par ArchivesAutonomies
Je supposerai connue la situation de "malaise" de l’enseignement secondaire et l’analyse qu’on en fait généralement. Le secondaire était autrefois réservé aux fils de la petite et grande bourgeoisie et menait à un diplôme ayant une valeur marchande ; une certaine communion idéologique dans la Culture y régnait entre profs et- élèves. Aujourd’hui, il est ouvert à tous jusqu’en 3° ; il est le lieu de sélection, d’élimination qu’était autrefois l’école primaire, et il est un lieu d’ennui où l’alibi du savoir utile comme celui de la culture générale n’ont plus guère cours. La reconnaissance générale de la nécessité de réformes,et l’impuissance fondamentale à en réaliser, sont bien connues aussi.
Il y aurait en fait beaucoup plus à dire sur tout cela, mais ce dont je voudrais parler, c’est la situation des profs dans cette crise. Les uns se tournent vers la réaction (AH ! le bon vieux temps de l’examen d’entrée en 6° et du latin) les plus nombreux vers le PC (l’école pour tous, telle qu’elle était autrefois pour l’élite ....) ; et un nombre assez important vers le gauchisme. Au delà des vidages spectaculaires qui se multiplient, il vaut la peine de voir de plus près cette dernière idéologie chez les profs. Et d’opposer à cette dernière solution de rechange la façon dont on peut analyser la situation en parlant simplement en tant que prof qui s’emmerde terriblement dans son boulot, d’abord parce que c’ est un boulot spécifique. Il y a pas mal de de conclusions à tirer de ce point de vue !
Il y en aurait aussi bien sûr à tirer du point de vue des élèves qui, de même s’emmerdent, etc. Mais je n’en parlerai pas parce que cela pourrait sembler être encore (puisque je suis prof) le point de vue des élèves tel que le voient les profs... Et qu’actuellement les profs qui en parlent (à savoir les gauchistes) le font pour soulager leurs mauvaise conscience de flics ; et cf. plus loin où ça mène.
Autant remarquer d’ailleurs tout de suite que je n’ai pas mauvaise conscience d’être prof. Ceci pour tous ceux qui, par vieille haine, crachent sur "le" prof comme sur le flic ou le cure, et s’interdisent par là même de comprendre les mouvements nouveaux qui agitent ce milieu et qui, pourtant, vont dans le sens d’une disparition des profs. En attendant, il se peut que les caractères propres à ce boulot (boulot de flic, c’est certain), qui me sont très pénibles, me deviennent insupportables. Mais ceci n’est pas d’ordre moral. Ni individuel.
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Donc, je considère comme mes adversaires principaux, c’est à dire comme les plus dangereux (parce que les plus proches en apparence et les plus contraires en réalité), les profs gauchistes.
On les trouve la plupart du temps militant au sein du SNES, le principal syndicat d’enseignants du secondaire - ceci dans un milieu à syndicalisation très forte. C’est un syndicat à tendances, la tendance majoritaire étant "Unité et Action" (=le PC), et la seconde en importance étant les "Autonomes" (le PS et autres gauche classique). Les gauchistes y forment les tendances "École émancipée" (vieille tendance anarcho-syndicaliste, à laquelle se sont joints les trotsks de la Ligue et la plupart des autres gauchistes) et "Rénovation Syndicale" (datant de 68 ; PSU et autres). Naturellement, on trouve aussi des gauchistes dans le SGEN syndicat rattaché à la CFDT, et hors des syndicats.
Leur thème principal, actuellement, c’est la dénonciation de la nature de l’École capitaliste". Ce qui veut dire reprendre une fois de plus les analyses qui commencent à être bien connues : ce qu’est l’école par rapport aux élèves, et le rôle qu’a l’enseignant par rapport aux élèves. Cette analyse de la répression subie par les enfants et les adolescents de par l’École, et donc de par nous, enseignants est d’ailleurs assez poussée.
Elle ne s’arrête pas au niveau des faits les plus flagrants, les plus "scandaleux" : le caractère de classe des critères de sélection, qui fait d’un fils d’ ouvrier un ouvrier ; le caractère de classe de la "culture" et du "savoir" transmis ; la transmission ouverte, même, d’une idéologie ; la répression sexuelle : etc., la préparation à la division du travail aurait un caractère capitaliste efficace même si, par impossible, elle sélectionnait "démocratiquement" dans chaque classe sociale les plus "doués" ; la répression sexuelle ouverte envers les adolescents n’ est qu’un aspect du rôle de dressage (horaires, rassemblements, travail...)par le quel l’École prépare à la survie dans la société capitaliste ; etc...
Il est certainement important que ces analyses se répandent, comme partie d’une critique de la société. De plus, pour les enseignants qui les font, le fait de se voir enfin comme flics (car c’est récent) montre qu’ils ont cessé de se trouver bien dans leur peau d’enseignants. Pour la même raison, d’ailleurs, qui en pousse quelques-uns à se suicider, et d’autres à se tourner vers des rêves réactionnaires : à savoir, la crise du système scolaire et la dévaluation du métier de prof à tous points de vue. Mais il est sans intérêt de juger ce malaise né d’ une perte de pouvoir. Ce qui importe est ce qu’il révèle et ce qu’il entraine.
