par ArchivesAutonomies
Véritablement, la situation actuelle est tout plein rigolote !
Voici que tout se décolle, et la vieille carcasse sociale s’en va toute seulette à l’égout.
Les grosses légumes ont tout à fait perdu la boule, ils ne savent plus à quel saint se vouer.
On l’a vu mardi, nom de dieu !
Quelques riches bougres avaient vaguement parlé de manifestance.
L’occase était en effet assez favorable : les bouffe-galette radinaient ce jour-là à l’Aquarium.
Et c’est aussi ce jour-là que se commençait au Palais d’injustice la grande fumisterie du jugement de Lesseps et sa bande.
Mais si l’occase était favorable, le temps ne l’était bougrement pas !
En hiver, il peut bien y avoir des coups de chambard amenés par la mistoufle. Rien de drôle à cela.
Pour ce qui est des manifestances politiques, elles ne sont pas de saison ; il fait trop frio ! On a les pattes qui barbotent dans la neige fondue ; la bise vous pique la peau, comme qui dirait des aiguilles... ; aussi on reste tassé dans son-coin, sans bouger !
Si les grosses légumes avaient eu un brin de jugeote dans leur citrouille, c’est le raisonnement qu’ils se seraient tenus.
Au lieu de ça, les bourriques ministérielles, le Loup-bête en tête, ont pris des mesures faramineuses.
Ils ont d’abord consigné tous les troubades dans les casernes. C’est les pauvres truffards qui devaient y trouver un cheveu !
Ah, foutre, si les jean-fesse de la gouvernance espèrent se les rendre sympathiques, par des mic-macs de ce genre, ils se fourrent bougrement le doigt dans l’œil.
Les troubades ronchonnent, et ils ont raison, nom de dieu !
Ce n’est pas tout, à quoi bon les consigner si on ne les avait pas tenus prêts à tomber sur le poil du populo ?
Or donc, on leur avait distribué des paquets de cartouche Lebel, afin de pouvoir au moindre anycroche, recommencer sur les parisiens la mitraillade de Fourmies.
En plus grand, comme de juste !
En effet, le Loup-bête n’avait qu’un dada : singer Constant-le-Massacreur et prouver qu’il a plus de poigne que lui.
Pour lors, trouvant que les fusils Lebel ne suffisaient pas, cette andouille avait fait radiner de Versailles des petits canons qu’on a baptisés les "batteries d’émeute".
Il paraît que ces canons sont construits à l’usage du populo pour les trimbaler y a besoin que d’un canas- son, de sorte qu’ils peuvent facilement circuler dans les rues, même les plus étroites.
Outre l’artillerie, le Loup-bête avait aussi fait rappliquer de la cavalerie : quèque chose comme trois mille hommes !
Et ce n’est pas qu’à Paris que cette foultitude de précautions avait été prise.
C’était kif-kif dans certaines villes de province !
On peut même quasiment dire que mardi, presque dans toute la France, la troupe a été consignée.
Autrement dit que tout le patelin était en état de siège !
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Et pourquoi toutes ces mesures ? Pour la peau, nom de dieu ! Au palais d’injustice, et dans les alentours les bons bougres, étaient rudement rares. Y avait presque personne, - à part quelque bourgeois que la curiosité avait attiré. Place de la Concorde, un peu plus de foule, turellement.
Les sergots de la centrale et une chiée de roussins en civil étaient là qui faisaient circuler ; bourrant de coups de poings les retardataires, selon leurs habitudes.
Par exemple ; vous aviez beau écarquiller vos quinquets, y avait pas mèche de reluquer la gueule d’un de ces farouches anti-sémites.
Probablement, ils manquaient de riflard. C’est pour ça qu’ils avaient jugé prudent de ne pas s’aventurer sous la petite pluie qui le matin tombait en brouillassant.
De sorte que ces avale-tout-cru n’ont avalé, ce jour-là, qu’un bifteack arrosé d’une chopinette. Pour ce qui est des socialos à la manque, pas la peine d’en rien dire ! Les grands chefs du parti s’étaient carrés chez un bistrot où ils délibéraient ferme. Il s’agissait de faire la répartition des candidatures pour les prochaines élections.
Ces bougres-là ne sont pas en retard, nom de dieu !
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Les seuls qui ont montré leur nez place de la Concorde sont les anarchos.
Ils étaient là, flairant le vent, prêts à n’importe quel grabuge.
Et, turellement, ils sont les seuls qui ont écoppé ; une vingtaine de zigues d’attaque ont été arrê- tés.
Ce n’est pas qu’ils aient fait du raffut, non !
On les a sucré par mesure de précaution : la rousse avait reconnu leurs binettes, - c’était une raison suffisante.
