par ArchivesAutonomies
On a du retard, c’est vrai, et même pas mal et tout juste des excuses à proportion, l’ivrognerie, la paresse, des tas de complexes qui ne sont pas tous œdipiens et puis cette ineffable survie qui nous rééduque constamment à sa façon ; mais le véritable problème n’était pas celui de la parution pour la parution ; la matière globale du journal de ce numéro y’a longtemps qu’on l’a et on arrive à s’autofinancer au centime près, de ce côté-là ça va ; on aurait donc pu sortir ce numéro beaucoup plus rapidement mais sur le fond ça n’y changeait rien : qu’est-ce qui justifiait l’existence du Courpatier ? Parce qu’après tout c’est une marchandise "marginale" comme une autre, non ? Qu’est-ce qui nous poussait au cul à vouloir faire un journal avec les moyens dérisoires qui sont les nôtres ? et plus fondamentalement à quel besoin historique [1] correspondait-il ? et y avait-il seulement un besoin ? Initialement le journal s’était voulu comme une boîte aux lettres transparente, chacun y déposait la sienne et nous on mettait le tout en forme en écrivant le nom du Courpatier dessus. Boîte que nous aurions allégrement fait voler en éclats quand elle n’aurait plus servi à rien (autant vous dire que le journal vu sous l’angle du fétiche ou de sa petite propriété personnelle on s’en fout royalement). Quand on nous demandait notre spécificité nous récitions notre petit bréviaire anti-rédactionnel, anti-idéologique, antipollution, anticapitaliste, etc., en ajoutant que cette spécificité viendrait d’elle-même dans le courant des choses et que nous avions horreur des lignes tracées au cordeau par avance, et patati et patata, bref nous avions choisi l’inexistence.
La conséquence très logique de cette fuite en avant était que nous refoulions peu ou prou nos idées de peur que s’en dégage une ligne pour le journal qui n’aurait pu être que la nôtre. Et de faire preuve d’une indulgence complice à l’encontre des errements dudit mouvement écologique. Parce que merde, il a l’air de quoi ce pseudo mouvement écologique avec ses idéologues du point de non retour, ses champions du carré de sainfoin et la très réelle misère de son ghetto de chlorophylle, sans parler de celle, théorique, où Fournier, en compagnie de deux ou trois autres (nous comptons large) devait faire tout le boulot. Quant à la pratique, elle tourne en rond autour de quelques vérités premières qui ont fait leur temps, ne mobilisant plus que ceux qui le sont déjà (et encore pas des masses). Il nous fallait prendre du recul et du temps, inciser à froid sous peine d’ajouter à la confusion ambiante. La mort de Fournier est venue à ce point renforcer cruellement l’urgente nécessité d’une plus grande cohérence théorico-pratique, d’un mouvement écologique qui reste à faire. Si à l’évidence le mouvement révolutionnaire moderne n’est pas le seul fait du mouvement écologique, le mouvement écologique, lui, ne peut avoir d’identité valable et authentique que comme mouvement révolutionnaire ou n’être rien, ou tout au plus être l’appellation contrôlée idéologique de ce rien comme il en existe déjà tant.
Cette présente et globale misère se reflète pour une large part dans ce numéro. Le Courpatier n’est pas seulement médiocre du seul point de vue du journal mais carrément inexistant dans "l’outil" qu’il entend devenir et que nous savons qu’il deviendra. Il va de soi que cette misère, nous en sommes solidaires, nous en faisons partie, aussi peu importe les différences de degré qu’elle exprime ici ou là dans tel ou tel article (à commencer par le nôtre) et qu’elle exprimera par la suite car nous entendons plus que jamais rester une boîte aux lettres transparente. Ce qui importe, c’est d’en finir avec les rendez-vous platoniques.
Nous avons toutefois réussi une performance, celle de décentraliser sur Paris. On va pas se donner le ridicule de vous parler d’une pseudo cellule ou groupe courpatiéresque ; disons qu’on a deux potes là-haut qui voulaient avoir quelques pages. Ils sont entièrement autonomes et on découvre pratiquement leur travail à l’imprimerie. Notre stalinisme viscéral s’accorde à leur reconnaître d’autant plus volontiers une pensée indépendante de la nôtre, que nous les connaissons congénitalement incapables de penser sur quoi que ce soit ; leurs répugnantes productions seront, au mieux, les faire-valoir des nôtres, démontrant par là, une fois de plus, l’écrasante supériorité de la misère parisienne sur celle de la province. Le dossier sur les armements, c’est eux. Depuis, La Gueule Ouverte a sorti sur le même sujet un dossier bien plus consistant, alors que le dossier à nos potes lui était antérieur. Ils vont râler, nous dire qu’on a trop lambiné, qu’on a trop attendu pour sortir ce numéro, sans comprendre que c’est bien fait pour leur gueule (ouverte ?), et que nous n’avons pas à nous placer sur la surface d’action de La Gueule Ouverte, mille fois plus armée et efficace que nous pour ce genre de choses, mais bien de devenir son aiguillon merdeux sur le plan des idées et des pratiques de dépassement. Dans une de leurs pages, le sieur Lesluin ne propose rien moins que de faire égorger l’entonnoir en chef de nos bombinettes atomiques. Dites-lui que ça pue l’infantilisme révolutionniste le plus recuit et qu’il n’y a rien de plus gratuit et stérile que ces provocations minables, même plus à la mode dans les torchons qui s’en étaient fait une spécialité pour la bonne raison qu’ils ont tous disparu, n’ayant rien à dire. Dites-lui que la répression ça se mérite, dites-lui vous, parce que si c’est nous qu’on lui dit, il va nous traiter de fascistes et nous reprocher de ne pas avoir de couilles au bout de son humour à lui. La révolution est déjà assez sous-développée comme ça pour qu’on en rajoute.
