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III) SIX COMITÉS D’INITIATIVE À PARIS (1943-1944).
Parallèlement à l’activité d’agitation et de propagande du RK [1] et directement influencés par lui, six comités d’initiative se sont succédés à Paris pour préparer la scission avec le trotskisme et la constitution d’une organisation communiste-révolutionnaire. Malgré tous leurs défauts, chacun de ces comités a fait un pas en avant, politiquement et organisationnellement. Aujourd’hui l’ère de ces comités est close. Ils ont rempli leur mission. Les deux premières conférences nationales des CR ont constitué l’Organisation CR.
1) Le comité Emile-Antoine (1er semestre 1943).
Au début de 1943, nous avons délégué le cde Émile à Paris pour examiner les possibilités de travail. Émile devait continuer le travail amorcé par François. Le cde Émile, actuellement déporté, était militant du RK depuis 1936, deuxième délégué du RK à la Conférence Internationale des Trotskistes en 1938, exclu de notre organisation en 1942 pour des raisons de discipline organisationnelle, toujours en contact organisationnel avec nous, politiquement à l’aile droite du RK (œhlerien de 1939 à 1944), et commençait alors à réviser ses positions œhleristes et venait de faire une demande de réintégration dans le RK. Tout en se trouvant en dehors du RK, Émile a été délégué par le RK.
Émile entra en contact avec le cde Antoine. Antoine commençait à sympathiser avec le RK, ou plutôt avec l’aile droite de celui-ci. Antoine avait fait partie de l’ancienne "minorité" capitularde du PCI et avait été seul à ne pas capituler complètement devant la bureaucratie droitière. A cette époque, les cdes Antoine et Émile se considéraient (à tort) comme des représentants du RK à Paris. Cependant tous les deux étaient encore pour la défense conditionnelle de la Russie. A certains moments ils tendaient même vers la création d’un groupe intermédiaire – entre le RK et le trotskisme. Nous étions obligés de les critiquer sévèrement quant au fond, amicalement dans la forme.
Voici les passages essentiels de la première lettre adressée à Antoine par le RK (signée par Armand et Joseph). Cette lettre caractérise bien l’attitude générale du RK au sujet de la formation d’une organisation CR française. Cette attitude n’a pas changée depuis :
"Cher camarade, Émile nous a parlé de vos intentions de rompre définitivement avec le centrisme de couleur trotskiste et d’établir enfin le noyau communiste révolutionnaire indispensable à la victoire de demain. Nous saluons ce pas en avant parce que nous poursuivons le même but depuis cinq années, c’est-à-dire depuis la proclamation ouverte de l’opportunisme à la "conférence internationale" des trotskistes. La réaction et la guerre et la mauvaise volonté des bureaucrates trotskistes ont passagèrement entravé et freiné nos efforts. Mais la nouvelle montée révolutionnaire favorise considérablement notre mouvement sur le plan européen. Nous mettrons à votre disposition tout le matériel théorique et d’agitation nécessaire qui vous éclaircira sur notre chemin et les divergences de principe qui nous séparent de l’opportunisme et du centrisme de toute couleur. Nous savons qu’entre toi (vous) et nous, des divergences politiques importantes subsistent, surtout dans la question russe. Mais, après notre discussion avec le cde E. nous avons l’impression et l’espoir que vous allez rompre aussi avec des préjugés opportunistes et traditionnels que nous avons partagés nous-mêmes et que nous avons reconnus comme faux et dangereux pour la lutte du prolétariat révolutionnaire. Dans ce sens, nous croyons qu’une collaboration plus étroite entre vous et nous s’impose. Elle doit consister en : 1) échange de tout matériel écrit, public ou interne, et de toutes informations concernant le mouvement de la 4ème Internationale et le mouvement ouvrier en général ; 2) aide matérielle réciproque ; 3) discussion de toutes les questions politiques et pratiques et travail commun et accéléré pour la formation d’une organisation CR en France, en Allemagne, en Europe…
Nous avons pris cette initiative parce qu’un journal et une organisation prolétarienne-révolutionnaire n’existe pas encore en dehors de notre tentative. Mais nous serions heureux si votre noyau de Paris pouvait reprendre cette initiative, relever le drapeau souillé par les staliniens et les trotskistes et continuer mieux que nous ne pouvons le faire, l’édition de la "Fraternisation Prolétarienne" ou d’un autre journal de la même tendance, et la formation d’une organisation CR indépendantes…"
Ce premier comité a été détruit par l’arrestation et ensuite la déportation de notre camarade Émile, provoquée par la légèreté du cde Antoine. Ce dernier a reconnu ses fautes à ce sujet dans une lettre d’explication adressée au RK. Émile est resté une année dans une prison française. A cette occasion, il a étudié à nouveau la question russe et est arrivé aux conclusions du défaitisme révolutionnaire, c’est-à-dire a rompu avec l’œhlerisme. (D’après des nouvelles non confirmées il a été libéré du camp de Buchenwald et va rentrer en France. Nous ignorons sont évolution politique depuis 1944).
2°) Le comité Fernand-Antoine (2ème semestre 1943) (le "Cercle de la Critique Communiste").
Après l’arrestation du cde Émile, Antoine a formé un comité avec Fernand. Ce comité s’appelait "Cercle de la Critique Communiste" et tendait également à former un groupe intermédiaire entre le trotskisme et le RK. Antoine éditait deux bulletins appelés "Cri-Co" que nous avons critiqués dans un document spécial. Le cde Antoine avait de multiples liaisons mais ne pouvait gagner personne parce qu’il manquait de ligne politique conséquente et claire et parce que son caractère individualiste et pathologique lui rendait impossible tout travail collectif. Ainsi son seul partisan, Fernand, l’a abandonné après une expérience de plusieurs mois.
