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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Au prolétariat international – Manifeste anarchiste (II)
Le Réveil communiste-anarchiste N°398 - 28 Novembre 1914
Article mis en ligne le 4 octobre 2017
dernière modification le 6 octobre 2017

par ArchivesAutonomies

La question à résoudre.

Mais il ne servirait à rien de récriminer longuement sur le passé. Nous ne l’avons rappelé que pour en déduire les leçons urgentes qui s’imposent pour l’avenir.
Comment donner aux classes travailleuses une puissance de pensée et d’action, dont elles se sont montrées complètement dépourvues, en dépit de leurs nombreuses organisations politiques et économiques ? Ne devaient-elles donc pas servir à mener la lutte de classe pour combattre et transformer le régime bourgeois ? Or, à l’heure où ce même régime traverse la plus formidable crise qu’il ait jamais connue, personne ne parle de se lever contre lui, pour le frapper et réaliser une société nouvelle. Les exploités et les opprimés ne conçoivent d’autre besogne que celle servile de défendre leurs maîtres, lesquels n’ont renoncé ni même promis de renoncer à un seul de leurs privilèges.
A défaut de toute affirmation socialiste, il serait absurde d’attendre du triomphe de l’un ou de l’autre groupe d’Etats belligérants le bien-être et la justice pour le monde du travail, car tous deux ne luttent que pour l’intérêt de cliques financières et industrielles, toujours opposées à toutes les revendications ouvrières. Ainsi les centaines de mille victimes dues à la guerre représentent non seulement une hécatombe vaine, mais un épuisement des forces de rénovation populaires, devant aboutir à une douloureuse réaction. Nous voyons, en effet, les éléments les plus arriérés dans chaque pays relever la tête et proclamer leur triomphe. Quelques rares protestations verbales se font bien entendre, mais-c’est absolument insuffisant en face du danger que nous courons.
Nous sommes à présent plus que jamais isolés et impuissants, mais l’heure des terribles déceptions ne saurait tarder indéfiniment, et nous aurons peut-être à donner alors une direction et un but précis à l’explosion des colères populaires, qui pourrait en résulter.
Et même si une crise révolutionnaire ne devait pas se produire à brève échéance, il nous faudra, la guerre finie, reprendre l’oeuvre qu’elle a interrompue, en évitant de retomber dans les anciennes erreurs.
Que faire alors ?

Nationalisme et internationalisme

Une œuvre d’émancipation, par le bien-être et la liberté assurés à tous, sera forcément internationaliste. Donc, nous ne devons, sous aucun prétexte, épouser les terribles haines nationales et de race, encore exacerbées par la conflagration actuelle.
Le plus grand reproche qui nous est fait, c’est de n’avoir pas accordé à la question des nationalités l’importance qu’elle a réellement. Mais pourquoi les travailleurs, surtout sous le régime du salariat, se feraient-ils tuer uniquement pour s’assurer l’exploitation de capitalistes nationaux plutôt qu’étrangers ? N’avons-nous pas vu les salariés émigrer par-millions, préférant vivre ailleurs que dans leur patrie ?
Personne plus que nous ne désire voir reconnaitre même aux plus petits peuples leur complète autonomie, mais cela ne pourra se faire moyennant l’agrandissement d’Etats existants ou la formation de nouveaux. Les Etats nationaux nés d’hier n’hésitent pas, en effet, à renier le principe qui a présidé à leur constitution, pour poursuivre une politique de conquêtes. Le respect de toutes les nationalités ne saura ainsi triompher que grâce à la dissolution de tous les Etats. D’après ses propres théoriciens, l’Etat, ne pouvant reconnaître d’autres intérêts que le sien, devient la négation même de toute justice. Les guerres entre gouvernements perpétuent donc, au lieu de la résoudre, la question des nationalités. Chaque nationalisme est exclusif et l’internationalisme seulement pourra tous les concilier.
Mais tant qu’il y aura des vainqueurs et des vaincus, les tentatives de revanche s’ensuivront et le militarisme continuera à être jugé partout indispensable.
Il faut donc une victoire qui soit la victoire-de tous, la victoire du droit universel contre toutes les formes du privilège et de l’oppression. Et les travailleurs seulement peuvent la remporter, en cessant d’être les instruments aveugles de n’importe quelle tyrannie.
Mais comment ?

L’engagement indispensable.

