par ArchivesAutonomies
II) LES PREMIÈRES TENTATIVES DE REGROUPEMENT CR PENDANT LA GUERRE (1940-1942).
La guerre de 1939 a détruit nos illusions sur cet organisme qui s’est révélé comme trotskiste de gauche et comme demeurant dans toutes les questions essentielles sur les positions centristes de Trotski. En 1940, à la première conférence du RK pendant la guerre, deux tendances se sont affrontées : la tendance œhlerienne qui l’emportait encore, et la tendance défaitiste-internationaliste qui par la suite conquit l’organisation entière. Après le tournant politique dans le RK, commencé en 1938/39 par notre rupture avec le trotskisme dans les questions du parti et de la guerre et accompli en 1941 par l’adoption de la position défaitiste révolutionnaire pour la Russie, nous avons vu encore mieux, qu’avant l’urgence de la formation d’une organisation communiste révolutionnaire en France. Plus encore qu’en 1939 l’absence d’une telle organisation était inquiétante. Le tournant révolutionnaire approchait. Il n’y avait aucune trace des bordiguistes ni de l’UC dont nous ignorions toujours les positions politiques (absence de matériel). Seuls les trotskistes faisaient des efforts pour reconstituer leur organisation.
En 1941, nous avons influencé une opposition de gauche qui était représentée au congrès du POI de Pâques 1941, et qui a lu une lettre de démission lors de sa sortie. Nous avons été obligés, pour des raisons matérielles (refus des trotskistes de nous procurer de faux papiers) de nous retirer de Marseille. Par la suite, la fraction de gauche s’est dispersée, un élément est allé aux bordighistes. En 1942 la répression vichyssoise a anéanti l’organisation trotskiste de Marseille.
En 1941/42, nous avons concentré nos meilleurs éléments sur le travail dans l’émigration allemande. Ainsi nous avons pu étendre notre influence dans ce milieu. Pourtant, nous avons délégué en même temps deux camarades (Émile et François) à Lyon pour y effectuer un travail fractionnel dans le POI. Ce travail n’a pas eu beaucoup d’effet :
1) parce que ces deux éléments représentaient la "droite" du RK, c’est-à-dire qu’ils restaient sur des positions oehleriennes et presque trotskistes dans la question russe jusqu’en 1942 (Émile jusqu’en 1941) et 2) parce que la répression vichyssoise avait anéanti (en 1942) la presque totalité de l’organisation du POI à Lyon. (Le PCI-CCI – n’avait aucune activité réelle pendant la guerre à Lyon). Pourtant, la propagande intermédiaire des camarades Émile et François, a, malgré eux, dans une certaine mesure préparée notre activité ultérieure.
En janvier 1942 la répression nous a obligés de quitter les villages, de nous installer à Lyon et de déclencher l’offensive politique plus tôt que ce n’était prévu dans notre plan. Après un examen de la situation internationale qui paraissait évoluer vers de nouvelles explosions révolutionnaires, nous avons décidé un tournant dans notre activité portant sur trois points :
1) déclenchement d’une offensive idéologique ouverte dans tous les milieux que nous pourrions atteindre, pour le défaitisme révolutionnaire en Russie ;
2) commencement d’un travail d’agitation (tracts, journaux) pour nos idées ;
3) commencement d’un travail systématique pour la formation d’un noyau CR français et ensuite international [1].
A cette époque nous avons résumé notre position au sujet du travail français de la façon suivante :
"De même que les ouvriers de tous les autres pays, les ouvriers français ne possèdent pas encore leur parti révolutionnaire. Avant la guerre, il y avait deux organisations trotskistes – POI et PCI - qui, malgré leur accord idéologique complet, étaient divisés pour des raisons bureaucratiques. Ces organisations étaient centristes : pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et pour la révolution socialiste, mais pas pour la défaite de leur propre bourgeoisie ; contre Staline mais pas contre le nouvel État contre-révolutionnaire russe, etc. Ces deux organisations se sont écroulées depuis la guerre. La plus grande partie de leurs débris se trouve actuellement à la remorque du gaullisme. Une partie plus petite, surtout des camarades ouvriers, se trouve entre le national –trotskisme gaulliste (qui est soutenu par l’opinion publique et même une partie de la police française) et nous. Ces camarades dont les cœurs sont du côté de la révolution prolétarienne, mais dont les cerveaux sont constamment troublés par les idéologies bourgeoises, doivent être gagnés à notre cause et c’est avec eux que nous aurons à former la nouvelle avant-garde du prolétariat français.
Déjà avant la guerre, nous n’avions plus d’illusions quant à un redressement possible des sections officielles de la "IV°" ; c’est aussi pour cette raison que nous n’avons pas fusionné avec l’IKD mais que nous nous sommes constitués en opposition à eux, en RKD. La guerre et les conséquences qu’elle entraîne ont confirmé la justesse de la position et de nos actes sur ce plan. A notre conférence de novembre 1940 nous avons constaté une fois pour toutes que des organisations centristes ne sont pas redressables.
