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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Tribune militaire - Flourens
La Marseillaise N°8 - 26 Décembre 1869
Article mis en ligne le 16 décembre 2017
dernière modification le 11 décembre 2017

par ArchivesAutonomies

Nous sommes tout à la fois heureux et désolés du nombre de réclamations reçues par nous depuis que nous avons eu l’idée d’établir dans la Marseillaise une tribune militaire.
Quelques-unes de ces réclamations allèguent des faits tellement graves que nous sommes obligés d’ouvrir une enquête avant de les publier sous notre responsabilité personnelle.
De tous côtés nous viennent des plaintes d’opprimés ; il en vient de Brest, de Toulon et de Cherbourg pour la marine ; il en vient des quatre points cardinaux pour l’armée de terre.
Vraiment les faiseurs de tout genre ont bien mis à profit ces dix-huit années de mutisme que nous a imposées l’empire : faiseurs civils, Mirès, Millaud, Pereire et compagnie ; faiseurs militaires, gros bonnets de l’armée, adjudicataires, entrepreneurs de fournitures et leurs associés.
Le pauvre soldat, le pauvre matelot n’a eu qu’à courber la tête et à souffrir patiemment. Comment aurait-il pu obtenir justice ? La démocratie le rendait solidaire du deux Décembre, et ne voulait point réclamer pour lui.
Aujourd’hui, heureusement, le temps de ces défiances réciproques est passé, et ne reviendra plus. On se sent frère ; peuple et armée ne font plus qu’un.
Commençons aujourd’hui notre tâche par apprendre à ceux qui ne le savent point quelles atrocités se passent en Afrique, dans cette Afrique qui nous coûte si cher et nous rapporte si peu, grâce au régime militaire.
Des trappistes se sont établis à Staouélli, sous le nom de pères défricheurs. On croirait, d’après leur nom, qu’ils défrichent eux-mêmes.
En réalité, voici comment s’y prennent ces bons apôtres. Ils demandent à l’administration militaire des soldats des bataillons de discipline, qu’ils font travailler sous le fouet, coucher sur la dure, qu’ils nourrissent à peine et ne paient point du tout.
C’est la traite des blancs, recommençant pour nos fils, nos frères, que la moindre désobéissance à un grossier sergent ou à un méchant adjudant peut faire condamner à cet enfer.
Un de nos correspondants nous donne des détails très exacts sur ces bataillons d’Afrique où ont failli être envoyés Collet et Dufour pour avoir assisté à une de nos réunions publiques de Paris.

"De création assez récente, les bataillons d’Afrique se recrutent dans les pénitenciers militaires, dans les ateliers de travaux publics. De sorte que les malheureuses victimes de notre code militaire sont encore forcées, après une condamnation toujours trop rigoureuse, d’aller subir l’épreuve du bataillon d’Afrique afin de pouvoir être réincorporés dans un corps de l’armée. Aussi y trouve-t-on des marins, des soldats de toutes armes et de tous les grades inférieurs. On les appelle communément les zéphyrs.
Ils n’y a pas d’outrage,de provocations de toutes sortes qui ne soient adressés à ces infortunés zéphyrs dont on finit souvent, à force de mauvais traitements, de privations cruelles inutilement imposées, par faire des voleurs.
Si le malheureux zéphyr, excité par les punitions arbitraires, par les provocations, ne sait pas réfréner ses instincts de révolte, il reste les grands moyens : la crapaudine, le quart de pain, le silo.
La crapaudine consiste tout simplement à attacher ensemble les pieds et les mains du patient derrière le dos, en plein air, et à le laisser exposé pendant une journée, la face au soleil, ce qui permet aux mouches et aux insectes de tous genres de venir rendre sa position encore plus horrible.
Le quart de pain et le silo vont ensemble presque toujours. Le silo est une prison creusée dans la terre, à 15 pieds de profondeur environ, et dont l’ouverture est insuffisante pour que l’air puisse se renouveler. On jette le malheureux là-dedans pendant un mois entier, et il n’en remonte qu’à l’expiration de sa peine. Puis, comme la punition pourrait être trop légère, on lui supprime ses rations de vivres et on les remplace par une soupe quotidienne, très claire et très peu nutritive, additionnée d’un quart de pain tous les deux jours et d’une cruche d’eau.
Quelque fois on est obligé d’extraire le patient du silo et de le transporter d’urgence à l’hôpital, où il meurt !"

Voilà comment sont traités des citoyens français, dont tout le crime a été souvent d’avoir repoussé l’insulte d’un supérieur injuste et mal élevé par un réponse fière, d’avoir brisé un chassepot dans un accès de désespoir, d’avoir refusé l’obéissance en dehors du service.
Il n’y a pas de pensions de retraite aux vieux soldats, ni d’autres câlineries tardives du pouvoir qui puissent racheter de telles indignités.