La religion des masses et celle de la nature sont les deux opiums des névroses doctrinales du moment. Les idéologues de la ligne de masse et ceux du purisme écologique entendent s’attirer les faveurs militantes des orphelins de l’idéologie.
Pour ceux de la ligne de masse, le temps n’est plus (pour parler de ce seul point) où la pollution n’était qu’une carotte brandie par la bourgeoisie devant le nez des masseux pour les détourner de la lutte des classes : unique enjeu sacro-saint de la révolution prolétarienne. Leur évolution depuis lors a pour essentiel mérite d’épouser assez fidèlement le processus irréversible de la décomposition idéologique qui caractérise le mouvement révolutionnaire d’aujourd’hui (ce que d’autres nomment, faute de pouvoir le comprendre, mouvement anti-hiérarchique et libertaire. Pour ces mêmes cons aveugles, idéologues inversant le réel comme à leur habitude, cette lamentable situation vient d’un vide idéologique ; ce qu’il faudrait, c’est pondre une synthèse, une belle et bonne idéologie moderne capable de mobiliser ces égarés ; ils sont à la recherche d’un "isme" supplémentaire. Rendez-vous compte, une révolution prolétarienne sans "isme", ça aurait l’air de quoi ? Oui, les temps sont durs pour l’idéologie révolutionnaire, camarades... allez savoir pourquoi ça nous réjouit franchement qu’il en soit ainsi).
La disparition de papa Mao, leur ouverture, l’abandon de tout sectarisme doctrinal pur et dur, leur volonté de dialogue avec les autres tendances révolutionnaires et celle de rapporter la parole prolétarienne à même le degré d’intelligence historique où elle se manifeste, vient de là. Mais en-deçà d’une pratique militante toujours repensée et reprise et ponctuellement "à côté de ses pompes", cette évolution se présente comme l’auto-conservation de leur idéologie distincte, toujours débordée par le mouvement réel qui leur échappe ; désespérant de le récupérer, les idéologues de la ligne de masse prétendent l’accompagner, en faire partie intégrante, leur survie idéologique est à ce prix. Sur l’essentiel rien de changé, ils ne peuvent concevoir la révolution prolétarienne que soutenue par un parti doctrinal pur et dur qui naturellement sera au service du peuple et sera tenu comme tel d’éliminer implacablement tous ses ennemis. (Lire l’édifiant Sartre à ce sujet dans Actuel n° 28 [2], dont nous nous garderons de faire un porte-parole mais qui de son propre aveu s’identifie étroitement avec ceux de la ligne de masse ― le terme mao ne veut strictement rien dire).
Il ne leur suffit pas que l’histoire ait démontré sans fin tout ce qu’un parti doctrinal ne peut pas être, c’est-à-dire la propriété du peuple, mais bien le pouvoir séparé et totalitaire de sa pseudo représentation où le peuple devient sa propriété exclusive, au besoin en le massacrant en partie pour en garantir la légitimité ; non, ces lourdauds insistent. (Pour éviter cette "nécessité historique" ce pauvre Sartre ne voit guère que l’intervention "de héros qui soient capables d’intervenir pour faire respecter le jeu démocratique", alors qu’il nous fera cadeau plus loin de sa révélation tardive : "la vérité vient du peuple" ; le gros défaut qu’il a ce bon peuple qui vient de voter, c’est que cette vérité ne peut sortir que de la bouche de ses héros ou d’un parti doctrinal, toujours d’après le camarade Sartre. L’autonomie prolétarienne, vous rigolez non ? des gens qui pensent par eux-mêmes... quelle plaisanterie ! Ne seriez-vous pas un de ces inoffensifs utopico-anarchistes spontanéistes ennemis du peuple par définition, désespoir des révolutionnaires conséquents ? Cherche pas, Sartre, t’as même plus besoin de courir, camarade, le vieux monde est devant toi, tu en as été la courageuse et brillante inintelligence. Ce qui nous fait le plus de peine c’est que tu vas mourir dans l’ignorance ; ce que tu disais pour Gide et Valéry vaut aussi pour toi, mais bien plus cruellement parce qu’on te fera pas l’injure de te traiter de bourgeois ; mais peut-être que ton bain de jouvence idéologique est à ce prix).
Pour une telle conception poussiéreuse et "réaliste" de la Révolution, l’écologie ne présente pas de problème particulier, une géniale planification socialiste sera là pour tout résoudre. Pas question de régresser camarades, éliminons les produits malsains et dangereux du capitalisme et mettons-nous au boulot, les moyens de production sont là pour qu’on s’en serve. On autogèrera sa survie devenue révolutionnaire avec la bénédiction du parti pur et dur et bientôt infaillible. La seule chose qu’il y ait d’infaillible dans les "révolutionnaires" qui nagent dans ces eaux-là c’est leur indigence politique. Le vieux monde de la marchandise, de l’Etat, de la société de classe, du pouvoir bureaucratique bâti sur la terreur idéologique, et de la perpétuation du salariat vous attend. De toute façon à quoi bon s’attarder.
