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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Interventions de la délégation de la Fraction de Gauche du P.C.I. à la Conférence Nationale de la Ligue Communiste de France (Octobre 1931)
Bulletin d’Information de la Fraction de Gauche italienne N°4 - Janvier 1932
Article mis en ligne le 9 février 2020
dernière modification le 14 avril 2019

par ArchivesAutonomies

(La première partie de cette intervention a été publiée dans le N°3 du bulletin)

Nous croyons devoir tout particulièrement expliquer notre position au sujet des "mots d’ordre démocratique".

Tout d’abord nous devons protester contre le fait que, dans le Bulletin International n°5, on a fait précéder notre résolution par un documentaire qui falsifie totalement notre position. Ce système des commentaires est très nuisible aux intérêts de la cause, et il n’est pas du tout nouveau. Les ouvriers oppositionnels seraient-ils de tels petits garçons auxquels il faut servir un apéritif qui les dispose à comprendre ce que le Secrétariat International veut qu’ils comprennent, et qui ne devraient pas se former une opinion par l’examen direct de la question politique  ?

La résolution de notre fraction sur "les mots d’ordre démocratiques" contient dans son premier point l’explication catégorique du sujet que nous voulons aborder. En l’espèce il s’agissait de la démocratie "en tant que forme de gouvernement", en tant que système de la "prétendue division de la société en agglomérations de majorités et de minorités", du critère de la démocratie qui se substitue à l’autre de la division de la société en classes.

Y avait-il un intérêt politique à poser cette question au sein de l’opposition internationale  ? La question que nous posions devrait être absolument et définitivement résolue, pour nous tous qui nous réclamons des bases de fondation de l’Internationale. Mais cet intérêt existait et nous expliquerons par la suite que, surtout dans la question espagnole, on a glissé vers une position de droite, qui en revient à compromettre la position communiste au sujet de la démocratie.

Mais le commentaire qui a précédé la publication de notre résolution dans le Bulletin International, a transposé le problème que nous avions posé, et du problème de la démocratie, en tant que système de gouvernement et d’Etat, on en a fait le problème des revendications immédiates. Ce qui est tout autre chose. Et les camarades qui croient pouvoir polémiquer de cette façon auraient dû auparavant trouver le moindre indice que nous sommes contre les luttes partielles de la classe ouvrière et nous dénier l’idée de l’agitation et de la propagande pour la dictature du prolétariat, nous transformant ainsi en une secte.

Mais il eut été bien difficile de le prouver pour notre fraction qui a une longue tradition de vie prolétarienne et qui est l’expression du mouvement ouvrier et qui n’est pas — comme il en est le cas pour d’autres sections de l’Opposition — l’expression fortuite d’une lutte politique au sein des partis communistes.

La notion communiste de la démocratie 

Le fondement même de l’Internationale consiste justement dans la critique marxiste que l’on a faite, à cette époque, de la "démocratie qui féconde la forme supérieure de l’organisation socialiste et la victoire du prolétariat révolutionnaire". Lénine surtout, dans L’Anti-Kautsky, dans "L’Etat et la Révolution", a détruit la falsification de la notion marxiste qui, pour arriver à nier la nécessité de la dictature du prolétariat, en démontrait l’incompatibilité avec les règles de la démocratie qui, soi-disant, auraient été les bases du marxisme.

Et l’Internationale communiste était fondée à la lumière de la victoire révolutionnaire en Russie, victoire qui avait été justement possible parce que la libération du prolétariat s’était faite au travers de la lutte pour la dictature, et non pour la lutte "pour la démocratie qui accouche la dictature du prolétariat".

Du point de vue des principes il était absolument clair qu’entre le régime capitaliste et le régime prolétarien, il y avait l’insurrection prolétarienne, il y avait la lutte violente et armée et non la "lutte pour la démocratie".

Nous repoussons tous l’interprétation idéaliste de l’histoire d’après laquelle il faudrait croire que la démocratie, étant une catégorie philosophique progressive, la lutte pour la démocratie pourrait correspondre à la lutte pour une organisation sociale également progressive, et qu’à un moment donné, le capitalisme ne pouvant plus assurer les conditions démocratiques de la vie sociale, il reviendrait au prolétariat et à son parti de les revendiquer.

Nous acceptons tous la conception dialectique et marxiste qui, elle, ne se base nullement sur la succession de catégories abstraites, mais sur la succession des classes à la direction du mécanisme économique de la production. Et si le marxisme a détruit les tromperies de l’égalité, de la démocratie, de la justice, etc., ce n’est pas seulement pour prouver que le capitalisme ne se base nullement sur le respect de ces formules (d’ailleurs la dictature du prolétariat non plus), mais pour prouver que ces formulations n’existent pas du tout en elles-mêmes et n’existeront pas jusqu’au jour où la disparition des classes créera les conditions économiques pour qu’elles existent et perdent, de ce fait, leur signification.

Le fait que le capitalisme, historiquement, dans l’étape qui précède le communisme ne peut pas nous amener à affirmer que la démocratie féconde les conditions pour cette dictature du prolétariat. Par contre, elle féconde les formes les plus réactionnaires telles que le fascisme.

Au sein de l’opposition internationale, le chemin est ouvert dès maintenant à une conception de la "révolution permanente" qui en revient à poser la lutte pour les formes les plus audacieuses de la démocratie, ce qui nous fournirait le tremplin nécessaire pour passer outre par après, et qui représenterait le pas intermédiaire obligatoire avant d’arriver à la victoire communiste.

Le noyau essentiel de la théorie de la révolution permanente se rapporte à la période post-révolutionnaire, et il s’agit là d’une notion essentiellement de gauche parce qu’elle pose le problème de la continuité de la révolution contre l’opportunisme qui réduit le prolétariat à l’obéissance à la bureaucratie, laquelle se personnifiant dans l’Etat, serait la dernière garantie révolutionnaire, l’Etat prolétarien lui-même représentant cette garantie.

Mais, à l’heure actuelle, dans les rangs de l’Opposition, la notion essentielle de la révolution permanente, se rapporterait à la période pré-révolutionnaire ce qui ne peut signifier autre chose que, dans la situation où les conditions subjectives et objectives n’existent pas pour la réalisation de la dictature du prolétariat, le rôle du prolétariat consiste dans la lutte pour les facteurs avancés des "mots d’ordre démocratiques", lesquels poseraient, à leur tour, les facteurs encore plus avancés qui nous porteraient à la victoire communiste.

