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Brochure ICO - Un point de vue – 27 octobre 1973
Article mis en ligne le 14 janvier 2025
dernière modification le 25 décembre 2024

par ArchivesAutonomies

J’ai définitivement quitté ICO en avril I973. Je participais à ce groupe depuis son origine au cours de l’été 1958. D’une scission du groupe Socialisme ou Barbarie auquel j’appartenais depuis 1951 était né ILO (Informations Liaisons Ouvrières) transformé en 1960 en ICO (Informations Correspondance Ouvrières). Ce dernier titre s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui. Derrière cette façade, avant ou après le changement de titre, se cachent la vie et les transformations d’un groupe. Ce qui s’y est passé, non seulement est d’autant moins connu que les bulletins anciens sont épuisés, mais n’est pas toujours apparu dans les pages des publications. Il n’est pas inutile, dans cette crise d’ICO qui dure, sous des formes diverses, à mon avis depuis 1967, de rappeler certains traits de l’histoire d’ICO et de chercher à les expliquer.

QUELQUES APERÇUS SUR L’HISTOIRE D’ICO ET SUR SES RAPPORTS AVEC LES COURANTS IDÉOLOGIQUES ET POLITIQUES DES VINGT DERNIÈRES ANNÉES.

ILO avait en I958, tout au moins en apparence, quelques positions bien définies. Les événements de mai 1958 et ses répercussions dans le groupe Socialisme ou Barbarie (SB) avaient fait cristalliser ces positions autour de points limités. Le coup d’Etat du 13 mai avait fait voler en éclat le cadre routinier de SB. Avant 1958, il avait été possible d’y discuter théoriquement, de faire une revue, ceci malgré des divergences profondes. Comme cela se passe toujours, les luttes sociales se chargent de détruire les "pratiques démocratiques" ; elles contraignent les groupes à quitter le champ privilégié de leur "réflexion" pour affronter celui de la "pratique". La cohabitation de "tendances" devint impossible lorsque les membres de SB furent obligés d’avoir une autre activité que sortir la revue et chercher des locaux pour stocker les invendus : une bonne centaine de "nouveaux » faisaient irruption dans le groupe, essentiellement des universitaires et des étudiants, venus bien sûr avec un vague accord avec la revue, mais surtout avec l’intention de "faire quelque chose", quelque chose en rapport avec les événements, la guerre d’Algérie et le coup d’Etat gaulliste. Cela posait des problèmes d’organisation (on ne peut fonctionner à 100 comme on fonctionne à 20) mais aussi des problèmes d’orientation.

En gros, on peut dire que la majorité de ces "nouveaux" pensaient que la guerre d’Algérie et la lutte contre le gaullisme ouvraient des "perspectives". Leur engagement présent reflétait la conviction consciente ou inconsciente qu’ils étaient l’avant-garde d’un combat que les travailleurs ne devaient pas tarder à reprendre. A ce moment, en mai-juin 1956, il se trouva seulement une minorité dans le groupe pour affirmer que :

— le gaullisme n’était pas le fascisme. Et pas la "révolution" en réaction contre. Seulement un agent politique de la concentration et de la modernisation du capital en France. Son action en ce sens toucherait toutes les classes sociales et particulièrement les classes moyennes ;

— les travailleurs ne feraient pas la "révolution" mais que, en fonction de l’évolution du capital, des formes autonomes de luttes se dégageraient peu à peu ;

— la seule tâche d’un groupe, c’était un travail d’analyse et d’explication pour encourager par tous les moyens l’autonomie des luttes ;

— l’organisation du groupe lui-même ne pouvait se faire que sous la forme de groupes autonomes. Ceux-ci définiraient eux-mêmes leur coordination, leurs liaisons, leur pratique commune.