L’autre grand thème de propagande des gauchistes concerne la répression subie par les enseignants (et non plus celle qu’ils font subir aux élèves). Or là, voici qu’on s’en tient aux aspects superficiels seulement. L’analyse de la répression devient une liste de cas d’exclusion assortie d’une critique de l’inspection et de la hiérarchie. Et avec quels arguments ? On nous montre uniquement que la répression en question frappe les enseignants qui ont cherché à introduire dans leurs classes, soit des discussions politiques, soit de "vrais contacts" personnels avec leurs élèves. On nous montre que l’inspection et la hiérarchie sont des incitations à ne pas tomber dans ces déviations.
Tout ça est bien sûr parfaitement exact. Mais voyons où ça mène de s’en tenir à cet aspect des choses :
L’inspecteur gâteux qui vous note après une heure au fond de la classe, et vérifie que vous parlez bien de ce qu’il faut, avec comme menace à la clef le chômage pour les Maîtres Auxiliaires et le poste loin de tout pour les titulaires débutants (les autre n’ayant en réalité pas grand chose à craindre), c’est affreux, n’ est-ce pas ? Mais si c’est affreux uniquement par la part d’arbitraire que ça comporte (mais arbitraire par rapport à quoi ?), et parce que c’est une répression sur nous pour nous faire réprimer les élèves, on en vient à proposer une sorte de "contrôle continu" des profs entre eux, par le biais des fameuses "équipes pédagogiques", rêve commun des gauchistes et des officiels modernistes. Personnellement je préfère encore être contrôlée une fois l’an que toute l’année ! Mais il paraît qu’être contre toute forme de contrôle, c’est vouloir être "un petit chef dans sa classe" (lu dans une brochure de Rénovation Syndicale)... On ne peut mieux dire que l’équipe pédagogique est réellement conçue par ces chers collègues (et pas seulement par une soi-disant récupération déformante de l’idée par le Pouvoir) comme un instrument de mise au pas...
La "note administrative", mise, elle, par le directeur, sur des critères tels que l’assiduité, la ponctualité, l’autorité etc., on nous dit (toujours RS) que c’est humiliant, et que comme les profs ne sont pas des fumistes, il ne faut pas croire qu’ils seraient toujours absents si ce n’était pas enregistré et noté ... Moi si ! Comme tous les travailleurs. A moins de croire qu’on a une mission à remplir ? Qu’on est utile à ces chers petits ? A moins ... de s’y plaire ?! On par le même, dans RS, des "cas pathologiques" pour les gens qui ne brûleraient pas d’envie de bosser. C’est complet. Les chers collègues ne nous noterons pas, ils nous rééduquerons dans leurs belles équipes, ou ils nous enverront voir un psychiatre.
Autre horreur de la guerre scolaire : transmettre, du haut de son estrade, savoir sélectionnant et idéologie bourgeoise. Mais comme ce serait chouette de passer ses journées dans un "foyer" (socio-culturel ?) à les éveiller à la vie, à la réflexion personnelle, aux libres débats démocratiques ... J’en bave. Quels contacts humains en perspective ! Et puis, comme l’a écrit le très-révolutionnaire Raymond Jean à propos de Gabrielle Russier, le rapport sexuel n’est jamais que la continuation logique du rapport pédagogique : peut-être donc je coucherai avec mes élèves. Le pied complet, en somme : la vraie vie ...à l’école !
Ça me fait penser au bouquin "Lettre à une maîtresse d’école", qui se présente comme une lettre écrite par un écolier à son ancienne maitresse d’école, sale réactionnaire qui l’avait renvoyé ou relégué parmi les mauvais élèves, je ne sais plus. Il est alors allé à l’école du curé de Barbiana, où les fils de paysan comme lui, socialement handicapés face à la culture scolaire, travaillent du matin au soir et même le dimanche, avec l’aide du curé et celle des plus grands élèves, -et il est devenu très intelligent. Il explique donc très intelligemment que l’éducation est affaire de chaque instant, et que les profs, comme les curés, devraient être profs par vocation, et rester célibataires pour être plus disponibles. Les gauchistes, eux, ne sont pas des curés, n’est ce pas, alors ils proposent plutôt de se marier...avec sa classe).
De futures profs maos m’ont fait lire ce bouquin. Outre que, future prof moi aussi à cette époque, j’ai dégueulé en y voyant ma mort, çà m’a rappelé des choses : entre autres le PC, et Jules Ferry, l’école du peuple, quoi...
D’ailleurs, c’est le même idéal, un peu modernisé, qui règne parmi les créateurs de "free schools" qui s’épanouissent en Angleterre. Ce sont de jeunes diplômés des facs anglaises qui décident d’enseigner gratis, selon les méthodes nouvelles (que je ne discute pas ici parce qu’elles n’ont d’intérêt que comme aménagement de la survie), dans des quartiers prolos, tout en survivant des allocations chômage qui sont versées par l’État anglais un tout petit peu plus généreusement que par le français. (La modernisation, qui est de taille, consiste dans l’idéologie de la "société alternative", dont on pourrait réaliser aujourd’hui des échantillons par ce type d’actions...)
