par ArchivesAutonomies
Mille marmites, les anarchos sont plus durs à digérer qu’un boisseau d’épingles.
Les socialos à la manque viennent d’en faire la sacrée expérience : s’ils n’en crèvent pas, ce sera tout juste, nom de dieu !
La parlote de Zurich a trimé trois grands jours pour réussir à expulser les délégués anarchos. Or, comme elle a duré juste une semaine, c’est quasiment la moitié de son temps et de sa peine qu’elle a usé pour étouffer la liberté...
Turellement, il s’en faut bougrement qu’elle ait réussi !
On pourrait dire que c’est le contraire : les pisse-froid ont craché en l’air et le glaviot leur est retombé sur le groin. En effet, ils ont été si salopiauds et si jésuites que leurs crapuleries ont dégoûté tous les bougres ayant deux liards de bonne foi.
C’est ainsi que Cipriani. qui, pourtant, n’est guère
méticuleux dans ses amitiés, et a la manie d’être bien avec tout le monde, y a trouvé un tel cheveu qu’il a donné sa démission de délégué. Il s’en est expliqué dans une babillarde qui vaut le coup ; je la colle sous le piton des camaros.
"Zurich, ce 9 août 1893.
"Messieurs,
"En me rendant à votre congrès, j’espérais que justice et fraternité auraient présidé à toutes ses délibérations. Mais j’ai été douloureusement trompé dans mon espérance.
"Du premier jour vous avez déployé une intolérance déplorable, indigne d’hommes qui se disent socialistes, intolérance poussée au point de me refuser la parole que j’avais demandée pour défendre des délégués brutalement expulsés de la salle du congrès sans raison aucune, et protester contre cette expulsion, indigne des idées que vous dites professer.
"Lorsqu’un congrès qui se dit socialiste pousse l’intolérance jusqu’à persécuter les idées, il cesse d’être tel et devient aussi réactionnaire que les gouvernements qui nous emprisonnent, qui nous égorgent.
"Sachez donc, messieurs les expulseurs, que ce drapeau rouge autour duquel vous vous groupez a été pris sur un monceau de trente-cinq mille prolétaires français, égorgés par les autocrates versaillais, morts pour la liberté de tous, pour le bien-être de tous, et non pour celui d’une petite caste.
"Le socialisme de nos morts n’exclut personne et signifie : union et non pas division, amour et non pas haine, liberté et non pas oppression.
"Vous, dans ces trois jours, vous avez foulé aux pieds tout cela, Messieurs, vous avez tué l’Internationale et de ce crime vous répondrez devant l’humanité, devant l’histoire.
"Quant à moi, fidèle aux principes de la véritable Internationale, qui n’est pas la vôtre, je me retire de ce congrès qui n’a rien de socialiste, pour m’unir aux expulsés, victimes de votre intolérance, et reprendre ma place de combat, et, cette fois-ci, pour empêcher que votre oeuvre liberticide et fratricide se propage et finisse de démolir celle de nos martyrs.
AMILCARE CIPRIANI.
Mais, nom de dieu, de la protestation de Cipriani faut pas conclure que les délégués français aient été tout à fait rupins. Il s’en faut, foutre ! Au premier jour, ils ont lanterné, n’osant se prononcer ni pour ni contre l’expulsion des anarchos. Ce n’est qu’au troisième jour que la honte leur est venue et qu’ils se sont prononcés contre (avec la Hollande).
A preuve le débagoulinage de ce gros patatouf d’Argyriadès. Un jour qu’il présidait (la présidence se donnait aux plus grosses barriques), il a bafouillé que les délégués français sont loin d’être anarchistes et qu’ils n’en pincent pas pour admettre les anarchos... Je te crois, gros plein de soupe ! Les anarchos sont des empêcheurs de piquer en rond dans l’assiette au beurre.
* * *
Du turbin réel de la parlote rien à dire... sauf du débinage.