La "Crico" était encore pour la défense (dite "jacobine") de la Russie. En plus, elle exprimait déjà des tendances anti-bolchéviques, souvarinistes qui plus tard devaient conduire Antoine au GRP (UCI). Le RK a refusé toute collaboration à la "Crico" et s’est borné à critiquer oralement et par la suite par écrit ses erreurs politiques. (Voir appendice de cette brochure).
Pourtant, malgré son caractère équivoque, le comité Antoine-Fernand signifie un pas en avant : Antoine s’était séparé du POI, Fernand du GRP, tous les deux s’approchaient des positions CR. Si Antoine avait continué cette route et n’était pas retourné dans le marais centriste qu’il dénonçait dans la "Crico" (où il a traité le GRP de "contre-révolutionnaire"), son comité aurait pu devenir un pôle d’attraction. Mais, l’opportunisme le poussait à toutes les concessions possibles, d’abord envers la nouvelle opposition de gauche qui évoluait au sein du PCI, ensuite envers le GRP. Son révisionnisme idéologique est le reflet de cet opportunisme.
3°) Le Comité RK (Suzanne, Armand), Crico (Fernand, Antoine), gauche du PCI (Roland, Gaspard) : janvier-avril 1944.
Ce comité était le premier auquel le RK participait directement. Le RK a décidé sa participation après longue réflexion ; la composition politiquement centriste de ce comité, sa majorité non-CR nous faisait hésiter. Cependant, le développement de tous les participants vers la gauche nous encourageait à y être présents pour faire entendre notre point de vue et pour exercer directement notre influence. C’était d’autant plus nécessaire qu’Antoine, qui au début avait insisté sur notre présence à Paris et dans le comité, commençait à sentir le danger politique et à dresser des barrières entre nous et les camarades évoluant vers nos positions. Ainsi par exemple, il faisait beaucoup de difficultés pour nous mettre en rapport avec le camarade Roland et voyait d’un mauvais œil nos contacts avec le cde Fernand.
La première réunion de ce comité a eu lieu le 18 février 1944. Étaient présents tous les six délégués. (La cde Suz. n’a pas participé à cette 1ère séance).
Gaspard : "Nous sommes en gros d’accord sur le plan politique essentiellement nous sommes contre toute déviation opportuniste et pour le défaitisme révolutionnaire en URSS. Nos positions sont en partie sur des raisons sentimentales, elles ont besoin d’une base scientifique". Il précise qu’il n’est pas d’accord avec le RK à cause des positions tactiques de ce dernier (appel à la grève générale le 1er mai 1943), il les considère comme des "gauchistes". "Nos positions seront vérifiées par la réussite pratique. La situation est favorable : tout le monde cherche une position plus juste."
Antoine : reproche à Gaspard de "reculer".
Fernand : Antoine a tort, Gaspard ne semble pas reculer. La situation créée par la discussion générale POI-PCI-Octobre doit permettre d’y attaquer les positions centristes des directions et de rassembler les militants les meilleurs dans cette ligne…
Antoine rappelle l’expérience malheureuse de l’ancienne minorité du PCI. On ne doit pas seulement critiquer le POI mais aussi toutes les oppositions de gauche. On doit avoir un accord politique minimum. Et il donne lecture de son projet d’accord programmatique que nous publions ci-dessous. La discussion s’engage sur les questions tactiques (mots d’ordre démocratiques). (Voir appendice de cette brochure).
Gaspard demande au RK de préciser ses intentions sur le travail à l’intérieur du POI.
Armand rappelle que le RK, quand il était section de la quatrième, dénonçait déjà le bluff ultimatiste, le centrisme, le national-trotskisme. Puis il a rompu, considérant nécessaire la construction d’un parti CR indépendant en Europe. Pendant la guerre, il a évolué dans la question russe. Les défaitistes sont devenus d’abord majoritaires et maintenant c’est l’unanimité dans le RK sur cette question. Le RK a refusé de participer au SE trotskiste à cause des désaccords politiques fondamentaux, mais il ne refuse pas la discussion. L’amalgame POI-PCI aboutira à un nouveau POUM. Il faut sauver les meilleurs éléments. La séparation s’impose. L’avenir le démontrera. On n’a rien à attendre d’un parti centriste. Le RK est prêt à soutenir toute tentative de CR combattant les positions centristes et opportunistes dans les questions de la guerre, question nationale, question russe, etc. Il faut former dans ce sens des fractions non seulement dans le POI mais aussi dans le PCI et "Octobre".
Gaspard : Le travail doit être mené exclusivement dans le PCI. Tous les camarades doivent s’y intégrer. L’expression extérieure dépendra de l’accroissement de nos forces. La fraction doit se constituer organisationnellement. Dans la zone sud, surtout la région L, le RK doit reconstruire le POI. Il doit regrouper ses éléments à l’intérieur du nouveau PCI, pour grossir la fraction. Dans la RP : entrée immédiate de tous les camarades, sauf un élément trop compromis, dans le PCI. Le PCI ne peut se construire à l’extérieur mais l’intérieur.
Armand et Fernand se délimitent à cette idée, Antoine se déclare "prêt à toutes les concessions".
Antoine demande à Gaspard : Crois-tu à l a conquête de la majorité ou à la rupture inévitable ?
