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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Histoire de poubelle ou quand le Modernisme gravit la Hiérarchie et que le Dialogue s’engage entre gens du même Monde
Négation, n°2, Juin 1973, p. 15-16.
Article mis en ligne le 14 novembre 2013
dernière modification le 11 février 2018

par ArchivesAutonomies

Une rentrée normale au "C.E.S. rouge" du Grand-Quevilly

Rouen. - La rentré risquait d’être chaude au C.E.S. Claude-Bernard du Grand-Quevilly, dans la banlieue industrielle de Rouen. La défense s’était organisée autour de la jeune directrice de l’établissement, Mme Françoise Buffier, trente et un ans, menacée de suspension, peu avant les vacances de Pâques, par le recteur de l’académie, M. Cheval­lier, pour "incompatibilité" entre ses fonctions et ses activités syndicales (Le Monde du 11 avril).
La section locale du Syndicat général de l’éducation nationale (S.G.E.N.), dont la directrice du C.E.S. Claude-Bernard est une active militante, avait décidé de déclencher une grève illimitée à partir du 27 si Mme Rutfler perdait son poste. L’union locale C.F.D.T. et le conseil des parents d’élèves de rétablisse­ment (Fédération Cornec) soutenaient aussi la directrice, tandis que la section du parti socialiste du Grand-Quevilly et le syndicat de l’éducation surveillée de la FEN publiaient des communiqués en sa faveur.
Jeudi 26 avril, la rentrée des huit cents élèves du C.E.S. Claude-Bernard a eu lieu normalement, sous la direction de Mme Ruffier, et selon M. Chevallier lui-même, il ne sem­ble pas que celle-ci fera l’objet de sanctions. Du reste, le recteur de l’académie de Rouen se détend aujourd’hui d’avoir demandé sa sus­pension. "J’ai simplement transmis, dit-il, un dossier au ministre de l’éducation nationale concernant cer­tains faits J’ai, bien évidemment, laissé au ministre le soin d’appré­cier et de décider"
Retirer ses fonctions à la direc­trice d’un collège d’enseignement secondaire au moment précis où une circulaire ministérielle fait appel à la "fermeté" des chefs d’établisse­ment aurait paru pour le moins sur­prenant. D’autant que les "charges" retenues contre Mme Ruffier semblent bien minces ; elles seraient consti­tuées pour l’essentiel par une photo­copie d’un brouillon rédigé tu cours d’une réunion Intersyndicale sur le problème de l’inspection. Il y était demandé que les inspecteurs annon­cent leur arrivée quarante-huit heures à l’avance et qu’ils se soumettent, après l’inspection, à une discussion générale avec les enseignants. Com­ment cette photocopie - le docu­ment original reste introuvable - est-elle parvenue sur le bureau du recteur ?