L’union fait la force, n’a-t-on cessé de répéter, et sans doute aurons-nous à organiser à nouveau la solidarité de tous les exploités et opprimés. Mais cette organisation, qui dans le passé a été faite surtout d’adhésions passives, devra l’être au contraire de volontés actives. Les faits viennent de nous prouver que des millions d’hommes associés demeurent aussi impuissants que les individus isolés, lorsque l’association reconnaît des principes équivoques ou contradictoires.
En effet, que nous sert-il d’affirmer un antagonisme de classes, si nous nous proclamons en même temps solidaires jusqu’à la mort avec la classe nationale ennemie, dans toutes les entreprises sanglantes qu’elle tentera pour affermir et étendre sa domination et son exploitation ?
Quel but plus grand et plus immédiat l’union des prolétaires de tous les pays peut-elle se proposer, sinon d’empêcher qu’ils soient forcés de s’entretuer par millions ? Comment ne pas comprendre qu’avant d’avoir atteint ce résultat, la valeur de tout autre est plus que nulle ? Que reste-t-il, en effet, dans l’épouvantable crise que nous traversons, de toutes les réformes et. améliorations syndicales ? Et comment ne pas être frappé de la timidité dont nous avons fait preuve dans nos revendications, en face des sacrifices fous consentis sur l’ordre et pour le compte de nos maîtres les plus odieux.
Les Congrès internationaux ouvriers ont toujours équivoqué ou renvoyé toute décision à prendre sur la question de l’attitude en cas de guerre. C’était, par le fait, avouer l’inexistence même de l’Internationale. Le socialisme n’a pas à se contenter d’abominables hypocrisies comme le christianisme, qui des siècles durant a proclamé la fraternité et l’amour tout en étant une arme d’asservissement aux mains des privilégiés. Ce n’est pas trop que de demander à des hommes se disant frères l’engagement de n’avoir pas à s’entretuer, surtout lorsqu’ils se chiffrent par millions.

Le suprême droit de l’homme.

Pour cela il faut avant tout affirmer le suprême droit de l’homme de disposer entièrement de sa vie, en opposition à cette monstrueuse prétention de l’Etat d’en user, lui, à sa guise, faisant de nous à la fois des meurtriers et des victimes. Nul ne peut être astreint à tuer ou à se faire tuer. Tout régime méconnaissant ce principe ne saurait se réclamer de la paix et préparera fatalement à nouveau la guerre.
Mais si la guerre est le fait de l’Etat et plus celui-ci est fort, plus celle-là est terrible, nous ne devons pas oublier non plus que ses causes sont essentiellement économiques. « Ce sont toujours des rivalités pour des marchés et pour le droit à l’exploitation des nations arriérées en industrie, qui sont la cause des guerres modernes ». Ces dernières sont en somme une condition d’existence et de développement du régime capitaliste, qui ne se détruira d’ailleurs pas de lui-même, comme certaine école socialiste l’a prétendu, par l’excès même de sa puissance. En effet, nous sentons très bien qu’après l’épouvantable catastrophe que nous subissons, surtout si la propagande révolutionnaire continue à être nulle dans les pays belligérants ou non, le capitalisme continuera à régner sans grand besoin de se modifier, pour oeuvrer encore de façon à provoquer un nouveau carnage.
Or, une telle perspective ne suffirait-elle pas à révolter le prolétariat international ?

Ce que notre action doit être.

Allons-nous reprendre, au point de vue économique, la petite lutte épuisante et décevante d’hier pour les plus illusoires améliorations ? En face d’un mal énorme appliquerons-nous le plus petit des remèdes ? et laisserons-nous triompher encore dans le mouvement ouvrier la théorie du moindre effort ? Après la bataille gigantesque, le gaspillage inouï de richesses et de vies à la gloire infâme de nos maîtres, le petit calcul et la timidité caractériseront-elles à nouveau toute l’action des exploités ?
Remarquons bien qu’en n’attaquant pas ainsi les causes mêmes des massacres périodiques qui ensanglantent l’humanité, nous contribuerions par un aveuglement presque incroyable, à leur renouvellement. Comment ne pas comprendre, en somme, que la paix veut le bien-être et la liberté de tous, et que la modération dans les revendications de justice est un encouragement à l’iniquité, une véritable complicité avec elle ? Pourrons-nous continuellement rejeter la responsabilité des plus énormes crimes, alors que non seulement nous n’avons pas tout fait pour les empêcher, niais y avons même largement participé ?
La voix de la raison, de la droiture et de l’indépendance doit se faire entendre et nous acheminer dans la voie révolutionnaire. Assez d’obéissance stupide à cette idole hideuse : l’Etat ! Assez de privations, de misères et de sacrifices pour le négoce et la finance, ne pouvant aboutir qu’au plus terrible des fléaux : la guerre.

La situation de demain.