L’idéologie du purisme écologique s’est constituée sur une thèse centrale, quasiment obsessionnelle, celle du point de "non retour" (destruction à terme du très fragile et complexe écosystème qui permet à notre merveilleuse espèce de se perpétuer). L’entité plutôt vague de la mentalité écologique, déduite de cette thèse catastrophiste, a pris le relais de la lutte des classes pour produire l’histoire de l’homme révolutionnaire. Elle est cette prise de conscience radicale et globale qui doit mettre à bas le vieux monde empoisonné et s’aligner sur les impératifs écologiques pour définir une nouvelle économie de vivre, en fait l’appropriation égalitaire sans violence de la nature délimitée par de justes besoins. Violence qui s’est d’abord faite au nom d’une philosophie de la domination de l’homme sur la nature, domination reproduite de plus en plus violemment en lui-même au fur et à mesure qu’il se donnait les moyens rationnels et efficaces pour sa mise en œuvre. La machine fut le moyen moderne de cette domination et le principal instrument de la séparation achevée de l’homme avec la nature et de l’homme avec lui-même. L’arme de cette pensée de domination et de la séparation absolue fut la science qui a garantit idéologiquement : le scientisme, et sa comparse instrumentale, la technostructure.
Le purisme écologique concentra les feux de sa critique sur le "technico-scientifique", fétiche universel dont il avait besoin pour maintenir cohérente la critique unitaire du monde qu’il entendait faire. Le "technico-scientifique" étant en quelque sorte "l’unité malade" de tous les différents systèmes politiques qu’il fallait rejeter en bloc.
Fétiche technico-scientifique lui-même déduit des forces productives dont le caractère de développement exponentiel et le pillage subséquent des ressources de la planète, revenu sous forme de pollution, avaient ouvert le dossier de la crise écologique (le caractère d’expansion illimitée des forces productives dans le cadre du capitalisme planétaire rejoint parfaitement la foi dans la croyance des possibilités illimitées de la technologie et de la science pour tout devoir résoudre).
L’interprétation renversée de la juste dénonciation du fétiche des forces productives sur le rôle historique qu’elles ont à tenir en pareil cas, fut la brèche par laquelle s’engouffra toute l’idéologie du purisme. Expliquons-nous.
Dans la définition classique de la contradiction fondamentale du capitalisme on considère en général que cette contradiction oppose la capacité illimitée des forces productives et le caractère contraignant, négatif, des rapports de production. Bien. D’une part ce que le mouvement écologique a mis en évidence c’est que le capitalisme ne peut indéfiniment développer ses forces productives sans faire courir le risque d’une éco-catastrophe pour l’espèce humaine. Bien vu. D’autre part, la plus grande force productive c’est la classe révolutionnaire, c’est-à-dire le prolétariat (révolutionnaire parce qu’il est la classe, et la seule, qui peut en théorie [mais aussi en pratique] s’emparer à tous les moments de la totalité des moyens de production et pas les petits pingouins dans notre genre). Le problème posé est le suivant : d’un côté la cancérisation toujours croissante des moyens de production, de l’autre, la classe qui en est la partie intégrante et qui doit s’en emparer au moment même où il ne s’agit plus de développer les moyens de survie pour vivre (produire plus) mais au contraire de maîtriser les conditions de vie pour survivre (arrêter radicalement la production suicidaire). En d’autres termes quel était l’objet d’une révolution prolétarienne qui s’empare des moyens de production au moment où s’en fait le procès radical.
Le purisme, loin de voir dans une telle situation que "les rapports de production et les forces productives ont enfin atteint un point d’incompatibilité radicale, car le système social existant a lié son sort à la poursuite d’une détérioration littéralement insupportable de toutes les conditions de vie".
Ce qui veut dire : tu bosses comme un con, tu crois bien faire, t’engraisses le patron ou le bureaucrate du parti, dès que tu l’ouvres tu reçois un coup de bâton sur le coin de la gueule mais qu’en plus t’es aux avant-postes pour déguster la merde qu’un tel système fabrique et perpétue, et naturellement tu peux pas comprendre, on veut dire : tu peux pas te sentir responsable d’un machin pareil, pas responsable parce que tu décidais de rien et à la limite savais même pas ce que tu fabriquais même si on t’en donnait l’illusion de savoir, bref tout venait d’en-haut et toi juste bon con pour exécuter, alors tu finis par te poser des questions, forcément tu trouves ça injuste de même plus trouver un petit carré de mer ou de verdure avec un peu d’amour dessus, un peu de silence que le bureaucrate ou le bourgeois sauront s’aménager quoi qu’il arrive, t’as pas à t’inquiéter pour eux, surtout qu’on t’a dit que le progrès c’est de travailler, de toujours plus travailler, hein ? et que s’il y a des petites merdes ici ou là, en cours de route, les spécialistes sont là pour s’en occuper, que t’as à t’occuper de rien mais que malgré tout la merde t’en dégustes à chaque jour un peu plus ; ça prend du temps pour réfléchir, beaucoup de temps, surtout que tout est fait pour t’abrutir, ou de divertir ta pensée c’est pareil, avec leurs idéologies de la liberté, qui ne sont rien d’autre que la liberté de t’exploiter ; la liberté de la marchandise bureaucratique ou bourgeoise qui rend partout la vie si dure à gagner et si t’es pas content t’as qu’à le dire, les syndicats ou le parti sont là pour ça, ou si t’es pas content t’as qu’à le dire en votant ici une fois tous les siècles, en élisant un julot que tu ne connais même pas ou là-bas en risquant ta peau ou ta raison pour cause de déviationnisme de gauche ou de droite c’est selon, ça prend du temps pour réfléchir, un temps qui te découpe en petites rondelles, qui te laisse exsangue et où il te reste plus qu’à crever comme un chien ayant bien mérité de la patrie et du parti ou entouré du respect que se doit d’avoir une société qui enfonce ses vieux dans la merde jusqu’à ce qu’ils en crèvent, comme doivent crever les parasites improductifs qu’ils sont ; ça prend du temps, mais quand la vérité se fait jour, même un petit bout de vérité, tu comprends que ce qui était en cause depuis longtemps, et peut-être même depuis toujours, c’était ta peau, ta peau d’homme libre qui leur fout la trouille, qu’ils cherchent à trouer de toutes les façons avec des nuisances comme ils appellent pudiquement ou des balles c’est pareil, à partir de là c’est fou ce que tu piges vite et d’autant plus vite que du temps ll en reste pas beaucoup et que t’as plus rien à perdre, mais seulement gagner ta vie une fois pour toutes, tant pis pour la casse.