Gaspard : de nombreux éléments se rapprochent. Il espère le triomphe de l’opposition, de nos positions politiques. Sinon, il s’engagera à la rupture.
Armand : Est-ce que ton opinion exclut l’illégalité au sein du POI ?
Gaspard se déclare d’accord sur la clandestinité. Il déclare aussi que les textes devront être signés par la fraction.
Fernand : Nous sommes au point litigieux. La présence de tous les camarades à l’intérieur du POI serait une erreur. L’existence d’un noyau extérieur est nécessaire, pour des motifs idéologiques et techniques. Le travail intérieur est un supplément au travail général. La fraction a besoin d’être sérieusement armée idéologiquement. Les disciplines internes ne le permettent pas. D’autre part, il y aura des exclus. Il faut un organisme extérieur pour les recevoir. Je crois aussi que la victoire est possible. Mais la fraction ne peut vaincre que si elle s’appuie sur un noyau extérieur.
Antoine : ce ne sont pas là des divergences principielles. Il faut s’axer à fond sur la fraction. Elle doit s’élargir. Après avoir averti Gaspard qu’en l’absence d’un noyau extérieur ce serait le RK qui récolterait les résultats, il se déclare néanmoins prêt "à tout modification d’attitude en vue d’un travail utile".
Roland est moins optimiste que Gaspard. La bagarre sera dure. Nous serons peut-être exclus, ce qui nécessite un travail extérieur. C’est une erreur que de faire rerentrer de jeunes camarades dans le POI. La scission est très possible.
Gaspard n’est pas satisfait de la teneur de la discussion, du niveau peu élevé. On ne peut construire théoriquement un appareil, mais seulement dans la bagarre. Les jeunes seront intégrés dans des secteurs contrôlés. Il déclare avoir obtenu des résultats à la base.il faut faire entrer des gars dans le POI.
Antoine se déclare d’accord avec Gaspard…"
* * * * *
Ainsi la proposition de Gaspard l’emportait et c’était surtout le cde Fernand qui était envoyé, malgré ses protestations, dans le parti trotskiste. Nous verrons plus tard les résultats de cette erreur.
Le Comité discutait surtout deux documents : 1) une plate-forme politique minimum, intérieure à la fraction et 2) un appel aux militants oppositionnels au sein du POI (PCI). (Voir appendice).
1) Antoine avait élaboré une telle plate-forme où il essayait de réconcilier ses propres confusions avec celles des oppositionnels trotskistes et avec la position du RK. Cette tentative devait évidemment échouer. Nous publiions spécialement le projet d’Antoine et la critique du RK. Nous avons alors reproché en outre au camarade Antoine des déviations bordiguistes dans la question des mots d’ordre démocratiques. A cette occasion, les cdes Roland et Gaspard, plutôt par solidarité personnelle, se sont rangés du côté d’Antoine.
2) Les camarades Gaspard, Antoine, Fernand et Armand avaient chacun soumis un projet d’appel. La discussion de notre tactique envers les oppositionnels au sein du PCI relevaient également des divergences infranchissables, basées sur les divergences politiques.
Gaspard croyait nettement possible la conquête de la grande majorité du PCI et exigeait, dans ce but, l’entrée dans le PCI de tous les membres du Comité, de toutes nos liaisons, et de tous les militants de province. Il a renoncé en ce qui concerne le RK et Antoine, mais a obtenu l’entrée de Fernand dans le PCI. Gaspard, dès la première séance, posait des conditions et des ultimatums de ce genre et menaçait, en cas de non-réalisation, de rompre toute collaboration. Pour appuyer ces conditions, il bluffait avec ses liaisons. Antoine, dès le premier jour, s’est déclaré "prêt à n’importe quelle concession". Ceci a conduit à la scission entre Antoine et Fernand, Fernand s’est rangé de plus en plus du côté du RK, Antoine s’est approché de Gaspard. La "Crico" était disloquée.
Finalement deux projets d’appel ont été soumis : celui de Fernand-Armand qui a été rejeté et celui d’Antoine ("Pas d’unité dans la nuit") qui a été adopté par 3 voix contre 2.
Peu de temps après, la cde S. a donné sa démission à cause des attaques malsaines d’Antoine. Ces attaques se dirigeaient consciemment contre le RK. Les camarades du RK sont partis en province. Les divergences entre Antoine et Gaspard, d’abord secondaires, prenaient le premier plan. Antoine a quitté le Comité qui s’est dispersé.
(Voir Appendice).
4°) Notre expérience politique et organisationnelle avec le cd Antoine.
Nous reproduisons ci-dessous :
1) une critique politique du courant "Crico",
2) un résumé des expériences politique et org. faites avec le cde Ant. dans la même période (appendice) ;
3) notre échange de lettres avec le cde Antoine (appendice).
CRITIQUE DE LA "CRITIQUE COMMUNISTE" (Mars 1944).
En septembre et octobre 1943 ont paru deux bulletins qui s’intitulent "Critique Communiste" et qui se placent à gauche du trotskisme officiel, mais qui néanmoins restent au sein du cadre trotskiste. Dans la première question essentielle – défense de la Russie actuelle – l’auteur reste sur les positions de défense "jacobine" ; dans la deuxième question essentielle – question du parti – l’auteur se prononce plusieurs fois pour le "redressement" du parti trotskiste.
Malgré ces positions opportunistes qu’on peut considérer comme trotskiste "de gauche", la revue marque un certain progrès vers les positions du RKD. Mais nous considérons ce progrès trop modeste politiquement et organisationnellement. La revue sort de l’expérience de la faillite de l’ancienne opposition au sein du POI qui a capitulé devant la majorité opportuniste.