Ces positions furent diffusées à l’intérieur de SB lors des débats de l’été 1958 qui préludèrent à la scission, puis sous une forme condensée à l’extérieur. Elles étaient résumées dans ce paragraphe du premier texte signé ILO :

"Ce groupe a décidé de mener son travail dans le sens de ce que nous estimons être l’aboutissement des principales analyses de SB. Ce travail s’inscrit dans l’idée, que nous croyons fondamentale en ce qui concerne le rôle de l’avant-garde, que l’activité des militants doit être orientée vers une aide réelle de la lutte ouvrière en se refusant d’être en n’importe quelle circonstance une direction révolutionnaire. Nous sommes conscients de rompre ainsi avec la tradition des organisations dites ouvrières ou d’avant-garde. Mais nous estimons que ce principe correspond fondamentalement à la réalité de la lutte des travailleurs. En effet, la classe ouvrière qui a fait et qui fait chaque jour l’expérience de la bureaucratie pose en termes concrets le problème de l’autonomie de sa lutte..."

De tels débats avaient eu lieu bien des fois à SB ; mais ils étaient restés purement théoriques ; les articles de la revue en témoignent. Bien qu’affirmées par un groupe apparemment cohérent, les positions d’ILO dissimulaient un conflit fondamental : pour quelques éléments "travailleurs", elles étaient l’affirmation d’un besoin découlant d’une expérience de lutte ; pour tous les autres, elles étaient un débat d’idées une sorte de "pratique démocratique" opposée à la conception totalitaire du parti. Il arrive ainsi souvent que dans une scission un groupe lutte sur des positions apparemment communes ; cette unité apparente existe avant la scission, soudée par le fait qu’on doit s’opposer en commun à des choses bien précises à ce moment ; mais dès que la scission est consommée et qu’on se retrouve seuls devant d’autres problèmes, des oppositions fondamentales peuvent alors se révéler. On peut se trouver d’accord avec d’autres sur une même réponse à une même question mais par des voies divergentes, lesquelles se révèlent par la suite contenir l’essentiel qui avait été masqué par la discussion sur le problème du moment.

La diffusion restreinte des positions d’ILO amena la rencontre, due en partie aux événements de 1958, de travailleurs, d’intellectuels, d’étudiants. Intellectuels et étudiants venaient tous de la "minorité » de 1958, et leur affirmation de l’autonomie était pour une bonne part une conception idéaliste, comme je viens de le souligner ; de plus, tout comme pour les nouveaux venus à SB de 1958, leur "militantisme" s’était découvert dans la lutte contre la guerre d’Algérie (et principalement pour les étudiants contre la révocation des sursis militaires et avec toutes les variantes idéologiques du "soutien au FLN", forme concrète en France du tiers-mondisme de cette époque). Pour les travailleurs, venus pour la plupart après la constitution d’ILO, c’était plus complexe. Beaucoup avaient appartenu ou appartenaient encore à des groupes politiques : Fédération anarchiste, Noir et Rouge, Socialistes de Conseils...) . Mais leur expérience de travailleurs, et notamment leur passage dans les syndicats ou les affrontements au cours de grèves leur avait fait comprendre :

— d’une part que les luttes commençaient à se dégager lentement des formes traditionnelles pour évoluer vers des formes autonomes d’action,

— d’autre part que leurs idées politiques (apparemment opposées puisque parmi eux il y avait des marxistes et des anarchistes) ne pouvaient primer leur expérience (avec pourtant ici des divergences qui réapparaîtront plus tard).

En juin 1958 s’était tenu une réunion à la Bourse du Travail de Paris, réunion passée presque inaperçue. Elle rassemblait tout ce qui devait constituer l’embryon des mouvements des dix années suivantes (ce qu’on peut appeler les groupes "extra-syndicaux", même s’ils propagent l’idéologie syndicale). Plus d’une centaine de militants s’étaient affrontés autour de trois courants :

— un courant réformiste du syndicat (syndicalistes révolutionnaires de la Révolution Prolétarienne, anarcho-syndicalistes de diverses obédiences dont une très proche des trotskystes de l’OCI, l’embryon de Lutte ouvrière pratiquement limité alors à Renault, etc.),

— un courant d’intervention directe représenté par SB qui lançait son mensuel Pouvoir ouvrier et dont un des membres participait à un bulletin Renault, Tribune ouvrière, qui ne devait pas survivre au développement des groupes précités,

— le reste enfin qui refusait à la fois le syndicalisme sous toutes ses formes et l’activisme direct de propagande politique ; il semblait se retrouver plus ou moins dans les positions exprimées par la "minorité" de SB et précisées plus haut. Certains avaient fait des expériences directes d’organisation de lutte autonome bien que de caractère limité : le Conseil du personnel des Assurances Générales Vie , Tribune ouvrière Morse.

