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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Les Fractions de la GCI en France et aux U.S.A.
{Internationalisme} n° 43, Juin-Juillet 1949
Article mis en ligne le 13 décembre 2015
dernière modification le 10 décembre 2015

par ArchivesAutonomies

La Fraction française de la Gauche Communiste organisait récemment une réunion publique où devait être délimité sa position face au danger de guerre et où, après critique du pacifisme, devait être exposé le "comment lutter contre la guerre". De gros efforts furent dépensés à cette occasion. Nouveau Phoenix, L’Internationaliste ressuscita derechef. Las, la FFGC dut déchanter. A une vingtaine d’assistants se réduisit l’auditoire.

Il faut reconnaître, d’ailleurs, que des organisations bourgeoisies, disposant de moyens matériels beaucoup plus importants – tels le RDR ou le parti trotskiste – ne voient guère leurs réunions plus fréquentées ; Ni le PCF ni le RPF ne se risquent à des meetings de masse sans une lente et savante préparation. La crise actuelle du mouvement révolutionnaire en France est, sous cet angle, inséparable de la crise que traverse la société française dans son ensemble. Et L’Internationaliste fait preuve d’un optimisme simplificateur, affirmant : "La situation actuelle de la classe ouvrière est la rançon des solutions de facilité adoptée depuis des années."

Naguère encore l’activisme pouvait servir d’alibi à ceux-là qu’effraie tout effort de pensée révolutionnaire. Il apparaît aujourd’hui que cet activisme n’est même plus rentable sur le plan, tout quantitatif du succès des réunions publiques. Sous la contrainte, celle du profond recul du mouvement ouvrier, la FFGC doit en venir à examiner les seuls problèmes théoriques qui présentement se posent. Pour ce qui est de leur domaine propre, ces questions ne seront résolues que par la conjugaison de toutes les volontés militantes. A ce jour, la FFGC, comme le groupe qui édite Socialisme ou Barbarie, s’en tient à l’examen des problèmes par la Fraction, la Fraction seule. Tel est, du moins, ce qui ressortit de quelques interventions.

Le dernier numéro de L’Internationaliste fut donc tiré spécialement pour la réunion du huit avril. Il se compose de trois articles. Celui de tête, intitulé vaillamment "A bas la guerre impérialiste", brosse un tableau de la situation de pré-guerre mondiale. Vient ensuite un article sur les "Les illusions pacifistes et fédéralistes" ; enfin, "Les révolutionnaires marxistes et la guerre" qui se termine sur la proclamation : "Le meilleur rempart contre la guerre sera le parti communiste international que la Gauche Communiste travaille à préparer." Ainsi soit-il et passons à l’ordre du jour.

Comme la conférence elle-même, ce numéro de L’Internationaliste ne permet guère la critique, en ce sens que touchant à tout, il n’approfondit rien. C’est "fait exprès", à ce que nous apprirent les débats. Quoiqu’il en soit, une analyse sérieuse de ce document nous entraînerait hors du cadre modeste d’une revue de presse. Remarquons cependant que la conception monolithique du Parti de la classe – qui est celle de la FFGC et nous en sépare radicalement – se reflète dans l’appréciation par elle portée sur les paris staliniens. Ces partis, écrits L’Internationaliste, ne sont, en tous pays, rien d’autres que les "exécuteurs de la propagande mondiale de l’URSS." Est-ce bien aussi vrai que le dogme de la Sainte Trinité ? est- ce bien le cas des Patraseanu, des Tito, des Gomulka et autres Kostof, à coup sûr aussi "bons" staliniens que les Pauker, les Hébrang, les Bierat et autres Dimitrov ? Les partis staliniens sont l’expression concrète des intérêts communs à une partie de la bourgeoisie capitaliste d’État mondial ; Comme tels, ils expriment les volontés et les désirs du bloc impérialiste russe qui les supporte dans leurs antagonismes avec les USA. Mais ils expriment les intérêts particuliers à ce qu’il est encore convenu d’appeler nation. Ils s’en font les plus chauvins des porte-paroles. En dernière instance seulement ces partis, ou des pans de ces partis s’inclinent devant le diktat moscovite. Ainsi voit-on le PC français dénoncer dans le nouveau "statut d’occupation", une résurrection de la puissance allemande, agressive et spécialement dirigée contre la France. Ainsi voit-on le PC allemand dénoncer de même statut comme une violation éhontée de la souveraineté allemande. Il n’y a là ni machiavélisme, cette explication est toujours imbécile, ni démagogie spéciale. Staliniens français et allemands expriment les intérêts de leur patrie respective ; c’est à dire ceux de leurs dirigeants capitalistes, de ceux d’entre eux qui ne sauraient s’accommoder à la concurrence yankee sans abdiquer de leurs privilèges. Ces dirigeants-là sont chefs d’entreprises, généraux, écrivains, etc…. Mais leurs intérêts sont communs à ceux d’ouvriers et de paysans pauvres que l’apport intensif de marchandises américaines sur le marché européen réduira au chômage, à la misère. Les partis staliniens ne sont pas de par leur nature spécifique, l’obstacle qui s’oppose à une prise de conscience par les ouvriers de leur objectif historique. Ils sont, et cette vue est plus "pessimiste", l’un des aspects par quoi se manifeste l’intégration politique des ouvriers à l’un- ou l’autre – des blocs impérialistes qui se partagent le monde (notre groupe a déjà abordé cette question dans le N°30 de juin 48 : Partis staliniens, partis nationaux).

