par ArchivesAutonomies
L’IDÉOLOGIE [1]
Jusqu’à présent l’information et le pouvoir ont soigneusement évité de relier pollution et politique [2]. Jamais n’ont été évoquées les sources, l’origine économico-sociale des "nuisances". Point de campagne de presse sur la traduction en réalité polluante d’un système économique : le capitalisme industriel. Mais la bourgeoisie a fort bien compris pour sa part que tout est politique, y compris et surtout la pollution. Aussi s’efforce-t-elle de masquer à tout prix ce caractère. De là, la conception, l’attitude purement idéologiques adoptées devant ce phénomène qu’elle ne peut plus cacher. Elle y trouve aussi, et peut-être surtout, un moyen nouveau et convaincant de résister à la montée mondiale de la lutte des classes. Comment mieux dévier l’énergie des exploités pour la prise de pouvoir de tous leurs aspects de leur vie que par cette substitution : "n’occupez plus les usines, c’est dépassé, occupons-nous tous ensemble de combattre la catastrophe qui nous menace tous : la pollution généralisée" ?
L’histoire nous enseigne de tels exemples de récupération et de déviation par les pouvoirs installés. Ainsi la guerre de 1914, a été certes, un moyen de résoudre les contradictions inter-impérialistes, mais aussi cela apparaît clairement, une occasion voulue et recherchée de s’opposer à l’internationalisme prolétarien naissant par la relance du nationalisme. Au nom de "l’union sacrée", les "patriotes oubliant" leurs intérêts de classe s’étripèrent pour la grande joie des bourgeoisies, soulagées et solidement maintenues au pouvoir. De même transparaît de nos jours la tentative d’une relance d’une nouvelle "union sacrée" face à la pollution qui nous "concerne tous, patrons et prolétaires".
En outre, fidèle à l’image qu’elle voudrait donner d’elle-même, la bourgeoisie insiste toujours sur sa "mission humanitaire". Rien ne lui convient plus qu’une lutte pour le mieux-être de l’homme. Quelle magnifique occasion d’améliorer son image de marque qui en avait tant besoin [3].
Après deux siècles d’existence en tant que classe au pouvoir, la bourgeoisie ne peut plus se défendre de l’accusation qui lui est faite de sauvegarder ses intérêts privés. Aussi tient-elle particulièrement à proclamer que la défense de ses privilèges ne l’empêche pas de penser à l’intérêt public. Et puis, il semble difficile dans un monde techniquement développé (l’Hémisphère Nord grosso modo) d’effrayer le bon peuple par la perspective d’une guerre internationale (on garde en réserve le péril jaune). Mais comment sérieusement faire croire à une possible guerre contre l’Allemagne, ou même la Russie ? Or, la peur est une arme de domination [4]. On rameute le peuple en le terrorisant. On le réunit contre un danger imaginaire au besoin, et non pour qu’il s’occupe de ses propres affaires.
De ce fait, la psychose d’une "terreur polluante", d’une "nouvelle apocalypse comme en l’an 1000" pourrait servir à ramener sous les ailes de la mère-poule du pouvoir, le peuple égaré dans la lutte des classes. En laissant entendre bien sûr : "nous, classe organisée au pouvoir, et nous seuls, par la puissance de notre technologie, pouvons lutter contre la pollution. Laissez-nous en le temps et donnez-nous en les moyens" (d’où quêtes diverses ; envoyez les sous ; création récente du comité de sauvegarde et de rénovation de la forêt méditerranéenne).
Il est très instructif de suivre la façon dont le "grand public" a été abondamment informé des nuisances diverses. Si l’on analyse tout particulièrement les informations de masse (télé, radio, journaux à grand tirage, revues spécialisées) on peut voir où mène le chemin suivi. Dans un premier temps, il y a étalage d’images-chocs, de bourrage de crâne pour sensibiliser l’opinion jusqu’à ce que nous "nous sentions tous concernés". La conscience du problème établie, la "terreur" ou du moins la peur et l’inquiétude installées, il faut que le peuple dépasse ce stade et en arrive à la révolte contre une société qui condamne à une telle vie. Mais après l’angoisse, on amène le tranquillisant : "la technologie (et non le système, distinguo de taille) qui, nous le reconnaissons, a amené la pollution, porte en elle-même les remèdes efficaces. C’est un problème de temps, et maintenant que nous participons tous, c’est un problème de moyens. Braves gens ! puisque nous sommes tous coupables, personne ne peut plus et ne doit plus refuser le progrès, nous devons tous payer".
La bourgeoisie a donc parfaitement mis au point, et réalisé en partie, son plan. Elle a distillé son idéologie ; elle a fait de la pollution son problème ; elle a soigneusement masqué le politique sous le couvert de la technologie qu’elle nous présente au-dessus et en dehors de toute classe.