Alors, en clair : il faut être maso, ou idéologue, pour avoir envie,dans quelques conditions que ce soit, "d’éduquer" des gosses rassemblés à cette fin, et de le faire chaque jour de sa vie. La répression que je subis ne commence pas au programme que je dois transmettre, au notes que je dois mettre ou recevoir, au masque de sérieux et de distance que je dois porter en classe. Elle commence à ma présence à heure fixe dans un lieu fixe pour accomplir une tâche fixe : en cela, elle ne diffère pas de celle subie par tout travailleur. Mais alors que pour d’autres elle se complique surtout par des conditions de travail pénibles et par une hiérarchie imbécile subie, pour moi la complication c’est avant tout la présence des élèves. C’est d’être un adulte avec trente adolescents. Je n’ai ni ne peux trouver aucune raison d’être là. Je n’ai pas envie de ’’leur parler", pas plus que de les "enseigner". (Couverture d’une brochure EE-RS : un prof assis sur son bureau dit à ses élèves, qui l’écoutent : "On veut bien que je vous enseigne, mais on ne veut pas que je vous parle"). Si j’étais libre, je ne chercherais pas à leur parler, je partirais.
Des rapports entre personnes d’âge et de position sociale différents, se rencontrant cependant dans un lieu et une pratique communs, hors du travail par exemple, sont évidemment possibles. Mais certainement pas dans une classe. Là, pas de pratique commune entre ce groupe forcé, réuni non pas même par l’âge, mais par l’obligation sociale, et homogène par là, et moi, qui y suis extérieure, et même opposée immédiatement (sauf peut-être dans un cas limite, celui d’une lutte radicale). Même des rapports uniquement théoriques ne sont pas possibles, car ce groupe n’est pas librement choisi, n’est pas homogène de ce point de vue.
Je ne peux donc avoir avec eux comme groupe, dans "ma" classe, qu’un rapport d’éducateur à éduqués. La seule chose que proposent les gauchistes, c’est de remplacer (?) l’éducation pour l’intégration au capital par l’éducation pour "l’éveil à la politique”. Pour croire qu’on peut ainsi jouer un rôle "révolutionnaire" dans une classe, il faut confondre la pratique sociale et la théorie qui s’y entrelace avec l’idéologie et la propagande ! Il y a d’ailleurs des variantes selon les gauchistes. Les plus vieillots veulent transmettre le dogme les plus modernistes aider les jeunes à "s’exprimer". Mais je ne vois pas l’intérêt de me changer de prof d’idéologie bourgeoise traditionnelle en prof d’idéologie pseudo-marxiste, ni celui de me changer de prof en assistante sociale, psychologue ou autre animatrice de foyer de jeunes. La manipulation n’a rien à voir avec la révolution. Et je suis incapable de me sentir quelque devoir que ce soit envers un groupe de "jeunes", ni en tant qu’adulte, ni en tant que détentrice d’un certain savoir, ni en tant que "révolutionnaire". Et pourtant, je ne suis pas non plus une des leurs (une de ce groupe forcé). Je n’ai donc rien à faire avec eux.
J’en ai donc marre d’entendre parler de l’"enseignement" et de la "nature de l’école" du seul point de vue des pauvres élèves ! Parlons un peu des pauvres profs ! Les élèves sont ma répression, comme je suis la leur ; en tant qu’élèves, ils peuvent bien crever ; jamais je n’"aimerai les 6°3", comme Hurst.
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L’Ecole aussi peut bien crever, la "libre" et future comme l’actuelle. L’École est un instrument de la société de classes. J’appelle "école" une institution qui regroupe les enfants en vue de leur éducation par des adultes ou des ainés. Et qu’ on ne vienne pas me dire qu’il faudra bien, toujours, que les enfants d’une part se socialisent, et d’autre part qu’ils apprennent autant et plus que nous pour que se maintienne et s’accroisse la productivité du travail !
Le savoir peut se transmettre autrement que par ce gâchis de vie invraisemblable. C’est d’ailleurs connu, admis, voire revendiqué, par les plus modernistes pédagogues du capital : les enfants apprennent plus par la télé qu’en cours ; et on développe la formation continue : on apprend plus vite un savoir spécialisé quand on y est "motivé". Une bonne partie des idées pseudo-révolutionnaires d’Ivan Illich ne consistent qu’à préconiser la généralisation de ce processus en cours.
Mais la socialisation des enfants ? C’est ici que L’École semble vraiment utile au Capital. S’il a créé une institution ayant cette fonction propre : socialiser les enfants, c’est que la socialisation dont il a besoin n’est pas la socialisation par rapport à une société sans classes, mais une socialisation comportant l’inoculation d’une fausse conscience sociale (d’une idéologie), et l’apprentissage du travail forcé, divisé et hiérarchisé, et de la répression en général. La socialisation par rapport à un autre type de société ne serait pas nécessairement un tel processus spécifique, séparé, dans la vie de l’enfant (famille et école). Pourquoi ne se ferait-elle pas (et mieux) par le seul fait de l’existence de l’enfant au sein des rapports sociaux réels dans leur ensemble ? Sous prétexte d’invoquer les nécessités sociales, on invoque le plus souvent les nécessités des sociétés de classes - comme lorsqu’on réplique, à qui parle d’abolition du travail séparé, "mais il faudra bien produire"...
Détruire l’École, il paraît d’ailleurs que c’est à la mode, comme idée. Faute de pouvoir, bien sûr, décrire par avance ce que pourraient être les processus non séparés de transmission du savoir et de socialisation des enfants dans une société communiste, il n’est donc peut-être pas inutile de voir ce qu’ils ne seraient de toute façon pas, en même temps que les raisons qui font naître actuellement ces descriptions de pseudo- destruction de l’École.