Ceci dit, les partis staliniens ne sont pas des robots. Ils sont, vis à vis de Moscou, dans la situation de l’Angleterre vis à vis des États-Unis. Ils s’essaient à faire la part du feu, à sauver ce qui peut être sauvé du naufrage de leurs impérialismes respectifs. Il en est de même pour ceux qui aspirent à se sauver tous seuls… ou presque.

C’est là, dira-t-on, couper les cheveux en quatre ou jouer au spectateur intelligent. Tout le mouvement révolutionnaire du passé eût ce travers, condition première d’une prise de conscience par l’avant-garde et de l’époque et de ses perspectives.

Deux camarades de notre groupe étaient présents à la réunion. Ils n’y sont pas intervenus. Discuter dans la confusion équivaut à entamer un dialogue de sourds ; Unilatérale à ce jour, l’anathémisation des "docteurs" n’y changera rien. Au surplus une camarade de la FFGC a jugé nécessaire d’avertir un contradicteur modéré que l’on ne peut critiquer la Fraction "qu’au sein même de l’organisation". Ce chauvinisme de clocher est une funeste séquelle des pratiques de feue la troisième Internationale. Il la faut guérir ou en crever.

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L’International Bulletin publié par la Fraction américaine de la GCI se présente comme un bulletin de 11 pages soigneusement tirées au duplicateur et présentées. J’ai en main son numéro de janvier- février 1949.

Sur ces 11 pages, 3 seulement sont du fait d’un camarade de la Fraction américaine. Voilà bien le plus net certificat de carence que ne pourra jamais présenter un groupe de militants révolutionnaires. Ces trois pages traitent du "trotskisme et Labour Party". Y est démasquée la propagande de Schachtman et autre Cannon pour un Labour Party, érigé avec le concours de leaders radicaux du CID et AF of L. Cette prétention que la contre révolution pourrait être réformée par la création d’un Labour Party assis sur de telles bases, est un mensonge nous dit l’IB : "Le trotskisme est un obstacle sur la voie de la Révolution prolétarienne car il entretient les illusions des ouvriers sur un Labour Party dont le seul rôle est de sauver un système mourant : le capitalisme … En contraste le programme de la GCI est la seule base sur laquelle peut être édifié un Parti et une Internationale révolutionnaire." L’article se termine par 11 points – un de plus que le décalogue… lesquels indiquent les objectifs de la Fraction. Entre autres celle-là se prononce pour "la reconstruction d’une Internationale révolutionnaire contre les Internationales de trahison (social-démocrate, stalinienne, trotskiste)". Elle rejette le parlementarisme et le front unique, soit avec les syndicats, partis de l’appareil de l’État capitaliste, soit avec les bourgeoisies coloniales dont la lutte pour l’indépendance se fait sur des bases impérialistes. "L’unité de la classe ouvrière sera sur la base du programme du parti de la révolution et sous sa direction au sein de ces organismes créés par la renaissance de la lutte de classe prolétarienne."