La réunion n’avait apparemment rien donné. Mais elle avait contribué à rapprocher les différents courants qui vont se développer après 1958 et à préciser leurs positions. Le dernier de ces courants se replia plus ou moins sur ILO. Il n’était pas non plus exempt de certaines formes d’avant-gardisme. Par exemple certains pensaient qu’il était possible, par certaines formes d’action, d’élever la "conscience ouvrière". Cependant, les problèmes pratiques dictés par l’affrontement direct avec une réalité sociale s’imposaient avec suffisamment de force pour qu’il y ait, dès le départ et en quelque sorte naturellement, une séparation quasi totale avec le groupe étudiants-intellectuels sorti de SB. Ce n’était pas un hasard s’il y eut ainsi, sans discussion préalable, une division en deux cellules recoupant, d’un côté une majorité idéaliste et de l’autre une majorité de travailleurs affrontant quotidiennement l’exploitation dans les entreprises. Le lien formel entre ces deux cellules n’était que la participation de quelques camarades (toujours les mêmes) aux réunions séparées ; il n’y eut pratiquement pas de réunions communes ; les seules discussions communes qui constituaient le lien réel d’alors était la lutte contre la guerre d’Algérie.

Peu à peu, positions et divergences se précisèrent. Le bulletin ILO prit deux sous-titres : regroupement inter-entreprises, groupe ILO ; une plate-forme apparut "Ce que nous sommes, ce que nous voulons" (n° 21, mai 1960) qui affirmait d’emblée : "Le but de notre regroupement est de réunir des travailleurs..." et dès le n° 22, le titre devint ICO avec le seul sous titre "regroupement interentreprises" . Le n° 22 expliquait ainsi cette transformation :

"Le regroupement interentreprises comprend des camarades qui appartiennent aux divers mouvements : il importait dès lors que ce bulletin commun apparaisse bien comme ce qu’il est : non pas l’émanation d’un groupe politique déterminé, mais le résultat d’une rencontre entre des camarades travaillant dans des entreprises et ayant une expérience commune des luttes et des syndicats traditionnels..."

Deux ans plus tard, la fin de la guerre d’Algérie consacrait la disparition totale du groupe ILO. Celui-ci perdait le support de son activisme de circonstance qui avait seul maintenu son existence et difficilement sa cohésion. A mesure que cette fin approchait, se développaient de laborieux débats entre la tendance humaniste (Lefort) et les rares qui se référaient au communisme de conseils. Sous le couvert d’une "Lettre aux camarades" (n° 10, juillet-août 1962), la position résumée ci-dessus était développée. L’affirmation des divergences et la libre expression de chacun, y était présentée, non comme une forme de la démocratie, comme dans un cartel d’organisation ou un club quelconque, mais comme la confrontation de l’expérience et des idées de chacun dans l’entreprise comme travailleur, ou dans sa vie personnelle, avec l’expérience et les idées des autres, comme une sorte de creuset d’où devait sortir ce qu’il était nécessaire de faire au niveau du groupe, comme au niveau individuel. Aucune expérience, aucun débat ne devait être écarté pourvu qu’il reste compréhensible et abordable pour chacun. Il était aussi affirmé l’espoir que de ces échanges "horizontaux" pouvait surgir des débats plus généraux, plus théoriques, sur le capitalisme, sur les classes sociales, sur la lutte de classe.