L’auteur faisait partie de cette opposition capitularde, partageait longtemps ses erreurs pour enfin rompre avec une partie des dites erreurs. Le RKD soutient dans la mesure du possible toutes les oppositions internationalistes au sein des trotskistes, mais ce que nous regrettons, c’est 1°) que la rupture politique de la "Crico" ne se soit pas faite dans les questions politiques principales, (défensisme en Russie, conception trotskiste du parti) et 2°) que par conséquent l’auteur restait isolé et était incapable d’entraîner d’autres militants dans la voie vers la gauche.
L’un conditionne l’autre. La faillite de l’ancienne opposition capitularde a ses raisons dans la timidité politique, dans le manque d’audace idéologique, dans l’éternel esprit de compromis. Maintenant, qu’une nouvelle opposition au sein du PCI s’achemine, la critique de la pointe la plus avancée de l’ancienne opposition est une nécessité impérieuse.
La question russe.
Dans le n° 2, page 1 (le "point") on lit : "En cet octobre noir de 1943, 26 ans après l’autre, l’octobre rouge, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques est dans sa troisième année de guerre contre l’impérialisme allemand. Sur la capacité de résistance militaire, économique et sociale du régime stalinien, tous les communistes oppositionnels et même staliniens, à des degrés divers, se sont trompés et Léon Trotski plus que tout autre". (Soulignements faits par nous).
1) L’auteur répète et souligne le mensonge des "républiques socialistes" en évitant les guillemets nécessaires, en écrivant entièrement le titre officiel et mensonger de la Russie contre-révolutionnaire.
2) Il présente à l’avance la guerre de cette Russie contre l’"impérialisme allemand" comme anti-impérialiste, c’est-à-dire progressive.
3) Il critique Trotski sur un point secondaire et d’une façon équivoque ; les staliniens ont raison de railler Trotski parce qu’il n’a pas prévu la force de l’armée russe ; les communistes-révolutionnaires critiquent Trotski parce qu’il n’a pas travaillé pour la défaite de cette armée.
Sur la même page, au lieu de reconnaître le fait que la Russie est redevenue un maillon de la chaîne impérialiste, l’auteur invente qu’il s’agit d’une "autocratie d’un type totalement nouveau, l’autocratie bureaucratique…" Au lieu de prononcer toute la vérité sur la contre-révolution totale ressentie par chaque ouvrier vraiment révolutionnaire et non aveuglé par la propagande stalino-trotskiste, l’auteur a recours à une acrobatie qui n’explique rien et qui embrouille tout.
Sur la page suivante, au lieu de répondre s’il s’agit d’un État ouvrier ou d’un nouvel État capitaliste, il se contente de la considérer comme "le type de l’état monstre". Ce n’est même pas l’essai d’une analyse marxiste, mais un style de roman feuilleton qui n’éclaircit rien et qui évite une prise de position nette.
Nous rappelons ici que nous avons conseillé à l’auteur de ne pas faire paraître cette confusionniste, mais d’approfondir d’abord. Il ne faut pas toujours parler et écrire à tout prix, quand on n’est pas clair il vaut mieux (se) taire et s’instruire que de semer la confusion parmi les camarades ouvriers qui cherchent une solution. L’auteur a refusé de suivre notre conseil, en conséquence, nous sommes obligés de nous opposer à la confusion qu’il répand par son bulletin.
Même page : "Le parti en Russie est devenu un but et non un moyen" (souligné par l’auteur). Erreur. Le "parti" en Russie est un moyen, mais non entre les mains du prolétariat mais entre les mains des classes dominantes et exploitantes.
La méconnaissance du véritable état social conduit aussi à une fausse conception du parti.
Page 4 du même article : "En URSS comme à l’extérieur former le parti révolutionnaire est le problème vital…" Sur quelle base ? Sur la base de la défense jacobine ou sur celle du défaitisme révolutionnaire ? L’auteur y répond : il est contre la révolution social et contre le défaitisme révolutionnaire en Russie. "Pour nous seul mérite le nom de révolution celle qui déplace la propriété…". Il devrait pourtant savoir que la propriété a été déplacée en Russie par la contre-révolution triomphante et que le prolétariat ne possède plus rien en dehors de ses chaînes.
Néanmoins il insiste : "… le marxisme a toujours soutenu le camp progressif contre un autre. Or si les deux économies des deux rivaux impérialistes principaux sont de même nature, il en va différemment de l’économie soviétique et de n’importe laquelle des économies impérialistes."
Et : "Nous sommes encore maintenant pour la défense jacobine de l’URSS, c’est-à-dire pour la lutte sur les deux fronts…"
Certains camarades du RKD ont passé par cette "défense jacobine" qui en vérité est inapplicable et une illusion centriste. Le moindre mouvement en Russie se heurte immédiatement à la répression la plus féroce, affaiblit la force défensive de l’état oppresseur. Par conséquent, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, égale au défaitisme révolutionnaire, se pose en Russie comme ailleurs.
Le "Cri-Co qui aurait pu être un guide dans la nuit que nous traversons s’est irréparablement compromis par les deux premiers numéros parus jusqu’à maintenant. Bien que par la question russe, (contre la révolution sociale en Russie, contre le défaitisme révolutionnaire en Russie, pour la défense "jacobine" d’un maillon important de la chaîne impérialiste, etc.) elle se place dès le début de l’autre coté, du coté trotskiste. Sa critique n’est pas communiste mais centriste et opportuniste, secondaire et médiocre.