Après de nombreuses scissions et refontes depuis l’éclatement de la guerre, deux organisations finirent par se former en France que l’on peut considérer comme les continuateurs du POI et du PCI. Séparées par la ligne de démarcation, ces deux organisations en constituent en fait quatre. Le POI de Paris est nettement gaullisant, et héberge dans son sein une opposition centriste de gauche. En zone "libre" le POI est détruit par la police. Le PCI (CCI) a dans son sein une minorité ouvertement révisionniste (étatiste) et se délimite du social-patriotisme du POI. Elle s’appelle maintenant : "La seule voie". En zone sud, les camarades du PCI sont également décimés par la guerre et la police. Résumons : les groupes trotskistes continuent leur ancienne politique avec des oscillations révisionnistes plus ou mois fortes ; les uns se déclarent ouvertement pour l’impérialisme anglo-américain ; les autres "seulement" pour la défense de la Russie [2].
Comme Lénine l’a dit très justement : celui qui veut aider ceux qui oscillent doit avoir cessé d’osciller lui-même. Les camarades Émile et François qui oscillent entre la position internationaliste conséquente défendue par nous et le centrisme trotskiste, ne pouvaient pas aider les camarades centristes de gauche dans le PCI et le POI, à évoluent vers nos positions. Quand en juillet 1941 nous avons délégué ces deux camarades pour un travail qu’ils ne pouvaient pas faire, nous avons commis nous-mêmes une faute due au fait que nous n’avions pas encore cessé nous-mêmes à osciller (question russe).
Le résultat de l’activité des deux camarades de juillet 1941 à mai 192 est le suivant : non seulement ces deux camarades n’ont gagné aucun trotskiste à nos idées, mais au contraire, ils ont été contaminés par des idées trotskistes. Non seulement ils ont "approfondi" leurs erreurs oehleriennes mais ils se sont approchés de l’idéologie et de la phraséologie trotskiste. Pis encore, ils ont regagné pour la "défense" des camarades du PCI déjà sur des positions défaitistes-révolutionnaires en URSS. Ils considèrent les groupes trotskistes comme "avant-garde" alors que nous les considérons comme obstacle du rassemblement révolutionnaire…"
Comme on le voit, notre appréciation du trotskisme était déjà bien claire. Il fallait une manœuvre rusée du CCI qui s’est présentée chez nous de façon anonyme, en la personne du camarade Hubert, (que nous connaissions comme militant du PSR d’avant-guerre), et une certaine mesure de naïveté politique de notre part pour croire à son affirmation que "LSV" soit effectivement un "groupe nouveau". Cette faute a été reconnue par nous à notre deuxième conférence pendant la guerre (décembre 1943) et réparée immédiatement par une lettre ouverte "A TOUS LES CAMARADES DE LA MINORITÉ DU POI ET DE LA SV" (janvier 1943), affirmant notre rupture complète et définitive avec le trotskisme. Cette lettre et les documents qui s’y rapportent à notre discussion avec Hubert sont publiés dans RCR n° 4 (page a-v).
Le lecteur y verra une certaine étape dans notre propre évolution – qui n’est d’ailleurs jamais "achevée" – il verra les concessions honnêtes ou démagogiques du camarade H. et nos propres oscillations. La déclaration commune provisoire n’a pas été ratifiée mais rejetée par le RK. La lettre ouverte de dix pages se termine avec les paroles suivantes :
"N’oubliez pas que le temps des manœuvres bureaucratiques – possibles dans la période de réaction – touche à sa fin. Le prolétariat nous jugera".
Le CCI n’a évidemment jamais répondu.
Sur l’invitation du camarade H. nous avons délégué un de nos meilleurs camarades (Fred) à Paris. Fred était à l’aile gauche du RK ; il représentait avec toute la conséquence nécessaire la position défaitiste révolutionnaire et internationaliste du RK. Fred a été déporté, comme on le sait, à cause de l’attitude légère et criminelle de la bureaucratie du CCI. Nous avons envoyé un deuxième délégué (le camarade François) pour sauver Fred. François, qui à cette époque commençait seulement à abandonner sa position œhlerienne, n’avait pas de mandat politique. Ses déclarations politiques faites à Paris, sur demande des bureaucrates du CCI, n’engageaient que sa propre responsabilité. Ses déclarations qui reflètent le développement politique du cde F., ont été désavouées par le RK et corrigées par le cde F. même. Ce n’est qu’après son retour qu’il a rompu tout rapport fractionnel avec le cde Émile qui lui-même paraît n’avoir abandonné son "défensisme conditionnel" qu’en 1944 en prison, avant d’être déporté… De retour à Paris, le cde François a été arrêté (automne 1943) et a passé quelques mois en prison, à la ligne de démarcation. A cette occasion, il fit la connaissance du cde Gaspard.