Ça a été nul, vide, bête et idiot. Ça en dépasse toute imagination ! On aurait récolté sur la boule ronde une collection de grosses légumes pour les amener à Zurich que ça n’aurait pas été plus andouillard.
Des falbalas socialos, de tous les grands mots ronflants qui faisaient gober aux bons bougres qu’il y avait quèque chose dessous, de tout cela, on a fait un abattage sérieux. Si bien qu’il ne reste plus qu’un bafouillage que Guillaume-le-Teigneux lui-même signerait sans faire trop de magnes.
C’est ainsi qu’on a trouvé que les mots Révolution Sociale pétaient trop sec... Ça vous a une petite odeur de frichti à la petite marmite qui fait foirer nos pisse-froid... Or donc, dans un flanche, on les a remplacés par les mots de « Transformation Sociale ».
Cré sales chiasseurs, charognes ambitieuses ! Tandis que les bourgeois se maquillent en socialos, vous autres vous cherchez à vous faire des poires de bourgeois bien pommadés...
Ah, qu’il est bougrement plus chouette et plus profitable à la Sociale de clamer fort ses idées, et de ne pas agir en péteux, les fourrant dans sa poche avec un tire-jus par-dessus.
Jusqu’ici la grande guitare de ces fumistes avait été le décrochage d’un minimum de salaire. Ça aussi, ça a été foutu au rancard, nom de dieu !
C’est tout juste si on a gardé les huit heures de travail...
A propos des trois-huit, le délégué australien est venu dire que chez eux y a belle lurette qu’on ne turbine plus que huit heures par jour.
Et dire que parmi tous ces parloteurs il ne s’est pas trouvé un mariole pour demander si le populo en est plus heureux ?... (Eh là ! faut que je rectifie ; ce gas mariole existait probablement dans un coin de la parlote, mais il n’a pas parlé, sachant bien qu’on l’aurait fait taire illico.)
A cette question, l’australien aurait répondu que les huit heures n’ont pas coupé la chique à la mistoufle, car la dèche est aussi carabinée en Australie qu’en Europe et dans les Amériques.
D’où il faut conclure avec bibi et tous les zigues d’attaque, que si les patrons veulent nous donner les trois-huit faut pas cracher dessus — mais qu’au lieu de se démancher le troufignon pour cette foutaise il est bougrement plus galbeux de s’aligner pour le chambard général et de s’atteler sérieusement à l’échenillage des patrons et des gouvernants.
* * *
Oh, foutre, où il y a eu une sérieuse prise de bec, c’est quand on a discutaillé la question de la guerre.
Les Hollandais, qui virent de plus en plus à l’Anarchie, se sont carrément déclaré contre toute guerre entre peuples ; ils disaient que pour l’empêcher y a qu’un moyen : c’est que les bons bougres se foutent hardiment en travers. En cas de proclamation de guerre les populos intéressés devraient entrer en danse illico, et voici comme :
Primo, tous les troubades de réserve devraient refuser d’aller rejoindre leurs régiments ;
Deuxiémo, toutes les industries ayant rapport à la guerre devraient se foutre en grève ;
Troisiémo, les bonnes bougresses devraient retenir leurs hommes et leurs fistons, et faire des pieds et des pattes pour les empêcher d’aller à la guerre.
D’ailleurs, voici le riche pallas jacté par Domela Nieuwenhuis ; je le découpe dans le Temps, c’est dire qu’il est plutôt estropié qu’enjolivé ;
"Vous avez devant vous un homme réputé utopiste. Il est moins isolé que vous ne pourriez croire. Utopistes, rêveurs : on en disait autant des fondateurs de l’Internationale des travailleurs, dont l’idée a fait, depuis, un certain chemin. Je ne m’émeus donc pas de l’étiquette qu’on m’attache. J’espère vous prouver que je suis le contraire d’un utopiste.