Le RKD a rompu avec le défensisme trotskiste en 1938. Depuis cette date, deux tendances se manifestaient au sein du RKD : la tendance "jacobine" (influencée par Oehler – RWL), au début majoritaire et la tendance défaitiste révolutionnaire, minoritaire en 193 ?, majoritaire au début de la guerre germano-russe, qui représente depuis un certain temps la totalité de l’organisation. Le bulletin RCR n° 3 publie un résumé de nos thèses que nous soumettons à la discussion immédiate ("La contre-révolution a triomphé en Russie").
Le trotskisme.
Correspondant à sa position russe, sa position vis-à-vis du trotskisme est complètement fausse et réactionnaire. Une autocritique totale s’impose.
Page 4 : (bulletin n°1). Trotski est appelé "le porte-drapeau du marxisme contemporain, en particulier par sa critique de la dégénérescence de l’URSS"…
Sans commentaire. L’auteur ajoute une attaque contre le RKD dont la critique lui semble "néfaste et réactionnaire". Et pourquoi ? Parce que nous considérons le trotskisme comme centriste : "Le trotskisme véritable est à l’opposé de cela".
L’auteur a le devoir de corriger et de mettre au point toutes ces déclarations incroyables avec lesquelles, comme nous le savons, il a rompu depuis. Mais il ne suffit pas que nous le sachions, il faut qu’il le dise lui-même, par la même voie où il a semé la confusion et point par point, et dans la question russe, et dans la question du trotskisme, et dans la question du RKD. Nous trouvons faux de collaborer étroitement avec le RKD et de diffuser en même temps des bulletins qui traitent noter appréciation du trotskisme comme centriste de "néfaste et de réactionnaire". Il faut dire nettement et hautement qu’on a adopté ces positions "réactionnaires" du RKD, et pour quoi.
La "lettre ouverte" aux B.L. envisage déjà dans le titre la liquidation du centrisme et de l’opportunisme "dans" la soi-disant avant-garde ; font partie de cette "avant-garde" le POI et le PCI… (…) page 4 : "Il (le texte opportuniste adressé aux ouvriers anglais) est le point de départ de tout l’opportunisme qu’en tous domaines le CC a manifesté par la suite. "En vérité, la fameuse lettre aux ouvriers anglais n’est pas le point de départ, mais le point culminant d’une ligne opportuniste qui a ses racines dans la politique poursuivie longtemps avant la guerre. Pour la "Cri-Co" cette politique était juste : "Il a renié implicitement sa juste politique antérieure de défense des intérêts immédiats et historiques de la classe ouvrière". Et il présente la politique d’avant-guerre qui a conduit à la faillite de 1940/44 comme exemple ; il considère comme exemplaire les mots d’ordre des différents journaux trotskistes et même de "Juin 36". Nous savons que ces mots d’ordre étaient souvent équivoques et aboutissaient à l a trahison de 1940.
Suivant cette ligne, la "Cri-Co" propose la réforme et le redressement du marais trotskiste. Page 21 : "Beaucoup de jeunes dont je suis n’entendent pas réviser la ligne politique, savent pertinemment quel instrument elle est et de qu’elle représente, mais entendent profiter politiquement et organisationnellement, tirer des enseignements des luttes vécues et subies, des difficultés, des défaites et des succès… en un mot faire une analyse de la crise des BL non pas pour critiquer négativement, mais pour en tirer des leçons positives qui fortifient, pour contribuer en particulier à résoudre la crise de la section française…"
Page 26, il donne de bons conseils à la direction trotskiste, de savoir prêter l’oreille à la critique de la base, être attentive aux aspirations saines de la base", etc. Page 27, il reproche à l’opposition capitularde d’avoir "été un frein à l’évolution, au redressement réel de la politique du POI…" Et il conclut sur la même page : "En période de légalité, je serais sans doute resté dans le POI…" Cela veut dire qu’en temps de légalité, il croit pouvoir redresser la politique du POI. Or, notre position es toute différente ; depuis 1938, nous savons que les organisations trotskistes ne sont pas à redresser et depuis, nous avons constaté que le trotskisme était depuis toujours un courant centriste.
Page 29 suivent d’autres remèdes pour le redressement du POI : "Le défaut essentiellement important au POI n’est pas tant constitué par sa faiblesse numérique que par sa faiblesse idéologique réelle qui est excessivement grave et qu’il faut rapidement colmater".
Dans le n° 2 de son bulletin, l’auteur considère "l’IC après Lénine" comme "meilleur ouvrage" de Trotski ; nous contestons cela, déjà pour cette raison que le Vieux y préconise le redressement de l’IC. C’est plutôt "l’histoire de la Révolution Russe" qu’il faut considérer comme son meilleur ouvrage.
Communisme léniniste ou révisionnisme luxembourgiste ?
Dans des lettres ultérieures à ces bulletins, l’auteur préconise "une synthèse entre léninisme et luxembourgisme" et révise le point de vue marxiste-léniniste dans la question nationale. Par conséquent il est bien de confronter ses déclarations antérieures avec ses déviations actuelles. Nous voyons souvent ce fait déplorable que des camarades venant du stalinisme ou du trotskisme s’acharnent trop longtemps pour la défense de la Russie stalinienne, pour abandonner après non seulement cette défense contre-révolutionnaire, non seulement le stalinisme et le trotskisme officiel, mais aussi le bolchevisme de Lénine. C’est le chemin de Souvarine et de tous les révisionnistes "luxembourgistes" qui confondent stalinisme, trotskisme et bolchevisme.