Il est par exemple caractéristique que la nouvelle Opposition allemande choisisse comme titre de son journal "La révolution permanente". En Allemagne, nous assistons à l’avance du fascisme, à une répétition de l’expérience italienne, bien que sous d’autres conditions, et au fait que, sous le drapeau de la défense de la démocratie, la social-démocratie parvient encore une fois à désarmer le prolétariat.

Il est parfaitement exact qu’à un moment donné les contradictions qui caractérisent le régime capitaliste venant à éclore, la bourgeoisie défende son pouvoir par la destruction de tout le bagage décoratif de démocratie, de paix, de justice, etc. qui sont pourtant écrites dans les différentes constitutions. Mais à ce moment-là quel est le devoir du parti du prolétariat  ?

Si, pour la guerre, la position du prolétariat ne consiste nullement dans la défense de la paix, ainsi, quand les conditions objectives enlèvent tout masque à la domination capitaliste, le devoir du parti du prolétariat consiste à proclamer que si la démocratie est enterrée, elle est bien enterrée, et que le programme du prolétariat consiste à soulever l’autre programme, le programme de la dictature du prolétariat, et jamais ce devoir ne consistera dans la lutte pour ressusciter les formes de la démocratie bourgeoise.

Dans notre résolution, nous avons voulu indiquer les bases de classed’une lutte du prolétariat pour la démocratie. Et ces bases-là ne peuvent être trouvées ailleurs que dans l’appréciation de la classe qui dirige le mécanisme économique et qui est maîtresse de l’organisation étatique.

Nous disions que là où le capitalisme n’est pas encore à la direction économique et politique de la société (exemple : les colonies), là les conditions existent — et juste pour une période déterminée — pour une lutte du prolétariat pour la démocratie. Mais au sujet aussi des colonies, nous avons demandé que l’on sorte du vague et que l’on précise sur une base de classe, cette lutte. C’est à dire que nous avons demandé que là où une révolution capitaliste ne s’est pas encore produite l’on mette en discussion le problème politique de la "dictature démocratique des ouvriers et des paysans", à savoir d’une organisation économique et politique transitoire. Cette organisation, dans la situation actuelle de la crise mortelle du capitalisme, serait destinée à précipiter vers la dictature du parti du prolétariat. Et le fait de la coexistence de deux classes au pouvoir, n’aurait pas dû signifier l’abandon de la part du prolétariat de ces tâches historiques, les conditions objectives existant pour la bourgeoisie et pour le prolétariat soient "les compagnons de route", bien que sous un autre angle, et toujours pour une période transitoire, que celui vu par Marx pour les révolutions de 1848-1851.

Mais pour les pays où la révolution bourgeoise a été faite, ce n’est pas seulement les expériences, mais les principes mêmes du communisme qui donnent au prolétariat non plus la fonction de "compagnon de route" mais l’autre fonction "d’ennemi de route".

Et, les revendications historiques qui pouvaient former le tissu pour "la compagnie de route" (même les tâches des révolutions bourgeoises à la campagne) deviennent par contre — là où la bourgeoisie a fait sa révolution — les formulations qui portent au désarmement du prolétariat devant les nouvelles tâches qui lui ont été ouvertes par les événements.

Il ne sera pas difficile de trouver dans tel ou tel texte de Lénine ou de Marx, des énonciations théoriques qui contrediraient la position que nous défendons. Libre à ceux qui voudront prouver notre soi-disant "anti-marxisme", par un procédé qui en arrivera à falsifier le fondement même du marxisme. Ce n’est pas parce que l’on opèrera une telle mobilisation contre nous que nous renoncerons à défendre nos opinions.

La notion communiste de la démocratie est celle qui nous conduit à en détruire, par la lutte et l’expérience quotidienne, sa signification néfaste pour le prolétariat, en même temps que par la lutte de tous les jours, nous tâchons de faire ressortir de moindres expériences de la lutte de classes, la nécessité et la valeur du programme qui aboutit à la dictature du prolétariat.

Dans la question de principe, sur le problème de la démocratie, il ne devrait pas exister de divergences.

Mais il n’en est pas ainsi pour la question de la tactique, surtout avec la gauche russe. Et ici une divergence existe qu’il faut préciser.

La tactique communiste sur les mots d’ordre démocratiques

Tout d’abord, il faut commencer par donner une signification politique à la formule "mots d’ordre démocratiques". Nous croyons qu’on peut en donner les suivantes  :

1°) mots d’ordre qui se rattachent directement à l’exercice du pouvoir politique par une classe donnée  ;

2°) mots d’ordre qui expriment le contenu des révolutions bourgeoises et que le capitalisme n’a pas — dans la situation actuelle - la possibilité et la fonction de réaliser  ;

3°) mots d’ordre qui se rapportent aux pays coloniaux où s’entrecroisent les problèmes de la lutte contre l’impérialisme, de la révolution bourgeoisie et de la révolution prolétarienne  ;

4°) les ‘faux’ mots d’ordre démocratiques, à savoir les mots d’ordre qui correspondent aux besoins vitaux des masses travailleuses.

Appartiennent au premier point toutes les formulations propres à la vie du gouvernement bourgeois, telles que : "revendication du Parlement et de son fonctionnement libre, élections d’administrations communales et leur libre fonctionnement, assemblée constituante, etc."

Appartiennent au deuxième point surtout les tâches de la transformation sociale dans les campagnes.

Au 3ème point les problèmes de tactique dans les pays coloniaux

Au 4ème point les luttes partielles des ouvriers dans les pays capitalistes.

Les mots d’ordre démocratiques institutionnels.

Pour les mots d’ordre institutionnels la divergence politique s’est manifestée plus clairement entre notre fraction et la gauche russe. Mais il faut préciser que cette divergence devrait rester dans le domaine de la tactique, comme il est prouvé par le fait qu’une rencontre entre le cde Bordiga et le cde Lénine s’est justement produite sur la destruction que Lénine avait faite de la position des traîtres de la IIème Internationale à ce sujet.

