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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Balade chez les artisses indépendants (suite)
Le Père Peinard N°213 - Série 1 – 16 Avril 1893
Article mis en ligne le 28 décembre 2019
dernière modification le 23 décembre 2019

par ArchivesAutonomies

Ne poireautons pas parmi les niguedouilleries des trois premières salles. On les a assez vues l’autre semaine.

Dare-dare ! Pour zyeuter des couleurs plus chouettes, des sujets moins gagas, foutons le camp chez des zigues qui n’ont pas du crottin aux mirettes, radinons dans la

SALLE 4

Très épatantes les tartines de Luce. On est d’abord dans le Midi : le soleil plombe en plein ; si ça continue, la mer va bouillir comme une soupe. Pan ! Le copain nous transporte ailleurs. Plus de soleil : du brouillard. Plus de Méditerranée ; la Tamise. Mais, chez les Engliches, comme chez les bâfreurs d’ailloli, Luce est toujours à la coule.

Faut reluquer aussi les toiles de Lucien Pissarro, de Signac, de Gausson, de La Rochefoucauld, de Van Rysselberghe, de Morren, de Petitjean, de Cross : c’est farci d’air et de lumière.

Par exemple, vous approchez pas de celles d’Amiet et d’O’Connor : vous vous écorcheriez le naze — parfaitement ! Les deux gas ont foutu dans leurs cadres des truellées de couleurs — c’est comme des montagnes !

Je gobe les machines d’Ibels. Celles de Bonnard ont des tons effacés qui sont très rupins et des lignes chouettement enroulées. Maurice Denis non plus n’est pas dans un sac. Les campluches de Guilloux, c’est roublard, mais ça ne vaut pas chérot.

Un qui s’est payé la trombine des visiteurs, c’est Valloton : il nous montre une tripotée de femmes, des jeunes et des vieilles à la baignade, y en a à poil, d’autres en chemise : c’est tout plein gondolant ! Par exemple, ses gravures sur bois sont très chic.

De quoi ? de quoi ? Une robe rouge ! Un marchand d’injustice ? Un de nos sapajous de cour d’assises et de correctionnelle ? C’est pas tout à fait ça : c’est le portrait, par Iker, du journaleux Esparbès, un jean-jean qui fabrique pour les canards bourgeois des boniments patrouillotards. Oh, là là ! Qué pochetée ! Tu me fais suer des lames de rasoir, mon vieux Schnock, avec tes glapissements de "Vive l’Empereur !

Un peintre bath et râblé : Anquetin. Il nous montre tantôt un zigue qui suce un glass chez un mannezigue, tantôt une grenouille qui joue de la prunelle, dans la rue, pour embobiner les passants, ou encore des typesses qui se pavanent dans un jardin.

Une ! deusse ! Le purotin d’Émile Cavallo-Peduzzi traîne ses croquenots le long des chemins, sous un ciel sale. Il bouffe plus de vent que de bricheton et de bidoche, ça se voit ! Et s’il retournait ses profondes, je crois pas qu’il en tomberait un pétard. Pourtant, une verrée de vinasse, à la prochaine auberge, ne serait pas de trop pour lui foutre du ressort aux guiboles. Probable qu’il avait soupé de refiler la comète à la ville : il a voulu tâter de la cambrousse. Va, camara, te décarcasse pas, t’as le temps d’arriver ! Sûr, tu dégoteras au bout du trimard deux belles turnes : la prison, où on enquille les vagabonds, et l’hôpital, où les vise-au-trou et les charcutiers font crever les déchards pour apprendre à guérir les birbes de la haute. Et piges comme tu as peu de chance, non seulement tu es dans la panade, mais encore tu es peint par un sabot.

Autre prolo : celui-là se trémousse devant un four assez chaud pour fricasser le Mont-Blanc en cinq minutes. Ça fait partie d’une série de dessins au crayon noir, de Charles Angrand. Dans ces dessins faut pas chercher des détails ; le camerluche s’est occupé que des ensembles et il y a foutu de la poésie sans trouducuterie et du mystère sans battage.

La carcasse en zigzag et le coffre vide, se traînailler dans les boyaux de mine, extraire de la houille jusqu’à la gauche, s’empifrer de la poussière, et recevoir, comme distraction, des flambées de grisou — vrai, elle est bougrement triste, la vie des gueules noires ! Et G. Boch a bien rendu l’emmerdement de ces patelins de charbonnages et d’usines. Pas plan que le soleil montre ses douilles jaunes : il y a trop de fumées devant. Tout est noir, excepté les toits des corons : ces sacrés toits en tuile sont d’un rouge rigouillard, comme s’ils se foutaient de la gnolerie des prolos qui se démanchent le trou-du-cul pour arrondir la bedaine et le saint-frusquin des capitalos. Mais les crapules de richards commencent à avoir la trouille : "Un jour ou l’autre, qu’ils se disent, nos esclaves refouleront au turbin ; les pics et les pioches, après avoir, depuis des temps et des temps, tapé à la veine de la mine, iront taper aux veines des patrons miniers — sale coup pour la fanfare !..."

Pas rigolote, non plus, l’existence des Masses. Les pauvres bougresses triment dur sur le trottoir et sur le plumard, exposées aux mufleries des michés aux torgnoles des mecs et à des kyrielles de bobos ; Toulouse-Lautrec en a peinturluré une flopée, et ça •a bougrement du caractère. Tapé aussi, ses ciboulots de bourgeois fêtards, avachis par la noce. Ce qu’on te leur foutrait volontiers une livre de viande sur le coin de la gueule !...

Adolphe Albert a aussi représenté des pétasses battant leur quart dans les bals. Mais ça manque de mordant, c’est trop lichotté ; on dirait des grandes photographies total, avec de la couleur dessus. Au totade la roupie de singe.

Toujours dans la même salle : des Montfreid, des Steinlen, des Regoyos, des Ranson, des Swart, etc.

Et quand vous visiterez cette salle, les camaros, ne vous contentez pas de reluquer les tableaux, pigez aussi la hure des bourgeois.

Vous êtes-là comme qui dirait chez les anarchos de la peinture.

Et dame, tout ce qui est nouveau et hardi, y a pas de pet que les bourgeois y comprennent quéque chose. Les uns rigolent kif-kif des bourricots ;

Les autres rognent entre leurs dents ;

Et ceux qui aiment la discussion se foutent à raisonner comme un pot de chambre sous le cul d’un malade.

SALLE 5

C’est la dernière, et elle ne sera pas longue à visiter.

Cependant, ce serait dommage de ne pas reluquer les tableaux anti-révolutionnaires de Vital Guillot : on a rarement l’occasion de voir rien d’aussi loufoque.

Adrienne H’Enneirda expose des dessins décoratifs ; Jossot des caricatures ; Willumsen, un foetus en céramique (obtenu avec l’aide de la Mort-au-Gosses) ; et le sculpteur Bernard Schadet nous présente quelques gueules d’enjuponnés assez réussies : quoiqu’ils soient vilains comme des poux, ils sont encore plus beaux que nature.

Les peintres sur culottes de peau : Kirewski, Rousseau, Tenaille, etc., font un fouan des cinq cents diables dans cette salle. Leurs cadres sont pleins d’uniformes de tous calibres : des biffins, des riz-pain-sel, des culs-d’acier, etc. Turellement, ces larbins de la putain pourrie de patrie ont des gueules d’une couillonnerie à faire éternuer une borne kilométrique.