Dans le premier numéro, nous trouvons encore des déclarations remarquables : "… le "trotskisme" qui à des degrés divers se délimite du léninisme (excepté la période 1917-1922) et qui est devenu aujourd’hui plus que jamais un obstacle et un frein à l’évolution idéologique de révolutionnaire venant au véritable léninisme…" (page 1) il met justement entre guillemets les soi-disant "BL".
Sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : "Il fallait… expliquer cette vérité élémentaire qu’un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre, qu’en conséquence les prolétaires français entendaient laisser libre choix aux Indochinois par exemple de se déterminer eux-mêmes… rendre effectif le mot d’ordre léniniste de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et travailler à la défaite de son propre gouvernement."
Page 9 : "Il est à mon sens inutile d’ajouter pour la défense de notre position des citations de Lénine, disons seulement que nous sommes d’accord avec lui et contre la position de Rosa Luxembourg et celle des "socialistes polonais"… Dans ces "Conclusions sur les débats sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes", Lénine a magistralement démasque tous ceux qui en définitive abandonnent (pour ou contre) ce mot d’ordre…", sans commentaires.
Dans le deuxième numéro l’anti-bolchevisme s’annonce déjà ; en parlant de "l’État monstre" (page 2) il dit : "En accuser essentiellement les bolcheviks russes, c’est faire peu de cas et omettre le rôle des Noske…", etc. Les véritables bolcheviks russes, c’est-à-dire les bolcheviks-militants, défaitistes révolutionnaires en Russie, n’ont pas besoin de cette "défense" par le camarade en question. Au lieu de défendre les véritables bolcheviks, victimes de la répression staliniennes, l’auteur encore défenseur "jacobin" les compare aux Noske et Cie et leur accorde une responsabilité secondaire. Au lieu de défendre le bolchevisme de Lénine contre les calomniateurs mencheviks, il l’abandonne. Il paraît que confusionnisme n’a pas encore atteint son point culminant. Et nous adressons au camarade cette question qu’il pose lui-même dans ses lettres au GRP :
Rappel : la preuve que l’auteur considère le POI comme faisant partie de l’avant-garde se trouve aussi dans cette phrase de sa lettre ouverte (page 5) : "Le POI subit comme toute l’avant-garde la crise idéologique la plus grave…"
"A quelle tendance appartenez-vous ? Quelle est la tendance internationale dont vous vous réclamez" ? Nous attendons la réponse.
Nous arrivons maintenant à cette fameuse lettre qui causait la rupture entre le GRP et la "Cri-Co". Nous contestons au camarade en question le droit d’écrire de pareilles lettres qui ne servent pas à un éclaircissement idéologique mais seulement à la démoralisation des camarades qui se détachent du trotskisme et qui évoluent vers la gauche. Les erreurs et fautes confusionnistes du GRP sont évidentes, celle de la "Cri-Co" également ; sur certains points, par exemple en ce qui concerne la lutte contre l’État stalinien, la GRP avait déjà une position plus progressive que celle de la "Cri-Co". Nous parlerons une autre fois du GRP.
Le GRP en effet omettait le mot d’ordre pour la DdP (NdE : dictature du prolétariat). Ce n’était pas sa seule faute. La "Cri-Co", pour sa part, se prononçait pour la défense de la Russie contre-révolutionnaire. cela ne l’empêche pas d’écrire le 7 novembre 1943 : "être muet sur une telle question… c’est, pour ne pas avoir peur des mots, trahir. "Avec une terminologie pareille, il serait facile de prouver que la "Cri-Co" a trahi à plusieurs reprises. Seulement, la question se pose, l’éclaircissement idéologique et le regroupements des communistes de gauche se feront-ils avec cette méthode-là ? Au lieu d’approfondir et d’analyser sérieusement les erreurs du GRP, le camarade se contente d’une engueulade.
L’anti-bolchevisme s’introduit d’ailleurs ouvertement dans cette lettre, quand il commence à combattre sans raisons suffisantes, les mots d’ordre classiques du bolchevisme pendant la guerre impérialiste ("Le pain, la Paix et la Liberté") : "slogan d’égout…" "prostitué par tous les futurs Noske… ressemble à une formule liturgique…"
Nous nous délimitons ailleurs des erreurs et déviations bordiguistes sur le plan tactique exprimées par l’auteur de la "Cri-Co". Enregistrons ici seulement la démagogie néfaste qui ne sème que la confusion : "Être pour la paix, c’est abandonner la lutte de classes, c’est trahir" (souligné par l’auteur).
Donc, Lénine a trahi, Zimmerwald et Kienthal ont trahi. L’IC a trahi dès son premier Congrès, les soviets ont trahi depuis leur existence… C’est écrire l’histoire d’une façon marxiste. Au lieu de donner à la "paix" son contenu de classe, au lieu de comprendre que la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile détermine et signifie et conditionne le rétablissement de la paix entre les ouvriers, la "CriCo" falsifie le contenu et le sens de ce mot d’ordre. Avec cette méthode d’interprétation, on peut tout déformer et défigurer.