Tout glissement sur la notion fondamentale du 2ème Congrès de l’Internationale, sur la question de la démocratie pourrait amener à des divergences de principe. Mais nous persistons à croire que la discussion internationale nous apportera une solide homogénéité sur cette question de principe.

Nous croyons que la clarification de la divergence tactique tient au problème suivant  : le prolétariat doit-il, oui ou non, dans les pays capitalistes, faire siennes les revendications institutionnelles et étatiques démocratiques, même là où nous avons un gouvernement fasciste ?

Tout d’abord, il est faux de dire, comme on l’a écrit dans le commentaire qui précède notre résolution, que le plan stratégique des bolchéviks a été celui de la lutte pour la démocratie. Par contre, toute la construction de Lénine depuis 1903 a été la réfutation de cette thèse menchévique qui voulait confier au prolétariat la fonction d’appoint dans la révolution bourgeoise en Russie. Mais s’il en est ainsi du point de vue de la stratégie politique, il n’en est pas ainsi du point de vue de la tactique.

Nous devons remarquer qu’au sein de l’Internationale, cette divergence ne posait aucunement le problème de l’impossibilité d’une convivence (sic - connivence ?), par contre on nous appelait au travail politique, même après que notre courant ait revendiqué sa position tactique particulière. Au sein de l’Opposition internationale, au contraire, il ne s’agirait plus de divergences de tactique, mais de divergences de principe qui poseraient déjà le problème de la scission. Encore une fois, il se répète, à notre avis, que la droite prend l’initiative de la scission à un moment où les conditions n’existent pas et où, par contre, les conditions existeraient pour une clarification politique.

Si nous avions dû nous faire dicter notre attitude du point de vue organisatoire, par les manœuvres que l’on a fait contre nous, ou les déclarations politiques qui ont été formulées sur cette question de la démocratie, il y a longtemps que nous aurions dû prendre l’initiative de la scission. Mais nous nous laissons inspirer par d’autres critères. Nous avons déjà indiqué les raisons pour lesquelles il existe une base politique de convivance (sic - connivence ?) entre notre fraction et la gauche russe. Mais sur le problème de la tactique, les raisons des divergences dérivent du fait que le prolétariat russe et son parti n’ont pas eu à connaître — avec la même ampleur — les problèmes qui se posent au prolétariat des autres pays, où le capitalisme domine depuis de longues années par le système de la démocratie et dans une situation mondiale de guerres et de révolutions.

Dans la période qui a précédé Octobre en Russie, et dans le désarroi qui existait dans les différentes classes, il s’est présenté des circonstances où le parti bolchévik a appuyé et a fait siennes d’autres revendications institutionnelles de la démocratie. Soulignons de suite que le cde Trotsky nous raconte dans son livre sur Lénine que celui-ci était particulièrement inquiet au sujet de la politique suivie envers l’Assemblée constituante et qu’il disait même que là pouvait se jouer le sort de la Révolution.

A cette époque, ceux qui soutenaient la politique de la lutte pour l’achèvement de la révolution de Février, c’étaient bien les Kamenev et Zinoviev qui auraient porté la révolution à sa perte. Par contre, le parti suivit l’autre chemin de la lutte révolutionnaire pour les Soviets et pour la dictature du prolétariat.

Mais Lénine et Trotsky, dans les questions tactiques de la politique suivie alors et dans les rapports avec les partis socialistes-révolutionnaires et menchéviques, s’appuyaient sur un cadre social qui n’existera jamais dans les pays où le capitalisme domine et où l’expérience nous prouve que cette lutte tactique nous conduit à une défaite certaine. Par exemple, la formule de l’Assemblée constituante a été même dépassée par la social-démocratie allemande qui, en 1919, appuyait l’idée des Soviets, et actuellement cette même formule est dépassée par la social-démocratie italienne.

Mais dans les périodes de crise révolutionnaire, quelle signification ont ces formules, et en général la lutte pour la démocratie la plus hardie ?

Les travailleurs se trouvent, dans ces crises, avec une idéologie qui ressent l’empoissonnement de longues années sur les bienfaits et les vertus de la démocratie et de la souveraineté populaire.

Le capitalisme n’a qu’un objectif devant ces situations-là, il s’agit pour lui d’éviter coûte que coûte la lutte violente du prolétariat pour la conquête du pouvoir politique.

Or, existe-t-il une possibilité objective pour que cette lutte pour le pouvoir politique résulte de la lutte pour la démocratie qui, elle, devrait se résoudre dans la lutte plus avancée pour l’instauration de la dictature du prolétariat  ? Si cela existait, les conditions devraient se produire pour que la lutte pour l’Assemblée constituante détermine le choc et le combat armé. Or, c’est tout le contraire qui se produit. Le capitalisme peut accorder ces revendications apparemment les plus hardies, et c’est justement par de telles concessions que le capitalisme parvient à désarmer le prolétariat, à franchir les phases les plus aiguës de sa crise et passer ensuite à la contre offensive qui peut être marquée par la plus brutale des réactions, comme il est arrivé en Italie.

En Italie, le capitalisme s’est sauvé, lors de l’occupation des usines, par une politique qui laissait occuper les usines par les ouvriers et élargissait la loi sur le contrôle ouvrier. Quelques mois plus tard, le prolétariat italien payait très cher la trahison du parti socialiste et la bourgeoisie, qui s’était sauvée par la démocratie déchaînait — avec la rapidité que connaissent toutes les tourmentes sociales — les bandes du fascisme qui, par la suite, supprimaient par le Tribunal Spécial — même la faculté de ne pas êtres fascistes !

Plus tard encore en Italie, en 1924, le régime le plus réactionnaire, le fascisme, a pu consolider sa position par la politique qui a consisté à ralentir la pression policière et à consentir toutes les attaques scandalistiques (scandaleuses) sur l’assassinat de Matteotti, ce qui devait détourner les masses de leur action de classe dirigée vers la lutte armée. A cette époque là, le centrisme italien, qui avait usurpé la direction du parti, avec l’appui de l’Internationale, imposait la politique de l’entrée dans la formation démocratique - l’Aventin" - pour constituer sur cette base l’Anti-Parlement contre le Parlement fasciste. Les masses avec lesquelles on aurait soi-disant voulu se lier ont perdu la vision de la lutte de classe par la faute du parti qui s’était engagé dans la lutte pour la démocratie "révolutionnaire".