Le purisme, disions-nous, prit la direction inverse, dénia tout rôle historique au prolétariat pour la bonne raison que celui-ci ne pouvait s’emparer que d’un cadeau empoisonné et le gérer comme tel. Il ne pouvait y avoir de gestion révolutionnaire des moyens de production existants sans qu’elle ne reconduise la même malédiction du travail aliéné de toute production massive, perpétuant le salariat, la division du travail et donc des classes, la hiérarchie de la survie devenue pseudo révolutionnaire, bref le monde de la séparation.
(Ce qui est parfaitement juste si l’on se base sur la conception révolutionnaire de tous les différents petits idéologues des petites sectes du gauchisme bureaucratique à vocation de parti de masse, trotskystes, marxistes léninistes, etc., et autres variétés défraîchies).
Nous pensons au contraire que seul le prolétariat est capable de provoquer "la chute brutale de la production préhistorique".
Citons, ce qui ne nous repose pas de penser pour autant.
"La chute brutale de la production préhistorique, telle que seule peut l’obtenir la révolution sociale dont nous parlons, est la condition nécessaire et suffisante pour le commencement d’une ère de la grande production historique ; la reprise indispensable et urgente de la production de l’homme par lui-même. L’ampleur des tâches présente de la révolution prolétarienne s’exprime justement dans la difficulté qu’elle éprouve à conquérir les premiers moyens de la formulation et de la communication de son projet : à s’organiser d’une manière autonome et, par cette organisation déterminée, à comprendre et à formuler explicitement la totalité de son projet dans les luttes qu’elle mène déjà [3]. C’est que sur ce point central, qui tombera le dernier, du monopole spectaculaire du dialogue social et de l’explication sociale, le monde entier ressemble à la Pologne : quand les travailleurs peuvent se rassembler librement et sans intermédiaires pour discuter de leurs problèmes réels, l’Etat commence à se dissoudre. On peut aussi déchiffrer la force de la subversion prolétarienne qui grandit partout depuis quatre ans dans ce fait négatif elle reste bien au-dessous des revendications explicites qu’ont pu affirmer autrefois des mouvements prolétariens qui allaient moins loin ; et qui croyaient connaître leurs programmes, mais qui les connaissaient en tant que programmes moindres. Le prolétariat n’est nullement porté à être "la classe de la conscience" par quelque talent intellectualiste ou quelque vocation éthique, ni pour le plaisir de réaliser la philosophie, mais simplement parce qu’il n’a en fin de compte pas d’autre solution que de s’emparer de l’histoire à l’époque où les hommes se trouvent "forcés de considérer d’un œil désabusé les conditions de leur existence et leurs relations réciproques" (Manifeste communiste). Ce qui va rendre les ouvriers dialecticiens n’est rien d’autre que la révolution qu’ils vont avoir, cette fois, à conduire eux-mêmes".
L’impasse du purisme vint de ce que, nanti de lucides analyses sur les conditions objectives du mal de notre époque, il se détourna de l’histoire révolutionnaire des luttes sociales (lutte de classe) pour ne reconnaître d’autre histoire révolutionnaire que celle des consciences individuelles s’alignant sur les besoins de l’histoire naturelle ; ce qui revient à dire que la conscience (écologique) qu’il accorda à l’individu, il la refusa à la classe, désespérant que cette conscience de classe (le prolétariat) ne devint jamais la classe de la conscience (écologique).
Si le scientisme, et en définitive la Science, a occupé une telle place dans le purisme écologique c’est, non seulement parce qu’elle est la comparse nécessaire de la technologie dont le capitalisme planétaire a besoin pour garantir le mythe délirant d’un pseudo progrès voué à la destruction potentielle de tous les supports de vie, mais, plus profondément, comme la conséquence logique de la vieille science issue de la pensée de la séparation (ce que d’autres appellent conception dualiste) revenue à sa perversion originelle dans l’idéologie scientiste comme science de la domination et domination de la science. Idéologie totalitaire de la science qui gage les progrès de l’humanité de ses seules découvertes. On comprend la méfiance qui s’instaure envers un tel mythe [4]. Ça revient à dire que l’explosion technico-scientifique achève de renforcer à l’extrême la séparation homme-nature (séparation clef qui reproduit toutes les autres et polarise tous les rapports dominants-dominés).
Pour le purisme écologique rejetant "le moteur" historique des forces productives et leur capacité révolutionnaire, il ne lui reste guère d’autre solution que de s’emparer, ou plutôt de détourner la technologie et la science qui sont le seul véritable levier du pouvoir en les intégrant à l’histoire naturelle "habitée" par la conscience révolutionnaire de "l’individu écologique". Ce qui représente la seule alternative possible pour libérer la dimension d’effusion [5] qui manque dans la science et la technique dominantes et liquider ainsi la séparation de l’homme avec son milieu, induite par la vieille pensée scientifique.