Sur (la) page 7, nous trouvons la généralisation de ce système : "Les mots s’usent et modifient leur contenu non pas tant par l’effet des années que par l’usage de qui s’en sert et à quelles fins ils servent. Après l’avoir constaté dans le vocabulaire politique pour toute une gamme de mots d’ordre, d’expressions et particulièrement pour les termes mêmes de marxisme et de socialisme, il faut aussi classer dans cette catégorie celui du communisme…" Conclusion : "L’usage de cette expression prostituée servilement par les staliniens… serait de nature à nous faire rechercher une autre appellation ou à revenir à celle de collectivisme…" Nous nous refusons à suivre ce jeu ridicule. La délimitation doit se faire par une rupture totale avec l’ancienne politique et c’est justement cette rupture là que le camarade ne réalise pas. Quand cette rupture politique avec tout le passé opportuniste sera réalisée, la question de l’appellation se résoudra facilement. En effet, touts les mots d’ordre, toute la terminologie marxiste et léniniste est compromise et tout cela grâce à la trahison opportuniste des responsables du mouvement ouvrier. Par conséquent, il ne nous faut pas inventer une nouvelle phraséologie et terminologie, comme l’auteur le préconise et le fait également, d’ailleurs d’une façon assez malheureuse, mais il faut donner par notre politique le contenu primitif et parfaitement juste aux mots d’ordre marxistes et léninistes.
Actuellement les opportunistes et centristes se surenchérissent mutuellement en abandonnant la terminologie marxiste, en adoptant la phraséologie bourgeoise ou des galimatias indigestibles… Ce n’est pas une nouvelle langue qui s’impose, mais une nouvelle politique. Les fascistes et les pires ennemis de la révolution prolétarienne usurpent actuellement notre terminologie et en partie même nos idées ; ils le peuvent facilement parce que les "marxistes" ont abandonné la cause communiste et la terminologie qui y répond.
Fausse appréciation de la situation objective.
A une fausse ligne politique correspond presque toujours une fausse appréciation de la situation objective, nationale et internationale. Dans le bulletin n° 1 nous lisons sur page 3 : "Toute l’histoire des vingt dernières années démontre que la clef de la révolution mondiale se trouve en Europe occidentale…" Ce qui est tout à fait faux. Tout militant du mouvement pour la 4ème Internationale devrait savoir que depuis les vingt dernières années, la "clef" de la révolution mondiale a plusieurs fois changé de continent et de pays. Mais ceci est insignifiant en face de ce que nous lisons en première page de la "Cri-Co" numéro 2. On y cite Lénine 1905 : "Nous avons appris pendant la révolution à parler français, c’est-à-dire à jeter dans le mouvement le maximum de mots d’ordre d’impulsion, augmenter l’énergie et l’ampleur de l’action directe des masses. Nous devons maintenant, en période de stagnation, de réaction, de désagrégation apprendre à ’parler allemand’, c’est-à-dire agir lentement…" Et voilà la conclusion de la Crico : "Combien de groupes… lorsqu’il fallait ’parler français’ ’parlaient allemand’ ??? 1936 ?? 1939 ?? aujourd’hui qu’il faudrait parler allemand suivant l’expression de Lénine, ces gens pour la plupart ont des velléités de parler français… Nous pouvons être assurés que demain lorsqu’il faudra parler ’français’, ces ’guides’ parleront ’allemand’."
Donc, d’après la Crico la situation était révolutionnaire, hier (en 1939) ! La situation – d’après la Crico – est réactionnaire aujourd’hui, comme en 1090, huit années avant la révolution d’Octobre… prévoir comme presque certain un nouveau 1905 pour demain et en conclure des hypothèses et des pratiques défaitistes dans la lutte prolétarienne, c’est ce qui résulte inévitablement de cette fameuse appréciation de la situation internationale, de son évolution et de ses perspectives.
1°) En effet, la crise révolutionnaire en France atteignit son point culminant en juin 1936, mais elle reculait depuis et en 1939 (où d’après la Crico il fallait ’parler français’) – la situation était déjà profondément réactionnaire, les ouvriers découragés, démoralisés et désorientées, la guerre impérialiste imminente.
2°) Depuis 1941/1942, un nouveau tournant est à remarquer, la guerre impérialiste se transforme partout en guerre civile. S’il fallait parler ’allemand’ hier, en 1939, se préparer à la guerre imminente et à la terreur qu’elle apporte, la situation est toute différente en 1943, année de la révolution italienne, du début de la révolution prolétarienne contre la deuxième guerre impérialiste. Aujourd’hui, il faut parler de plus en plus ’français’, tout ouvrier le comprend instinctivement, les opportunistes de droite et les centristes en tiennent compte mais les sectaires (opportunistes de ’gauche’), genre Crico s’y refusent, ignorant consciemment le véritable développement et abandonnant le terrain de l’agitation à l’ennemi de classe.
Si les forces subjectives de la Crico n’y sont pas préparées, il ne faut pas présenter un défaut comme une vertu, l ne faut pas fausser la situation internationale effective, les perspectives réelles.
Faiblesses générales
Les faiblesses que nous allons signaler sont d’ordre secondaire, mais nous ne pouvons pas terminer cette critique sans les mentionner. L’auteur emploie une forme très personnelle en parlant de lui-même. C’est une faiblesse dans la forme qui exprime une faiblesse politique et organisationnelle ; le courant politique exprimé par l’auteur est général et historique, s’il est au moins partagé par plusieurs, par plus d’un individu, l’auteur a le droit et de devoir de dire : "nous", d’éviter la formule individualiste du "je".
Une série de promesses est faite qui jusqu’à maintenant (mars 1944) n’a pas été tenue : "Nous publierons aussi certains écrits inédits rares ou oubliés, des traductions, nous nous attacherons aussi à l’étude des questions militaires dans la mesure où elles se combinent et se rattachent au léninisme." (Crico 1, page 2). "Le prochain numéro contiendra entre autres articles un sur les leçons des événements d’Italie, un travail sur les questions du parti et la deuxième partie de ’Trotski contre Trotski"…" (Crico n° 2, daté de novembre/décembre 1943, page 2).