En Espagne, la transformation de l’Etat de la monarchie en République qui, autrefois, était le résultat d’une bataille armée, se vérifiait dans la comédie du départ du roi à la suite de l’accord entre Zamora et Remanonès.

En définitive, à l’occasion des crises révolutionnaires, il est prouvé que les mots d’ordre démocratiques ne trouvent pas une base pour la lutte armée d’où le prolétariat pourrait trouver occasion au développement de son combat révolutionnaire, mais par contre ces mots d’ordre démocratiques fournissent une base pour le raffermissement du capitalisme qui parvient à détourner le prolétariat de 1’action violente et insurrectionnelle.

Si ceci a une valeur pour les crises révolutionnaires, ceci signifie aussi que, dans les périodes qui précèdent ces crises, le devoir des communistes consiste justement dans la préparation des masses et du prolétariat à ces situations du lendemain, par la propagande pour la dictature du prolétariat.

Ce qui divise la période pré-révolutionnaire de la période révolutionnaire, et les deux différentes activités politiques du parti, ce n’est pas une différence d’attitude sur la question de la démocratie et en général de tous les problèmes qui se rattachent au gouvernement, mais bien le fait que le parti attend les conditions politiques pour lancer l’appel suprême de l’insurrection.

Le fait qu’en Italie, le parti ait altéré le programme de la dictature du prolétariat et ait brandi le programme démocratique de la révolution populaire, a pour beaucoup contribué au raffermissement du fascisme.

En Espagne, le fait que l’Opposition a adopté les positions politiques d’appui à la transformation soi-disant démocratique de l’Etat, a enlevé toute possibilité de sérieux développement de notre section pour les questions même qui se rapportent à la solution de la crise communiste.

Les mots d’ordre démocratiques et la question agraire.

Pour ce qui se rapporte au deuxième point, il faut bien préciser ce que peut signifier l’impossibilité faite, par la situation actuelle, à la bourgeoisie devant les tâches qui ont formé autrefois le contenu de sa révolution.

La libération de l’économie agraire des rapports sociaux propres du féodalisme, c’est là une tâche qui — dans des pays donnés — pourra être accomplie, par la conquête du pouvoir de la part du prolétariat. Dans ces pays, la dictature du prolétariat ne peut qu’établir les fondements pour l’acheminement de l’économie agraire vers l’économie industrialisée, base des rapports sociaux socialistes.

Mais ces circonstances qui déterminent les assises de certains pays capitalistes où la bourgeoisie industrielle s’appuie sur des rapports féodaux ou presque féodaux, à la campagne, ne doivent pas nous amener à poser une thèse de principe de cette espèce : "puisque le capitalisme n’est pas dans les conditions de réaliser la destruction de ces rapports féodaux à la campagne, de ce fait cette destruction acquiert une valeur et une signification spécifiquement anticapitaliste et révolutionnaire, à tel point que le prolétariat doit l’inscrire à son propre programme". Pour arriver à baser notre politique sur une telle thèse, il faudrait pouvoir prouver qu’il existe une incompatibilité absolue (pour ces pays donnés) entre une économie agricole basée sur la petite propriété et l’économie industrielle (sous la direction de la classe capitaliste), et une compatibilité obligatoire entre une économie agraire féodale et une économie industrielle, toujours sous la direction de la classe capitaliste au pouvoir.

Or, Lénine eût à dire que cette position est incomplète du point de vue économique, et fausse du point de vue politique. En effet, l’expérience nous prouve que le capitalisme, dans sa phase impérialiste, a prouvé savoir dominer avec les formes les plus avancées de l’économie industrielle. A la campagne, nous assistons à la politique capitaliste qui tend à créer des formes d’exploitation qui favorisent la formation de la classe des petits paysans, et là où cette classe existe déjà, à la défendre contre la tendance à la concentration économiques. D’autre part, les pays capitalistes arriérés nous prouvent que les gros propriétaires fonciers destinent leurs rentes aux investissements dans l’industrie, par le canal des grands instituts bancaires qui dirigent actuellement l’économie.

Il est vrai qu’une transformation économique d’un pays comme l’Espagne en une économie du type de celle qui existe dans d’autres pays plus avancés, coïncidera avec la victoire de l’insurrection prolétarienne. Mais cela ne signifie pas du tout que le capitalisme ne soit pas dans la condition de se mettre sur le chemin de cette transformation, et de la réaliser partiellement. Il est certain que même les projets agraires qui sont actuellement en discussion au Cortès espagnols ne seront pas réalisés intégralement. Mais nous insistons pour remarquer que cela ne signifiera pas que le capitalisme ne puisse rien faire dans cette direction. Ce qui nous paraît certain, c’est que le capitalisme ne parviendra pas à accomplir cette transformation de l’économie agraire.

Par conséquent, la position communiste dans les pays capitalistes arriérés ne consiste nullement dans l’attribution au prolétariat des tâches historiques qui ont formé le contenu des révolutions bourgeoises d’antan. La position programmatique communiste doit rester celle de l’affirmation intégrale de la socialisation des terres. Ce qui ne nous paraît pas en contradiction avec la tactique qui s’exprime dans les formules "la terre aux paysans", ou mieux encore "la terre à qui la travaille". Ces deux formulations tactiques relèvent des particularités du fonctionnement du mécanisme économique par rapport aux classes fondamentales de la société.

Si dans un pays donné, n’existent pas les conditions objectives pour l’institution immédiate d’une économie socialiste à la campagne, faute de son industrialisation, la dictature du prolétariat doit s’appuyer sur des rapports sociaux de type capitaliste. Cela justifie, du point de vue marxiste, la formule tactique de "la terre aux paysans".

En définitive, pour les pays capitalistes arriérés, il existe dans la question agraire des revendications qui, du point de vue général, sont en-deçà du programme communiste, de la socialisation des moyens de production, lesquelles sont en même temps au-delà des possibilités de réalisations offertes à la classe capitaliste par les circonstances. Le capitalisme peut s’acheminer vers de telles réalisations, mais il ne peut pas les accomplir.

