par ArchivesAutonomies
Alors que raisonnablement, depuis plus de cinquante ans, nous pouvions penser que la "question nationale" ne constituait plus un problème pour des "révolutionnaires", pour des minorités averties, nous avons dû constater, simplement lors des guerres d’Indochine ou d’Algérie, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, que ce problème continuait à empoisonner de nombreux camarades.
I) Le problème national a son origine dans le monde bourgeois, capitaliste et impérialiste. Jusqu’en 1914, les révolutions bourgeoises mettent ce problème à l’ordre du jour.
La "libération nationale" est une revendication de la bourgeoisie opprimée par l’étranger, soit dans un pays dit "libre" soit dans un pays dit "colonisé".
A l’ère où la politique mondiale de l’impérialisme domine la vie et le destin de tous les Etats, il ne peut plus être question de guerres nationales.
Depuis plus de cinquante ans, toute guerre est par essence une guerre impérialiste, une guerre dans l’intérêt de l’exploitation capitaliste, dans l’intérêt de tous les exploiteurs.
II) Si à une certaine époque, des courants socialistes, anarchistes ou simplement "libéraux" pensaient que l’indépendance nationale avait une certaine valeur, qu’elle apportait un minimum de libertés admis dans le cadre d’une démocratie bourgeoise, nous savons que depuis plus de cinquante ans il ne peut plus en être de même c’est certain.
A notre époque, le nationalisme est incapable de constituer une étape nécessaire vers la libération des peuples, il y a une multitude d’exemples dans ce domaine. Ces mouvements nationalistes, dits mouvements d’émancipation nationale ne peuvent être ce qu’on appelle "progressif" et ne peuvent en aucun cas affaiblir les différents impérialismes bien au contraire.
Les intérêts "nationaux" ne sont qu’un moyen de duper les classes exploitées pour qu’elles se mettent au service de leur ennemi mortel : l’impérialisme.
III) Les exploiteurs ont toujours utilisé les mythes pour associer les exploités à leur politique de domination. Ils ont su utiliser le mythe de la révolution des "peuples" contre d’autres peuples exploiteurs.
Le mythe national, même issu d’une révolte contre une autre nation qui opprime, a des causes économiques dont il faut tenir compte et cela en dehors de la partie consciente du peuple. Toutes les révoltes qui ont eu lieu depuis les origines de l’humanité ne peuvent être séparées de la position sociale des différents peuples et des classes sociales qui ont provoqué ces révoltes.
Au cours des révolutions française ou russe, il est certain que des grands sacrifices ont été le lot des peuples, nous constatons que les ouvriers, que les exploités, dans ce genre d’exercice font simplement les frais de ces révolutions bourgeoises, l’une considérée de type classique et l’autre bourgeoise au sens du XXème siècle.
Le mythe nationaliste reste le moteur idéologique permettant à une classe d’en exploiter une autre. Créer une nouvelle nation, c’est créer des lois, créer des institutions, créer des administrations en fonction d’intérêts de classe.
IV) Aujourd’hui, le monde entier est contrôlé par des impérialismes qui soumettent à titre divers d’autres impérialismes moins puissants et l’ensemble des bourgeoisies nationales.
De nos jours, l’indépendance nationale signifie simplement se libérer du joug d’un impérialisme pour retomber sous le joug d’un impérialisme rival. Si certaines bourgeoisies nationales, comme celle de Cuba, d’Egypte, de France, ou d’Indonésie, par exemple, ont encore la possibilité de jouer sur plusieurs tableaux et de profiter de leur position géographique, cela est devenu impossible pour d’autres comme nous l’avons vu en 1956 dans les pays de l’Europe Orientale ou depuis plusieurs décades sur le continent américain.
La libération d’une ancienne "colonie" ne peut échapper à cette règle, nous l’avons vu récemment avec l’Algérie. Pour les travailleurs, de quelque pays qu’ils soient, il s’agit donc uniquement d’une lutte contre l’impérialisme en général dans la perspective de la suppression complète de toute exploitation.
Les nouvelles nations qui se créent doivent être aidées par de plus puissantes. L’intervention technique et financière des grandes nations est indispensable. La pénétration financière se fait sous des formes connues depuis longtemps. Chaque nouvelle nation créée signifie pour les pays plus développés économiquement de nouveaux débouchés, c’est un renforcement de l’impérialisme.
En 1965, nous voyons ces luttes d’influence au sein de différents pays non terminées comme dans l’ex-Congo Belge, dans l’Inde, au Kenya, etc. La querelle de Chypre n’a rien à voir avec l’indépendance nationale, mais reste bien au centre des conflits impérialistes. Nous voyons l’Indonésie, pays de quelque cent millions d’habitants jouer au plus offrant entre les Etats-Unis et l’URSS d’abord, entre l’URSS et la Chine ensuite. Si jusqu’à maintenant la Yougoslavie a pu faire figure d’un semblant d’indépendance, ce n’est qu’en raison de l’éloignement physique de la Russie et des gages qu’elle donne et qu’elle rappelle constamment à cette dernière.
Dans l’Europe occidentale, pourtant fortement industrialisée, nous voyons journellement la pénétration financière des Etats-Unis de plus en plus importante.
Le Marché Commun est une preuve de révolte et d’indépendance de la vieille Europe contre cette colonisation des Etats-Unis. Un esprit nationaliste sans doute européen, mais nationaliste tout de même, apparaît dans les positions des différentes bourgeoisies de l’Europe occidentale. Comme pour les autres nationalismes l’exploité n’a pas à s’associer mais à lutter contre tout impérialisme quel qu’il soit.
