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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Watrinades
Le Père Peinard N°150 - Série 1 – 31 Janvier 1892
Article mis en ligne le 28 décembre 2019
dernière modification le 12 janvier 2020

par ArchivesAutonomies

C’est à Marseille que s’est passé le riche flanche que je vas dégoiser aux copains.

Pour commencer que je vous dise que la fabrique Fournier, dans le quartier Mauron, est un abominable bagne ousque les prolos sont bougrement plus mal qu’en Centrale.

La turne a d’ailleurs des faux airs de prison, nom de Dieu ! Y a des grands murs tout autour, que c’en est rudement pas gai. A l’intérieur, y a une chapelle, plus un fourneau économique tenu par des garces de bonnes sœurs.

C’est dire que la ratichonnerie fait là-dedans la pluie et le beau temps.

Malheur aux bonnes bougresses qui, tous les jours, ne vont pas poireauter à l’église : elles sont saquées vivement.

Celui ou celle qui veut être embauché doit aller trouver tout d’abord le curé ; si c’est une donzelle, et que sa trombine revienne au cléricochon, elle est embauchée illico. Sans lui, c’est réglé, y a pas mèche d’entrer au bagne !

Cré pétard, je m’aperçois que je déraille. Au lieu de parler de watrinade, c’est des saloperies que subissent les prolos que je jaspine. Venons-en donc au fait :

Un bon bougre, nommé Peduzzi, qui turbinait au bagne Fournier depuis un sacré bout de temps, fut saqué y a quelques semaines. Il avait, comme tous les camaros, enduré les mille misères qu’on endure dans cette sale usine : les engueulades, les amendes... la sainte chierie des contrecoups.

Aussi, nom de dieu, il ne les portait pas dans son cœur, les maudits gardes-chiourme !

Foutu à la porte, il chercha du turbin de droite et de gauche. N’en trouvant pas, il radina chez Fournier, suppliant qu’on ne le forçât pas à crever la faim. Au lieu de l’écouter, les jean-foutre du bagne se payèrent sa tête, se le renvoyant de l’un à l’autre, kif-kif une balle. A la fin des fins, on l’expédie chez le curé qui ne veut rien savoir, et le fout dehors comme un chien galeux.

Dame, à ce jeu-là, la colère empogne le bon bougre. Et comme c’est un zigue qui a du poil au ventre, il rumine une riche vengeance.

Il dégote un fusil à piston, loue une carrée juste en face le bagne Fournier, et à l’heure ousqu’il savait que les contre-coups sortaient ou entraient, se fout à l’affût derrière la fenêtre : "Le premier dés quatre qui passe sera le bon, rumine Peduzzi. Ils sont tous aussi crapules l’un que l’autre..."

Son poireautage ne fut pas long, nom de dieu ! Au bout d’un moment : pif-paf !..." le gas tirait ses deux coups, et mouchait salement un des birbes : une balle lui cassait un abattis, si bien qu’on a dû lui amputer le bras ; quant à l’autre, elle écrabouillait sa montre dans la poche de son gilet. Cette sacrée toquante lui a sauvé une belle mise, tonnerre !

Vous voyez d’ici le fouan, nom de dieu ! Turellement, on reluqua vite d’où étaient partis les coups. Si bien que quelques andouillards, entre autres un bistrot et un contre-coup, histoire de faire du zèle, grimpent l’escalier et veulent enfoncer la porte : "Bougres et feignasses ! gueule Peduzzi, y a donc pas assez de sergots pour faire la police ? Faut encore que vous vous en mêliez. Foutez-moi le camp de suite, sinon, j’ai encore deux balles dans mon flingot : elles seront pour vous..."

Les types ne se le sont pas fait répéter : ils ont décanillé dare-dare.

Quoique ça, le gas a été empaumé et foutu au bloc.

Turellement, j’ai pas besoin de dire que les torche-culs bourgeois ont prouvé clair comme du jus de chique que le contre-coup mouché est un riche fieu — tandis qu’ils agonisent le justicier de sottises.

Ils font leur métier, nom de dieu ! Y a qu’à les laisser dire et se boucher le nez.

* * *

Et de deux, nom de dieu !

Ce coup-ci ne s’est pas passé en France, mais il est trop chouette pour que je rate de le foutre sous les quinquets des copains.

C’était aussi dans les premiers jours de janvier, en Italie, à Favara, un patelin ousqu’il y a des mines.

Sur les huit heures du matin, une vingtaine de mineurs, qui devaient percher comme qui dirait aux environs, arpentaient la route, se rendant au turbin. Dans le tas y avait deux contre-coups.

Voilà qu’à un coin du chemin, une dizaine de zigues se dressent sur le bord : "Ohé, vous autres, les camaros, mettez-vous de côté, vivement, c’est pas à vos carcasses qu’on en a..." Aussitôt fait, mes loustics alignent leurs flingots sur les deux nouveaux Watrin, et, pan, pan, pan !... ils les foutent par terre comme des cochons.

* * *

Hein, les camerluches, c’est du nanan que je vous jaspine !

Pardienne, je sais bien qu’il y a des pleurnicheur qui la trouvent mauvaise : "A quoi ça sert ? qu’ils rengainent. Qu’on crève un contre-coup, un singe... qu’on en crève dix ou vingt, ça ne change rien à la mistoufle du populo. Faut s’en prendre aux institutions, et pas aux hommes..."

Les institutions, mon bonhomme, je voudrais bien savoir comment ça se bricolerait s’il n’y avait pas des jean-foutre pour les faire manœuvrer ?

C’est comme qui dirait un chemin de fer ousqu’il n’y n’aurait ni chauffeurs, ni serre-freins... une fois le charbon brûlé, la chaudière vide, un gosse lui ferait la nique.

Turellement, ce n’est pas la watrinade d’un jean-foutre, ni de dix, qui nous donnera ce qu’on souhaite.

N’importe, c’est un petiot commencement : primo, c’est des bons exemples ; deuxiémo, ça donne de l’espoir aux prolos qui voient qu’on n’est pas tous avachis ; troisiémo, ça fout la chiasse aux grosses légumes.