Par conséquent, la position communiste nous paraît devoir consister non pas dans l’attribution au parti communiste d’un programme qui n’est pas le sien, mais, du point de vue tactique, cette position nous paraît devoir s’exprimer dans la manœuvre qui assure l’appui des paysans à l’insurrection prolétarienne, et qui consiste dans l’accomplissement des tâches qui, autrefois, étaient accomplies par la révolution bourgeoise, sur le plan de la production socialiste de l’ensemble du pays.

Dans l’Opposition internationale, surtout à propos de l’Espagne, nous avons remarqué que la formule très vague des "mots d’ordre démocratiques", formule qui devient encore plus confuse lorsqu’elle s’adjoint l’attribut "révolutionnaires", justifie la position politique de l’agitation exclusive du programme des transformations économiques capitalistes à la campagne. Le capitalisme étant dans une impossibilité absolue de se diriger dans une telle direction, une série de chocs serait inévitable, d’où la possibilité pour le parti d’avancer vers la solution communiste. Or l’expérience nous a prouvé, en Espagne aussi, que le capitalisme a la possibilité de se diriger dans telle direction et de ce fait, l’action politique du parti ne parvient pas à l’organisation des masses rurales, et en même temps, cette fausse position entraîne une déviation à droite de toute la politique communiste.

Il faut, par contre, affirmer nettement les positions programmatiques et tactiques communistes, et dans les situations intermédiaires, il faut songer surtout à établir des cahiers de revendications partielles qui peuvent seules déjouer la manœuvre capitaliste qui se dirige en fait vers la création de la classe des petits paysans et de la petite propriété  ; soit aussi par l’indemnisation des grands propriétaires.

Ce qui nous paraît le plus dangereux, dans notre Opposition, c’est que, du point de vue politique, on a construit la théorie des étapes, et chacune de ces étapes devient un but qu’il faut atteindre avant d’aborder l’étape suivante et supérieure. La vision de l’ensemble s’égare et du point de vue réel, cette formule des "mots d’ordre démocratiques" a annulé la solution du problème immédiat d’établir une série de revendications de classe capables de constituer une effective organisation syndicale à la campagne, organisation qui ne tombe pas, par le canal de la Confédération anarchiste, sous l’influence politique des différents partis de la gauche bourgeoise.

Cela se complique, pour notre Opposition, de la position défendue contre notre fraction pour la question de la transformation démocratique de l’Etat dont nous avons déjà parlé.

Les mots d’ordre institutionnels et la question coloniale.

Nous voulons ici nous en rapporter à ces pays coloniaux, où malgré 1’industrialisation d’une partie importante de l’économie, le capitalisme n’existe pas encore en tant que classe de gouvernement au pouvoir et il est obligé de se soumettre au régime de dépendance directe vis-à-vis de l’impérialisme d’autres pays.

Dans notre résolution, qu’avons-nous demandé ? Que, compte tenu du fait que là aussi les questions dont on discute sont bien des questions de principe qui tiennent à celle de l’état, il fallait avant tout ne pas sortir de ce terrain fondamental. Or il est certain que si on devait remplacer le programme communiste, pour la dictature du prolétariat avec le programme pour les mots d’ordre démocratiques, nous en arriverions à altérer notre position de principe.

Nous avons rappelé la formule de la dictature démocratique des ouvriers et des paysans qui détermina la polémique de 1905, parce qu’il nous parait que c’est sur ce terrain que la question doit être éclaircie.

C’est-à-dire qu’à des moments donnés de l’évolution des rapports de force entre les classes, et lorsque les conditions n’existent pas encore pour 1’ instauration de la dictature du prolétariat, il est tout à fait concevable et juste que le parti donne une autre solution provisoire au problème de l’Etat. Mais cette solution doit toujours se baser sur la notion des classes, sur la possibilité que le prolétariat reste au pouvoir - transitoirement - avec la classe paysanne et la petite bourgeoisie, sans pour cela que le parti doive renoncer à son programme fondamental pour la dictature de la classe prolétarienne.

Mais en Chine, lors du manifeste de 1930 et dans la situation actuelle encore, il ne s’agit point d’établir un programme pour la conquête du pouvoir politique, mais bien d’établir une tactique communiste dans les circonstances qui suivent les grandes défaites prolétariennes, alors que le centrisme s’évertue dans les acrobaties politiques qui voudraient faire passer pour soviet leur caricature misérable, pour lutte pour les soviet, la falsification des buts et de la signification des mouvements des paysans.

Nous avons entrevu le danger - même dans ce manifeste - que le fait de ne pas pouvoir poser le problème de la conquête du pouvoir, ne nous amène en définitive à la modification du programme qui s’exprime dans cette conquête du pouvoir, et à le substituer avec le programme minima de la lutte pour les mots d’ordre démocratiques.

Pour ces pays coloniaux aussi, nous affirmons qu’il n’existe pas une position conjointe du prolétariat et d’autres classes, pour faire bloc dans une lutte commune, même contre l’impérialisme.

Il n’existe encore une fois qu’une seule classe capable de mener la lutte victorieuse et c’est le prolétariat. Les situations objectives sont destinées à précipiter et jamais à fournir la base à un durable régime de communautés de classes. Et alors que les circonstances historiques déterminent la constitution d’un gouvernement de deux classes, il s’agit là d’une phase provisoire que nous pouvons aborder seulement après avoir élucidé le problème de savoir si les conditions existent - dans les rapports sociaux — pour revendiquer la formule de la dictature démocratique des ouvriers et des paysans .

Nous ne pouvons pas nous limiter â centraliser notre position dans la formule de la lutte pour les mots d’ordre démocratiques, non seulement par ce que cette formule est trop vague et confuse, mais parce que cette formule comporte le danger d’une modification substantielle de notre programme fondamental.

Et dans les phases qui précèdent celle de la lutte pour le pouvoir, les problèmes de la lutte des ouvriers et des paysans doivent être envisagés dans le cadre de la lutte pour les revendications partielles économiques et politiques et dans la constitution des organisations de masses qui peuvent répondre à ces buts.

