l’opinion que le capitalisme ne pouvait exister sans marchés non-capitalistes (comme l’Asie, l’Afrique) parce que, selon son opinion, la production capitaliste doit toujours avoir une surproduction, laquelle ne peut être absorbée dans les sphères capitalistes. La conséquence de cette théorie était un effondrement certain quand les pays arriérés auraient adopté le système capitaliste. Quand ces marchés supplémentaires auraient disparu le capitalisme ne marcherait plus. R.L. croyait pouvoir éprouver cette thèse par des schémas de production et d’échange qui, selon elle, montrent toujours un déséquilibre.
Entre autres, le bien connu marxiste hollandais Pannekoek a critiqué ce livre et il montait que Rosa s’était trompée. Il disait que la reproduction capitaliste est réellement impossible en utilisant les schémas de RL. Mais cela se pose seulement parce qu’elle a utilisé de faux chiffres. Il n’est pas difficile de donner des schémas où la reproduction ne marche pas. Mais dans une œuvre théorique, la tâche de RL était de montrer qu’il n’était jamais possible d’établir un schéma où les deux sections de production soient équilibrées. Justement Pannekoek apportait la preuve du contraire en établissant un schéma d’après lequel ce n’était plus le capitalisme mais la théorie de Rosa qui s’écroulait.

Henrik Grossmann

Environ 20 ans après, en 1929, H. Grossmann publia La loi de l’effondrement du système capitaliste. Dans ce livre il fait une critique serrée des schémas de Rosa Luxembourg contre lesquels il utilise des schémas équilibrés. Aussi pour Grossmann il n’est nullement nécessaire pour l’économie capitaliste qu’il y ait des marchés supplémentaires extra-capitalistes. Mais malgré cette production "harmonieuse" les crises économiques sont, chez Grossmann inévitables et au cours du processus historique, toujours plus difficiles à surmonter. Enfin ces crises mènent à un effondrement certain du capitalisme.
Pourquoi cet effondrement ? L’explication est assez simple. Tout le monde sait que la technique va, de conquête en conquête, rationalisant la production. Cela a pour conséquence d’augmenter le capital constant et fixe : les machines et la quantité de matières premières qui sont usées en moins de temps. Aujourd’hui, le capital fixe dans les moyens de production s’agrandit toujours. Mais étant donné le sens de la rationalisation qui est justement de produire plus de marchandises avec moins de travailleurs, il va sans dire que le capital investit par travailleur s’agrandit toujours. Par conséquent chaque ouvrier doit produire un profit toujours plus grand. Or, plus la technique se développe, plus l’exploitation des travailleurs doit augmenter. C’est là la conséquence du développement technique pour les travailleurs.

Mais quelles sont les conséquences pour les capitalistes ? Quand la plus-value, créée par les travailleurs se répartit sur un capital croissant, le taux de profit a tendance à diminuer dans la mesure où le capital s’accroît. Tant que le capital augmente il est difficile de maintenir le taux de profit.
On peut exprimer cette difficulté en d’autres termes. Un manque de profit signifie que l’exploitation des travailleurs est trop basse. Alors il s’agit d’augmenter l’exploitation par la diminution des salaires, l’augmentation de la productivité de travail et l’augmentation du temps de travail journalier. Mais il est clair que ces moyens ont leur limite, et enfin ils ne peuvent pas sauver la base du capitalisme. Il y a pourtant d’autres moyens. Ce sont les changements dans l’organisation du capital et de la vie économique en général. Ce sont la concentration et la centralisation du capital, l’élimination des petits marchands, l’organisation de la consommation. A notre époque nous voyons ces méthodes dans l’économie "dirigée" par l’État et dans les nationalisations.
Grosmmann montre que tout cela ne peut pas sauver le capitalisme parce que le processus de l’accumulation doit se continuer. Non seulement continuer mais s’accélérer parce que la lutte sur le marché mondial détermine cela. Le résultat de tout cela est que l’accumulation mène à des guerres acharnées, à un niveau de vie très bas pour les classes travailleuses et enfin à une stagnation économique permanente. Le capitalisme ne marche plus et s’écroule.
A Pannekoek a combattu cette théorie également. Il voit en elle un nouvel effort d’établir un effondrement automatique du système capitaliste. Et c’est ce qu’il estime faux et dangereux. Ce n’est cependant pas qu’il voit de meilleures perspectives pour les capitalistes ou pour les ouvriers, c’est à dire pour le développement de la société capitaliste. Les schémas de production qu’il avait donnés dans sa critique de Rosa mènent à une marche toujours plus lente de l’accumulation, dans la pratique à une "crise permanente", à une "société figée". Mais on doit immédiatement ajouter que ces schémas n’étaient pas faits pour montrer un "effondrement", ou pour démontrer une fin certaine du capitalisme, ils avaient seulement pour raison de démontrer que le capitalisme n’a pas besoin de "marchés supplémentaires" comme le croyait Rosa Luxembourg.

