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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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La nécessité de la Fraction de Gauche du Parti Communiste
Bulletin d’Information de la Fraction de Gauche italienne N°6 - Février 1933
Article mis en ligne le 9 février 2020
dernière modification le 7 mai 2022

par ArchivesAutonomies

Nous publions une partie de la lettre adressée par notre CE à la Ligue des Communistes Internationalistes de Belgique. Elle traite d’un problème général et il nous apparait utile de soumettre à la discussion internationale cette contribution (sur) la nécessité des fractions de gauche des partis communistes.

La nécessité de la fraction de gauche du PCB.

Votre groupe a déclaré, à plusieurs reprises, que la divergence entre la possibilité de redresser ou non le parti, entre la politique d’opposition et celle du 2ème parti, entre d’opposition et celle de "fraction indépendante", que toutes ces divergences n’ont pas au point de vue pratique, une importance primordiale. En effet, il est certain que, quelles que soient l’étiquette et la figure pour les groupements qui agissent dans l’intention de régénéré le mouvement communiste, au point de vue pratique et immédiat, les conséquences ne sont guère différentes.

Votre déclaration nous parait être en contradiction avec la position de la "fraction indépendante" que vous défendez, puisque vous-même commencez par constater que même en se déclarant prêts à agir pour remplacer le parti, on ne se trouve pas, en réalité, dans les conditions de pouvoir le faire. Et si vous vouliez prétexter de la faiblesse de vos forces actuelles, laquelle faiblesse vous empêcherait aujourd’hui de remplacer le parti, l’expérience de 1927-28 est là pour vous prouver que lorsque la majorité du parti était derrière vous, vous n’avez nullement remplacé le parti, mais au contraire, vous vous êtes désagrégés. Et à cette époque pas de doute possible, vous suivez la voie de la fraction indépendante appuyés à ce sujet pas l’autorité du camarade Trotsky, lequel avait admis la possibilité pour la création du 2ème parti en Belgique. Si les causes de la désagrégation pouvaient être attribuées à d’autres facteurs que celui que nous indiquons, il est indiscutable que l’anémie idéologique et politique de votre groupe dépendit du fait que sa base même n’était nullement établie par la proclamation de la "fraction indépendante".

Au point de vue négatif, il est extrêmement facile de démontrer l’impossibilité de former une fraction du parti communiste, ou du moins l’incapacité pour la fraction d’obtenir actuellement des résultats dans une telle direction. Mais le marxisme n’est nullement cette méthode qui se fonde sur la constatation de telle ou telle impossibilité, pour en faire ressortir cette possibilité logique. Le marxisme est cette méthode qui nous permet d’expliquer l’impossibilité pour déterminer ensuite la base de notre action qui doit tendre à ne pas nous passer des réactions qui se produisent à l’intérieur du parti. Si nous n’établissons pas cette occasion, nous n’aurons fait que joindre à 1’impossibilité occasionnelle de faire agir les fractions, 1’autre impossibilité de les forger.

Pour la classe capitaliste l’importance de la fonction du parti est évidemment secondaire du fait que la bourgeoisie possède l’appareil de l’Etat ce qui explique aussi —au point de vue théorique- une gestion sociale contrôlée uniquement par le fascisme. Il est tout autrement pour la classe prolétarienne. Pour celle-ci, le parti est la seule forme de son expression politique, à tel point que l’on peut sans crainte affirmer que, en tant que facteur de détermination de l’évolution des événements, la classe prolétarienne existe à la seule condition d‘avoir à sa tête un parti qui se démontre capable de devenir son guide pour l’insurrection pour l’instauration de la dictature prolétariat.

Evolution des événements de classe vers l’issue révolutionnaire et aptitude du parti à guider le prolétariat vont de pair, de même que dans tout mouvement de classe la condition pour la victoire du prolétariat consiste surtout dans l’élévation du degré de conscience politique et théorique du parti, dans le perfectionnement des ressorts de cet organisme qui, seul, est capable de donner une expression réelle et historique au prolétariat. Ce qui nous mène à affirmer que, lors d’un accroissement de l’activité et de l’influence du parti, au lieu de progresser cela indiquera au contraire, notre incapacité à profiter des mouvements issus des traditions sur lesquelles se base le régime capitaliste.