LES REVENDICATIONS PARTIELLES DE LA CLASSE OUVRIERE

Il est faux d’affirmer qu’il existe une liaison obligatoire entre la défense et l’amélioration morale et matérielle de la classe ouvrière et la défense et l’accentuation de la forme démocratique de l’Etat capitaliste. L’Etat dont la constitution est la plus démocratique n’est pas dans une plus mauvaise posture vis à vis du gouvernement fasciste, pour réaliser une offensive contre les conditions de vie des ouvriers. Les partis bourgeois, et surtout la social-démocratie, insistent particulièrement pour orienter les masses vers la nécessité de la défense de la démocratie et demandent, et obtiennent aussi — de la faute du parti communiste — l’abandon de la lutte pour la défense des salaires et en général du niveau de vie des masses, comme il arrive par exemple en Allemagne.

Et si nous prétendions donner un contenu réellement démocratique aux formulations démocratiques constitutionnelles de l’Etat, et déclencher une lutte des masses pour un tel objectif, nous amènerions le parti à se confondre avec la base politique d’autres partis, sans pour cela parvenir à déterminer les mouvements de masse escomptés.

Même les expériences de la vie parlementaire des dernières années nous ont prouvé que les gouvernements de droite et réactionnaires sont sortis d’élections de gauche, comme il en a été le cas pour la France et la Belgique en 1924 et en 1926. C’est que le capitalisme, à un moment donné de poussée des masses, essaie — et peut y parvenir — à diriger l’attention des masses vers l’issue parlementaire et c’est par après ces mêmes parlements de gauche qui expriment les gouvernements réactionnaires.

La condition pour combattre la manœuvre bourgeoise et électorale, même quand les conditions révolutionnaires pour le boycottage du Parlement n’existent pas, consiste dans la propagande communiste pour le programme de la dictature du prolétariat en même temps que les élections fournissent l’occasion au parti de diriger sur des bases de classe, la poussée des masses et non pas vers l’issue parlementaire, mais vers l’issue des mouvements des masses.

Les partis de gauche et même ceux de droite essayent d’établir une liaison — comme nous avons dit — entre les formes démocratiques de l’Etat et les luttes partielles des masses. Nous voyons qu’en Allemagne la social-démocratie parvient à éviter les mouvements revendicatifs des ouvriers "pour ne pas fournir une occasion à l’avance des fascistes". Il nous paraît que la position communiste consiste, dans la lutte contre une telle manœuvre capitaliste et social-démocrate, et ceci ne signifie pas que l’on doive se borner à la répétition formelle de la formule de la dictature du prolétariat, comme on s’est plu à représenter notre position pour mieux atteindre le petit but de "l’unanimité de l’Opposition internationale contre la fraction bordiguiste et pour les mots d’ordre démocratiques".

Le parti doit transposer le problème, déjouer la manœuvre qui voudrait diriger les masses vers une issue parlementaire ou de transformations démocratiques de l’Etat. Au sujet de l’Etat, il ne nous reste que la propagande pour notre programme fondamental. Pas une autre solution n’est concevable pour la question de l’Etat.

Pour ce qui est des besoins vitaux des masses et de leurs luttes partielles, l’attention essentielle du parti doit être de les diriger vers une base unitaire et de classe. Les organismes qui répondent à ce but, sont les syndicats. C’est bien ici qu’il est possible, au parti, de briser la liaison que l’on voudrait établir entre les luttes partielles et une orientation de ces luttes vers des positions non communistes dans la question fondamentale de l’Etat.

La social-démocratie qui détient la majorité dans les organisations syndicales de masse, est obligée de représenter — à l’intérieur de ces organisations là — un programme qui contient presque les mêmes postulats dont est formée la phraséologie trompeuse dans le but d’influencer et de trahir les intérêts des ouvriers. Naturellement, même à l’intérieur des organisations syndicales, la social-démocratie tâchera de faire l’impossible pour éviter que les ouvriers se disposent même à la lutte même pour le programme revendicatif, qu’elle soulève pour maintenir son influence parmi les masses.

C’est dans ces organisations de masse, dont la base d’adhésion ne contredit nullement les principes programmatiques du parti, que nous trouvons l’occasion la plus appropriée pour que les luttes pour les revendications syndicales et politiques partielles de la classe ouvrière, trouvent leur assise sur une base nette de classe et leur développement sur la même base.

Nous nous sommes toujours opposés au front unique des partis politiques, parce que celui-ci ne peut trouver une base que dans la compromission, même temporaire, entre organisations qui sont appelées à se livrer une lutte mortelle demain et qui s’apprêtent (s’accommodent ?) par l’action de tous les jours à la situation du lendemain. Et nous avons toujours soutenu la nécessité de prendre les organisations syndicales comme base de l’action du front unique, parce que celles-ci n’obligent le parti à aucun compromis sur ses questions fondamentales, englobent des parties très importantes des masses, et sont fondées pour les luttes partielles des ouvriers, les seules qui puissent fournir une base au front unique ; la lutte fondamentale pour le pouvoir ne pouvant se dérouler que sous la direction du parti et contre toutes les autres formations politiques.

Nous devons constater que depuis des années et des années, on a beaucoup critiqué notre position sur le front unique, on nous a traité de syndicalistes, on a écrit que nous sommes contre le front unique. Mais en définitive la seule expérience de front unique concluante que l’on a faite, c’est bien celle qui a été dirigée par notre courant alors qu’il était à la direction du parti en Italie, à travers l’Alliance du Travail. Cette formation était parvenue à englober des masses très importantes et le parti poursuivait, avec succès, sa politique qui élargissait l’influence du parti parmi les masses et à l’intérieur des syndicats.

Ailleurs nous avons vu que beaucoup de demi-manœuvres et de manœuvres ont été faites, mais toujours en dehors des masses, qui souvent n’ont pas été touchées par ce travail, et qui très souvent aussi ont trouvé dans cette fausse politique un élément de désarroi et de confusion, et non un facteur pour la lutte unitaire et efficace.

Nous concluons en affirmant que ce prétendu débouché, même provisoire, des mots d’ordre démocratiques que l’on croirait de nature à fortifier les mouvements des masses, à déjouer les manœuvres trompeuses des partis de gauche de la bourgeoisie, en revient en définitive à confondre les masses, et à désarmer les luttes ouvrières. Il s’agit là en définitive d’une soupape que nous ne devons jamais soutenir, que nous devons combattre, et que, pour mieux la combattre, nous devons nous diriger vers les organisations de masse et de classe, telles que les organisations syndicales.