J’entends dire d’abord (et je lis par exemple dans les "thèses sur l’enseignement" du Manifesto [1]) que la Chine réalise en partie cette destruction. Il est un peu naïf de prendre la pénurie en écoles traditionnelles (coûteuses) pour un modèle pour la destruction de leur surabondance. Surtout, on voit bien moins en Chine la destruction de l’École que son invasion dans tous les recoins de la société. C’est vrai pour la transmission du savoir, pour les étudiants qui sont envoyés à la production et pour les ouvriers et paysans qui sont aussi envoyés à l’école. Mais ça l’est surtout pour ce qui est du processus de socialisation : que signifie l’étude du petit livre rouge à l’usine, sinon qu’après la production, l’ouvrier chinois se tape une heure d’école, et de la plus séparée qui soit,et de la plus ouvertement consacrée à l’endoctrinement idéologique ? Le capitalisme chinois est si loin de détruire l’École qu’il en ressent le besoin pour les adultes comme pour les enfants. Il faut dire que le décalage entre la phraséologie socialiste officielle et les duretés de l’accumulation primitive a bien besoin pour "passer" d’une telle dose d’infantilisation générale (au sens où l’École infantilise, d’ordinaire, les "enfants") ...
Le Manifesto cite aussi l’école de Barbiana comme exemple de "non-séparation". Dommage que la "non-séparation" de l’éducation et de la vie, ça puisse aussi bien vouloir dire l’invasion totale de la vie par l’éducation que le contraire, aussi bien la disparition de la vie que celle de l’éducation !
Le Manifesto le dit d’ailleurs clairement : pour lui, pas de société sans idéologie, sans "système de valeurs" ; pas de société, donc, sans nécessité d’"organiser le consensus" (sic) autour de son idéologie. On reconnaît là la bonne vieille "dictature du prolétariat", et le but de tout groupe politique en tant que tel : prendre le pouvoir. De la part de ceux pour qui la Russie ou la Chine sont socialistes, il n’y a évidemment pas à attendre qu’ils comprennent la nécessité de la destruction de l’École, de toute École sous quelque forme modifiée que ce soit en même temps que de la politique et de l’idéologie.
Cela explique aussi, lorsqu’ils en viennent à la fin de leurs "Thèses" à s’interroger sur la pratique possible ou réelle de profs se voulant révolutionnaires aujourd’hui, qu’ils soient incapables de la voir autrement que comme analyse et propagande sur l’École, en commun avec le mouvement ouvrier. Il n’y a pas à attendre, de la part de ceux qui veulent prendre le pouvoir, la perte d’une attitude de propagande envers les parents ou les "gens" en général, et la capacité de se reconnaître comme prolétaire luttant pour soi-même, dans et hors l’École.
Cela dit, le Manifesto, et les gauchistes en général ne s’intéressent pas à la Chine uniquement par goût de l’exotisme. Il y a quelque chose de commun (sinon l’identité qu’ils y voient) entre ce qui se passe en Chine et ce qu’ils ,ou encore ce que la tendance moderniste du Capital, voudraient voir se passer dans les pays occidentaux. D’une façon générale d’ailleurs, le gauchisme présente un amalgame de programme archaïque (lié à sa base sociale) et de projets modernistes. Cet amalgame est possible parce qu’il y a effectivement quelque chose de commun entre la tentative russe ou chinoise de socialisation sous forme d’étatisation (au sens où le Capital s’empare de l’État, et non l’inverse) pour assurer le développement du Capital à allure rapide, et la tentative occidentale de rationaliser le sur-développement du Capital pour éviter les crises (ou la crise).
En matière d’École, le rêve du Capital en Occident actuellement, serait bien de la "détruire", au sens de : supprimer son aspect séparé, lié à la transmission - d’une fausse conscience. Car cet aspect qui paraît indispensable au Capital ne va pas sans inconvénients pour lui ! L’"Utopie" du Capital, le monde où tout le procès de valorisation du capital se passerait sans heurts, harmonieusement,n’aurait même plus besoin de cela ; les rapports sociaux réels se réduiraient à son propre fonctionnement : pourquoi donc la socialisation ne se ferait-elle pas directement par les rapports sociaux réels ? Plus besoin alors d’idéologie séparée.
Pour ce qui est de la transmission du savoir, il est bien certain que l’École actuelle est archaïque et inefficace. Mais pour ce qui est de l’adaptation aux rôles sociaux et de leur acceptation (surtout celui de prolétaire), le Capital pourrait-il se passer de l’Ecole ? Sûrement pas. Il reste que cette idée correspond à son rêve, et que c’est ce rêve qu’expriment le plus souvent ceux qui aujourd’hui parlent de "destruction de l’École". Ce rêve est bien sûr une tendance partiellement réalisable, mais la contradiction entre cette tendance et celle qui consiste à imposer une idéologie toujours archaïque est aussi insoluble que la contradiction fondamentale du Capital, puisque le prolétariat ne se laisse pas réduire à un rouage de la machine ! (C’est un peu comme l’utopie de 1’automation intégrale : c’est bien une tendance, réelle du Capital, mais qui s’oppose de façon insoluble à la loi de la valeur),
En somme, alors qu’en Chine il n’y a pas de doute que c’est l’École qui pénètre toute la vie et non l’inverse, ici on peut parler d’une tendance à faire pénétrer la vie dans l’École. Tendance réelle et partielle qui se manifeste du côté du pouvoir et du côté des enseignants gauchistes, avec seulement des différences de degré. (Bien entendu, cette différence de degré est importante ; c’est elle qui fait que les tentatives des gauchistes se heurtent au conservatisme plus que celles du pouvoir, ce qui leur donne le label révolutionnaire à bon compte).