V) Prenant les empires coloniaux, nous constatons que leur effondrement n’a apporté aucune solution aux peuples, que ce soit pour les vingt nations créées au XIXème siècle à la suite de la chute de l’empire espagnol dans les Amériques, que ce soit au XXème siècle à la suite de la chute des empires coloniaux anglais ou français — Birmanie, Indes, Afrique du Nord, etc. bien sûr la liste est loin d’être close et ce ne sont que des exemples.
Dans tous les pays qui ont eu soi-disant accès à l’indépendance nationale, les problèmes intéressant les masses, les ouvriers et les paysans n’ont reçu aucune solution.
Dans ces pays, il y a modification du statut juridique par rapport à l’impérialisme étranger dominant mais, l’oppression impérialiste reste la même sur les exploités, elle reste entière, masquée simplement par la bourgeoisie nationaliste elle-même.
VI) Dans le cadre de l’impérialisme d’aujourd’hui, il ne peut être question d’indépendance nationale. Cette indépendance nationale d’ailleurs, n’a aucune raison d’être puisque la question essentielle est la suppression de toute exploitation sur les plans économique, politique, culturel. La suppression de toute exploitation est l’unique moyen pour éliminer l’impérialisme qui fit naître les revendications d’indépendance nationale ou de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Le développement social, freiné par les cadres nationaux, la lutte contre les impérialismes se confondent avec la lutte contre les oppresseurs nationaux. Seule l’abolition complète de toute exploitation peut résoudre le problème.
L’acceptation des mots d’ordre bourgeois "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes" ou "lutte pour l’indépendance nationale" poussent les camarades dits "révolutionnaires" ou "d’avant-garde" vers des positions purement nationalistes, ce qui signifie une participation directe et active, consciente ou inconsciente, dans un groupe ou dans un courant impérialiste.
La libération des peuples coloniaux, en l’absence d’une lutte contre la suppression de toute exploitation, est une phrase creuse, vide de sens. Le mot d’ordre entraîne inévitablement le choix entre deux impérialismes rivaux, même si des éléments révolutionnaires sincères participent à ce mouvement de révolte.
Aider les esclaves coloniaux n’est que du verbiage, une mystification inopérante, quelque doit le nombre de tracts, de journaux, etc. qui s’en réclament.
Pour les mêmes raisons, il est indispensable de rejeter le mot d’ordre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de nombreux impérialismes ont pu l’utiliser pour leurs propres intérêts. Ce mot d’ordre sans consistance permet à la bourgeoisie de disposer des forces des exploités et de les écraser. Il en est de même du mot "peuple", c’est une notion qui recouvre un amalgame confus ne permettant aucune action contre l’exploitation, but véritable de la lutte menée par les exploités.
VII) La liberté et l’indépendance d’aucune nation opprimée ne sauraient surgir de la politique des Etats impérialistes, ni résulter d’une guerre impérialiste.
Les petites nations, dont les classes dominantes ne sont que les appendices et les complices des classes dominantes des plus grands Etats et des coalitions de ces derniers, ne constituent que des pions dans le jeu impérialiste des grandes puissances et, on abuse d’elles comme on abuse des classes exploitées durant la guerre pour les sacrifier après la guerre sur l’autel des intérêts capitalistes.
L’abolition de l’impérialisme moderne, avec sa colonisation et ses sphères d’influence, est liée à la lutte contre toute exploitation, à la lutte entre les exploiteurs et les exploités. Il n’y a pas de solution intermédiaire provisoire possible.
La libération par la suppression de toute exploitation, cela ne signifiera pas l’indépendance nationale bien entendu, mais la gestion de toutes les activités économiques, dans toutes les régions par les exploités eux-mêmes.
Nations et nationalisme n’existent qu’en tant que volonté bourgeoise de diviser, d’isoler, de cloisonner les forces des exploités mais, ces notions ont cessé d’exister en tant que facteur économique valable.
Aucun soutien n’est possible, de quelque manière que ce soit, aux mouvements dit d’indépendance nationale. Ces mouvements ne peuvent être que l’expression des bourgeois nationaux de demain, des bureaucrates et des technocrates qui encadreront les ouvriers et les paysans. L’exemple de l’Algérie est assez récent pour être convaincu mais, naturellement, il en existe bien d’autres.
VIII) Le nationalisme, encore aujourd’hui, constitue la pierre de touche de l’impérialisme mondial.
À aucun moment, et sous aucun prétexte, les exploités ne pourront se lier à un mouvement national quelconque.
La lutte pour la liberté d’un "peuple" ne peut se concevoir que sur ces bases très simples :
- lutte contre les causes économiques qui provoquent les guerres,
- lutte pour la suppression de toute classe sociale donc lutte pour la suppression de toute exploitation,
- lutte pour la suppression de toute nation et de tout Etat.
La libération sera avant tout économique, sociale et culturelle. Les problèmes posés en Europe et en Afrique, en Asie et en Amérique, sont les mêmes pour tous les exploités. Les problèmes coloniaux n’ont pas été compris parce que l’exploité de la métropole lui-même a été incapable de comprendre ses propres problèmes.
L’économie moderne a un caractère universel ; au XXème siècle, les nationalismes ne sont pas un processus nécessaire, l’indépendance nationale ne peut que couvrir une nouvelle exploitation. La conception nation entraîne la dépendance de l’homme, la négation de l’homme en tant qu’individu.
La bataille doit être engagée sans distinction de race et de couleur. La fin de toute exploitation et la libération de tout individu ne peut se faire que contre tout nationalisme.