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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Pourquoi "Lutter"
Lutter N°1 – OCA – 1er trimestre 1977
Article mis en ligne le 14 février 2022

par ArchivesAutonomies

La revue Lutter est l’expression de la volonté d’un certain nombre de militants libertaires — groupés dans l’Organisation Combat Anarchiste — de créer un lieu de confrontation des acquis de différentes pratiques révolutionnaires, de donner un moyen à l’élaboration permanente du projet révolutionnaire, de rendre possible une critique plus pertinente et plus actuelle du système capitaliste et étatique qui nous opprime, en bref de devenir une tribune du combat anarchiste. Il s’agit de faire avancer à partir de nos propres expériences de lutte, à travers l’analyse des différents mouvements sociaux en cours, et le travail sur l’événement et l’information, des solutions non pas d’alternative mais de rupture, s’inscrivant dans un processus véritablement révolutionnaire. Dans les lignes qui suivent nous allons tâcher de suggérer quelques uns des points communs de notre démarche ainsi que quelques repères nécessaires à la compréhension de notre trajet.

Pratique et projet révolutionnaire

Ce n’est pas un idéal (l’anarchie) qui nous unit mais un combat. Le projet (communiste libertaire) que nous avons en commun est l’expression directe, l’émanation du champ d’interférence des pratiques révolutionnaires. La pratique (travail de transformation exercé sur un objet déterminé dont le résultat est la production de quelque chose de nouveau) est révolutionnaire dans la mesure où son produit entre en contradiction avec les éléments donnés de l’objet sur lequel elle a agi.

Nous ne tenons nullement à ériger les larges orientations (anti-étatique et anticapitaliste) de notre combat et ses constantes (libertaires) en une théorie, voire une idéologie "scientifique" ou pas ; il s’agit de constituer un lieu de rencontre, de stimulation et d’incitation à de telles pratiques de façon à ce que d’une part leur autonomie et d’autre part leur réalisation dans les meilleures conditions, soient assurées.

Fraction révolutionnaire - Avant garde

En tant que fraction révolutionnaire spécifique des travailleurs en lutte nous sommes conscients que de fait, le combat anarchiste ne concerne qu’une minorité formée par ceux qui s’y inscrivent directement. Ceci ne doit pas enlever au projet - communiste libertaire - sont caractère global ; parce que :

  • de "droit" la majorité de la population est concernée par ce combat et son projet ;
  • notre combat ne peut atteindre ses objectifs immédiats et lointains qu’une fois généralisés et menés par tous ceux qui sont concernés.

Nous rejetons toute volonté-vélléité avant-gardiste de représentation (démagogique et/ou répressive). Tous ceux qui sont concernés par nos luttes tout en ne s’y inscrivant pas directement, sont nos camarades. Nous manifesterons notre solidarité non pas en les représentant mais en faisant tout pour détruire ce qui fait qu’ils ne mènent pas notre combat.

Anticapitaliste

La destruction du capitalisme signifie la transformation des rapports sociaux de production capitaliste — d’exploitation — dans des rapports sociaux de production socialiste — de collaboration. Dans ce processus la division sociale du travail disparaîtra progressivement et le salariat sera aboli. Ceci n’est possible qu’à travers l’expropriation généralisée et autogestionnaire des moyens de production par les producteurs directs eux-mêmes. Mais il n’y a pas de véritable prise en charge de la production par l’ensemble des travailleurs si ceux-ci ne changent pas radicalement le type de production qu’ils ont subi : changer les relations sociales de production veut dire produire différemment, autre chose. Les luttes même partielles des travailleurs doivent s’accompagner d’une réflexion critique concernant leur activité productive, les possibilités de lui donner un contenu différent à un moment donné ou même l’abandonner en faveur d’une autre. Il ne s’agit pas de rendre plus efficace la barbarie productive du Vieux Monde, mais d’en finir une fois pour toute avec son irrationalité qui nous opprime.

Les rapports de production ne sont qu’un aspect des relations sociales ; on leur accorde la priorité dans la mesure où, d’une part l’activité productive est nécessaire à la société humaine pour se reproduire en tant que telle et d’autre part parce que la production constitue le lieu où les relations sociales se manifestent le plus clairement.

L’autogestion des luttes d’aujourd’hui prépare les travailleurs à l’expropriation autogestionnaire ; l’autogestion des luttes n’est possible que si les travailleurs deviennent capables d’autogérer leur propre vie, d’être autonomes vis-à-vis des institutions étatiques qui les oppressent, souvent en dehors, mais aussi par rapport à la production.

L’autonomie ne s’acquiert que par le combat contre l’Autorité ; ce combat est anarchiste. L’anarchisme n’est pas seulement la négation de l’Autorité mais aussi et en même temps l’affirmation de l’Autonomie.

Anti-étatisme

La destruction du capitalisme implique la destruction de l’État et la lutte constante contre toutes les formes qu’il peut revêtir. L’État n’est pas une abstraction bénéfique ou maléfique ; il a une existence bien concrète à laquelle la société se heurte dans toutes ses démarches sans en être souvent pour autant consciente. Il a pour nom Armée, Police, Gouvernement, Prison mais aussi Famille, École, Église, Mass-média, Partis ou même Syndicat. L’État est la matrice organisante de ces institutions qui constituent ses Appareils ; l’État est le dénominateur commun de ces institutions dans leur contenu répressif vis-à-vis de la société. Il coordonne et assure le fonctionnement et la légitimité de ces institutions qui, par conséquent, consacrent son existence et sa nécessité.