"Deux résolutions sont en présence : la hollandaise,
qui propose quelque chose, la grève militaire, et l’allemande, qui ne propose rien. La résolution allemande est une déclaration de principes sur laquelle on est d’accord depuis un bon bout de temps ; c’est une belle phrase, et voilà tout. Ce qui importe, c’est d’adopter un moyen direct et immédiat qui arrête la guerre si elle éclate à l’improviste, si elle est déclarée demain.
"La résolution allemande dit qu’il faut nous élever de toutes nos forces contre les appétits chauvins des classes dominantes. J’ajoute, moi : et contre les appétits chauvins qui tiennent encore les ouvriers des divers pays. Ce mot est malheureusement toujours vrai : Grattez l’internationaliste et vous trouverez le patriote.
"Deux exemples récents : Bebel, au Reichstag, a dit que la Russie était pour l’Allemagne l’ennemie nationale et que, dans une guerre contre cette puissance, les socialistes marcheraient avec les bourgeois. Hier, le délégué Plekhanof disait, ici même : "Prenez garde : les cosaques vont venir ! " Il me semblait entendre la menace qu’on fait aux enfants du diable, de Croquemitaine, ou plutôt le refrain de M. de Bismarck aux bons électeurs allemands :
"Résignez-vous aux dépenses militaires ; sinon, les Russes entreront chez vous ! " Il est assez étrange d’entendre des socialistes internationaux tenir le langage du chancelier de fer. Ne voyez-vous pas que faire la moindre concession à l’esprit militaire, c’est se livrer à lui sans défense ? Le militarisme prend le doigt, puis la main, puis le bras et, finalement, le corps entier.
"Le refus de service que nous vous demandons de voter ne concerne pas l’armée active, les soldats qui seront sous les drapeaux au moment de la déclaration de guerre. Le soldat en uniforme n’est qu’un automate sur lequel une action serait impossible. Mais le soldat dans ses foyers est maître de lui. Que, dans chaque village, dix ou vingt hommes seulement refusent de marcher, qu’en fera-t-on ? Les prisons seraient trop petites pour les contenir, et il n’y aura pas assez de gendarmes pour les arrêter. On leur tirera dessus ? Eh bien, alors, ce sera la révolution. Alors, au moins, on saura pourquoi on se bat.
"Le principal but doit être d’empêcher la mobilisation : aussi, en même temps que la grève militaire, nous recommandons comme efficace la grève des industries qui sont nécessaires à la guerre, en premier lieu celle des transports. Les employés des chemins de fer et des télégraphes peuvent, à cet égard, rendre de grands services. Qu’ils brisent leurs appareils et détériorent leurs machines. Il n’en faut pas davantage pour tout arrêter : ordres et mouvements. Danton disait aux républicains français : "De l’audace ! de l’audace ! et encore de l’audace !" Le cri de Danton est notre devise.
"Ceux qui nient le caractère pratique de ces deux propositions n’ont qu’à en émettre de meilleures, au lieu de se contenter éternellement de vagues phrases. Rappelez-vous que des révolutions ont commencé par un refus du service militaire. Le 18 mars 1871, les bataillons qui ont levé la crosse en l’air à Montmartre ont fait la Commune de Paris."
Voilà qui est carré, mille dieux ! Raison de plus pour que les parloteurs de Zurich n’aient rien voulu en savoir.
A part les Hollandais et les Français (avec ceux-ci y avait qu’un ou deux Guesdistes), tous les autres pays ont voté contre la grève militaire.
A ce sujet, les canards bourgeois sont dans la jubilation : « Hein, qu’ils dégueulent, nous vous l’avions bien dit : les socialos allemands en pincent pour la guerre. Vous êtes des nigaudins en vous proclamant anti-patriotes. Maintenant y a pas à barguigner : quand l’intérêt des bourgeois sera de faire la guerre, afin de saigner les prolos, tous les socialos devront marcher. Les Alboches voulant être massacrés, faudra pas que les Français tirent à cul, sinon il seraient dupes des Allemands. » Pour un raisonnement de cheval, celui-là en est un, nom de dieu !