L’article suivant est extrait de L’Internationaliste organe de la FFGC (octobre 48). Cet article traitait, excellemment, des "Guerres civiles et rivalités impérialistes en Orient." Mais l’évolution de la situation dans l’Asie du Sud-est et en Chine, aurait demandé, au moins ce complément que l’on pouvait lui donner en janvier dernier. Nos camarades de New York se devaient de dénoncer, même dans le désert, les sanglants aboutissements de la politique trotskiste, la participation de Ten Malalzka [1] et dirigeants trotskistes locaux à la répression menée par les dirigeants nationalistes d’Indonésie, à l’encontre du "front stalinien". Cette politique les conduisit à s’intégrer à l’appareil étatique de la république de Yogyakarta, à s’aligner, par là même, sur la politique impérialiste des Yankees, opposée à celle, non moins impérialiste, des néerlandais. Des très importants événements de Chine, pas un mot. L’I.B. se contente d’une modification au titre, qui devient "Guerre civile et rivalités impérialistes en Birmanie, Malaisie et Indonésie." Parler de l’Orient, en janvier dernier, aurait nécessité en effet quelques appréciations sur Mao Tsé Toung. Et c’est Milan qui pense, ou Paris à son défaut.

Suit un extrait de L’ABC du communisme de Boukharine. Ce fragment est intitulé "Le capitalisme d’État et les classes" (Paris, Librairie de l’Humanité, 1925 – 2ème édition ; pp. 124 à 128). Là encore, et en les admettant fondées, un réajustement s’imposait des perspectives dégagées en 1919 par Boukharine. Ne lit-on pas quelques pages plus loin, dans ce même ouvrage : "Il est tout naturel que le capitalisme ait conduit à la guerre et que la guerre impérialiste entre États bourgeois ait été suivie de la guerre civile. Notre parti avait prédit cela, dès 1914, alors que personne encore ne songeait à la révolution… Notre prédiction se réalise intégralement aujourd’hui… La guerre impérialiste se termine par la guerre civile, d’où le prolétariat sortira nécessairement triomphant" (p. 137). Il est tout naturel que Boukharine ait écrit cela, en 1919. Il est moins naturel que la PCI d’Italie offre cet ouvrage en vente à ses militants, sans le refondre totalement, ou mieux, en le réécrivant. Mais le parti italien compte-t-il dans ses rangs des camarades capables d’accomplir cette tâche ? On aimerait en avoir la preuve autrement que par une réédition intempestive.

Enfin L’IB commence la publication d’une étude que "La nature, la fonction et la politique du parti révolutionnaire de la classe ouvrière" précédemment parue dans Prometeo, organe théorique du PCI d’Italie.

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J’eus dans notre dernier bulletin l’occasion de présenter L’International News, publication de la RWL de Chicago. Nous en avons reçu, depuis, deux numéros. Dans celui de décembre 1948 (15 pages) l’on trouvera deux articles :
Les morales : marxistes, staliniennes, capitalistes : que la fin justifie les moyens, ce concept est celui des staliniens qui lui donnent un contenu différent de celui donné par les marxistes. Nous ne pouvons adopter des moyens qui déformeraient nos fins. En gardant toujours en tête l’intérêt de la classe ouvrière, nous pouvons ajuster nos moyens à nos fins et redonner à l’axiome le sens que le stalinisme lui a enlevé. Bon article de vulgarisation, qui n’a guère de place dans un bulletin à diffusion restreinte.