Une histoire de poubelle

Le SGEN rapporte une conversa­tion entre Mme Ruffier et M. Che­vallier, au cours de laquelle ce der­nier aurait dit à la directrice du C.E.S. Claude-Bernard : "Vous n’avez pas que des amis dans votre éta­blissement. Cette note a été trouvée dans une de vos poubelles." "Quand le recteur fait touiller dans les pou­belles : méthodes policières au ser­vice de la répression", affirmait aussitôt un tract diffusé par le SGEN. Aujourd’hui. M Chevallier dément de façon d’autant plus catégorique ("Cette histoire de poubelle est une affabulation", ditl-il) que M. Joseph
Fontanet, au reçu du dossier et après entrevue avec un syndicaliste, aurait eu cette phrase : "Ce qui vient d’une poubelle retourne à la poubelle..."
Le recteur de l’académie de Rouen dresse un portrait flatteur de Mme Ruffier ("une femme peut-être un peu jeune pour diriger un tel éta­blissement, mais qui a du coffre, qui est dynamique, ses notes sont excel­lentes"), même s’il lui reproche d’avoir manqué à "l’obligation de réserve" imposée aux fonctionnaires.
Un fait, cependant, convainc la directrice du C.E.S. Claude-Bernard qu’elle est particulièrement "visée" : Mme Ruffier a récemment reçu deux lettres d’insultes anonymes contenant des menaces. Le recteur a tenu compte de ces lettres et lui a demandé un rapport justificatif. Mme Ruffier a engagé une procédure contre M Chevallier pour non-appli­cation de I’article 12 d’une ordon­nance de 1959 sur la protection des fonctionnaires. Mais le vrai fond de l’affaire est sans doute constitué par cette autre phrase du recteur, toujours rapportée par le SGEN. qui aurait dit a Mme Ruffier : "Nous n’appartenons pas à la même famille de pensée : je suis conservateur et vous êtes progressiste".
Cheveux courts, idées nettes, volonté déterminée. Mme Françoise Ruffier, dont le mari est professeur de français dans un lycée d’Elbeuf, deux enfants âgés de huit et cinq ans, dirige le C.E.S. Claude-Bernard depuis 1970. D’origine savoyarde, elle a auparavant enseigné le français, durant trois ans, à Skikda (ancienne­ment Philippeville, Algérie), avant de diriger, pendant deux ans. le lycée de jeunes filles Saint-Augustin à Bône. ’"Je sais, dit-elle, que depuis une nomination au Grand-Quevilly, le C.E.S. Claude-Bernard est considéré pat certains comme ’le C.E.S. rouge’. Tout simplement parce que j’essaie d’y promouvoir des métho­des pédagogiques modernes." Mme Ruffier a voulu "démythifier la notion d’autorité". Un certain nombre des quarante-sept enseignants de rétablissement la tutoient, les parents et les élèves assistent, comme ils le veulent, aux conseils de classes, les sanctions ont été supprimées : "Nous ne donnons aux élèves turbulents, dit-elle, que des ’rappels’ ; au bout de trois rappels, je convoque les parents, avec lesquels je cherche une solution. Cela me permet bien sou­vent de découvrir les véritables rai­sons du comportement de l’enfant."
Les origines sociales des élèves du C.E.S. Claude-Bernard sont modestes, pour la plupart fils de travailleurs de la zone industrielle de Rouen. L’éta­blissement compte 15% d’enfants d’immigrés, pour lesquels Mme Ruffier a commencé de mettre en place des classes d’arabisants.
Un foyer socio-éducatif, compre­nant seize clubs entièrement pris en main par les élèves (musique, danse, poésie, spéléologie tennis de table, cinéma, théâtre, zoologie etc), a été créé. La direction du C E S Claude-Bernard, qui a institué des groupes de niveau en sixième et cinquième, voulait également mettre sur pied une classe de quatrième "auto­gérée", dont les programmes au­raient été établis tous les quinze jours, par les enseignants et les élèves : ce projet lui a été refusé par le rectorat en juin 1972.
L’activité syndicale de Mme Ruffier est aussi dynamique : sur le pro­blème de l’inspection, la militante du SGEN ne conçoit pas qu’"en deux heures, un inspecteur arrivant à l’improviste dans une classe et troublant ainsi les rapports de confiance entre enseignants et ensei­gnés, puisse juger un travail de plu­sieurs années. Il convient de donner aux professeurs le temps de prépa­rer un dossier de leur travail et d’en discuter ensuite avec l’inspecteur. Nous ne mettons pas en cause le principe de l’inspection, mais ses modalités". A la fin de l’année sco­laire 1972, au cours d’une grande fête organisée au C.E.S. Claude-Bernard, les enseignants ont joué le rôle des élèves et inversement un inspecteur aurait été un peu tourné en dérision "Ce n’était sans doute pas bien grave, reconnaît le recteur lui-même. Du reste, je n’ai appris ce tait que récemment. C’est la preuve que ma police n’est pas aussi bien faite qu’on le prétend"

MICHEL CASTAING.

"Le Monde", du 28/4/73

Nous rappelons à l’Héroïque camarade Ruffier que les Pompiers c’est le 18, pour le jour où les flammes rougiront RÉELLEMENT son CES.


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