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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Les jeunes contre la guerre - L. Wastiaux
La Jeunesse Anarchiste N°3 - 15 Mai 1921
Article mis en ligne le 24 décembre 2017

par ArchivesAutonomies

L’internationale Antimilitariste

Je ne m’attarderai pas à vous définir le "pourquoi" de l’antimilitarisme. Vous savez (si vous ne le savez pas, de nombreux livres et d’innombrables brochures peuvent vous l’apprendre) que :

Moralement, la guerre est indéfendable : Elle ne peut plus être rendue inévitable par des querelles de savants ou de théologiens, puisque tous les partis ont la prétention d’être très tolérants ;

Économiquement, elle est inutile : La subsistance peut maintenant suffire aux besoins de l’humanité. Ne venons-nous pas d’ailleurs de nourrir pendant cinq ans des multitudes d’hommes improductifs ?

Biologiquement, elle n’a plus de raison d’être : La biologie nous apprend en effet que la division de la société en races et nations n’est qu’une conséquence accidentelle et non naturelle de l’absence primitive des moyens de transports, que les nations d’aujourd’hui n’ont plus qu’une valeur traditionnelle et culturelle, tant les invasions, les nécessités de l’existence, la plus grande facilité des communications ont opéré de mélanges entre les peuples.

Ce que je voudrais, c’est faire entrevoir la besogne que pourrait accomplir une A. I. A. puissante, et faire connaître les moyens que je trouve les meilleurs pour lui donner cette puissance... — Il serait extrêmement avantageux pour tous les antimilitaristes d’être étroitement unis au moment d’une déclaration de guerre, ou simplement à l’appel d’une classe. La demeure de chaque membre de l’association formerait alors naturellement un refuge où nous pourrions trouver à la fois un abri, du secours et des conseils pour nous aider à passer sur une terre plus hospitalière. Une fois à l’étranger, l’aide des camarades serait plus précieuse encore. Jouir du "droit" d’asile n’est pas aussi simple qu’on se le figure ; vous êtes à peine installés dans un pays qu’on vient vous parler passeports, moyens de subsistance, etc... Et l’internationale des capitalistes nous réserve encore plus d’une mésaventure si nous n’avons pas aussi, nous les antimilitaristes, notre association internationale !

Une initiative qui mérite l’attention est celle qui a été prise par nos amis Hollandais au Congrès de La Haye. Ils ont nommé une commission spéciale chargée de recueillir et de concentrer tous les documents, livres, brochures, relatifs à la guerre et au militarisme : "Le Pétrole", de F. Delaisi par exemple. Il est beaucoup plus intéressant, quand nous avons besoin d’un document, de nous adresser directement au bureau de l’A. I. A. plutôt que d’écrire à dix endroits différents sans être sûrs d’avoir ce que nous demandons... Envoyons donc des documents, demandons qu’on nous en communique d’autres : ce sera la meilleure manière de montrer que l’antimilitarisme ne chôme pas.

Je passe d’autres points qu’il serait assurément intéressant de développer ici, mais aussi quelque peu dangereux ; ils n’ont pu être discutés que pendant les réunions secrètes du Congrès de La Haye. J’en arrive aux moyens de constituer une A. I. A. puissante, car, à quoi bon le dissimuler, il faut qu’elle le soit sérieusement pour mettre un tel programme en exécution !

C’est d’abord par l’action que nous devons attirer des sympathies. Assez de groupes fantômes, assez d’associations purement nominales qui discréditent et ridiculisent les quelques bons militants qui s’y fourvoient. Il faut que, si peu nombreux que nous soyons, nous soyons une force avec laquelle il faudra désormais compter. Les quelques antimilitaristes décidés à l’action qui se trouvent dans chaque pays peuvent faire beaucoup s’ils veulent se tenir en rapports constants et s’aider les uns les autres. Il n’en faut pas plus pour assurer le fonctionnement des bureaux de passage dont j’ai fait une courte esquisse tout à l’heure.

Pour avoir une A. I. A. puissante, il nous faut surtout coopérer avec toutes les bonnes volontés, avec tous les groupements de quelque part qu’ils soient, pourvu qu’ils soient d’accord avec nous sur le terrain anticapitaliste-antimilitariste. Cette dernière condition est importante, car nous ne pouvons nous embarrasser des vagues pacifistes-bourgeois, des "gens tranquilles" qui nous entraveraient au moment de l’action. Mais il nous serait relativement facile de recruter de nombreuses sympathies dans les syndicats, qui ont tout intérêt à affaiblir et à anéantir le militarisme sans lequel le capitalisme serait frappé de caducité ; dans les groupements politiques : socialistes, communistes, anarchistes. Ces derniers sont déjà de tout cœur avec nous, car tout emploi de la contrainte est contraire à leurs principes. Quant aux partis socialistes et communistes, il est certain que la plupart de leurs dirigeants verraient d’un mauvais œil une trop grande extension de l’antimilitarisme. Ils trouveraient sans doute préférable d’accaparer l’armée, de la "noyauter" (pour employer une expression à la mode) plutôt que de la détruire. Le mouvement antimilitariste norvégien, dont Haussard a fait dernièrement une excellente esquisse dans le Libertaire, est la preuve irréfutable de ce que j’avance. Alors que le gouvernement était obligé d’ajourner la conscription, grâce à l’attitude énergique des "réfractaires conséquents", les néo-communistes ne trouvèrent rien de mieux que de donner la consigne d’aller à la caserne. L’organe de la Jeunesse socialiste Klassekampen combattit à outrance les jeunes gens qui avaient organisé l’insoumission en masse. Avouez que cette tactique est quelque peu étrange et ressemble beaucoup à celle de l’homme qui empêche son ennemi de se noyer, parce qu’il a décidé de le pendre ! C’est en forçant les politiciens à prendre position pour ou contre l’A. I. A., que nous pourrons, sinon réussir à faire adhérer leurs groupements, tout au moins ouvrir les yeux à une partie de ceux qui les suivent.

Nous pourrions aussi trouver de nombreux et puissants alliés dans certains partis religieux, chez les quakers, dans les ligues d’antimilitaristes absolus, de tolstoïens, chez les pacifistes chrétiens qui veulent obéir intégralement au décalogue.

Il va de soi que par "groupements" j’entends aussi bien les groupements de femmes que les groupements d’hommes, et que je n’ai nommé que les principaux de ceux qui sont susceptibles de nous aider. J’aurais pu mentionner aussi les associations de recherches scientifiques, de libre-pensée, etc. Dans tous ces groupements, il convient de faire comprendre nos aspirations et nos méthodes d’action. Il est nécessaire qu’ils octroient une subvention à l’A. I. A., subvention dont ils fixeraient eux-mêmes le montant suivant leurs revenus. Les plus aptes de leurs membres pourraient faire partie de groupements spécifiquement antimilitaristes, afin de se spécialiser en quelque sorte dans cette propagande. Le syndicalisme, la politique ont leurs spécialistes : pourquoi l’antimilitariste n’en aurait-il pas ? Il demande tout autant de connaissances et d’expérience... Espérons que ces spécialistes-ci ne seront pas de brillantes nullités comme se sont montrés trop souvent ceux-là.