Fascisme et front populaire sont les bras droits et gauches du capitalisme : deux méthodes sont employées pour contrôler les ouvriers "conservatrice" ou "démocratique" d’une part, "fasciste" ou de "front populaire" de l’autre. Sous la pression du prolétariat, la bourgeoisie en déclin doit renoncer à ses vieilles méthodes. Tandis que le fascisme est en période de guerre civile, la victoire des classes moyennes utilisées contre le prolétariat, la victoire du front populaire est fondée sur une troisième force : les agents que la bourgeoisie a recrutés dans les rangs prolétariens. "Quand les contradictions du mode capitaliste de production l’ont mené à une situation révolutionnaire, les méthodes bourgeoisies démocratiques de gouvernement ne suffisent plus. Le capitalisme doit instaurer sa dictature. D’où révolution politique, lutte entre exploiteurs démocrates ou fascistes. Mais la lutte fondamentale est celle qui oppose communisme et fascisme. La situation révolutionnaire permet au prolétariat de rompre avec le front populaire, lui fournit un parti capable de p. (illisible) et de le guider en cette tâche. Dans cette lutte à trois, le front populaire est incapable de tenir en échec le prolétariat, il est incapable de l’emporter de manière décisive sur le fascisme… Sous la domination du front populaire les masses, indifférentes à leur direction invertébrée doivent combattre le fascisme afin de sauver leur propre peau… Les révolutionnaires n’accordent pas leur soutien au front populaire. Sur la base de l’indépendance politique et organisationnelle, ils ont à promouvoir une politique tendant à arracher le prolétariat et les masses opprimées au front populaire et à ses agents." Marcher séparément et frapper ensemble, tel est le mot d’ordre proposé par la RWL. Il était de notre rôle d’indiquer sa position sur cette importante question. La RWL écrit que si "entre le fascisme et le front populaire il n’y a pas de différence de contenu, il y a en revanche de grandes différences de méthodes." C’est donc sur cette distinction formelle qu’elle fonde sa politique du "frapper ensemble". Il est utile de rappeler que cet article a été écrit en janvier 1933 et réimprimé en décembre 1948… Il est des cas où l’on ne peut distinguer la constance d’une pensée vivante de sa momification.

Le numéro de janvier est de 13 pages. Trois articles : La victoire de Truman, le Congrès : critique des positions trotskistes.
La lutte pour dominer la Chine : critique des positions trotskistes qui seraient partisans d’une aide matérielle aux armées rouges de chine afin d’y favoriser l’éclatement d’une situation analogue à celle de février en Russie. "Les communistes de gauche (bordiguistes) nous attaquent parce que nous, RWL, acceptons et contenons la politique de Lénine de marcher séparément et frapper ensemble. Mais sur ce point, quand bien même nous ayons beaucoup en commun avec ses camarades, et sur d’autres points, ils sont des ultragauches… Les ultragauches sont pour le défaitisme vis à vis de l’armée rouge en Chine." Ils prouvent en tout cas qu’ils ne sont pas des songes creux.

Contre vents et marées, le groupe de Hugo Oehler s’accroche à une formule sans plus, aucun contenu politique. Comme une autruche apeurée, il y cache sa tête. Alors que l’on est en droit de considérer comme vigoureuse encore, la pensée révolutionnaire du courant communiste de gauche, - l’étude du camarade Lucain dont nous parlons ailleurs en est une preuve – la RWL ne peut sortir des ornières du passé. La question russe est sa pierre d’achoppement. Elle y consacre la dernière partie de son bulletin : la démocratie ouvrière en Union Soviétique. L’article est à suivre, mais : il y a des gens qui perdent leur temps et ont du papier à gâcher.

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A son ordinaire, le Défenseur des Conseils Ouvriers de Melbourne, Australie, publie des articles de bonne vulgarisation. Il en paraît ressortir, cependant, que son petit groupe de rédacteurs vit dans un isolement politique et idéologique que les conditions géographiques ne suffisent pas à justifier entièrement. K.J. Kenafick, rédacteur d’un excellent "International Digest", le consacre cette fois aux Freie Sozialistische Blatter (Pages du Libre socialisme de Zurich et Amsterdam) et souligne que la tendance qui s’y affirme est commune à celles d’autres groupes du mouvement ouvrier en Europe. Ces groupes se proposeraient : "La synthèse du marxisme antiparlementaire et de l’anarchisme. L’insistance des marxistes sur l’organisation et la plus grande unité possible y sera combinée avec l’effort des anarchistes en vue de l’auto-disposition et de la liberté des travailleurs". L’on a reconnu là la voie de l’homme-orchestre de la révolution, le caméléon de la pensée révolutionnaire ? Celui qui reste des RKD, les distributeurs de tracts dans la Ruhr [2]. Notre nouveau Protée continue de prendre son incommensurable vessie pour une lanterne. Et ce ne lui est pas assez que de pisser copie un peu partout en Europe occidentale, il lui faut maintenant inonder l’Australie. Le défenseur saura peut-être calfater ses colonnes, en d’autres germes, déceler l’imposture, mieux que le bluff.

Cousin