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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Propos sur l’éducation
Négation, n°2, Juin 1973, p. 1-3.
Article mis en ligne le 14 novembre 2013
dernière modification le 11 février 2018

par ArchivesAutonomies

Que les portes du dialogue et de la participation s’ouvrent à leurs élèves - sous la forme d’une participation aux conseils de classe ou d’une pédagogie de plus en plus active, ou prétendue telle - bien peu de profes­seurs sont contre (à des degrés certes divers)
Que la "vie", sous forme de discussion, d’illustration, entre dans les classes de français, de langue, de phi­losophie ou à l’École Primaire, c’est même dans les Instructions Officielles
MAIS, que le moindre petit ZIZI, la plus minuscule menotte d’un enfant ou d’un adolescent essaie de s’introdui­re dans le vagin, l’anus ou la braguette d’un ou d’une camarade, alors çà, c’est plus de la philosophie, c’est de la pornographie, ALORS CA, PAS TOUCHE !
ET BEN SI ! JUSTEMENT ! VIVE TOU­CHE-TOUCHE ! VIVE LA PORNOGRAPHIE ! ! !
On est tout à fait d’accord. On le dit une bonne fois pour toutes.

Mais est-ce bien là le problème, pour nous, enseignants ?
On ne connaît pas Nicole Mercier (et vous au fait ?). Malgré l’envie qu’on en a parfois, on ne peut pas en­trer dans nos classes, braguette ouverte en disant : "Ça y est mes enfants ! Tous à poil là dedans,le jour de gloi­re est arrivé ! Apprenons à faire l’a­mour !"
Si on le faisait on se retrouve­rait vite en cabane ou à l’asile, ce qui serait encore pire que d’être en classe (et pourtant...). En tout cas, on se ferait vider,et il faudrait vendre ailleurs sa force de travail pour bouffer.
Et surtout, on poserait une fois de plus le problème à l’envers :
La modernisation de l’école sera peut-être l’oeuvre des professeurs mo­dernistes et gauchistes, pleins de bonne volonté, avides de locaux,de ma­tériel, de recyclage, soucieux de démocratiser cette vieille pute d’École Laïque et Obligatoire, qui pourront ainsi distribuer à plus de monde enco­re, et mieux, leur Savoir, (y compris en matière de sexualité ), L’ intérêt immédiat qu’ils y ont est de ne pas perdre leur pouvoir et leurs privilè­ges d’intellectuels, puisqu’il s’agit simplement d’en modifier les formes t Mais qu’ils ne viennent pas raconter à leurs élèves qu’ils les émancipent en remplaçant les colles par le dialogue et l’autodiscipline, et les disserta­tions sue Corneille ou Claudel par des exposés sur la moto, la drogue, la mu­sique Pop ou d’autres marchandises plus à la mode.
L’embêtant, dans tout çà, c’ est qu’on évite de poser la question clai­rement : Nous sommes salariés pour dis­tribuer du savoir et tenir enfermés des enfants 6 à 7 heures par jour. C’est sans doute très désagréable pour les élèves - c’est LEUR problème. Mais çà l’est aussi pour NOUS, enseignants.
C’est bien gentil de donner la pa­role a ces braves petits et de s’émou­voir de leurs découvertes sur la vi­laine société et les méchants bourgeois. Mais qu’est-ce que çà change pour nous ? Faut quand-même venir en cours et les supporter ces chères têtes blondes ! Et on n’en a pas tous les jours envie ! Même en dialoguant, même en ne corrigeant que les fautes d’ortographe de leurs textes libres afin de respecter leur pensée et leurs fan­tasmes (certaines tendances proposent d’ailleurs de respecter même les fau­tes, puisque "l’orthographe est une mandarine").
Tout ce qu’ils peuvent dire, penser, découvrir sur le capitalisme, on l’a déjà dit, pensé, découvert à leur âge, et on a même évolué depuis ! (certains d’entre nous en tout cas). Le débat théorique sur l’évolution du capita­lisme, les nouvelles formes des luttes de classe est trop pauvre avec eux pour être intéressant POUR NOUS ; et C’EST PAS PLUS DRÔLE D’ENSEIGNER LA CRITIQUE DU SYSTÈME QUE LE RESTE !
Une des choses primordiales que les gosses ont à faire pour se battre contre ce système, c’est d’abord de dire merde à leurs parents,professeurs animateurs et çà, ce ne sont pas leurs PROFESSEURS qui pourront le leur ENSEIGNER !
Ils existent et on les paie juste­ment pour l’éviter :
Nicole Mercier peut bien parler dans sa classe d’un tract sur la sexualité présentée d’une façon très at­trayante et source de beaucoup de plaisirs et de joies, pourvu que tou­tes les précautions soient prises, qu’on vote (3 fois) avant de commencer la discussion, qu’on ne fasse qu’en parlée. Il y a quelques accrochages mais elle bénéficie d’un non-lieu : le Pouvoir reconnait devant une bande de curés, de professeurs, de syndiqués et gauchis­tes divers, de zouaves du Planning et d’ELEVES ânonnant dans la rue "C’ÉTAIT PAS DE LA PORNOGRAPHIE C’ÉTAIT DE LA PHILOSOPHIE " que Sa Justice n’avait pas lieu d’intervenir - directement ré­pressive puisque Sa Pédagogie, Sa Phi­losophie et Sa Sexologie s’occupaient de tout.
Enseignants, chers collègues ! oc­cupons-nous donc de libérer notre vie à nous ! notre sexualité à nous ! Dans l’état actuel des choses, l’intérêt de nos élèves est de nous taper sur la gueule, même souriante, et le notre est ni de croire, ni de leur faire croire à la possibilité d’un aménagement du système d’éducation. Le capital a des difficultés pour adapter Son système scolaire à Ses formes nouvelles d’or­ganisation : c’est SON problème, qu’il se démerde !
Vous pensez peut-être que le sourire aguichant et télévisé dont vous affublez le masque hideux du pédagogue suffira à résoudre votre problème d’enseignant salarié et exploité ?
Ou espérez- vous faire croire que l’émancipation du prolétariat sera l’oeuvre du corps enseignant recyclé, appliquant une pédagogie résolument moderne, avec l’aide d’un budget pour l’Éducation Nationale enfin comparable à celui du Ministère de la Défense ?
Une telle illusion, un tel menson­ge sont tout à fait criminels ;. ;
Le Pouvoir nous donne à choisir : ou bien devenir quelque chose comme un animateur magouilleur, ou disposant de quelque respect et quelque audience de la part de ses élèves, ou bien rester un enseignant chahuté et ennuyeux (de plus en plus chahute et ennuyeux, car tout un tas de médias assurent la trans mission de l’idéologie autrefois assu­rée par l’école et ainsi les élèves sentent qu’il est de moins en moins nécéssaire d’être un bon écolier pour réus­sir son intégration).