La plate-forme pourtant définissait sans le vouloir une certaine forme de néo-syndicalisme, malgré l’affirmation d’être bien conscient du rôle des syndicats dans le capitalisme moderne :

"... cherchons à créer des liaisons effectives directes entre les travailleurs syndiqués ou non, de différentes usines, entreprises ou bureaux... Dans les luttes nous intervenons pour que les mouvements soient unitaires et pour cela, nous préconisons la mise sur pied de comités..."

De telles phrases avaient un sens bien différent pour certains camarades ; cela pouvait se rapprocher de l’anarcho-syndicalisme. En tout cas, l’idée d’une permanence d’organismes de lutte ou de liaisons, d’entraide... était bien contenue dans ces lignes ; son sens réel n’en avait jamais été réellement débattu. On était loin de l’idée d’une confrontation permanente et d’une révision des idées acquises affirmées auparavant.

Début 1967,1a plate-forme d’ICO fut modifiée dans un sens qui levait toute ambiguïté sur le rôle et la fonction d’un groupe. Les phrases ci-dessus étaient modifiées et il y était ajouté ce qui suit :

"Le mouvement ouvrier est la lutte de classe telle qu’elle se produit avec la forme pratique que lui donnent les travailleurs. Ce sont eux seuls qui nous apprennent pourquoi et comment lutter ; nous ne pouvons en aucune manière nous substituer à eux ; eux seuls peuvent faire quelque chose. Nous ne pouvons que leur apporter des informations au même titre qu’ils peuvent nous en donner, contribuer aux discussions dans le but de clarifier nos expériences communes et, dans la mesure de nos possibilités, que leur fournir une aide matérielle pour faire connaître leurs luttes ou leur condition..."

Ce paragraphe, inspiré par les camarades de la tendance communiste de conseils, ne fut en réalité pas compris par une bonne partie des participants. Ces derniers restaient sans aucune doute persuadés qu’une action restait possible pour transformer la "conscience ouvrière", pour donner des conseils de lutte, voire pour se substituer aux travailleurs dans ce qu’ils ne faisaient pas eux-mêmes dans leur lutte mais que nous jugerions nécessaire pour eux. Pourquoi cette modification apparut-elle à ce moment   ? C’était les premières manifestations du courant que nous essayons d’analyser plus loin, qui culminera en 1968 et dont la forme la plus achevée fut le situationnisme. Jusqu’alors, il avait été facile, même avec les positions ambiguës évoquées plus haut, de se délimiter de groupes plus proches de la forme parti (comme le GLAT qui pendant longtemps envoya un "observateur » aux réunions d’ICO) ou des groupes avant-gardistes traditionnels comme les anarcho-syndicalistes (encore que ces débats ne pouvaient être poussés bien loin parce que, outre l’opposition anarchisme-marxisme qui surgissait de temps à autre, une critique radicale de l’anarcho-syndicalisme aurait été aussi une critique radicale des conceptions politiques de certains camarades d’ICO).

L’affirmation de "principes" constituait une faible digue à la montée d’un courant activiste qui ne pouvait s’exprimer dans les formes traditionnelles du léninisme ou de l’anarchisme, mais qui ne s’en considérait pas moins comme la conscience des exploités du capitalisme moderne. Ils découvraient, dans la critique de la vie quotidienne et dans une pratique affirmée comme exemplaire parce que "conforme à la théorie", un radicalisme et un nouvel élitisme. Dans un groupe aussi hétérogène que l’était ICO, où effectivement les débats théoriques étaient éludés, les divergences d’idées admises parce qu’au fond, la lutte de classes était leur dépassement, il était facile de venir jouer les détenteurs d’une vérité, de relever les contradictions et de fustiger les comportements. A partir de mai 1967 (n° 60, "des camarades discutent") et jusqu’en mai 1968, ce type d’affrontement revint régulièrement à cette époque, ces tentatives de modifier l’orientation d’ICO se heurtèrent à ce que les autres appelaient son conservatisme, etc. mais qui était plutôt le sentiment de la majorité de travailleurs que ce qu’on leur offrait était pur idéalisme et ne correspondait pas à la réalité de ce qu’ils vivaient dans leur boîte et ailleurs.