Il reste à savoir ce qu’est cette vie qui pénètre à l’École... Pour le Manifesto, c’est le "consensus" autour d’une "révolution" bureaucratique, venue ou à venir. Pour d’autres, c’est l’intérêt des jeunes pour la moto, bref leur entrée en force récente dans la consommation ; ou encore, c’est un débat pour savoir si eux condamneraient à mort ou non Buffet et Bontemps (affaire Hurst).., Dans tous les cas, il s’agit de la vie du Capital !
Même la dite libération sexuelle - quand il s’agit "d’apprendre à faire l’amour" de façon à être des individus sains physiquement et mentalement, à la mode de Reich-Carpentier - peut être considérée par le Capital comme un progrès dans sa propre régulation (cf. les pays scandinaves), malgré toutes les réactions hystériques qu’elle suscite dans certaines fractions (ou par rapport à certains aspects) du Capital. Il ne s’agit pas de nier que la levée de tabous sexuels, ou la libre discussion même dans le cadre d’une classe, puissent avoir aujourd’hui un rôle positif pour certains individus. Mais il s’agit de combattre l’idéologie qui y voit le prélude à la révolution, sans voir que c’est tout aussi bien le prélude à la bonne adaptation, surtout quand ça deviendra (et ça y tend) la nouvelle norme ! Quant au sauvetage individuel, les curés ont toujours assez bien rempli ce rôle, avant que les profs "révolutionnaires" se mettent sur les rangs !
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M’intéressent donc en priorité les luttes des enseignants eux-memes - priorité par rapport à tout ce qui est centré sur la "défense" des élèves - parce que les luttes enseignantes, sur la condition des enseignants, font pièce, de fait, à l’idéologie de l’enseignant-au-service-des-élèves, si répandue et si dangereuse.
Alors se pose, inévitable à cause du taux de syndicalisation particulièrement
fort chez les profs, la question du syndicat. D’abord un fait : on s’inscrit au syndicat, de toute façon, parce qu’il a des pouvoirs. Parce qu’il fait partie des "commissions paritaires” qui décident des mutations, des "conseils de discipline", etc.,,, bref des comités d’entreprise enseignants, et qu’il y joue un rôle réel. Par exemple, si on paie sa cotisation, on a plus de chances, en premier poste, d’être moins séparé de sa moitié légale ou non, (Les syndicats enseignants sont donc très exactement des rackets).
Mais prendre la carte, cotiser, n’est pas encore faire du syndicalisme. Seulement, il est tentant (c’est un raisonnement souvent entendu), même pour ceux, assez nombreux aujourd’hui, qui sont partiellement dégagés de l’idéologie syndicale et surtout dégoûtés par la pratique actuelle du SNES et du SGEN -, de se rendre malgré ça aux réunions syndicales et de chercher à y faire opposition à la tendance dominante. Cela en grande partie parce que les profs sont, de par leurs conditions de travail, très isolés les uns des autres, et qu’en temps ordinaire, il n’y a qu’à une réunion du SNES qu’on puisse rencontrer la moitié des profs de son lycée. Mais c’est en partie aussi parce que les profs en question ne sont pas complètement dégagés de l’idéologie syndicale. Ici il y a une légère différence entre EE, où l’on veut, classiquement, "prendre" le syndicat, et RS, où l’on veut jouer sur tous les tableaux, syndical et extra-syndical (comités de lutte), certains affirmant même préférer ce second terrain, mais ajoutant qu’il est trop peu développé pour qu’il soit raisonnable de s’y cantonner.
D’abord, sur le dégoût à l’égard du SNES (et du SGEN) : il est clair, pour les gauchistes de tout poil aussi d’ailleurs, que depuis longtemps il ne joue plus son rôle premier de défense des intérêts corporatifs, qu’il ne joue plus ce rôle qu’en faveur des plus favorisés (soutien pratique à la hiérarchie ; ex : refus de s’occuper des M.A. vidés... puisqu’ils ne font plus partie de l’enseignement !), et encore, dans des limites très étroites, fixées par la concertation (augmentations tous les 6 mois, suivant celles du coût de la vie : grèves d’un jour). Or jouer ce rôle à moitié, c’est en fait jouer un rôle de frein ; la grève rituelle coupe l’herbe sous les pieds de la grève illimitée.
Reste donc à vouloir de vraies grèves, la titularisation des M.A., des revendications salariales anti-hiérarchiques. Voilà un point d’accord avec EE et RS, qui ne tombent pas dans le panneau pseudo-radical de mépriser ce genre de luttes.
Malgré cela, il me semble que ceux qui entrent dans ces tendances pour cette raison (je ne parle pas ici des militants...) ne sont pas encore complètement débarrassés de l’idéologie syndicale.
