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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Réponse d’Henri Simon à Charles Arpo - 3 septembre 1974
Dossier "ICO, un point de vue"
Article mis en ligne le 14 janvier 2025
dernière modification le 25 décembre 2024

par ArchivesAutonomies

3 septembre 1974

Cher Camarade,

Ta lettre doit dater de plus de six mois  ; c’est d’autant plus con que je ne sais même plus si je t’ai envoyé les textes que tu demandais (à tout hasard, je t’en renvoie deux) et que tu exprimais des positions assez proches et qu’il aurait peut-être été intéressant d’envisager — avec d’autres camarades — sinon le départ d’un nouveau travail, de même une approche par des discussions.

Je n’ai repris qu’en ce moment le dossier — peu épais — de lettres reçues suite à la publication de "ICO un point de vue" et de "Tel que nous ne le voyons pas". J’y ai ainsi retrouvé ta lettre.

La publication de "Tel que nous ne le voyons pas" était destinée, comme il était annoncé en préface à provoquer un débat. Pas du tout à constituer la plate-forme d’un nouveau groupe. Je suis d’autant plus à l’aise pour dire cela que j’ai été à SouB jusqu’en 1958, que je connais la filiation de SouB à Solidarity, que j’ai des désaccords, dont certains assez précis avec les positions exprimées.

2) Tu mets le doigt sur une de ces divergences que je considère comme essentielle. Je ne pense pas que l’avénement du socialisme soit subordonné à une prise de conscience préalable de la majorité des gens et à une décision pré-établie de changement de leur part. Je ne pense pas que je doive m’étendre, puisque tu sembles d’accord, sur ce point que c’est dans l’action à laquelle sont contraints ceux qui luttent, que se développe la "conscience". Tout cela vient en même temps, par une sorte d’interaction, pas avant ou après. Pourtant, je ne formulerai pas exactement ces choses comme tu le fais. Le terme "crises du capital" que tu emploies, je suis d’accord à condition de ne pas le limiter aux crises style 1930 que cela évoque invariablement. Cela peut être toutes sortes d’événements, de situations imprévisibles touchant tel pays ou secteur. Le monde capitaliste est essentiellement mouvant, à la fois par l’évolution des techniques, la lutte des classes et l’adaptation du capital lui-même aux situations nouvelles. C’est l’intérêt de certaines analyses de SouB, de Solidarity et d’autres, mais, il y a un terrain vierge à défricher constamment, d’autant plus qu’inévitablement les analyses des uns et des autres, comme les nôtres sont encombrées de tout le passé — pesant souvent — que nous devons exorciser à chaque pas.

4) Là, je ne suis pas d’accord avec ce que tu écris. Il me semble que dans l’affirmation du "groupe de révolutionnaire, partie du prolétariat" et d’une certaine fonction assez peu précise, qu’il existe une certaine contradiction avec l’affirmation précédente que la conscience ne peut être le produit d’une décision préalable — donc sujet de propagande, d’adhésion ou d’éducation. Je serai assez d’accord sur le groupe qui doit agir et intervenir chaque fois que bon lui semble, mais nous touchons là un point essentiel : tu éprouves le besoin de dire avant "Il ne faut pas que... Il ne peut surgir..." pour dire finalement "en définitive, c’est l’histoire qui juge", l’histoire, c’est-à-dire ceux qui luttent. Tout ce que je peux formuler derrière l’étiquette "avant-gardisme", il y a cette prétention hénaurme des groupes d’être chacun l’universel et non un simple élément parmi beaucoup d’autres. Ce n’est pas une affaire de barrières ou de modestie mais je crois, toute une conception politique avec des hiérarchies — théorie sur l’action — universel sur particulier — projet révolutionnaire sur quotidien, etc.

Par contre, ce que tu dis sur "l’autogestion du capital", je crois qu’une partie de Solidarity et même Cardan (Castoriadis) seraient d’accord. C’est là que je ne suis pas non plus d’accord avec ce que tu écris. La question n’est pas de formuler des jugements de valeur sur la lutte de classe, encore moins de passer son temps à critiquer les interprétations bidon des néo-capitalistes ou néo-syndicalistes. La lutte de classe est telle qu’elle se déroule : inévitablement dans le champ clos du capital tant que celui-ci existe et aboutissent à une réforme de lui-ci, quelles qu’en soient les voies et quelle que soit la dimension de "l’expérience socialiste" (entreprise ou Etat). Je crois aussi que le débat forme-contenu est à côté de la question. Il ne s’agit pas de juger la forme parfaite ou le contenu idéal. Il s’agit de comprendre — et expliquer éventuellement — comment des formes et un contenu radical peuvent surgir de la lutte elle-même  ; c’est lié au problème de la conscience évoqué plus haut. Cela peut plafonner très rapidement ou au contraire se transcender. Ce n’est pas une question de volontés individuelles ou collectives (bien qu’elles jouent un grand rôle), pas une question d’intervention d’un groupe (bien que ça puisse jouer un rôle dans certaines circonstances) mais une question de généralisation de la lutte et de toutes les conséquences (au point de vue tâches ou actions) qui s’ensuivent : peut-tu dire qu’est-ce qui a généralisé la grève en mai 68 ?, etc.

6) D’accord avec ce que tu dis des conseils ouvriers. Je ne suis pas "conseilliste". Mais je me méfie tout autant des théories sur la "négation du travail" (du groupe du même nom et d’autres) parce qu’ils oublient que la société, quelle qu’elle soit est et restera un appareil productif, puisque l’homme est un consommateur et un producteur. Il y a derrière des critiques justes sur la gestion du capital et sur la morale du travail, toute une éthique à la Saint-Just qui ne donne guère envie d’être un révolutionnaire. Toute la complexité de l’appareil productif, toutes les interactions du processus révolutionnaire restent dans le bleu du ciel.

(...)

Fraternel salut.
H. Simon