Mais, encore une fois, l’affirmation d’une position commune (et encore, dans ce cas, elle n’était même pas formulée et approfondie) recouvrait des divergences, y compris sur ce qui pouvait être retenu des idées nouvelles ainsi formulées. L’unité apparente d’ICO face à ces critiques venait plus de leur atteinte à des positions idéologiques antérieures à ICO que de l’affirmation d’une position anti-avant-gardiste qui aurait pourtant été la réponse la plus radicale à ces critiques (elle était d’ailleurs contenue, cette réponse, dans le paragraphe de la plate-forme cité plus haut). Il est difficile à celui qui continue à avoir une idéologie avant-gardiste de critiquer réellement ceux qui sont porteurs de la même idéologie adaptée au capitalisme moderne. Dans le bloc soudé de ceux qui défendaient ICO dans sa formule pratique, on ne pouvait déterminer ce qui était prédominant, ou de l’attachement à certaines idées, ou bien de l’expérience de travailleurs reléguant les conflits idéologiques dans leur domaine spéculatif.

Avant la grève générale de mai 1968, des contacts avaient été pris avec certains étudiants du Mouvement du 22 Mars (ceux qui étaient plus proches de Noir et Rouge) ; tout d’abord pour savoir ce qui se passait exactement à Nanterre ; cela entraîna des affrontements avec ces étudiants et des éléments du groupe des "Enragés" (influencés par le situationnisme) qui assistaient alors aux réunions ; c’était la répercussion des affrontements de ces noyaux au sein de l’université, dans leur rôle d’avant-garde étudiante. Les Enragés, à cause de leur idéologie radicalement opposée à celle de certains participants à ICO, furent rejetés. Les autres, qui épousaient plus ou moins les formes diffuses d’avant-gardisme d’ICO, étaient admis (on comprend dès lors les attaques virulentes que les situationnistes purent faire sur des groupes comme Noir et Rouge). Comme précédemment, cette coalition de circonstance évitait de poser le problème de l’avant-gardisme.

Mai 1968 projeta dans ICO une foule de nouveaux qui autour du 13 mai venaient avec l’intention de "faire quelque chose", de trouver des directives. Ils furent sans aucun doute déçus : la majorité des copains d’ICO se trouvait engagés à fond dans les mouvements de leurs milieux respectifs (usines, bureaux, facultés, lycées, etc.), le noyau d’ICO se refusait de jouer tout rôle de leader dans les luttes. La plupart de ces nouveaux venus se tournèrent vers les multiples comités d’action, de liaisons constitués un peu partout, ICO fonctionna alors comme un groupe de liaison et d’informations. Rapidement se fit jour l’idée de faire quelque chose d’autre qui se trouva dans la perspective de ce qu’était ICO, c’est-à-dire tenter une analyse de ce qui se passait. Cela se matérialisa par la publication de deux brochures qui marquait bien une division dans tous ceux qui, à ce moment, gravitaient autour d’ICO. La brochure La Grève généralisée en France, mai-juin 1968 fut à la fois un amalgame assez incohérent et une tentative d’analyse se référant au mouvement communiste de conseils ; il y eut une amorce d’élaboration collective, mais ce fut plutôt une collection de textes individuels dont la liaison fut faite par quelques-uns, ceux-là mêmes qui tentaient une explication historique ; en particulier le texte sur le mouvement étudiant y avait été fourré tel quel, élaboré entièrement en dehors d’ICO et sans même qu’une tentative de discussion, de critique et de rapprochement avec le reste du texte eut été faite. Cet ensemble et les discussions préalables ne satisfaisaient sans doute pas d’autres camarades qui, parallèlement, en dehors des réunions d’ICO, élaborèrent une autre brochure formée pour l’essentiel de textes parus dans Noir et Rouge et intitulée L’Autogestion, l’Etat et la Révolution. Ce texte, amené au dernier moment, alors que l’autre brochure était pratiquement prête à sortir, fut publié séparément, mais comme le second tome d’une collection à suivre. Il n’y eut pas de suite ; mais, à ce moment, deux courants bien précis s’affirmaient à travers ICO, alors qu’il fallait tenter une analyse des événements ; il n’y avait aucune synthèse, aucun dépassement, mais seulement l’affirmation parallèle des positions antérieures de chacun. Pas un conflit, parce qu’on cherchait des solutions pratiques pour l’éviter ; il n’était pas effacé pour autant et allait mettre cinq années à se développer. Non pas sous la forme théorique qu’il pouvait prendre alors, mais précisément sur le terrain du rôle du groupe et de son fonctionnement, c’est-à-dire de la conception de l’avant- garde et du mouvement de lutte.