Je ne vois pas en effet comment ces tendances pourraient obtenir le pouvoir dans le SNES sinon à une période (hypothétique) où l’état de délabrement du système scolaire aurait augmenté au point de rendre urgente au Capital - et aux enseignants en tant que liés à l’École du Capital - la refonte totale du système dans le sens modernisé que préconisent ces tendances. Dès lors, ces revendications dans EE et RS ne peuvent pas se séparer du rôle syndical de replâtrage de dernière ressource que pourraient éventuellement jouer ces tendances.
Ceci n’est pas une opposition de principe à d’éventuelles grèves sur ce genre de choses. D’ailleurs, même les grèves d’un jour sur que dalle sont les bienvenues toujours ça de pris, j’ai plus besoin de temps que d’argent. Mais c’est une opposition à une action syndicale, qui porterait sur ces points et (un et très lié) programme de réformes de ces tendances.
Le caractère intégré (et contre-révolutionnaire face à des luttes plus radicales) des syndicats enseignants n’est en effet pas dû à la direction du PC du SNES et je-ne-sais-trop-quoi du SGEN. Le problème se poserait même si EE et RS "prenaient" le SNES, Pure hypothèse, mais importante à faire. Car si le seul problème c’était les difficultés et les déceptions, dont conviennent les militants de RS eux-mêmes, dues à l’isolement impuissant des quelques sections locales gauchistes et à la "récupération" de leur action pour la vitrine démocratique du SNES, on pourrait en effet discuter tout de même de cette intervention, et vouloir par exemple allier intervention syndicale et extra-syndicale. Mais si l’on n’est pas d’accord avec ce que feraient EE et RS maîtres du SNES, alors il n’est pas question de cautionner leur ligne, sous prétexte à la fois, que ce n’est pas grave puisqu’elle est minoritaire, et que c’est un moyen d’action à ne pas négliger. (Exemple entendu : "Vous ne voulez pas vous syndiquer ? Mais alors comment pourrez vous essayer de lancer une grève sur le problème des M.A ? Donc vous vous foutez des M.A., sales titulaires !"). On peut peut-être accepter en pleine conscience de servir à cautionner le SNES-U et A, si l’on n’est pas gêné de cautionner le SNES-syndicat enseignant, si l’on a une ligne syndicale [2]. Mais on ne peut accepter de faire de l’entrisme et de cautionner EE et RS, pas plus qu’U-et-A, (le caractère minoritaire n’y change rien), si l’on ne veut pas cautionner un syndicat enseignant.
Le SNES n’a pas pour principale caractéristique la mainmise du PC et l’absence de "démocratie réelle" (toute démocratie est bien réelle, bien manipulatrice dans la délégation de pouvoir qu’elle implique). Sinon, il serait en effet réformable, ou remplaçable. Il a pour première caractéristique d’être un syndicat de profs. Or, défendre (bien ou mal) les intérêts d’un catégorie professionnelle,quand on le fait, comme les syndicats, institutionnellement, et non pas au seul niveau de luttes ponctuelles sur le salaire ou les conditions de travail, c’est toujours se placer dans le cadre admis de l’existence de cette profession. C’est proposer des réformes qui portent sur l’organisation de cette profession - puisque les problèmes ponctuels ne sont pas les seuls qui se posent à une catégorie de salariés en tant que telle. Par exemple, les syndicats ouvriers ont des vues sur l’étatisation des entreprises ou leur autogestion par les ouvriers. Or ces vues effacent la vraie question : la nécessité sociale d’une destruction pure et simple de certaines de ces entreprises, de la transformation des autres sur le plan matériel et plus profondément de la fin de la division en entreprises et de la division du travail, de l’abolition du salariat. Naturellement, les syndicats ne créent pas cette tendance, elle existe chez les ouvriers en tant qu’ouvriers de telle entreprise, mais ils l’institutionnalisent et la mythifient en en faisant le but final. Ce réformisme inhérent aux syndicats est encore plus grave que les limites qu’ils apportent aujourd’hui aux luttes sur des revendications ponctuelles.
La comparaison du SNES avec les syndicats ouvriers n’est valable que dans des limites étroites. Mais sur ce point précis, les syndicats enseignants sont encore plus enclins à cette tendance que les syndicats ouvriers, parce que les enseignants eux-mêmes le sont plus que les ouvriers. Il est assez difficile de faire avaler à un OS que le socialisme le fera encore bosser à son poste, et que s’il autogéré l’usine,après le boulot il sera heureux, mais c’est ce que les enseignants avalent presque tous. Ma plus grosse critique à EE-RS (celle qui m’empêche d’agir dans le syndicat, même avec une "position critique") est de tomber royalement dans ce panneau, et même d’y tomber d’une façon plus dangereuse, parce que plus moderne, qu’U-et-A.
D’autre part, depuis 68 se sont produites, pour la première fois, des actions non syndicales. Les thèmes en sont à la fois la défense des catégories les plus défavorisées, et la défense contre la répression avec tout ce que cela implique (analyse de l’École...et tendances réformistes). Il y a par exemple les comités de lutte des M.A, dont je ne parlerai pas faute de savoir ce qu’ils ont fait. Je connais un peu mieux les "comités de lutte enseignants" de Caen et de Marseille. Ils sont peu différents, par leurs thèmes, d’EE-RS ; ils veulent faire ce que les syndicats "devraient" faire et ne font pas. D’être extra-syndicaux leur permet du moins de ne pas cautionner la façade de la démocratie syndicale, et d’envisager des moyens d’action illégaux (ex : occupation des locaux administratifs lors des conseils de discipline). La discussion théorique y est aussi plus ouverte (ex:bulletin du CLE de Marseille -reprise des thèses du Manifesto, critique des illusions pédagogistes).