Les riches fieux ont été embarqués pour le Dépôt et un de ces matins ils vont passer en condamnation.
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Du côté de la gouvernance, les pitons s’allongeaient bougrement !
D’abord, les terribles précautions des grosses légumes étaient si loufoques, que si pochetée que soit le Loup-bête, il s’en rendait presque compte.
Aussi, cette grosse moule a-t-il été obligé de lâcher sa place de bourrique ministérielle.
Il va s’en retourner à Montélimart, envelopper du nougat dans du papier d’argent. C’est plus à portée de sa jugeote. Il n’a pas décanillé tout seul, nom de dieu ! Avec lui toute la racaille ministérielle a donné sa démission.
A cette démission y a une chiée de raisons, - plus sérieuses les unes que les autres.
D’abord, la trouducuterie des uns : exemple le Loup-bête.
Et surtout des fourbis plus graves : aujourd’hui c’est quasiment le secret de Polichinelle que Freycinet a mis un doigt dans le Panama.
Quèque je dis : un doigt... c’est les cinq doigt et le pouce qu’il y a fourrés !
Et il n’est pas le seul, cré pétard.
Conséquemment, y avait pas mêche que le ministère tienne sur ses quilles. A la moindre pichenette il se serait démantibulé.
Les bourriques ont proféré décaniller d’eux-mêmes !
Reste à savoir par quoi qu’on va les remplacer ?
Car enfin, y a pas à tortiller : si on veut foutre à la place des partants des birbes n’ayant jamais fricoté, n’ayant jamais touché de chèque, ça va être aussi difficile que de décrocher la lune avec les dents.
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A l’Aquarium ça a été aussi très rigolboche : il s’agissait de choisir un président.
Si les bouffe-galette n’avaient écouté que leurs sentiments, ils auraient recollé Floquet sur son perchoir.
Mais voilà, ils veulent tous frimer l’honnêteté, tant qu’il y aura mêche, et comme Floquet est un chéquard, - ça leur aurait fait du tort pour leur réélection.
De sorte, qu’après bien des magnes c’est Casimir Périer, un jean-foutre qui ne vaut pas plus chérot que les autres, qui a décroché la timballe.
* * *
Pour ce qui est du procès du Panama, ça s’est passé en douce.
Ah, nom de dieu, on voyait que les jugeurs avaient affaire à des copains.
Au lieu d’être pète-secs, comme c’est leur habitude quand ils ont en face des pauvres bougres, ils fai- saient risette aux accusés.
C’est la bouche en cul de poule que le chef du comptoir interrogeait Lesseps.
Malgré toutes ses précautions pour que ça ne fasse pas du vilain, y a une chose tout-à-fait évidente : c’est que, depuis le commencement jusqu’à la fin, le Panama a été une volerie faramineuse.
A aucun moment, ni Lesseps, ni les autres filous qui avaient emmanché l’affaire, n’ont coupé dans le canal.
Ils savaient que c’était un montage de coup espatrouillant, aussi ils n’ont visé qu’à étouffer la galette des niguedouilles.
Turellement, pour boucher la gueule aux finauds qui voyaient trop clair dans cette grande volerie, ils lâchaient les billets de mille.
Et toute la racaille palpait, cré tonnerre !
Les quotidiens bourgeois qui actuellement font les bégueules et friment, les puritains étaient bougrement arrosés.
Et les dépotés ! Et les ministres ?... Y a que les trous du cul qui n’ont pas palpé. Tous ceux qui avaient un brin de malice ont allongé la patte et on la leur a graissée.
Nom de dieu, cette vermine est si nombreuse que j’en arrive à craindre qu’il n’y ait pas assez de réverbères pour leur sales fioles !
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Hein, tout de même, étaient-ils si maboules qu’on le disait les zigues d’attaque, qui il y a quelques an- nées, diraient leur fait à toutes les tripotades de la haute ?
Ils avaient flairé le Panama et l’avait débine. Ils avaient jaugé l’honnêteté des dépotés et les traitaient de crapules.
Et pour récompenser les chouettes zigues, on leur riait au nez et on les agonisait de sottises.
C’était déjà bien gentil qu’on se contente, de les traiter de maboules.
Ils pouvaient se dire vraiment bidards si, pour les récompenser d’avoir le nez trop creux, on ne les foutait pas au ballon.
Eh bien, ils avaient raison !
De même, aujourd’hui ils ont encore raison quand ils tâtent le pouls à la garce de société actuelle, et déclarent qu’elle en est à sa crevaison.
C’est pas les canons d’émeute du Loup-bête, ni les fusils Lebel, qu’on pourra foutre en travers qui arrêteront le chambardement qui se prépare.