C’était normal, puisque Mai-68 et le mouvement étudiant avaient fait resurgir l’avant-gardisme, aussi bien sous ses vieux oripeaux que sous des nouvelles modes. Il n’était pas un étudiant qui ne pensât qu’il avait beaucoup à apprendre aux ouvriers restés dans les usines et qui avaient repris le travail au bout de quinze jours de grève : il était prêt à faire la "révolution" et les travailleurs n’avaient mené qu’une lutte pour une augmentation de salaire. A partir de ce moment, ICO devint une sorte de regroupement très flou et apparemment encore plus disparate, bien qu’une majorité partageât la conviction qu’ils possédaient la conscience et qu’ils devaient œuvrer pour élever les travailleurs jusqu’à leur niveau. ICO, avec sa conception de l’organisation en groupes autonomes et ses analyses proches du marxisme du communisme de conseils, pouvait séduire à la fois ceux qui "voulaient agir" tout en refusant les formes d’organisations traditionnelles et ceux qui partant des bases d’analyse pensaient qu’il serait possible de le structurer pour en faire un groupe d’avant-garde plus classique : c’est pour cela qu’au cours de 68-69 on peut trouver à ICO aussi bien des groupes comme Révolution internationale (traditionaliste tant dans les analyses que dans les conceptions de l’organisation), Archinoir (cherchant une théorie globale rigide plus adaptée au capitalisme moderne et influencé par le situationnisme), des individus sans démarche précise autant que des groupes formels ou informels qui s’étaient constitués un peu partout.

Pour garder tout cela en contact, il n’y avait pas 36 formules pour ICO et ce fut celle qui s’imposa aux rencontres de juin et juillet 1969 :

— le bulletin devenait un fourre-tout où chacun pouvait exprimer ce qui lui plaisait puisque aucune ligne cohérente ne pouvait se dégager (c’est pour cela que le problème de la censure fut pour un moment au centre des discussions) ;

— l’immense majorité imposait, malgré les oppositions "radicales", la même conception avant-gardiste et activiste. Il fallait des efforts surhumains aux quelques rescapés de l’ancien noyau pour tout simplement essayer de tirer les leçons des luttes qui se déroulaient, c’est-à-dire de savoir ce qu’était le mouvement ouvrier et quelle leçons il nous apportait ;

— sous cette poussée avant-gardiste, même le groupe d’avant 1968 se disloqua. Il avait conservé une apparente cohérence pour résister, sous des motifs divers, à ceux qui, en précurseurs, avaient proposé à ICO certaines formes modernes d’avant-garde (voir plus haut les débats de 1967-1968). Aux "anciens" qui avaient gardé certaines idées d’avant-garde, l’immense brassage de l’après-68 offrait des possibilités concrètes que la situation d’avant 68 leur avait fait rejeter. Auparavant, ces camarades avaient peu ou prou abandonné leurs conceptions éthiques sous la pression de leur expérience de travailleurs ; maintenant, ils pouvaient retrouver le militantisme en "agissant" dans une réalité (le plus souvent hors de l’entreprise) sans apparemment abandonner leur "réalisme" puisque le nouveau mouvement submergeait tous les milieux. Militer n’était plus alors de l’idéalisme mais la réalité du courant issu de Mai-68.