Le fond en est tout de même, et de plus en plus, la répétition de la même rengaine : prof = flic, et l’épuisement en actions ponctuelles défensives. Ce qui est actuellement inévitable, tout comité de lutte qui survit à une lutte et devient permanent ne tardant pas à avoir les caractéristiques d’un syndicat naissant, pas encore ossifié ; il ne lui manque bientôt plus que la reconnaissance comme partenaire officiel du gouvernement pour les conventions salariales et la gestion du personnel.
Il reste que l’apparition d’un besoin d’action extra- syndicale marque un changement énorme dans la condition et la conscience de soi des enseignants, et qu’a la différence des syndicats, il n’est pas impossible de participer à leurs débuts à de tels "comités" avec une position critique explicite sur les illusions réformistes qu’ils entretiennent.
Mais le type d’action le plus intéressant et le plus neuf est celui des profs du lycée d’Ivry en 71-72. Un tiers des profs du lycée (pas seulement des gauchistes) ont décidé de se mettre en grève chaque fois que l’un d’eux serait inspecté. Ça a marché pour eux, mais ne s’est pas étendu à d’autres lycées, contrairement à leur espoir, sauf celui d’Athis-Juvisv un peu plus tard. Le plus intéressant dans cette action (condamnée par le SNES) est qu’elle montre que sur ce genre de problèmes peut se faire un accord entre profs assez clair pour permettre d’inventer des formes de lutte nouvelles. Celle-ci permettrait de dépasser l’alternative : action individuelle, condamnée à l’échec (rétractation ou renvoi : c’est ce qui s’est produit pour les refus individuels d’inspection) - action approuvée par le syndicat (impossible sur l’inspection, par exemple).
Ce type d’action reste encore isolé. Mais un petit échec de l’administration, un refus général d’une contrainte ne font jamais de mal ! Évidemment, beaucoup de profs d’Ivry, réfléchissant plus avant, pensaient aux équipes pédagogiques,(toujours elles), et justifiaient leur action par rapport aux élèves par le fait que l’inspection est une des choses qui les poussent eux-mêmes à réprimer les élèves. Mais il aurait sans doute été possible de critiquer tout ç3 tout en étant parmi eux.
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En ce qui concerne les actions de profs centrées sur les élèves, il y en a de deux sortes. D’abord, le soutien a leurs luttes éventuelles. Un soutien n’est qu’un soutien, même s’il peut impliquer des actes impliquant une répression sur le prof aussi. Ça peut être, par exemple, ne pas noter les absents lors d’un meeting dans la cour. Cela peut-il être participer à cette AG ? Y dire son point de vue est parfois tentant, mais comment oublier qu’on y sera toujours le prof ! Quant à y participer comme membre, y proposer quelque chose, cela ne saurait être qu’un acte de militant propagandiste.
Jusqu’à nouvel ordre, les oppositions élèves-profs reposent sur des bases réelles qui ne disparaissent pas si vite. Elles subsistent tant que subsiste quelque chose du fonctionnement de l’École, même perturbé. Ce qui est encore le cas lors, par exemple, d’une AG de cour protestant contre une exclusion ou décidant d’une grève d’élèves. Sinon l’opposition, subsiste en tout cas la différence, l’influence, etc...Ce ne serait pas le cas, par contre, dans des actes tendant à la destruction de l’École (j’y reviendra) : mais aménager n’est pas détruire.
L’autre type d’action centrée sur les élèves qui se répand est la tentative de changer peu ou prou les rapports pédagogiques, l’autorité professorale, etc...
Les militants d’EE-RS sont dans l’ensemble d’accord pour voir "une illusion pédagogique" dans l’idée de changer ces rapports dans la seule classe - illusion très répandue chez les autres enseignants. Mais ils sont en plein dans l’illusion pédagogique au niveau de l’École entière. Et cette illusion est d’autant plus dangereuse chez ceux qui joignent le désir de moderniser le rôle de l’École dans la
société à celui de moderniser leur rôle dans leur classe. Ce sont eux qui ont compris que le prof et les élèves ne sont pas seuls dans la classe, qu’avec eux il y a le système scolaire et même le système social tout entier, qui pourront jouer un rôle contre-révolutionnaire efficace (et qui le jouent déjà face à certaines luttes).
Bien entendu comme tout un chacun je m’emmerde un peu moins quand mes élèves discutent que quand je fais un cours magistral. Mais seulement parce que c’est eux qui parlent et que moi je peux un peu glander ; ce qu’ils disent par contre, me fait aussi chier que ce que je raconte. Quant à eux, il arrive qu’ils se prennent au jeu - et par conséquent m’accepte mieux comme prof. Mais la nécessité immédiate de moins s’ennuyer ne parvient pas à faire disparaitre la complète servitude qui règne toujours dans tout cela ; bien souvent ils ne participent pas aux pauvres discussions sur sujets d’actualité (qu’ils ont par ailleurs entre eux, entre amis du moins), et moi, je n’arrive pas à faire semblant d’y croire, d’avoir envie de cette discussion forcée et faussée.