S’il plaît à Sadi-Crétin ou à Guillaume-le-Teigneux de foutre en marmelade un demi-million de prolos, nous autres qui avons de la jugeotte on devra se foutre à la gueule des canons allemands, pour l’idiote raison que les prolos alboches viendront se faire méliniter par les obus français ?
Zut alors, on sort d’en prendre !
D’ailleurs, sacrés chieurs d’encre, qui donc vous prouve que les hâbleries de la parlote de Zurich sont le vrai sentiment des populos ?
Pour ne parler que de l’Allemagne, vous oubliez donc que les jeunes socialos n’ont pas mis leur grain de sel dans la discussion ?
Or, les jeunes socialos sont de francs anarchos, nom de dieu ! Donc, ils en tiennent pour la grève militaire.
Et ils ne sont pas une douzaine, mille marmites ! Foutre non : y a en Allemagne des charibottées de riches fistons qui pensent pareil.
Cré pétard, c’est même ça qui fout en rogne les grands fripouillards Bebel, Singer et Cie : si les jeunes n’avaient été que trois pelés et un tondu, ces salauds n’auraient pas fait tant de magnes, ils se seraient contentés de les blaguer.
Puisque j’en suis à jaspiner sur les jeunes, que je rectifie une tapée de menteries débitées par les journaleux sur leur compte.
Ces jean-fesses rognent de ce que les jeunes sont anarchos. Aussi manœuvrent-ils pour prouver que ça n’est pas vrai... ou si peu qu’autant dire pas du tout.
Mensonges, nom de Dieu ! Une preuve suffira : le mois dernier, à l’occase de l’anniversaire de Ravachol, les jeunes ont publié un numéro spécial du Socialist.
Pourquoi foutre ainsi des crocs-en-jambe à la vérité ? Voici : jusqu’à présent les socialos alboches étaient des marionnettes bien enrégimentées qu’on citait en exemple
au populo français... sachant bien que comme abrutissoir c’était bath aux pommes !
Malheur de malheur ! Cette grande carcasse se dépiaute... et cela au profit des anarchos.
Pour des bourgeois, c’est dur à avouer, mille bombes !
* * *
Un coup saqués de la parlote, les anarchos ne se sont pas tireflutés kif-kif des péteux.
Subito, ils ont emmanché une série de conférences qui avaient lieu le soir, après le congrès officiel. Tout d’abord, les types se sont trouvés une cinquantaine, marchant carrément pour l’Anarchie.
Et foutre, faut pas croire que cette cinquantaine de zigues à la redresse étaient des vieux durs à cuire anarchos.
Non, mille dieux ! Les vieux savent de quoi il retourne : y a beau temps qu’ils sont fixés sur la jésuiterie des pontifes socialos ; aussi ils ne se sont pas décarcassés pour aller à Zurich.
Les anarchos qui s’y sont trouvés sont des jeunes.
Outre cette cinquantaine de bons fieux, y a un sacré tas des délégués de la parlote qui se sont amenés aux conférences, pour voir de quoi il retournait.
Et ils en ont été babas :
Les questions de grève générale, de guerre à la guerre, de destruction des gouvernements, de lutte économique, de propagande s’y discutaillaient richement.
Malgré la foultitude de populo présent, le calme et la bonne entente qu’il y avait contrastaient bougrement avec les chamailleries et l’autoritarisme de la parlote.
Cré petites marmites ! Voilà qui n’est pas fait pour remonter d’un cran les pontifes pisse-froid dans l’estime des bons bougres.
De l’avis des bourgeois, le congrès de Zurich a foutu un sale atout aux socialos à la manque : la rosserie du singe Singer et de ses copains a préparé leur dégringolade.
Chouette suifard ! La vermine sociale crèvera avant de décrocher l’assiette au beurre et de tenir les populos sous sa coupe.