La rencontre de Bruxelles en juillet 1969 fit bien ressortir toutes ces contradictions. Comme à ICO, les courants étaient tellement croisés que, selon les débats, les majorités se faisaient et se défaisaient, jamais avec les mêmes. Mais il était clair, notamment à travers une polémique avec Daniel Cohn-Bendit, que le clivage capital était bien sur les conceptions de l’avant-garde et particulièrement de l’avant-garde étudiante. Une telle situation ne pouvait durer. Les avant-gardes diffuses s’épuisaient en tentatives vaines de "recommencer Mai" et fuyaient alors ; qui sur la violence qui sur le repli communautaire, qui sur le groupe le plus structuré comme organisation, qui comme théoricien du "mouvement communiste". Il était aussi matériellement impossible d’assumer la vie d’un groupe dans de telles conditions, d’autant plus que les quelques camarades ayant la charge du bulletin étaient ceux-là mêmes hostiles à toute forme d’avant-gardisme qui pourtant leur était imposée de toutes parts .

Il eut été préférable de liquider ICO en juillet 1970 après la rencontre du Bessat. Le retrait de tout le courant marxiste activiste traditionnel (qui devait se regrouper par la suite autour de Révolution internationale) ne laisse qu’un groupe très réduit et impuissant (celui qui était depuis des années l’animateur d’ICO) face au déluge du courant périsituationniste, lui-même divisé et s’invectivant dans d’invraisemblables discussions. Par une astuce matérielle et pour essayer de sauver ce qu’avait été ICO dans le passé, le bulletin continua : le numéro 97-98 (septembre-octobre 1970) posait dans un éditorial la division des publications ; le mensuel régulier consacré aux luttes et aux discussions sur les luttes ; ICO-Liaisons irrégulier, bulletin de confrontation et de discussions ; c’était à la fois une solution aux problèmes matériels (il y avait peu de fric) et une division réelle entre deux groupes de camarades. C’était la même division que nous avons signalée tout au long de cet exposé, mais sans qu’il y ait eu de débat réel sur le fond ; chacun faisait semblant de ne voir dans cela que la réponse aux problèmes pratiques.

Il était impossible de procéder ainsi parce que le courant avant-gardiste nouveau (auquel se joignaient quelques anciens) cherchait, depuis Mai 68, tout en se rapprochant de temps à autre d’ICO, à trouver une formule hors d’ICO pour s’exprimer et pour agir. Manifestement ICO, avec son seul contenu d’analyses et ses réunions d’informations et de discussions, ne les satisfaisait pas ; la présence de quelques camarades sachant ce qu’ils voulaient les empêchait de travailler dans ICO. Essentiellement, ce groupe en marge d’ICO, mais qui jouait un rôle polarisant vers l’extérieur bon nombre de camarades d’ICO, provenait du mouvement du 22-Mars : il pensait qu’il avait quelque chose à enseigner d’après les luttes étudiantes et pas grand-chose à apprendre. Dès l’hiver 1968, alors que d’autres s’époumonaient à faire survivre les comités d’action, ce groupe avait tenté de lancer un journal, Passez outre, qui n’avait eu que deux ou trois numéros. D’autres tentatives suivirent, plus ou moins proches de la vague maoïste qui fascinait visiblement bon nombre d’entre eux car elle répondait à leur avant-gardisme, tout en les rejetant par son marxisme-léninisme. Le point culminant d’une de ces vagues fut le journal Tout qui disparut aussi après une dizaines de numéros, au moment même où ce groupe se vantait de l’avoir arraché aux mains maoïstes de VLR (Vive la Révolution).