En parlant de la crise sourde au sein du PCI, la même Crico annonce : "Prochainement un article mettra les points sur les i et développera notre position face à la crise permanente ou sourde qu’il s’agit de faire mûrir et éclater au profit de la création d’un pôle embryon du futur parti". Nous attendons ces articles et nous constations que la critique adressée dans la lettre au GRP est aussi applicable, sinon davantage, à la "Crico" : "Vous travaillez à un rythme extrêmement lent et à cette cadence, la révolution aura passée avant que vous ayez étudié les questions essentielles, que vous jugez indispensable de revoir…"
La question morale ne manque pas non plus ; page 32 du 1er numéro nous lisons : "Seule la vérité est révolutionnaire et pour nous c’est une loi de morale de classe que l’on doit seulement aux gens de sa classe, de son parti." Il est évident que nous ne devons pas la vérité à l’ennemi de classe et à sa flicaille. Mais la notion de la Crico nous paraît trop étroite et nous rappelle la morale stalino-trotskiste. Nous devons la vérité aussi aux camarades d’un autre parti prolétarien et aussi aux révolutionnaires prolétariens non organisés ou qui par exemple ne font pas partie de la classe prolétarienne, parce qu’ils sont des étudiants ou des paysans, etc. Il ne faut pas croire que nous voulons couper les cheveux en quatre, la pratique et l’expérience concrète prouvent qu’une rupture avec la ’morale’ d’espèce stalino-trotskiste s’impose et que cette rupture est souvent plus difficile encore que celle d’ordre politique.
Ainsi s’impose cette autocritique qui est annoncée sur page 9 Crico 2 ("nous ferons donc la critique et l’autocritique nécessaires de chaque grande expérience du mouvement ouvrier".) dans un sens très concret. Elle doit se faire sans orgueil et sans pitié, point par point. L’évolution ultérieure des milieux trotskistes touchés par la Crico en dépend dans une certaine mesure.
Mars 1944
5°) La lettre du cde Gaspard aux camarades de V. 25/III/1944
Le cde Gasp. a adressé aux cdes français travaillant à Vienne la lettre suivante :
Situation : La situation a, depuis la révolution italienne et l’avance de l’armée rouge, beaucoup évolué.
De plus en plus, les masses ont montré leur volonté de lutte et aussi est apparue l’extrême faiblesse de la direction révolutionnaire en France. Les difficultés de ravitaillement et tous genres paralysent l’ensemble de l’activité ; des usines ferment plusieurs jours par semaine par manque d’électricité. Les bombardements créent aussi pas mal de désordre ; pour pallier à la guerre civile montante, une offensive très violente est en cours : 1) contre le maquis ; 2) par des rafles gigantesques avec internement et départ pour l’Allemagne. Devant l’incapacité des anglo-américains de solutionner la guerre, la presque totalité des ouvriers se sont séparés du gaullisme et aspirent de plus en plus à une politique de classe. Devant cette montée générale et leur faiblesse respective, les organisations se proclamant pour la 4ème se sont unifiées dans un seul parti et ont organisé une conférence avec les délégués de plusieurs pays d’Europe ; le parti s’appelle maintenant PCI. Cette unité s’est effectué assez bureaucratiquement, mais doit préparer un congrès d’unification qui donnera la ligne politique du parti, c’est à cette tâche qu’il faut s’attacher, voir clair et savoir où aller ; du fait de l’unité de moyens peu importants mis en commun, il est absolument sûr qu’un grand pas en avant sera fait, mais ce ne peut être que par une condamnation des erreurs passées et d’une nouvelle collaboration politique que nous créerons les possibilités à la constitution du parti.
Il faut que nous soyons capables d’exprimer dans la classe prolétarienne un programme clair.
J’ai, au travers d’une expérience personnelle, obtenu de très bons résultats, les jeunes en particulier cherchant et sont prêts à s’engager dans la bagarre ; il ne manque que des cadres afin de construire quelque chose de grand.
Devant l’avance russe, les anglo-américains vont se trouver forcés d’accélérer la guerre et d’intervenir directement sur le continent afin de maîtriser la révolution montante ainsi que pour s’opposer à l’avance russe.
Cela peut amener des événements décisifs très rapidement. Nous devons nous considérer comme absolument mobilisés partout où nous nous trouvons et j’espère que vous ferez avant de revenir ici du bon boulot là où vous êtres.
A bientôt à vous lire.
(Soulignement par nous).
Cette lettre que nous étions chargés d’expédier (et que nous avons effectivement expédiée, sans oublier notre propre matériel politique) exprime, mieux que toutes les déclarations équivoques, la position réelle du cde Gaspard à cette époque. Nous ne relèverons que deux points capitaux :
1°) QUESTION DU PARTI. Comme dans son projet de tract, il parle de la "faiblesse" et non pas de l’"absence" de la direction révolutionnaire. Illusion complète sur le véritable rôle du parti trotskiste, de son unification, de sa "conférence européenne". Il croit encore dans le redressement possible du PCI.
2°) QUESTION RUSSE. Assimilation ou mise sur le même plan de l’avance russe et de la montée révolutionnaire. Refus de voir le rôle contre-révolutionnaire de l’armée russe. Bref, le cde Gasp. Utilise une occasion rare, non pas pour avertir ses amis de sa propre évolution politique mais pour maintenir chez eux les illusions opportunistes.