Bien entendu, nous savons ce qui se cache derrière l’humanisme bourgeois. Là encore, il ne s’agit pas de maintenir l’idéologie dominante, de manipuler l’opinion pour redorer un blason bien terni. Comment pourrait-elle échapper ne serait-ce qu’une fois à la loi du profit maximum ?
[NdE : L’extrait de l’article s’arrête ici dans Le Courpatier. Nous mettons l’article in-extenso, tel qu’il est dans la brochure "De la pollution sous tous ses aspects" à télécharger dans la rubrique de "Survivre et vivre".]
LES DESSOUS DE L’HUMANISME
Face à la pollution, la bourgeoisie est avant tout et comme toujours motivée par de réels intérêts économiques [5]. L’économie capitaliste, loin de continuer sur sa lancée du Boom des années 50 traverse une crise certaine, assez longtemps pour que les responsables s’en inquiètent. Dans ce contexte, la lutte anti-pollution apparaît comme un remède moderne pour éviter la "crise fatale". La récente attitude des pays producteurs de pétrole concrétise les difficultés prévisibles (et d’ailleurs prévues par la fraction la plus avancée du capitalisme) d’accès aux matières premières. Par ailleurs le fossé s’accroît entre pays riches et pays pauvres. A tel point que le pillage du Tiers-monde ne suffit plus ici à relancer l’économie. Les pays pauvres ne sont pas en mesure d’absorber le surcroît de production de l’Impérialisme. Les capitalistes de "pointe" ont compris qu’il était bien plus rentable d’investir massivement dans l’hémisphère nord, techniquement développé, bien plus apte à consommer et à payer des produits manufacturés. De plus, ces pays présentaient l’avantage d’être "politiquement sûrs", à l’encontre des pays de plus en plus nombreux contraints à la lutte de libération nationale pour réaliser l’accumulation primitive du capital. Si depuis 1968, la montée des luttes ouvrières s’oppose à la parfaite réalisation de ce plan [6], la collective ruée des investissement sur l’U.R.S.S. démontre clairement que ce pays, lui, reste "politiquement sûr". Le marché prévu se rétrécit donc quand même. Pour surmonter la crise, rien de plus efficace que la création d’un marché nouveau, idéal même lorsqu’il est créé à partir de rien. La future industrie anti-pollution est annoncée à point nommé [7]. C’est un énorme pactole (traitement des fumées, des eaux, élimination des déchets, des cimetières de voitures) représentant aux U.S.A. un budget supérieur à celui de la N.A.S.A. Cette nouvelle branche d’industrie pourra prendre rapidement le relai des marchés du Tiers-monde. Et surtout, adaptable aux pays riches, elle remplacera en partie les industries qui servaient à résoudre et à surmonter les contradictions du capitalisme.
D’abord l’industrie de guerre, incontestablement peu populaire ; ensuite l’industrie aérospatiale dont les justifications idéologiques ont été plus rapidement que prévu épuisées devant le désintéressement des masses. L’industrie anti-pollution présente, elle, le double mérite d’être rentable et d’être plus facilement acceptée par tous puisqu’elle doit améliorer "la qualité de la vie". Cette annonce de l’action anti-pollution s’intègre également dans une bataille profonde (et soigneusement dissimulée au "public") : la lutte à mort du grand capital contre le capitalisme attardé (les moyennes et petites entreprises). Le capitalisme monopoliste comme d’habitude trouvera (a déjà trouvé avec Robert Poujade) le personnel politique votant les lois qui servent ses seuls intérêts. Alors que la bourgeoisie a toujours violé les rares, et quelques vieilles lois anti-nuisance [8], elle a maintenant avantage à l’adoption de techniques anti-nuisance. Ainsi les entreprises non-adaptées à l’économie moderne d’hyper-production ne pourront pas s’offrir le luxe de ces systèmes anti-polluants et n’auront qu’à disparaître plus vite [9].
De même que bien secouée en mai 1968, la bourgeoisie a réussi à ridiculiser en la récupérant à son compte la critique révolutionnaire de la société de consommation [10], elle désamorce à l’avance toute contestation de la civilisation à venir qu’elle nous impose, en la nommant la "société de gaspillage". Actuellement les idéologues patentés n’ont pas d’autre ressource que de dénoncer apparemment les maîtres qui les paient. Ils ont lancé le slogan "société de gaspillage" pour diverses raisons. D’abord, c’est la réduire dans l’esprit du grand public au seul problème des déchets. C’est aussi éviter de montrer que dans les pays "riches" existent d’énormes disparités de conditions de vie, en mettant l’accent sur la misère du tiers-monde par rapport au gaspillage occidental. On nous propose de retrouver la bonne conscience par le don à toutes les formes de charité (quêtes pour la faim...). L’idéologue bourgeois qui considère définitivement l’homme comme une pourriture irrécupérable, un égoïste forcené, espère ainsi, sans vouloir le formuler clairement et cyniquement, que le citoyen des pays gavés aura à cœur de défendre sa civilisation, même si elle n’est pas juste et parfaitement honorable, même si lui ne survit que dans une misère relative. I1 doit avoir tout à gagner face à ces pays où l’on "aimerait pouvoir gaspiller"... "S’il faut choisir entre la pollution et le choléra, je choisis la pollution" déclare le révérend père Alexandre Sanguinetti, député U.D.R.
