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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Appel de Clara Zetkin aux Femmes Socialistes de tous les pays
Décembre 1914
Article mis en ligne le 27 février 2019
dernière modification le 30 janvier 2019

par ArchivesAutonomies

Appel de Clara Zetkin aux Femmes Socialistes de tous les pays [1]

CAMARADES, SŒURS,

Tous les jours dans les pays belligérants et neutres des voix de femmes s’élèvent, protestant contre le terrible massacre des peuples, massacre déchaîné par les Etats capitalistes avides de domination universelle.
Il y a déjà près de cinq mois que dure le duel entre la Triple-Entente et la Double-Alliance et de nouveaux peuples, et de nouveaux pays sont attirés vers le gouffre sanglant.
La guerre emploie les meilleures forces physiques ainsi que les meilleures forces morales et intellectuelles des peuples. Elle absorbe, pour ses fins, toutes les organisations des pays, toutes les découvertes scientifiques et les plus merveilleuses inventions.
La guerre laisse derrière elle des cités en ruine, des torrents de sang et de pleurs, des montagnes de morts et d’estropiés, tels que l’histoire n’en a jamais vu.
La guerre foule aux pieds le bonheur de millions d’hommes et déchire les traités internationaux. Le sabre devient le maître des consciences, les peuples "adorent ce qu’ils ont brûlé et brûlent ce qu’ils ont adoré".
La guerre souille toutes les grandes idées, nées dans la joie et la douleur des innombrables générations de toutes les races et de toutes les nations, les idées qui ont élevé l’homme au dessus de la Brute humaine et devaient délivrer l’Humanité.
Que sont devenus les préceptes du Dieu chrétien : "Tu ne tueras pas !", "Aime ton prochain" ?
Que sont devenues les généreuses doctrines sociales proclamées par les plus grands et nobles penseurs de toutes les nations civilisées ?
Qu’est devenue la Fraternité internationale des prolétaires de tous les pays, en qui nous avons tous espéré ?
Au fur et à mesure que la guerre se poursuit, les phrases sonores et les principes qui en cachaient le sens capitaliste s’effacent et laissent entrevoir la vérité. Les masques tombent, le beau voile qui a égaré tant de monde se déchire et la guerre apparaît dans toute sa nudité hideuse comme une guerre offensive pour la possession de l’empire mondial.
Femmes socialistes de tous les pays, nous ne sommes nullement responsables du malheur qui, comme un fauve, dévore les peuples. Ce n’est pas notre faute. En nous retirant les droits politiques, ne nous a-t-on pas retiré le moyen de décider de la Guerre et de la Paix ?
Oui ! devant les champs dévastés, devant les villes et les campagnes en ruine, devant les hécatombes de corps mutilés nous pouvons décliner toute responsabilité de cette guerre. En restant fidèles à notre Idéal socialiste, n’avons nous pas lutté de toute notre force pour la conservation de la paix ?
On ne trouverait certainement pas, parmi nous, une femme de quelque nation que ce soit, qui n’aurait lutté et ne lutterait, joyeusement et consciemment pendant toute sa vie, pour empêcher cette catastrophe : la guerre mondiale.
Non ! La paix du monde nous a toujours été bien chère. Elle était pour nous le résultat et la garantie de la Fraternité internationale des travailleurs de tous les pays, et cette Fraternité internationale est le seul moyen de mettre en pratique les principes du Socialisme auquel nous aspirons de toute notre âme.
En raison de nos aspirations, la guerre et ses horreurs n’a pas mis de mur entre nous. Non trompées par le bruit des Batailles, par les discours sonores et l’exaltation chauvine des masses, nous gardons, dans tous les pays, notre vieil idéal socialiste resté intact.
De partout, à travers les ruines et les ruisseaux de sang, nous nous tendons une main fraternelle, unies par notre conception socialiste et notre ferme résolution : "En avant vers le Socialisme" !
Notre action commune devait se coordonner à Vienne, où notre Conférence Internationale aurait été inspirée par la volonté ferme de conserver la paix. La guerre mondiale l’a empêché, mais, aujourd’hui, notre désir de paix doit guider notre action.
Nous, Femmes socialistes, nous devons, dans tous les pays, grouper les femmes et nous lever contre cette folle guerre mondiale.
Des millions de bouches doivent crier : "Assez de tueries ! Assez de ruines ! La guerre ne doit pas continuer jusqu’à l’extinction complète des peuples jusqu’à la dernière goutte de sang. La Paix ! La Paix durable !..."
Par conséquent, pas d’attentat contre l’indépendance et l’honneur d’aucune nation ! Pas d’annexion !
On ne doit pas imposer la paix à des conditions déshonorantes, cela prolongerait la rivalité des armements et pourrait être la cause de complications internationales.
Place au travail paisible ? Le chemin libre au fraternel rapprochement des peuples et concours réciproque pour l’épanouissement de la culture internationale.
Sans doute, nous n’avons presque nulle part de droits politiques, néanmoins notre influence sociale est grande. Profitons de chaque circonstance pour agir sur nos amis, sur notre entourage, poussons même notre activité jusqu’à l’action publique.
Nous devons employer tous les moyens d’action : parole, écrits suivant les conditions du pays.
La vague chauvine ne peut nous intimider ni nous effrayer. Elle ne peut non plus nous entraîner vers le patriotisme d’argent, vers les politiciens avides de pouvoir et les démagogues inconscients. Au contraire, en face de ce nationalisme déchaîné, nous devons élever notre voix pour la défense de la civilisation, bien des peuples et produit des nations. Nous devons développer fièrement nos revendications socialistes.
La folie, la sottise et l’accaparement nous poursuivront dans tous les pays, nous injuriant, nous traitant de "sans patrie". Soit ! Nous savons que par notre travail pour la paix, nous servons mieux notre pays que ceux qui, dans un enthousiasme guerrier, brandissent un glaive meurtrier, humilient et déshonorent d’autres nations,
Si les hommes tuent, les femmes doivent lutter pour la paix ; si les hommes se taisent, notre devoir socialiste est d’élever la voix.

CAMARADES, SŒURS !

Tenez la parole que vous avez donnée au Congrès International, tenu à Berne, pour la paix !
Vous avez dit : "Nous, femmes socialistes, dans la lutte contre la guerre, nous serons toujours au premier rang parmi les plus irréconciliables de ses ennemis".

Clara Zetkin,

Secrétaire Internationale des Femmes socialistes.