Le parti s’assigne comme but celui de représenter les intérêts suprême de la classe et y parvient dans la mesure où il résout les problèmes propres des situations intermédiaires qui précèdent le précipice des antagonismes sociaux vers la révolution.

La victoire de l’opportunisme enlève au parti —ainsi transformé- la capacité de guider le prolétariat à la révolution, mais ne supprime pas, en même temps, la position de classe du parti, le parti la perd alors qu’il prend position dans l’intérêt d’une autre classe. Entre temps un processus très compliqué s’opère et ici s’affirme le rôle des fractions qui restent une expression de la lutte des classes et le facteur de leur évolution à la seule condition de se diriger vers le milieu donné, vers ce milieu de classe où se manifestent les frictions entre le prolétariat et l’opportunisme, ces mêmes frictions qui deviendront demain un heurt de classe, lorsque l’opportunisme prendra sa place parmi les forces de l’ennemi capitaliste.

Seule cette œuvre difficile nous permet de rester l’expression de la lutte des classes.

S’en écarter, se diriger dans une autre direction, signifie à notre avis, méconnaitre les bases fondamentales du marxisme et du communisme et s’exposer aux déceptions que l’opposition a connues en Belgique et dans les autres pays.

Ces considérations générales sur le parti doivent se greffer sur les conditions historiques des situations particulières. Ainsi à 1’époque de la pleine expansion du capitalisme, lors de la Première Internationale, les difficultés idéologiques et politiques étaient d’’une telle ampleur que même la génialité profonde de Marx et Engels ne parvient pas à résoudre les problèmes de 1’organisation en classe du prolétariat et le Congrès de la Haye, en décidant le transfert du Consei1 Général en Amérique, signait en fait la fin de l’Internationale. A l’époque de la 2ème Internationale, les conditions existaient pour la formation des partis et des syndicats. Mais 1’inexistence d’une solution marxiste du problème de l’action du parti à 1’égard de 1’état capitaliste, et son corollaire consistant en un faux établissement des rapports entre les partis et les syndicats, ces défauts initiaux dus aussi aux conditions historiques de 1’époque, devaient par la suite porter les partis de la Deuxième Internationale à la trahison alors que le génie de Lénine, en tout premier lieu, devait aider à la solution de ces mêmes problèmes en théorie et en fait pour le salut du mouvement communiste internationale.

La Troisième Internationale a légué, dès sa fondation de nouveaux problèmes qu’il appartenait aux partis communistes de résoudre, faute de quoi ils devaient perdre la capacité de s’acquitter de la tâche grandiose qu’ils s’étaient assignée  : de guide de la révolution mondiale. Ces problèmes nous paraissent être surtout ceux de la tactique du parti et ceux des rapports entre un Etat prolétarien et le mouvement révolutionnaire du monde entier  ? Nous rappelons ici que, dès la fondation de l’Internationale communiste, 1e camarade Bordiga proclama la nécessité de donner une solution aux problèmes de la tactique du parti, une fois que la notion même du parti avait été précisée dans les textes de la naissance de l’Internationale. S’il est vrai que, par après, cette notion du parti ait été bafouée dans la pratique, il n’en reste pas moins vrai que les notions initiales de 1’Internationale sont définitives à ce sujet. Nous rappelons encore qu’à l’Exécutif élargi de Mars1926, le camarade Bordiga proclama l’urgence pour les autres partis de 1’I.C. de venir en aide au P.C.R. Si celui-ci a fait énormément pour le prolétariat international l’heure était venue pour les prolétariats des autres pays de soulager les difficultés énormes de la classe ouvrière russe.

Même dans la phase ultime du mouvement ouvrier, dans1a phase actuelle qui précède l’ascension au pouvoir du prolétariat, les problèmes de la tactique et des relations entre l’Etat prolétarien et le mouvement ouvrier international (nous nous tenons évidemment à mentionner les problèmes qui nous paraissent capitaux), ces problèmes ne peuvent être résolus que par un organisme qui pose ses sources dans le mécanisme de la lutte des classes à l’endroit voulu. La tache des partis communistes était celle de donner à ces problèmes la solution communiste et ils y auraient réussi, nullement par une œuvre de littérature politique, mais dans la mesure où ils parvenaient à relier les luttes partielles des travailleurs avec le but suprême de l’extension de la révolution russe aux autres pays. Le fait que les partis n’y aient pas réussi est à la base de la victoire du centrisme au sein de l’Internationale tout entière.