Quelle sera la situation de demain ?
Les guerres de conquête aussi bien que les soi-disant guerres de libération ont toujours laissé les peuples dans une misère atroce. Les modifications que pourra subir la carte politique du monde seront autant de motifs à de nouveaux conflits, surtout que nous savons à n’en pas douter qu’elles ne seront pas dictées par l’esprit de justice.
La crise actuelle n’a pas encore vu l’affirmation d’un régime autre que le régime bourgeois, dont les forces concurrentes visent à l’exploitation plus qu’à la création et à la distribution des richesses et se proposent toutes un but d’asservissement et jamais d’émancipation.
Les promesses de transformations démocratiques,même si elles devaient être tenues - et il est presque certain qu’elles ne le seront pas - ne peuvent nous illusionner. Les Etats vont tous se trouver en face de dettes formidables et la part déjà trop grande du produit de notre travail absorbée par l’impôt grandira encore. A. défaut d’impôt direct, nous verrons s’introduire de nouveaux monopoles d’Etat, augmentant toujours plus la puissance formidable des gouvernants de chaque pays et diminuant d’autant la liberté des gouvernés. La course aux armements pour conserver, augmenter ou se former un empire colonial ne cessera d’être nécessaire, et même si l’armée nouvelle de feu Jaurès était réalisée, nous n’aurions qu’une anticipation très fâcheuse à l’éducation militaire de la jeunesse et un perfectionnement dans la formation et la mobilisation des forces de terre et de mer. Les déclarations des partisans de la c nation armée » ne sauraient nous laisser le moindre doute à cet égard.

Pour notre action à venir.

Il serait presque puéril de nous étendre davantage pour démontrer qu’un régime ne saurait que se renouveler lui-même indéfiniment, et que les forces de transformation sociale ne peuvent se trouver au-dedans, mais en dehors de lui. C’est dans une organisation rompant avec l’Etat, pour ne plus s’y subordonner d’aucune façon, que la classe ouvrière se voit forcée de chercher son salut.
D’autre part, que les capitalistes de notre Etat national soient vainqueurs ou vaincus, que leurs affaires prospèrent ou périclitent, nous ne devons pas demain reprendre simplement une besogne syndicale nous solidarisant dans la bonne et surtout dans la mauvaise fortune avec nos exploiteurs. Qu’est-ce donc qu’une action cessant de se manifester au moment même où le mal contre lequel elle est appelée à lutter s’aggrave ? C’est ainsi pourtant que nous voyons toujours le syndicat se reconnaître impuissant, lorsqu’une crise économique frappant l’industrie qu’il représente se déclare.
Plus d’action dés que la demande de bras vient à manquer et que le chômage sévit ; une besogne bornée à quelques améliorations au jour le jour sans aucune claire vision d’avenir lorsque les spéculations patronales progressent. Comment espérer ainsi pouvoir jamais reprendre la gestion de la production, réaliser cette transformation économique seule capable d’assurer la paix ?

En face de la grande tâche.

Voilà les questions angoissantes que la classe ouvrière est appelée à résoudre, et tous ceux qui en cachent la portée ou préconisent des solutions partielles, plus qu’insuffisantes, sont des soutiens et des complices du régime existant, ne pouvant dégager leur responsabilité dans les ruines et les assassinats qu’il accomplit.

Camarades, travailleurs,

La légalité est sans issue aussi bien pour les classes possédantes que pour les classes ouvrières.
La guerre n’est en somme que la rupture bourgeoise de la légalité interétatiste, et se fait fatalement pour des intérêts contraires aux nôtres.
Opposons-lui la Révolution, la rupture prolétarienne internationale contre toutes les lois de privilège et d’oppression au nom de la justice, soit de l’intérêt de tous.
Il faut, à l’effroyable moment de l’histoire des peuples que nous traversons, de grandes idées, de grandes décisions, de grandes actions, il faut nous fortifier, nous exalter, nous grandir, non pas dans une discipline aveugle, dans une soumission funeste, dans l’oubli de notre individualité, de nos sentiments même d’humanité, mais dans l’amour de la vie, de tout ce qui peut l’intensifier, l’embellir et l’ennoblir, dans le besoin de dignité, d’indépendance, de liberté, dans l’aspiration à une victoire, à une joie, à un bonheur qui soit fait de la victoire, de la joie et du bonheur de tous, et par dessus tout dans la révolte de tout notre être contre cette passivité universelle en face d’un crime immense n’ayant et ne pouvant avoir ni raison ni excuse.
Pour terminer la grande guerre de la bourgeoisie et en éviter à jamais le retour, il ne reste plus que le recours suprême à la Révolution. Celle-ci veut, plus qu’un déchaînement de forces violentes ensanglantant le monde, une invincible affirmation de conscience, de volontés, d’intelligences, de cœurs ne pliant plus sous aucune servitude meurtrière, une vaste œuvre de protestation, de résistance et d’insurrection, qui, le carnage arrêté, montre la vraie, la seule et l’éternelle gloire dans la libération, l’élévation et le triomphe de tous, dans l’épanouissement de la solidarité par laquelle dans chaque homme vit toute l’humanité.

Vive la fraternité des peuples !

Vive l’Anarchie !