Dans la discussion internationale qui précèdera la Conférence Internationale nous aurons la possibilité de confronter les expériences des différents pays, que nous croyons conclusives pour la thèse que nous soutenons.

Encore sur la question des fractions

Nous sommes obligés de revenir sur cette question à cause de l’intervention du camarade Souzo lequel, suivant son ancien système centriste, préfère s’acquitter (s’exonérer ?) à très bon marché de la discussion. Pour lui c’est simple, même trop simple et trop clair : nous sommes pour la fondation d’un deuxième parti.

Nous devons vous déclarer que vous pourrez vous évertuer à prendre telle ou telle phrase des camarades ouvriers de la fraction pour construire l’opinion que mieux peut valoir pour votre jeu polémique. Mais nous pouvons affirmer que pas un seul camarade de la fraction soutient l’idée du 2ème parti, et qu’en général toute la fraction est solidement acquise à l’opinion que ce n’est pas par la volonté de quelques groupes ou militants que cette question du 2ème parti sera résolue, mais que seuls les événements de la lutte de classe pourront demain nous obliger à cette issue de la crise communiste actuelle.

Mais ce que nous demandons par contre, à propos de nos rapports avec le parti, c’est qu’on en arrive enfin à établir une notion valable pour tous les pays, qui soit effectivement appliquée et que l’on en finisse avec le bavardage contre la prétendue opinion de notre fraction pour le 2ème parti, en laissant passer et en renforçant dans les différents pays les notions les plus contradictoires à ce sujet.

Les courants dans la Ligue

Il est très difficile de pouvoir s’orienter, de façon certaine, dans la vie intérieure de la Ligue. Nous persistons à croire que l’on est encore dans la période d’élaboration politique et tant qu’il n’y aura pas une plateforme bien définie, on ne sortira pas de la situation actuelle. La Ligue en France a des tâches très importantes à remplir. Le processus de fondation du parti communiste en France a laissé un grand nombre de problèmes de première importance qui ne sont pas encore résolus. Il appartiendra à la Ligue d’en élaborer la solution en devenant capable de résoudre les problèmes de la crise communiste.

De plus, du fait de la représentation que le cde Trotsky lui a donné, la Ligue a acquis une responsabilité internationale de premier ordre. Pour cela aussi il faudra que les querelles de personnes soient laissées de côté, et qu’un effort commun soit fait pour mettre l’organisation en condition d’aborder ses tâches.

Pour ce qui concerne le jeu des courants à l’intérieur de la Ligue, nous croyons que les erreurs de constitution de la Ligue et les erreurs qui ont été faites dans l’activité politique, ont mené à une cristallisation politique que nous croyons nuisible, et qui menace de s’aigrir et de dégénérer dans des disputes personnelles.

Un courant d’intellectuels, lesquels, surtout dans la question syndicale, s’orientent vers des positions de droite, et qui est dirigé par le cde Naville. Un autre courant, qui est représenté par le dernier Comité de la Ligue et qui nous paraît s’orienter vers des solutions prolétariennes et communistes. Entre ces deux courants, la base prolétarienne de la Ligue oscille et recherche son expression dans une base politique qui reste encore à établir.

Pour faciliter ce travail politique fondamental, nous croyons qu’il faudrait établir avant tout une ambiance de fraternelle collaboration, étant donné qu’une scission ne serait possible que sur des problèmes politiques fondamentaux. Or, la Ligue n’a pas encore établi ses fondements, et de ce fait il serait inconcevable qu’on en arrive à une scission. Nous devons aussi exprimer notre étonnement quand nous avons vu qu’il existe aussi "un groupe juif" qui a organisé une fraction à l’intérieur de la Ligue. Nous croyons que ces camarades feraient très bien de dissoudre cette formation parce qu’il ne serait pas possible de prouver que la délimitation de juif puisse correspondre à une délimitation principielle ou même tactique dans le domaine du marxisme. D’autre part, ces formations ne sont pas du tout faites pour faciliter la clarification politique, mais elles apportent de la confusion.

Il est évident que l’anarchie organisatoire doit cesser et que la Conférence doit élire un Comité dirigeant qui soit assuré de la discipline des militants et des formations de base. Si cela ne se vérifie pas, aucune possibilité de travail politique n’existera ; les expériences qui pourraient éclairer les problèmes politiques s’embrouilleront en un fatras de luttes personnelles qui finiront par menacer l’existence même de la Ligue.

Notre fraction demande aussi que le rôle négatif du Secrétariat International dans les luttes intérieures, cesse. Ce secrétariat est d’ores et déjà lié non pas à un ensemble de solutions politiques, mais à un certain groupe de camarades et se trouve de ce fait allié aux luttes personnelles après avoir perdu toute autorité pour faciliter le travail politique, et ayant par contre pris de grandes responsabilités dans la situation actuelle.

Notre fraction fera tout son effort pour contribuer au travail politique de la Ligue, ainsi qu’elle sollicite le concours de la Ligue et des autres sections de l’Opposition pour pouvoir remplir ses tâches. Mais nous ne nous dirigerons jamais dans la direction d’un appui à tel ou tel courant tant qu’une clarification sur la base politique de la plateforme ne sera pas faite.

Notre fraction et l’Opposition internationale

On a déjà soulevé ce problème. Du point de vue international, nous serions isolés, et l’unanimité idéologique contre nous serait déjà faite et mûrement faite. Une telle affirmation explique en elle-même la situation qui nous a été faite. Les provocations les plus grossières ont été faites à notre égard, et pour peu que l’on se soit décidé à faire connaître notre point de vue, on l’a fait de telle sorte que l’unanimité devait se produire avant tout examen des questions.