Quand ils n’en font pas volontai­rement partie, les mouvements ensei­gnants du style :
A) on "libère" nos élèves (tracts discussions anti-conformistes)
B) on se fait taper sur les doigts par la partie réactionnaire du Capital et Ses représentants, mais on est sou­tenu par le PSU, le Planning Familial, le SNES, parfois, les cathos de gauche divers maoïstes et trotskystes ... ces mouvements donc, tombent dans le piège suivant : leur principal effet est d’attirer l’attention de l’opinion sur le carcan que constitue le vieux système scolaire, et sur la nécessité (pour le Capital) des réformes ! (cf. la plupart des articles parus à pro­pos de Belfort dans le Monde,le Nouvel Obs, l’Express, etc...). Ainsi, refu­sant de transmettre l’idéologie sous sa forme ancienne et dépassée,ces gens là ne sont pas autre chose que le sup­port, tout aussi dépossédé et manipulé de la nouvelle !
Le problème pédagogique, la gestion des écoles, la carence en matériel, en locaux, tout ce qui rend l’école actu­elle peu productive et les produits qui en sortent, mal adaptés au marché du travail, qu’est-ce que les ensei­gnants, exploités comme les futurs prolos qu’ils forment et par les futurs bourgeois à qui ils apprennent à lire, en ont à foutre ?
L’école de nos pères agonise et celle de nos fils avorte ? TANT MIEUX ! Qu’on les pousse au fond de leur trou et qu’elles y disparaissent !
La plus grande partie des ensei­gnants éprouve de plus en plus de dif­ficultés à "tenir" leur classe et leurs élèves, se recycle et modifie les vieux trucs pédagogiques tant bien que mal, avec plus de fatigue que d’enthousias­me.
Les plus cons et les plus dangereux sont cette recaille militante et volontaire, qui, à coups de recherche d’expériences plus ou moins couvertes par l’Administration (et parfois plu­tôt moins), s’est donné pour tache de rénover l’école (au profit du Ca­pital - puisque sans le critiquer et s’y attaquer radicalement) en y amé­nageant la misérable survie des ensei­gnants et de leurs ennemis de toujours, les élèves.

un groupe d’enseignants
Tract fait et diffusé à Grenoble en Janvier-Février 1973


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