Au point de vue dialectique, il nous paraît clair que c’est seulement en appuyant leur base sur ces organismes où la solution non communiste de ces problèmes a déterminé le succès du centrisme, en s’orientant vers les partis communistes que nous resterons en liaison avec les réactions prolétariennes à la politique de l’opportunisme.

Il est évidemment impossible de prédire dès aujourd’hui le cours des événements et d’affirmer que nous devons assister d’abord à la trahison de l’Internationale et des partis communistes pour pouvoir passer par après à l’édification des nouveaux partis. Mais il est d’ores et déjà certains( et c’est bien avec dette ferme conviction que nous avons fondé la fraction de gauche du PCI en 1928, à la Conférence de Pantin), que le centrisme est la force qui portera à la trahison les partis communistes et que c’est seulement aux fractions que revient cette tâche de compléter le patrimoine théorique du prolétariat par la résolution des problèmes que l’Internationale ne pouvait pas résoudre dès sa naissance, et dont les partis avaient assumé la tâche.

Il nous paraît vous avoir démontré que ce travail politique devient possible à la seule condition que les bases mêmes de l’organisme soient ancrées au sein même des partis communistes. Si l’on en sort volontairement, c’est qu’on proclame à l’avance que l’élaboration politique est indépendante du mouvement de classe et peut être l’attribut d’un cercle de littérature politique.

Mais une fois éclairci le problème général, il nous reste à voir la situation actuelle qui est justement caractérisée par l’impossibilité, pour les fractions de gauche, de poser leurs assises au sein des partis communistes d’où est exclu tout élément qui n’obéit pas à l’infaillibilité de la ligne politique centriste. Encore une fois, il ne s’agit pas d’opposer la réaction1a plus accentuée au régime intérieur du parti, mais il faut expliquer ce régime en liaison avec le processus de la lutte de classe et être l’expression de l’avant-garde prolétarienne.

En tout premier lieu, il faut résoudre le problème de la fonction historique de l’opportunisme lorsqu’il a conquis la direction du parti. L’opportunisme a la fonction d’embrigader l’avant-garde prolétarienne — et par conséquent le prolétariat tout entier — de l’immobiliser, de le mettre dans l’impossibilité de construire le parti de la révolution.

Si la fonction de l’opportunisme est telle au sein de la 2ème, ainsi qu’au sein de la 3ème Internationale, les situations où ces deux Internationales ont agi, déterminent deux chemins différents de l’opportunisme qui sont dirigés vers une issue analogue.

La Troisième Internationale est dirigée par un parti qui contrôle un Etat prolétarien, qui reste tel tant que la relation entre les rapports de production et les rapports sociaux reste celle qui se base sur la socialisation des moyens fondamentaux de production. Un tel parti, et par conséquent une telle internationale, se trouveront dans une situation qui ne peut pas être comparée à celle qui existait au sein des partis de la Deuxième Internationale. Ici la règle était la tolérance des fractions et la manœuvre de l’opportunisme pour garder les fractions de gauche au sein des partis socialistes, ce qui aurait mis le prolétariat dans l’impossibilité de constituer son parti de classe lorsque cette situation s’est présentée après la trahison de 1914. Un parti d’Etat possède des relations directes avec le mécanisme de la production et la puissance du centrisme acquiert une force qui était inconnue aux états-majors des partis socialistes. Ceux-ci pouvaient maintenir leur liaison avec le mouvement prolétarien, à la condition de garder dans leur sein les fractions de gauche qui représentaient les intérêts du mouvement révolutionnaire. Le centrisme peut accomplir une fonction analogue à celle des états-majors des partis socialistes, en s’identifiant avec l’Etat prolétarien, ce qui lui permet de contrôler l’avant-garde communiste et de se préserver même comme la seule expression du mouvement communiste. Les fractions de gauche peuvent dès lors être exclues et la grande majorité des ouvriers laissera s’accomplir cette expulsion pour éviter la formation de groupes au sein du parti, qui sont facilement présentés comme une menace à l’Etat prolétarien lui-même.