L’Avènement révolutionnaire de "l’homme écologique" passera donc par la fusion de la science et du vécu mise en pratique dans son milieu naturel. A cette énorme contradiction près que c’est à l’aide d’une telle pratique séparée (campagne ― fusion du vécu et de la science) du mouvement réel de l’histoire sociale (forces productives, lutte de classes) que le purisme entendait lutter contre le monde de la séparation. Il venait là "d’inventer" le ghetto de chlorophylle tenu pour être l’enjeu de sa pseudo lutte révolutionnaire. Ghetto qui pue le moisi et dont il est urgent de sortir.
(Courpatier t’es chiant, t’es pas clair, et ta sœur camarade. Traduisons : on quitte le monde pestiféré des usines caca, de la science caca, de la technologie caca, de la marchandise caca, etc., surtout que la révolution dans les usines hein ! c’est pas demain la veille et que même si c’était demain la veille ça servirait pas à grand chose vu qu’il faut arrêter la merde en bloc et pas en détail. Si fait on transporte ses pénates dans la campagne parce que la nature après tout il n’y a que là qu’on la trouve. Seulement on veut pas y aller pour gratter un petit lopin de terre ingrat comme un petit con, non et non. Ce qu’on cherche c’est de vivre et pas de survivre, mais de vivre comment ? Et bien en faisant appel à certaines ressources scientifiques et techniques, faut pas cracher dessus, vire et tourne on appelle ça soft-technology : techniques douces qui font l’amour avec la terre. Naturellement on est pas seul on s’est mis en collectif, chacun, tout à la fois, un peu savant, un peu artisan, un peu agriculteur, un peu technicien, un peu poète, bref pas des petits bouts d’hommes et de femmes super châtrés et hyperspécialisés qui ne font que répéter toute leur vie l’unique chose qu’ils savent faire ; ça veut dire que l’air de rien on fait sa petite révolution tranquille qui ne tardera pas à accoucher d’un homme nouveau, c’est-à-dire d’un être qui a deux bras, deux jambes, une tête, un corps, un sexe et qui sait s’en servir. La merde là-dedans c’est qu’à force de rester entre soi et de pas voir les autres gus au fil du temps continuer la révolution ainsi amorcée, on risque fort d’en revenir comme au bon vieux temps, dans le confort pépère de ces nouveaux principes qui commencent à prendre un sacré coup de vieux à force de vivre en vase clos. Après tout pourquoi ne pas se satisfaire individuellement parlant d’un ghetto plus peinard qu’un autre).
A la faillite des idéologies révolutionnaires qui ont prétendu "recouvrir" la révolution prolétarienne et dans lesquelles se fondait la dimension théorique et sociale d’un homme abstrait promis à l’avènement toujours repoussé de la réalisation de sa liberté par le détour d’une solution collective, à cette faillite a naturellement correspondu l’affirmation de son vécu immédiat et de son individualité concrète. Il fallait se mettre à vivre ici et tout de suite sans attendre le feu vert d’un hypothétique grand soir toujours trahi ou indéfiniment repoussé dans un temps historique qui avait cessé d’avoir l’éternité pour conduire le projet révolutionnaire de l’homme. Il ne fallait pas non plus attendre une révolution idéologique dont l’issue même était plus que douteuse, quitter le terrain abstrait des vieilles politiques hors d’usage qui entendaient créer un monde dont plus personne ne voulait. Il fallait s’emparer de sa vie propre pour se mettre à la vivre comme la pratique d’une désertion radicale d’un système voué à la destruction de la planète, renouer avec la nature pour abolir la séparation d’avec soi-même et les autres, réinventer sa vie pour changer le monde. Ainsi l’idéologie du purisme écologique s’est constituée sur la ruine de toutes les autres comme une idéologie renversée et qu’elle a vécu comme un dépassement.
A la surenchère idéologique de la lutte-de classes se confinant dans le ghetto du prolétariat industriel, a correspondu la surenchère idéologique de la "désertion radicale" se confinant dans le ghetto de chlorophylle, au fétiche des forces productives, celui de la nature, à la solution collective, celle de l’individu, etc., etc.
Ceux de l’écologie affirmèrent donc l’inanité de la lutte de classes sur la même base mystifiante de l’idéologie que les autres qui ne juraient que par elle. La lutte de classes identifiée à l’idéologie et rejetée comme telle, c’était du même coup rejeter la révolution prolétarienne qui en était l’enjeu ; révolution qui, dans cette optique, ne pouvait conduire le prolétariat qu’à la déconfiture de ses illusions en reproduisant toutes les tares des révolutions mort-nées de ce siècle (parti, Etat, bureaucratie, bourgeoisie, perpétuation du salariat, terrorisme idéologique, etc.).
A la limite, la lutte de classe était le concept creux d’idéologies creuses, l’enjeu d’une révolution complètement dépassée dans ses moyens comme dans ses fins ; sans pouvoir comprendre que la forme dépassée de la lutte de classes (effective au plan de l’idéologie) était la forme même de son dépassement, de son renouveau et de sa modernité ; qu’elle était l’exigeance d’une révolution de l’autonomie prolétarienne qui elle seule a les moyens d’abolir le salariat et liquider le vieux monde de la séparation et de l’économie politique. Révolution qui devait devenir visiblement ce qu’elle n’avait jamais cessé d’être essentiellement. Là où la lutte de classes renaissait authentiquement en s’extrayant de la bouche puante des idéologies révolutionnaires, les idéologues du purisme en vinrent à la disparition en l’identifiant à ces mêmes idéologies qui, elles, disparaissent effectivement.
