par ArchivesAutonomies
Nom de dieu, mince de fumisterie que ce sacré procès du Panama !
Depuis huit jours, la jugerie de Lesseps, d’Eiffel et de leurs poteaux se dévide.
Et ça se passe à la papa !
Cré pétard, on m’a changé mes marchands d’injustice !
Ils n’ont plus la tronche que je leur connais.
Ils se sont maquillés, nom d’une bombe !
Au lieu de leurs journalières gueules fielleuses, ils ont une mine tout miel et tout sucre.
Heureusement il fait frio ! Sans-quoi ils juteraient, kif-kif des bonbons fondants.
Turellement, y a pas besoin de demander à quelle sauce ils vont assaisonner les accusés ; lesquels ne se font d’ailleurs pas de bile, se sentant en sécurité.
Ils savent, en effet, que si jamais on les accroche aux réverbères, la faute n’en sera pas aux jugeurs qui leur font vis-à-vis.
Pour l’instant, ils ne craignent donc pas d’avaros sérieux.
On les condamnera, ça ne fait pas de doute !
Oh mais, ils ne seront guère salés : ils s’en tireront avec quelques mois de prison.
Les enjuponnés voudraient bien refouler sur la besogne : y a pas mèche ! Il leur faudra donner cette satis- faction au populo pour éviter de trop l’émoustiller. Quelques mois de prison !
A des bandits qui ont ruiné des chiées de familles !
A des chourineurs qui ont assassiné goutte à goutte, dans les marais de Panama, des milliers de prolos.
Quelques mois de prison !
Ça ne sera bougrement pas chérot, nom de dieu !
Quand on songe que la semaine dernière, les mêmes jugeurs ont foutu dix mois à un pauvre vieux de 73 ans, qui n’ayant rien à bouffer, avait arraché dans un champ trois carottes et un chou.
Le chou et les trois carottes... Mettons que ça vaille cinq sous.
A ce compte, chaque sou coûte au pauvre vieux deux mois de clou !
Si on appliquait le même tarif aux Panamistes qui ont barboté des centaines de millions, c’est des siècles de prison que ces crapulards ramasseraient !
* * *
A l’Aquarium, ça prend une tournure tout aussi mouche qu’au Palais d’Injustice.
Le procès qui se mijote contre les bouffe-galette chéquards n’est pas plus sérieux que celui fait à la bande à Lesseps.
La Commission d’enquête, les balades des commissaires de police, tous les micmacs dont on nous cor- né les oreilles, c’est des manigances pour dérouter le populo.
Les grosses légumes veulent nous faire gober qu’ils en pincent pour la lumière.
Tarata ! S’il s’agissait d’éteindre la camoufle, ils marcheraient et ne seraient pas en retard ; mais, la promener dans les coins obscurs pour découvrir des tas de choses dégoutatives, y a rien de fait !
Au premier moment, quand le scandale a commencé, ils ne pensaient pas que ça irait aussi loin.
Les plus morveux ont fait les crâneurs, malgré la venette qui les tenait aux fesses. N’étant pas encore découverts, ils se sont payés de toupet : "Pour prouver que nous sommes purs, y a qu’à cogner ferme sur ceux qui ont été pipés la main dans le sac..." qu’ils se sont dit.
Et illico, des jean-foutres qui, cinq minutes avant, faisaient des mamours à Rouvier et à ses copains, les ont lâché, comme une merde...
Ils espéraient ainsi tirer leur épingle du jeu.
Va te faire lan laire, nom de dieu !
Voici que de fil en aiguille tout se découvre ; à queue-Ieu-leu on apprend que les birbes qui passaient pour être les plus intègres ont fricoté de compagnie avec les plus filous !
Pas un qui ait les pattes blanches !
Les réacs, qui les premiers jours faisaient les matamores, commencent à taire leur gueule.
Chez les opportunards et les radigaleux, les honnêtes, qu’on foutait en avant à propos de bottes, sont salement débinés : jusqu’à Sa-Jean-Foutrerie Carnot qui reçoit des éclaboussures !
Chez les socialos, y a un silence qui donne bougrement à ruminer. Pas un des bouffe-galette socialards qui soit encore monté au dégueuloir de l’Aquarium ! Ferroul est muet, Lafargue itou.