Cette situation spéciale de la Troisième Internationale a déjà déterminé grand nombre de capitulation qui viennent surtout de ce que les militants croient que 1’essentiel c’est de garder la liaison organique avec les partis communistes, et qui n’ont pas compris que l’essentiel c’est de construire l’organisme qui est appelé, par la nouvelle situation, à établir la solution communiste aux mêmes problèmes qui ont donné naissance au centrisme.

Une fois l’explication marxiste donnée à notre expulsion des partis communistes, il devient clair que tout en étant exclus des partis communistes, c’est seulement à la condition de travailler dans la direction de ces organismes que nous deviendrons aptes à accomplir notre tâche, que nous établirons les bases qui nous donneront la possibilité de développer une activité communiste. En effet, si nous regardons l’expérience de l’Opposition Internationale de Gauche, nous devons en conclure que le travail fondamental politique et organisatoire spécifique des fractions de gauche n’a certainement pas formé le contenu de l’activité de ces groupes. Les Oppositions se sont enlevé la possibilité d’agir dans la direction des fractions dès le moment où elles se sont assigné comme but de redresser les partis communistes sur la base même "de la direction de Lénine et Trotsky", alors que les situations ont fait surgir de nouveaux problèmes, et ont fait surgir la nécessité d’y apporter une solution pouvant garder la continuité avec "la direction de Lénine et Trotsky" à la seule condition de construire les fractions de gauche, organismes indispensables pour cette tâche.

De tout ce qui précède, il nous paraît établi que la notion de "fraction indépendante" arrive à déterminer l’indépendance des fractions de gauche du seul milieu qui peut déterminer ses bases, et par ricochet du mouvement de classe même.

En nous excluant des partis communistes le centrisme nous enlève provisoirement la possibilité de nous relier organiquement avec le gros de l’avant-garde communiste. Mais· puisque, malgré l’expulsion, nous ne renonçons pas à notre liaison avec les réactions de classe produites par la politique centriste, nous préparons les conditions pour rétablir cette liaison organique pour le jour où le précipice se déterminera et le centrisme en arrivera à l’aboutissement de sa politique, à la trahison du prolétariat. Nous seront portés à la résolution des problèmes propres du mouvement communiste, à y concentrer tous nos efforts, à en faire l’aliment de notre action politique quotidienne.

Il est évident que nous ne nous figeons pas en une position formelle et que lors des mouvements de classe, nous concevons parfaitement une action indépendante de la fraction mais après avoir rejeté la responsabilité de cette action indépendante sur le centrisme et toujours en considérant cette activité non sur la ligne du développement croissant de l’action indépendante des fractions, mais sur la ligne du renforcement des fractions de gauche et de leur retour en tant que teilles au sein des partis communistes.

Un dernier point nous reste à éclaircir. Celui relatif à la création du nouveau parti puisque c’est justement en Belgique que l’on a admis cette possibilité. A notre avis les conditions historiques pour 1a création du 2ème parti consistent dans la trahison des anciens partis. Et la notion de la trahison n’est nullement abstraite, littéraire et psychologique. Ainsi nous ne dirons pas que le centrisme a trahi, parce que telle ou telle autre de ses manifestations ne pourrait être attribuée à d’autres qu’à des capitalistes, manifestations qui répugnent à tout ouvrier communiste et qui pourtant sont bien acceptées par grand nombre d’ouvriers communistes qui sacrifient leur vie sous la direction du centrisme. La notion marxiste de la trahison nous parait devoir consister dans le passage de l’état-major centriste, qui parvient à entrainer les partis eux-mêmes, au service direct du capitalisme, ainsi que cela s’est vérifié en 1914 pour les partis de la Deuxième Internationale.

Par cette lettre, nous avons essayé de préciser une indication aux problèmes fondamentaux qui concernent les bases mêmes des fractions de gauche. Il est évident que nous nous attendons à ce que vous mettiez en évidence, par une interprétation autre que la nôtre, les expériences de l’Opposition belge.