"La révolution prolétarienne est entièrement suspendue à cette nécessité que, pour la première fois, c’est la théorie en tant qu’intelligence de la pratique humaine qui doit être reconnue et vécue par les masses. Elle exige que les ouvriers deviennent dialecticiens et inscrivent leur pensée dans la pratique ; ainsi elle demande aux hommes sans qualité bien plus que la révolution bourgeoise ne demandait aux hommes qualifiés qu’elle déléguait à sa mise en œuvre : car la conscience idéologique partielle édifiée par une partie de la classe bourgeoise avait pour base cette vie centrale de la vie sociale, l’économie, dans laquelle cette classe était déjà au pouvoir. Le développement même de la société de classes jusqu’à l’organisation spectaculaire de la non-vie mène donc le projet révolutionnaire à devenir visiblement ce qu’il était déjà essentiellement."
(Cela signifie rien d’autre que la conscience de classe du prolétariat mise sous le boisseau parcellaire et mystifiant de l’idéologie bourgeoise révolutionnaire, doit se renverser pour devenir la classe de la conscience révolutionnaire autonome et totale. Cela signifie, insistons lourdement, que la révolution de l’autonomie prolétarienne ne peut plus être qu’une révolution de la conscience. Cela signifie que ceux qui pensent que la pollution n’a rien à faire là-dedans sont des cons, nous y reviendrons dans le prochain Courpatier, n’ayant pas la place dans celui-ci).
Continuons avec nos petits idéologues puristes. L’autre argument, suprême celui-là, de l’inanité de la lutte de classes fut bien sûr l’échéance catastrophiste mais si cette thèse catastrophiste a pu dans un premier temps rameuter les énergies militantes et "déterrer" le grave problème d’un potentiel anéantissement de l’espèce humaine, elle est devenue, par la suite, la justification première (entretenue comme telle) de toute l’idéologie puriste pour affirmer le caractère dépassé de ces luttes, et puiser, fort de cette certitude, une nouvelle "conception" révolutionnaire dans le messianisme écologique.
Nier la lutte de classes comme moteur historique et projet révolutionnaire, c’était nier la violence intrinsèque de ces luttes et nier l’histoire tout court qu’elles sont censées produire. Dès lors le mouvement écologique était mûr pour le pacifisme (autre idéologie) parce que tout recours à la violence révolutionnaire était un recours à l’idéologie révolutionnaire de la violence, et dût corollairement exposer son projet de révolution radicale et globale sur le mode utopique qui est la négation du mal historique et de son temps réel.
Nous sommes loin d’être des fanatiques de la violence, mais le plus dérisoire serait de se replonger dans le débat desséchant d’être pour ou contre. La violence que nous mettons en jeu est dans le réel lui-même. L’histoire des boues rouges doit laisser rêveur plus d’un qui rêvait de la contestation écologique pacifique, ne ricanons pas trop sur l’évidence d’une telle affaire qui marie si bien la lutte des classes et la violence. Nous prévenons ces estimables rêveurs que ça ne fait que commencer de ce côté-là.
Le projet d’autarcie fut le concentré idéologique du purisme ; le débat fut essentiellement posé sur la difficulté pratique à le réaliser et le viabiliser. Pour autant qu’il se donna les moyens les plus techniquement adaptés pour y parvenir (commune de recherche de Clarke) et de rendre aux yeux de tous le caractère concret, réaliste de son utopie, il universalisa dans l’abstrait sa propre existence particulière comme moyen de désertion cohérent du système honni et fusion du vécu et de la science. Voulant nier que cette solution relevait des mêmes moyens économiques exorbitants auxquels il entendait se soustraire. Le biotope de Clarke revient cher, demande beaucoup de place, des conditions géographiques précises pour permettre la motilité du biotope. Clarke peut dès lors faire miroiter dans l’abstrait universel et les avantages et la supériorité de son système en regard des tares de celui qu’il prétend déserter.
Pour s’en rendre compte il n’est que de voir la précision dont il fait preuve tant qu’il s’agit de décrire le fonctionnement du biotope en tant que tel, faisant contraste avec le flou de ses propos sur l’application généralisée de son expérience à toute la société qui n’a pas l’ombre d’une réalité possible. Il feint de croire au pouvoir de séduction (très réelle) d’une telle expérience pour être reconduite de plus en plus massivement par des gens autonomes, désertion tellement massive qu’elle mettrait en péril le système. Bref, la révolution non violente garantie ou l’An 01 sur un plateau.
Nous promettons à tous ceux qui s’illusionnent sur le même sujet, tous les culs-de-sac idéologiques qu’ils sont en droit d’attendre d’une telle pratique séparée du mouvement réel.
Le Biotope de Clarke c’est le privilège économique de l’utopie techniquement armée. Ce n’est pas sa prétention à l’autarcie qui nous intéresse, son intérêt est ailleurs, nous en reparlerons.
Peut-être est-il mal indiqué de parler du désarroi d’un mouvement écologique qui reste à faire. Le mouvement écologique n’a été jusqu’à ce jour qu’un mouvement de pression défini par tout un courant d’analyses qui ont ouvert le dossier de la crise écologique et mis en lumière les désastreuses conséquences d’une politique d’expansion illimitée des forces productives ; expansion synonyme de progrès pour tous les pouvoirs en place. Mouvement qui a rallié tous les gens lassés des redites et de l’impuissance des vieilles idéologies politiques et leur donnait sentiment de naître à une politique qui pour une fois recoupait la vie réelle et portait la critique unitaire du monde.