Je n’ai donc rien contre les petites "rénovations pédagogiques", si elles sont comprises et utilisées comme des moyens internes au "métier". Je n’ai pas en effet l’impression qu’elles puissent "récupérer" grand-chose, surtout à long terme. Mais j’ai quelque chose contre l’idéologie qui y voit un acte révolutionnaire.
Il arrive que les petites rénovations en question, dans certaines circonstances (participation active des élèves, souvent des plus jeunes d’ailleurs ; intervention de questions sexuelles ; conviction du prof..,), dépassent le cadre de la classe et mettent un peu de trouble dans la tête des parents et des proviseurs,et ça finit par des sanctions. Un peu de trouble ne fait pas de mal, mais cette fois à la différence de ce qui se passe dans des mouvements tels que celui d’Ivry, le point de départ même est déjà complètement idéologique, ce qui rend toute participation critique impossible. Ce qui ne veut pas dire ne pas défendre les sanctionnés... Mais alors, le problème est : comment départager défense administrative et défense idéologique ? De fait, je n’ai jamais vu d’action de défense faisant ce partage.
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Pour en revenir à une question souvent effleurée : que signifie, pratiquement ici et maintenant, "détruire l’école" ? Et comment peut-on dire à la fois qu’un peu d’agitation ne fait jamais de mal, et que les buts avoués de ces agitations (la rénovation de l’École) sont contre-révolutionnaires ?
C’est qu’en matière d’École, les seules actions, sinon révolutionnaires (il n’y aura pas de révolution à l’École !), du moins allant dans le sens d’un mouvement révolutionnaire, sont des actions complètement négatrices, sans aucune retombée dans une phase "constructrice" où l’on chercherait à poser des revendications à réorganiser, etc... Pour donner des exemples, c’est bien sûr qu’un élève ait mis le feu à son CES, ou encore (car les murs ne sont pas l’institution) que des élèves se mettent en grève ; comme c’est le cas actuellement (mars 1973), avant tout et surtout pour le plaisir de cesser de bosser. Il y a aussi la merde ayant existé pendant quelque temps (mais c’est plus rare) dans certains lycées, comme à Rodin. De la part des profs, eh bien ce serait le même genre d’actes. Je parle au conditionnel car j’ai rarement entendu parler de tels faits (par ex. des profs se baignant à poil, un beau jour, dans la piscine d’un lycée parisien), mais il existe tout de même chez certains un tel état d’esprit à l’état latent, sinon à l’ état avoué et affirmé.
De tels actes (la merde pure et simple) ne durent pas et ne peuvent pas durer s’ils restent dans le seul cadre de l’école. Ce n’est pas seulement par la vertu de la Récupération, ni même par imbécilité congénitale, que les étudiants en 68 et les lycéens aujourd’hui, sans parler des profs, ne trouvent rien de mieux à faire, quand leur grève dure un peu trop, que d’organiser des "universités populaires" ou des "contre-cours". C’est bien plutôt une limite due à leur situation sociale, limite qu’ils ne peuvent dépasser qu’en sortant déjà de cette situation en agissant autrement que comme prof, lycéen ou étudiant, sur le lieu où ils sont profs, lycéens ou étudiants.
Mais de ce fait certain il ne faudrait pas conclure trop vite au mépris pour les mouvements qui se produisent actuellement dans l’école. Cette attitude de mépris pour"les profs", "les lycéens", "les étudiants", est assez répandue parmi ceux qui ressentent violemment la duperie fondamentale qu’entretiennent ces mouvements. Mais elle traduit,en même temps que cette réaction bien justifiée, un reste d’attitude morale, et surtout, l’impuissance à comprendre que, par exemple, les lycéens actuellement sont en grève pour le rétablissement des sursis en organisant des contre-cours, et que pourtant ils sont en même temps en grève pour glander.
Cette ambiguïté que l’on trouve actuellement dans un même mouvement, et même dans un même prof, lycéen ou étudiant, deviendra un jour l’opposition violente entre révolution et contre-révolution. Mais cela ne peut se faire, et l’ambiguïté de ces mouvements ne peut être tiré au clair par l’ensemble de leurs participants,que dans un mouvement qui secouerait la société dans son ensemble (et pas plus,d’ailleurs, les écoles d’une part et les usines de l’autre, que les écoles seules).
En attendant, ce qui se passe actuellement chez les lycéens, et même ce qui
se passe chez les profs tel que je l’ai décrit (quoique encore plus ambigu),est nouveau et important. Nouveau parce que lié, quoique inconsciemment, avec ce qui se passe déjà clairement dans d’autres secteurs sociaux.
Important parce qu’il faudra bien aussi qu’il y ait destruction de l’école par ses usagers, et qu’on ne peut se contenter de dire : ces mouvements sont merdiques, laissons donc tomber ce milieu pourri ! La glorification de l’ouvrier - sans parler de la racaille militante qui va doublement travailler en usine - fait souvent suite à ce genre d’attitude critique (les situationnistes). C’est la société toute entière qui est pourrie : l’Entreprise comme l’École. La destruction de la condition ouvrière et la destruction de la condition enseignante vont de pair, même si la première,seule, peut rendre effective la seconde ; c’est la destruction de la condition salariée qui est en jeu.