Nous croyons que cela doit cesser, nous croyons que de nouveaux systèmes de travail doivent être instaurés. Et ceci pas du tout dans l’intérêt exclusif de notre fraction, mais dans l’intérêt même de l’Opposition internationale. L’expérience en Allemagne est conclusive. On a fait du travail, et du travail le plus contradictoire dans les combinaisons de personnes pour arriver à priver le prolétariat allemand d’une fraction de gauche, à le mettre dans l’impossibilité de résoudre les problèmes de la crise communiste et avec eux, les problèmes de la révolution prolétarienne. En Espagne, malgré toutes les nouvelles extrêmement exagérées sur l’influence de l’Opposition, nous en sommes dans la situation très difficile qui voit progresser le centrisme. En Belgique, nous avons eu une scission, originée par la politique du "redressement du parti", et nous avons vu que de très bons éléments ouvriers qui — avec la responsabilité de tous en dehors de notre fraction - avaient soutenu la voie du 2ème parti — se sont laissés entraîner dans la voie de la scission qui a éloigné de nous des forces précieuses. Et, naturellement, la scission s’est produite parce que les cdes qui avaient accepté la position du 2ème parti dans la question des élections, ont cru que la politique de "redressement" aurait résolu la crise de leur section. La crise n’a pas été résolue et il est fort probable que, malgré la scission sur la base de la politique du redressement, à l’avenir, les mêmes erreurs du passé se répèteront.

Et du point de vue international, nous n’avons nullement progressé en face d’une situation qui nous est certainement favorable.

Quant à la question de notre isolement, et de la majorité ou de l’unanimité qui se serait faite contre nous, nous devons affirmer que ce n’est pas de pareilles majorités qui pourront nous frapper. L’état de crise en général dont souffrent presque toutes les sections qui peuvent nous condamner, est un élément qui infirme la validité de telles résolutions contraires à notre fraction.

D’un autre côté, le fait que malgré d’insignifiantes et inévitables difficultés organisatoires, notre fraction soit la seule section qui n’ait pas dû traverser les crises des autres oppositions, est un autre élément qui infirme la validité des résolutions que l’on vante.

Nous vous laissons naturellement libres d’exagérer les difficultés du travail révolutionnaire et de porter (attribuer ?) à la signification de "crise" tel ou tel épisode que notre organisation n’a pas su résoudre, mais nous sommes certains que si, par un tel procédé, vous parviendrez à altérer la vérité jusqu’à nous faire ressembler aux autres sections, par cela même vous aurez contribué, non pas à nous faire mettre en doute les positions politiques que nous défendons, mais à renforcer notre opinion sur les erreurs que vous faites.

L’Opposition Internationale doit encore examiner que notre fraction n’est pas le produit occasionnel d’une rencontre de militants qui exprimerait plutôt l’échec des événements intérieurs du parti russe, mais notre fraction a une tradition longue de plusieurs années, traditions que nous ne sacrifierons pas surtout dans les conditions politiques et organisatoires actuelles de l’Opposition Internationale.

Nous persisterons dans notre lutte contre une politique que nous croyons erronée, contre des méthodes de travail que nous persistons à croire anti-communistes ; nous défendons notre place à l’intérieur de l’Opposition Internationale mais jamais au prix d’une concession politique qui doive signifier l’adhésion insincère à tel ou tel document. Nous laissons à d’autres ce système. Les bases d’une unité avec notre fraction existent, malgré les divergences auxquelles nous ne renonçons pas parce que rien dans votre travail n’a montré la justesse de vos positions. Au contraire.

Quant à la signification elle-même des divergences, nous protestons contre ce procédé qui veut confier aux vertus d’une démocratie et d’une démocratie telle qu’elle s’est manifestée dans l’Opposition Internationale, la solution définitive qui pourrait consister dans une rupture. Il n’y a pas de majorités ou de minorités qui tiennent à ce sujet, du point de vue marxiste. Ces questions-là se règlent exclusivement sur le terrain des principes. Et nous sommes obligés de remarquer encore une fois que cette question de l’unité sur la base des principes a été résolue d’un point de vue positif par l’Internationale qui, surtout en 1920, était autre chose que le Secrétariat Administratif de l’Opposition. Le fait que vous pourriez envisager cette solution d’un point de vue négatif et de rupture ne dépose pas du tout en faveur de ceux qui croient pouvoir nous condamner et qui, de ce fait, réduiraient l’Opposition internationale à une enseigne qui ne servirait à autre chose qu’à cacher l’impuissance de cette organisation à remplir le rôle que les événements lui ont confié.

Pour ce qui concerne la compréhension de classe elle-même, nous devons vous faire remarquer que, du point de vue marxiste, cette compréhension n’est pas du tout le produit de dons naturels, mais au contraire elle est le résultat de la tension que les rapports de classe ont atteint, et de la profondeur des expériences vécues par le prolétariat.

Nous avons déjà fait observer que le fond de nos divergences avec la gauche russe réside dans des problèmes que la révolution russe n’a pas dû aborder avec l’acuité que les pays capitalistes connaîtront, ces pays capitalistes où jamais l’insurrection prolétarienne ne connaitra des circonstances aussi favorables qu’en Russie. Nous sommes persuadés que les autres sections, malgré l’unanimité proclamée très superficiellement avec la gauche russe à ce propos, ont des divergences qui se révèlent dans le fait, qu’elles ne parviennent pas à s’enraciner dans le mouvement prolétarien. Et nous souhaiterions confronter nos opinions dans un tout autre milieu que celui actuel de l’Opposition Internationale, dans un milieu où l’effort ne soit pas enfreint par la crainte de ne pas recevoir l’appui de la gauche russe et du camarade Trotsky ; notre cause générale en serait alors sérieusement avantagée.

Mais nous sommes obligés de constater qu’à l’heure actuelle, la seule organisation qui soit parvenue à se donner un document fondamental sur les questions des divergences avec la gauche russe, c’est notre fraction. Et il est possible que nous soyons l’expression — bien qu’imparfaite — des terribles expériences de ce prolétariat italien meurtri par les expériences sanglantes d’une démocratie qui est parvenue à accoucher le fascisme, faute d’un parti capable de briser, avec la violence, l’appareil démocratique de l’Etat capitaliste pour porter le prolétariat à la victoire communiste.

Libre à vous, devant une telle situation, d’exploiter telle ou telle phrase pour établir des jugements qui ne résoudront rien.

Quelle que soit la tournure des événements intérieurs de l’Opposition internationale, nous savons d’ores et déjà qu’aucune majorité ou unanimité que vous mobiliserez contre nous, ne parviendra à enlever à notre fraction le drapeau de la lutte pour le communisme qu’elle a su tenir pendant de longues années, de cette lutte qui s’identifie et s’identifiera avec la lutte pour le renforcement des fractions de gauche dans tous les pays et de la fraction de gauche internationale.