Depuis l’idéologie puriste a marqué cette ambition d’un appauvrissement de sa pensée et de sa pratique étroitement spécialisées. Le pseudo mouvement écologique est devenu souverainement emmerdant. Rapprochons-nous.
La critique (justifiée) du scientisme débouche sur le pitoyable choix d’une solution de rechange exclusivement scientifico-technico-agraire tenue pour être l’enjeu de la désertion radicale du système et laboratoire d’une vie nouvelle. Enjeu qui est devenu dans la réalité l’alibi glorieux et bouffi de messianisme écologique de tous les petits crétins qui s’imaginent faire l’an 01, tout seuls dans leur petit coin (Ceux-là même qui sont en général des ex-militants déçus d’un militantisme idiot, et qui, désespérés de n’avoir pas trouvé dans le prolétariat le "dieu caché" de la révolution, l’affirmeront devenu con et embourgeoisé. S’alignant en cela sur la psychologie bourgeoise qui s’épuise depuis des décennies à nous convaincre d’une telle "vérité" ; Un mythe en vaut bien un autre. Ces revenus du militantisme n’en continuent pas moins de militer mais cette fois-ci de leur propre vie qu’ils donnent en exemple).
La plate-forme anti-sectaire, ouverte du début, est devenue le terrain vague d’un nouvel œcuménisme où se télescopent n’importe "quoi" ; des légalistes oppositionnels qui entendent prendre le pouvoir aux puritains de l’écologie devenue réactionnaire (gentiment ou carrément c’est selon) en passant par les mono-maniaques fétichistes de l’uni pollution, ceux qui vous rabattront les oreilles chacun dans sa spécialité de la seule forme de pollution qui les intéresse et les obnubile et dont ils connaissent naturellement tous les secrets.
La thèse catastrophique tourne au religieux, la non violence à la sourcilleuse orthodoxie pacifiste.
"La force de la documentation" qui a permis dans un premier temps d’extirper et de dire certaines vérités que personne ne voulait entendre ni à "gauche" ni à droite, se réduit à n’être plus que l’accumulation de pesants dossiers rengaines sur les quelques sempiternelles pollutions vedettes. Dossiers dont nous ne nierons pas la valeur et l’utilité mais qu’il conviendrait urgemment de diversifier un peu et d’étendre l’écologie critique à tous les aspects de la vie quotidienne. (De même qu’il conviendrait de réunir tous ceux qui existent déjà, de les résumer en rejetant systématiquement ce qu’ils peuvent avoir de chiant et de les réécrire dans une langue accessible au plus grand nombre avec illustration à l’appui, sous forme de brochures à distribuer gratuitement, ou quasi gratuitement, surtout dans les milieux où l’on soupçonne le moins le besoin de telles lectures. Partageons-nous le travail.)
Sa recherche d’une éthique écologique, fin du fin de la misère qui a la prétention de profiler la société future et pond les projets de son utopie avec force détails organisationnels. La bonne volonté de ces gens qui veulent sauver la société de cette façon ne fait pas de doute, mais on ne sait trop ce qu’elle pave. Parce que indépendamment de l’intérêt spécifique de telles utopies, louables ou non, la réalité d’aujourd’hui se passe bien de leurs fumées. La réalité dépasse l’utopie. Que de tels projets chacun a le sien et probablement le seul valable. De plus c’est retourner aux mêmes aberrations de croire que c’est les idées qui doivent s’emparer du réel (condition première de toute idéologie) alors que c’est l’inverse ; que les seules idées qui peuvent subvertir le réel sont celles qui se trouvent déjà en lui, c’est-à-dire dans la tête de tout le monde ou de l’immense majorité que seule la fausse conscience de l’aliénation empêche de reconnaître et de rendre agissantes. "Etre une avant-garde c’est marcher au pas du réel". Nous n’avons rien contre l’utopie tant qu’elle reste une projection, un sens, une "volonté", mais vouloir la mettre en avant comme une proposition concrète dans la pure immédiateté de l’intemporel qui ignore le temps réel de l’histoire c’est la rendre dérisoire. Tiens voilà du concret comme on dit du boudin.
Du grand espoir soulevé par le succès des marches contre les centrales nucléaires de l’année 71 qui avaient marqué l’entrée en scène du mouvement écologique, il ne reste que l’émiettement de petits parterres confidentiels où l’on retrouve toujours les mêmes inlassables disserteurs qui ne savent parler de la pollution qu’entre quatre murs. Réunions et conférences s’empilent jusqu’à devenir une farce rituelle pour quelques esprits paisibles en mal d’émotion. Quand ce n’est pas simplement pour échanger son point de vue sur les mérites respectifs du riz complet et du pâté végétal (on exagère si peu, si peu), etc.
Mares stagnantes qui enlèvent tout tranchant de pensée au mouvement écologique, le maintiennent dans son état d’arriération théorique et pratique, le privent de cohérence, amplifient sa misère et, pour comble, font fuir ses meilleurs éléments.
Misère qui se révèle à nu avec la mort de Fournier où toutes les demi-sottises qu’il a pu dire et qui restaient vivantes dans le mouvement permanent de sa pensée "trop" riche, risquent de devenir des Himalaya de connerie morte dans la bouche de ceux qui ne vont pas manquer de l’empailler.
Pour nous l’intuition d’une révolution radicale et globale (Fournier) est juste ; la pollution est bien la mémoire profonde et cumulative de toutes les tares du mal économique du capitalisme planétaire, en ce sens elle est le point de départ privilégié d’une critique unitaire du monde, d’une saisie dialectique et totale du réel, et partant une critique radicale de toutes les idéologies à commencer par celles révolutionnaires.