"L’effondrement"

Quand Pannekoek attaque les théories de "l’effondrement", c’est pour montrer le processus de la révolution réelle. Chez Grossmann, l’effondrement signifie que le capitalisme aboutit économiquement à une situation de fonctionnement impossible, comme une machine qui s’est grippée et s’arrête. C’est à dire que les hommes sont obligés d’intervenir et la remplacer par une meilleure, PEU IMPORTE QUE LA CLASSE DDES PROLETAIRES QUI DOIT L’ACCOMPLIR SOIT ENCORE COMPOSEE D’ESCLAVES HUMBLES OU OBEISSANTS. Cette conception de la révolution, comme une contrainte mécanique était très répandue, c’est à dire chez l’intelligentzia bourgeoisie et socialiste qui ne comprenaient pas la base du matérialisme historique. La conscience est déterminée par l’existence. Ils cherchent la force motrice de la révolution dans la libre volonté, c’est à dire dans la morale des hommes (les réformistes) ou dans la contrainte d’un effondrement économique (les fatalistes). Et à celui qui nie cette catastrophe on lui attribue une conception "volontariste".
Mais cela n’a rien à voir avec le "volontarisme". Il est sûr que le capitalisme se développe au travers de catastrophes économiques et politiques, et que la classe ouvrière se défend contre les tendances destructrices. Parmi ces catastrophes et des luttes de travailleurs, la conscience pour changer le monde croît. Il nait une "conscience socialiste" qui s’exprime déjà à présent dans le désir d’une "économie dirigée". Cette conception maintenant faussée et défigurée profondément par une partie de la classe possédante et par les bureaucrates des partis et des syndicats pour augmenter l’exploitation de la population travailleuse et qui a pour résultat de diminuer la liberté individuelle, est malgré tout, aussi un trait de la "conscience socialiste" une acquisition de la conscience prolétarienne. Cette acquisition est aussi née des catastrophes économiques et politiques et de la lutte de classe.
Dans l’avenir cette conscience sera remplie d’un contenu plus précis. Sous le joug de l’économie dirigée du capital et ses acolytes, les masses apprennent que l’exploitation peut seulement être abolie et la liberté assurée que sous la direction des masses travailleuses elles-mêmes ; et indépendamment des harangues ou du "volontarisme". C’est la lutte de classe même qui le leur apprend. De plus en plus les syndicats et les partis sont reconnus comme partisans de l’oppression et la lutte ira en se développant de plus en plus sous la direction des masses. Ils deviennent des millions, dirigeant leur propre force. Et quand cette façon de lutter sera devenue le "sens commun", les conceptions de l’économie dirigée prendront aussi la tendance d’une direction de la société par les masses sans détour de l’État. La société sera alors mure pour la révolution, c’est à dire : POUR L’EFFONDREMENT DU CAPITALISME.
Et c’est ainsi que la révolution est elle-même l’effondrement du capitalisme et cela, on ne peut le trouver dans aucun schéma.

Le socialisme.

Dans la seconde moitié du 19ème siècle on croyait le capitalisme au bout de son rouleau, en 1923 on parlait de la crise "mortelle", et en 1948 on parle de capitalisme décadent. Par ces appréciations on veut dire que le capitalisme sera bientôt vaincu par le socialisme. C’est à dire, on compte toujours sur un effondrement économique du capitalisme. Cette orientation est erronée. L’étude de l’économie mondiale est surement d’une très grande importance mais pour juger de l’effondrement du capitalisme nous sommes obligés de mesurer les forces du prolétariat sous sa propre direction. Quand ces forces sont encore peu développées, l’effondrement n’est pas proche, malgré un capitalisme "décadent", ou une crise "mortelle". C’est pourquoi l’orbite de la propagande dans l’avenir doit être dirigée sur la lutte de classe indépendante de tous les partis et syndicats.
Quelles sont les perspectives de cette lutte ? Ce problème sera examiné dans le prochain numéro.

(à suivre)

Polo.