Qué que ça signifie ! L’occase est pourtant belle pour eux : ils pourraient faire un pétard du diable, flétrir les vendus, et dans un jaspinage ronflant montrer l’égout aux bourgeois, en gueulant : "Voilà votre tombeau !...". Mais non, ils taisent leur bec ! C’est-y donc qu’eux aussi auraient quelques petiots chèques sur la conscience ?
Oh, tout petits ! A peine quelques maigres pièces de cent sous, car les pauvres serins ne sont guère vendables.
* * *
Tout ça, voyez-vous, ça ne fait pas rire les dépotés, nom de dieu ! Un sale coup pour la fanfare !
Que vont-ils devenir ?
Y a des chances pour que le populo ne veuille plus se laisser empaumer et qu’aux prochaines élections il refuse d’aller porter des bouts de papier dans les tinettes électorales.
Ah, s’il y avait un joint pour couper la chique aux scandales.
Quelle jubilation !
Mais non, hélas, c’est pas possible : alors, ne pouvant faire autrement, ils font semblant de chercher les chéquards.
En fermant les yeux pour ne pas les trouver !
Turellement, ils ne sont pas pour les grands moyens. Pensez donc, s’ils étaient fricassés demain, - ils auraient eux-mêmes fourni les bâtons pour se faire crosser.
Leurs malices, sont cousues de fil blanc, ils lambinent, font traîner le fourbi, et espèrent, qu’à force, de poirottages ils raseront le populo qui pensera à autre chose et ne s’occupera plus du Panama.
* * *
Si les jean-foutre de la haute avaient eu deux liards l’envie d’aller carrément de l’avant, ils auraient manœuvré d’autre façon.
La première chose était de foutre le grappin sur les grosses fortunes des bandits de Panama.
Mille dieux, y avait que ça de vrai !. Rafler leurs millions, confisquer leurs belles piôles, leurs châteaux galbeux et leurs grands domaines.
C’eût été plus mariole que de les envoyer à Mazas.
Quoi, on nous raconte que dans les fricotages du canal, Eiffel a eu 33 millions de gratte.
On avoue qu’Hébrard, une tête de veau de la Triperie Sénatoriale, directeur du Temps, le drap de lit bourgeois, a palpé un million et sept cent mille balles !
Et on ne fouinarde pas, cherchant où sont passés ces gros tas de pépettes !
Et Rouvier, et Baïhaut, et toute la fripouillerie de l’Aquarium, on sait combien ils ont reçu !
C’est reconnu, c’est certain, c’est archi-prouvé.
Et on les laisse s’engraisser avec ce pognon !
Mais, foutre ! Quand les sergots agrichent un cambrioleur qui vient de dévaliser une turne, leur premier soin est de vider les poches.
Ce qu’on fait pour le cambrioleur, pourquoi ne le fait-on pas pour les grands filous ?
C’est-y à cause que le cambrioleur ne chaparde que des petites sommes, tandis que les Lesseps, Eiffel et leur séquelle ont volé des millions ?
Évidemment, c’est pour ça !
Avec le chapardeur purotin y a pas à se gêner, tandis qu’il n’en est pas de même avec un gros richard qui a des tripotées d’amis, et qui, malgré qu’il soit à Mazas, reste quand même un des grands seigneurs de la gouvernance.
Une supposition : que toutes les crapules soient flanquées au ballon, - ça ne sera pas pour bien longtemps...
Et quand ils sortiront, ils pourront se goberger avec les monacos roustis aux bons bougres, - et nous faire la nique !
* * *
On n’a pas foutu le grappin sur les richesses des Panamistes, et on ne le fera pas, nom de dieu ! Cela seul prouve que les enquêtes et les procès ne sont qu’un battage faramineux. Est-ce à dire que la gouvernance pouvait faire autre chose, qu’elle n’a fait ? Non, foutre ! c’est pas son métier.
Elle a pour fonction de faire suer l’or aux bons bougres, - et non de faire dégorger les richards. -
Si elle se foutait sur ce pied, ça serait sa mort !
D’ailleurs, pour cette riche besogne, faut une poigne plus solide que la sienne.
Certainement, un de ces quatre matins on s’y mettra : on fera dégorger leurs fortunes aux Panamistes.
On les prendra par les pattes, et on les videra, kif-kif une sangsue bouffie de sang.
C’est le populo qui s’attellera seul au turbin.
Et, sacré, mille dieux, j’espère bien qu’après avoir vidé les Panamistes, mis en goût par ce riche fourbi, il ne prendra de repos qu’après avoir dégorgé jusqu’au dernier toute la racaille de la haute.