Les institutions dont nous parlons sont des systèmes érigés en normes à un moment historique donné, selon les intérêts d’une certaine couche ou classe sociale. L’existence de ces institutions impliquent la répression constante (physique et/ou idéologique) de tous ceux dont on n’a pas pris en compte les intérêts (la classe ouvrière et aussi certaines catégories sociales, ethniques et sexuelles).

Qu’il soit plus ou moins perçu ou affirmé ce conflit a une existence objective : il oppose celui qui subit l’institution (l’institué) à celui qui en a l’exercice et/ou à celui dont les intérêts fondent l’institution (l’instituant). Il y a donc une majorité assujettie "instituée" par une minorité "instituante".

Être anarchiste c’est combattre jusqu’au bout l’institution à laquelle on se heurte de part ses conditions données d’existence, tout en tenant compte des luttes menées par les autres vis-à-vis des institutions étatiques qui les concernent. En tenir compte, cela veut dire ne jamais perdre de vue le processus révolutionnaire dans lequel on s’inscrit spécifiquement, faire avancer sa propre démarche et l’articuler par rapport à celle des autres, dont on est activement solidaire, s’organiser de sorte qu’il y ait un renforcement de la cohésion globale révolutionnaire.

Libertaire - Autoritaire

Si être autoritaire, c’est vouloir à tout prix contrôler et diriger les institutions étatiques en promettant de leur donner un contenu différent tout en renforçant leur caractère normatif-autoritaire, être libertaire c’est lutter frontalement contre ces institutions, de telle façon que les travailleurs, donc la société, puisse se réaliser pleinement et librement contre toute tentative d’une minorité d’imposer aux autres quoique ce soit et d’en tirer des privilèges en conséquence. Être libertaire, voir les syntagmes dont il peut faire partie (communisme libertaire, pratique libertaire de masse, ...) c’est lutter contre la bourgeoisie tout en s’attaquant à son organisation de classe, l’État, dont le principe de fonctionneraient est l’Autorité instituée.

Le politique - La politique

Si la politique est la forme d’organisation et de direction des communautés humaines, à travers les institutions étatiques, et le maintien de l’ordre dans le but d’assurer la domination d’une classe sur une autre, l’objectif des révolutionnaires ne peut qu’être apolitique. Apolitique dans la mesure où l’activité politique spécialisée est une façon de consolider l’État, donc de faire durer à son profit la lutte des classes, en empêchant ainsi son aboutissement. La politique doit être combattue et non reproduite.

Mais cela n’est possible que si l’on tient compte du Politique — l’état du rapport des forces entre les classes à un moment donné — qui est une donnée objective. D’autant plus que la politique est fondée sur l’occultation et la manipulation du politique et de ses potentialités. La dénonciation de la politique à partir de l’analyse du politique doit être une dimension du combat anarchiste.

Des groupes autonomes à l’autonomie de classe

A la suite du congrès international des Fédérations anarchistes (Paris juillet 1971), des groupes autonomes et des individus isolés, face à leur "non-représentation commune" décident de créer un bulletin de coordination : Confrontation Anarchiste. Quelques mois plus tard, à Brive, les groupes en question décident la création de Coordination Anarchiste, organisme de liaison inter-groupes (boîte postale nationale, régionale, etc.). Entre 1972 et 1975 se déroulent les activités de la Coordination Anarchiste ; mais progressivement on assiste à des actions de plus en plus ponctuelles et sans suite notable. On assiste à trois tendances dans les groupes autonomes ; repli sur eux mêmes et ainsi transformation en groupes affinitaires, activisme, et enfin pure propagande idéologique. Cette crise n’a pas manqué de se répercuter dans le fonctionnement de la Coordination Anarchiste entre 1975-76. Ainsi certains éléments ont commencé d’avancer des projets et des pratiques en rupture avec l’ancienne C.A.. Lors de l’Assemblée Générale d’Orléans (17, 18 et 19 avril 1976) l’adoption d’un document "Repères pour un anti-étatisme militant" et la décision de donner un contenu organisationnel à la C.A. a consommé cette rupture et entraîné le départ de certains camarades.

Enfin, l’Assemblée Nationale de Grenoble les 30, 31 et 1er novembre 1976 a entériné les transformations en cours, en décidant la création de l’Organisation. Combat Anarchiste et la publication de la revue Lutter.

C’est d’une part par rapport au misérabilisme des différentes fédérations anarchistes et à la dégénérescence des cadres confédéraux, d’autre part à la crise des groupes autonomes qui ont joué un rôle important mais limité, que s’est créée l’O.CA. Cela correspond à la nécessité ressentie par des militants libertaires, en majorité travailleurs, de s’inscrire dans des structures plus stables de lutte avec un projet plus structuré et plus global. Ce n’est qu’une pratique constante de la lutte de classe qui peut déclencher la guerre de classe et rendre ainsi possible l’affirmation de l’autonomie ouvrière. L’affirmation de notre volonté et nécessité d’autonomie, ne passe plus pour nous, membres de l’O.CA, par les groupes autonomes, mais par l’autonomie de classe dont le débouché est le communisme libertaire.

O.C.A.