par ArchivesAutonomies
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Qu’est-ce que la révolution ? C’est justement la fonction d’un groupe de la définir, en établissant un projet sur "le contenu du socialisme", sur la société nouvelle sans exploitation, donc sans classes, etc. Nous sommes mieux armés que nos aînés puisque nous savons mieux qu’eux ce qu’il ne faut pas préconiser. Je vous l’ai dit lorsque vous êtes venus en vous montrant mes notes sur le projet Chaulieu reproduit par Solidarity : il s’agit d’un travail de groupe, pas d’un individu.
Sans projet, au moins limité à des principes, il ne peut y avoir ni révolutionnaires, ni groupes révolutionnaires. Etre contre les régimes capitalistes, pour l’action directe, contre la collaboration de classe, contre les nations, etc. ne suffit pas. Il faut être pour..., ce qui répond à la 2e question : que signifie être un révolutionnaire ? C’est donc à la fois être pour un projet, en parler, en discuter, tout en participant aux luttes de sa classe en préconisant les revendications, les motivations, les formes de lutte, l’ auto-détermination, etc. quelle que soit l’ influence qu’ on peut avoir au sein de sa classe, c’est ce que l’on dit qui compte — et ce que l’on fait en conformité avec ce que l’on dit — et cela dans la “vie quotidienne” autant qu’en période de luttes. C’est en cela qu’il y a un aspect exemplaire dans le comportement du "révolutionnaire", ce qui n’a rien à voir avec des "actes ou actions exemplaires".
Qu’est-ce qu’un groupe révolutionnaire ? je préférerais "groupe de révolutionnaires". Mais ne chicanons pas. En tout cas, je pense qu’il faut dire groupes. Je pense aussi, comme Serge, qu’il ne peut s’agir que de groupes d’affinité et très divers (locaux, d’entreprises, culturels, etc.) comme ceux qu’ICO se proposait de fédérer après 68 — pourvu qu’ils aient pour tâche d’œuvrer en vue d’établir le projet révolutionnaire et le fait connaître tout en menant une lutte fragmentaire liée au "mouvement autonome". Je passe sur la question "comment doit-il fonctionner ?" puisque la réponse dépend des questions suivantes. Je rappelle aussi que, même si, par sa composition et les préoccupations privilégiées de ses membres (économistes, sociales, culturelles, etc.) un groupe se croit a-politique, il se goure, car tout est lié.
J’en arrive donc aux rapports d’un groupe avec le mouvement autonome et ses organismes.
Tu écris en bas de la page 1 : "La lutte est de moins en moins portée par des “militants”." C’est valable si par "militants" tu entends "membres d’un parti ou de groupes". Mais les grandes luttes ont-elles été portées par des militants ? Ceux-ci les canalisent, les conduisent, certes, mais à condition de se laisser porter et de manœuvrer, ce qu’on appelle "opportunisme révolutionnaire". Mais cela concerne les groupes du genre que nous combattons.
Ce qui compte pour moi, c’est l’engagement et l’activité des membres du groupe dans les luttes et les organismes auto-créés. Et cela sans qu’une discipline de groupe puisse fausser cet engagement — je me suis exprimé à ce sujet dans ma dernière lettre. Mais que les membres d’un groupe se réunissent, discutent du mouvement, quoi de plus normal. C’est même une bonne chose — j’en ai fait l’expérience en 36.
Reste l’intervention du groupe en tant que tel. Elle ne peut être qu’extérieure ou apparaître comme telle. Encore une fois, tout dépend de ce qui est dit dans un tract ou un journal distribué ou vendu. Une intervention de ce genre peut appuyer ce que des camarades font ou disent au sein des organismes d’auto-détermination. A mon sens, ce n’est pas une question de principe. J’inclinerai pour des interventions après une lutte ou à des moments cruciaux de celle-ci — étant bien entendu qu’il ne peut s’agir que de tracts et journaux.
Quelle fonction le groupe assigne-t-il à sa théorie ?
Théorie ?? enfin, peu importe. Un groupe peut juger utile de faire connaître son analyse d’un mouvement, les enseignements qu’il croit devoir présenter à l’attention des participants, ses réflexions sur le projet de société nouvelle, etc. Un groupe de révolutionnaires ne travaille pas pour seulement ses membres. Il est normal qu’il fasse connaître les résultats de ses discussions. En somme, c’est une participation à une discussion plus générale. Et cela ne peut être présenté que comme tel.
Pourquoi dramatiser ? ce que tu fais page 2.
Page 3, tu définis en réalité ce qu’est le sectarisme. Et c’est ce sectarisme qu’il faut dénoncer et démolir. On peut avoir une grande rigueur de pensée, présenter ses opinions nettement et ne pas être sectaire pour cela. Sans blague, qui peut prétendre posséder la vérité ? Tout ce que chacun ou un groupe peut apporter, c’est une contribution. Chacun doit défendre le fruit de ses réflexions, de son expérience, mais sans affrontements violents ou dialogue de sourds. On doit chercher à se comprendre, soit pour aboutir à un accord, soit pour préciser et peut-être limiter les divergences.
Je sais que ce n’est pas facile — mais je sais aussi que c’est possible.
Si je me limite aux réunions de toutes sortes auxquelles j’ai pu participer en responsable, c’est-à-dire en camarade désireux d’aboutir à un véritable échange en vue d’un résultat, j’ai presque toujours réussi à éviter les affrontements sectaires et violents, et cela malgré des "incompatibilités" de personnes et de caractère. Sans manœuvres, sans rechercher les compromis. Mieux valent deux ou trois textes qu’un nègre-blanc. Mais faut-il tout de même qu’une réunion rassemble des gens pas trop divergents. D’où l’utilité de se séparer quand tout travail en commun n’est pas ou n’est plus possible. Et cela sans dramatiser.
Tout ce que je viens d’écrire concorde avec ta conclusion, sans l’aspect dramatique.
Une dernière réflexion. Un révolutionnaire peut se trouver à contre-courant, même du "mouvement autonome". En réalité, jusqu’à maintenant, ce fut, c’est toujours le cas. La belle affaire ! Ce n’est pas une raison [pour] se retirer dans sa tour d’ivoire et pratiquer l’attentisme. Un révolutionnaire est tout naturellement le contraire d’un attentiste. Sa vie est une lutte. Elle n’aurait aucun sens autrement. Et un révolutionnaire s’efforce tout naturellement de n’être pas seul, de penser et d’agir avec d’autres. Tout cela me paraît si simple que je comprends mal que ça puisse mériter tant de discussions. [En marge : et hein ! pas question de "devoir" et autres histoires du même tonneau populiste. Ces trucs-là c’est pour ceux qui peuvent s’accommoder de vivre dans un pareil merdier.]
Et cette fois, terminé pour ma contribution. (...)