Tous les ismes sont bons à foutre dans la poubelle de l’histoire. Il ne s’agit donc pas pour nous de recommencer à mijoter une fois de plus une synthèse grotesque du genre gauchisme écologique ou l’inverse qui ne sont que des idées mortes coupées du réel que l’on essaie plus ou moins intelligemment d’associer ; il s’agit pour nous de prendre la mesure du réel, de ce réel profond qui est le mouvement de tout et de le rapporter en lui associant la pratique indispensable qu’il exige, et de vivre cette pratique en refusant toute ascèse militante qui appartient au masochisme du vieux monde, ainsi que tout activisme étroit et borné, coupé de la vie, mais vivre cette pratique comme une communication partout interrompue et partout à rétablir là où il est possible. Il ne s’agit donc, dans l’exercice de cette communication de n’être ni les tuteurs des "masseux" ni ses courtiers, elle ne peut se faire pour nous sans rien renier de sa vie propre et surtout du plaisir que l’on y trouve, toute action volontariste est fille de l’idéologie.
Nous n’attendrons pas la révolution pour vivre, de même que nous refusons l’affirmation caricaturale de déjà pouvoir vivre celle qui est en nous, "la révolution ici et tout de suite gnin gnin gnin". Nous ne nous sauverons pas seuls, parce que c’est la totalité qui est en jeu.
La communication dont nous parlons est "extérieure" au Courpatier qui ne peut que rapporter l’expérimentation de ses divers moyens. Nous voulons dire par là que ce n’est pas le journal LeCourpatier qui doit se répandre dans les "masseux", ce qui serait franchement grotesque et hors de propos, mais qu’il doit se réaliser comme une effusion de pratiques et d’idées dans le vécu de chacun à la recherche du dépassement des conditions existantes, recoupant un maximum d’expériences et de tentatives faites en ce sens qui élargiront notre maigre champ d’action pseudo marginal (dans le prochain Courpatier, nous expliciterons davantage les moyens de cette communication). Aussi le problème d’une terminologie particulière ne se pose pas. On s’exprime avec les mots qu’on trouve sur les idées qu’on a et l’action qu’on fait (ne jamais oublier d’accorder le mot action avec celui de vie). Nous ne nous voulons ni sectaires, ni œcuméniques, ce qu’il faut c’est se retrouver au-delà des étiquettes toutes faites qui viendront bien assez tôt ; chacun pourra de la sorte exprimer le vécu de ses pensées sans complexe. La forme n’est rien et l’on emmerde, ce qui sera dit de moins indigent se fera toujours comprendre (si on a pas la théorie dans le sang c’est nullement par peur qu’elle nous refile des boutons ; d’autre part les spécialistes de la pensée sont des spécialistes de la pensée soumise surtout à gauche, soumise à tous les ismes décomposés, y compris celui de l’anarchisme qui pourtant...).
Le prochain Courpatier sortira fin mai début juin si la révolution n’a pas eu lieu d’ici-là ; passé la date fatidique du 15 juin, tout abonné qui se desséchera dans l’attente de cet exceptionnel journal, recevra une bouteille de Côtes-du-Rhône (du meilleur cru) pour chaque jour passé. Nous attendons d’avoir réalisé quelques-uns de nos projets pour vous en parler, parlez-nous toujours des vôtres. Les injures sont tenues de s’écrire sur des chèques substantiels, pour les mots doux cela va de soi. Invitez-nous ou invitez-vous, on vous donnera la recette du civet de lapin macrobiotique accompagné de carottes bien saignantes.
Leyraud-Mandrile ou Mandrile-Leyraud comme vous préférez, si on signe ici c’est pour être solidaires de toutes les conneries qu’on a pu dire. Le reste appartient à tout le monde. Et puis l’anonymat cybernétique, on aime vraiment pas.
Fournier ne lira jamais les lignes qui précèdent, on va pas lui chier un truc dans du marbre, simplement l’envie dérisoire d’écrire des pages et des pages sur lui pour ne pas le quitter. Quand on a reçu le télégramme de La Gueule Ouverte nous annonçant sa mort, on a longuement espéré que c’était la plaisanterie d’un crétin sadique jusqu’à la confirmation par téléphone. Pendant toute une journée on s’est demandé ce qu’on foutait là, pourquoi on faisait ce journal et s’il valait pas mieux s’enterrer la tête au beau milieu du Sahara et tout laisser tomber, une horripilante pudeur veut qu’on aille chialer tout seul dans son coin.
De toute la surabondante pourriture qui nous cerne la mort ne pouvait pas, comme ça, mettre en plein dans le mille, ne pas dévier du plus petit millimètre à gauche ou à droite pour nous débarrasser d’un Marcellin quelconque ! La mort est une connasse fasciste quand elle s’y met, ça on en est sûr. Il reste de lui tous ses écrits, ses dessins, ses empreintes, mais tout ça c’est de la "merde" de fantôme, ce qu’on voulait nous, c’était se postillonner en travers la gueule et on avait l’éternité pour. On est pas allé à l’enterrement, ses parents ne souhaitaient pas qu’il y ait trop de monde, les enterrements vivants c’est pas sérieux ; mais ce qui nous a fait le plus mal c’est que c’était peut-être pas sa volonté à lui, ni celle de sa femme, et on a pas pu s’empêcher de penser que tout macchabée qu’il était Overney avait dû se sentir moins seul que lui.
Emile, ne nous fait pas le coup sinon on arrête tout sans réfléchir, et ce sera très triste.