Mais il est bien évident, aveuglant, que la société "technique" moderne est réellement une société de gaspillage. La logique interne de production du capitalisme ne peut donner d’autre résultat. Pour éviter la crise, le capitalisme est contraint à la destruction de plus en plus rapide des biens de consommation : voitures, frigo, vêtements, gadgets... C’est la production organisée du "gadget généralisé". Pour pousser au remplacement accéléré de ces biens utiles ou inutiles, est apparue une autre forme de pollution : la pollution publicitaire [11]. Un exemple parfait de l’hérésie de la production : le conditionnement. On présente une marchandise dans un emballage qui en renchérit le prix, qui est un support publicitaire, qui devient un déchet (pas toujours facile à résorber). Et pour se faire on abat des arbres (pâte à papier) qui sont autant d’agents naturels anti-polluants. Bien entendu, le capitalisme basé sur le seul profit, donne les moyens à la classe possédante de sur-consommer et donc de gaspiller. Il y a un gaspillage de classe. Si les classes exploitées sont contraintes à une forme de gaspillage par le seul usage des produits finis qu’on leur propose, la minorité possédante est la seule a vraiment gaspiller pour le plaisir [12].
L’organisation de l’économie ne suffit pas à elle seule, à expliquer l’apparition de la société de gaspillage. Comme toujours, avec la bourgeoisie, il est révélateur de rechercher derrière les apparences économiques de profondes motivations idéologiques. Une citation de Fromm en décrit une assez bien :
" ... (le principe de pénurie) ...implique essentiellement que la quantité de biens est nécessairement limitée et donc qu’une égale satisfaction pour tous ne peut être atteinte, parce que la vraie abondance est impossible, que la pénurie est en fait le stimulant le plus important de l’activité de l’homme... Il s’agit d’une philosophie spécifiquement fondée sur le mode de production du 19e siècle. Avec l’émergence d’une seconde révolution industrielle, basée sur la "cybernétisation", l’idée d’une production illimitée commence à entrer en conflit avec l’ancienne idée de pénurie. Jusqu’ici on a évité d’être confronté avec cette contradiction de plusieurs façons.
"Premièrement en canalisant une grande partie de la production industrielle vers le domaine de l’armement, et plus récemment celui de l’exploration cosmique, si bien que la production des marchandises utiles s’est trouvée plus réduite qu’elle n’aurait dû l’être ;
"Deuxièmement en utilisant des techniques périmées et en orientant la consommation de façon à amener la partie favorisée de la population à pratiquer le gaspillage, alors que la partie défavorisée continue à vivre selon le principe de pénurie. Par ailleurs, par l’élaboration d’une représentation de consommation illimitée, l’ensemble de la population se trouve maintenue dans le sentiment d’une pénurie relative car elle ne peut acheter tout ce que les fabricants d’images désignent comme indispensable au bonheur. Ainsi, alors que sur le plan technique, il y a abondance et gaspillage, sur le plan sociologique et psychologique, la plupart des gens continuent à vivre à l’intérieur d’une philosophie de pénurie, soit réelle sur le plan matériel, soit ressentie comme telle sur le plan psychique [13]."
L’organisation de la société de gaspillage, tant sur le plan économique que sur le plan idéologique, entraîne une vision de la société post-industrielle, assez clairement exprimée aux U.S.A. L’objectif est déjà atteint pour les agriculteurs : 5 % de la population. La perspective est d’arriver à 20 % de producteurs, disons clairement d’ouvriers. Le secteur tertiaire (services, bureaux, administrations) déjà gonflé à 30, 40 % ne recouvrirait pas le reste de la population capable de travailler. Il s’ensuivrait une marginalisation extensive de laissés-pour-compte : noirs, mexicains, portoricains, en priorité, plus une couche de blancs choisis sélectivement parmi les non-anglo-saxons d’origine. Ainsi la "classe historique" révolutionnaire serait admise, grâce à son petit nombre et à sa totale aliénation espérée, au Club des gaspilleurs. La consommation accordée au prix de la surproduction, devrait faire de ces ouvriers les "nouveaux chiens de garde" repus, donc conservateurs, du capitalisme.