Après ces échecs successifs, et sans en tirer les leçons qui s’imposaient quant à la signification même de leur activité par rapport aux mouvements de lutte, tout ce groupe informel se rabattit sur ICO : cela se passait dans le courant de l’année 1972. Ils essayèrent d’y imposer leurs problèmes spécifiques et leurs "méthodes" de travail. Leurs échecs ne les amenaient pas à une réflexion nouvelle sur la signification de Mai-68 et sur ce qu’ils avaient tenté de faire depuis ; au contraire, l’avant-gardisme restait le secteur tabou ; alors que d’autres cherchaient la solution dans la rigueur organisationnelle (groupes trotskystes) ou théoriques (par exemple Archinoir mutant dans Négation et Le Voyou), ceux-là recherchaient leur voie dans une sorte d’introspection à leur niveau individuel et à celui du groupe, dans on ne sait quelle fuite désespérée de la société elle-même et de ce qui s’y déroulait. D’où le brusque intérêt pour des sujets comme la folie, l’anti-psychiatrie, la sexualité, etc. abordés toujours sous la forme la plus idéologique et la plus personnelle. L’échec du militantisme finit souvent par une individualisation de cette espèce pour tous les problèmes (et non par leur analyse dans le cadre global de la société). On croit dépasser le militantisme inavoué mais on tombe dans une sorte de supermilitantisme individuel. Il était normal que le premier affrontement se fît avec le groupe ex-Archinoir (Négation ) qui cherchait à préserver son avant-gardisme par l’affirmation de son rôle théorique et découvreur de marginaux révolutionnaires. Il suffit de se reporter au n° 121 d’ICO (janvier-février 1973) pour voir quelle sorte de dialogue de sourds s’engageait entre gens apparemment fort éloignés mais fondamentalement très proches : le mérite du texte de Négation est qu’il tentait une analyse globale d’ICO, mais il le faisait en amalgamant dans le même "idéalisme conseilliste" tous ceux qui étaient encore à ICO à ce moment (ce qui était vrai pour certains). Mais ce qu’ils ne pouvaient aborder, c’était le point de l’organisation elle-même, de la fonction du groupe ; la critique d’un idéalisme ne signifie pas que l’on ne soit pas soi-même porteur d’un autre idéalisme ; la seule façon d’échapper à ces débats stériles où les invectives et les demi-vérités servent à développer l’argument que l’on veut à tout prix affirmer, c’est de regarder ce qui se passe et d’en tenter l’analyse. Or ni les uns, ni les autres, préoccupés de trouver une "issue révolutionnaire", ne sont intéressés par ce qui se passe, mais seulement par l’infime partie des événements qui leur permet de vérifier ce qu’ils pensent déjà par avance de cette réalité.

Avant même le départ des ex-Archinoir, en septembre 1972, une bonne vingtaine de participants supplémentaires vint s’associer à toutes les réunions de travail d’ICO. Préoccupations et méthodes de travail étaient en rupture totale avec ce qu’avait pu être ICO auparavant ; ce qui se passait dans les luttes et dans les boîtes était abandonné (parce que c’était "chiant" d’entendre toujours la même chose) pour des débats sur leurs préoccupations individuelles (lesquelles se trouvaient de surcroît fort réduites par l’appartenance à des milieux marginaux ou étudiants ou universitaires) ; cet idéalisme se doublait de préoccupations activistes dans toutes les directions et au gré des événements (de la participation de certains à un cartel antiélectoral à l’intérêt d’un autre pour la Brigade de la Colère). Quant aux tâches matérielles, on vit affirmer le droit, dans toutes les réunions, pour chacun de pouvoir dire et faire ce qu’il voulait à tout moment : toute discussion méthodique, tout ordre du jour préétabli était considéré comme une odieuse répression.

Les différentes tentatives pour essayer de sortir de cette situation ne rencontrèrent qu’indifférence, voire hostilité, non seulement de la part des nouveaux participants mais aussi de beaucoup d’autres. Il était bien évident qu’ICO avait subi en cinq années une mutation profonde qui l’avait transformé d’un groupe faisant passer d’abord les luttes sociales et l’expérience de ceux qui y étaient impliqués avant les idées préconçues, en un groupe totalement idéaliste, préoccupé avant tout de propager ce qui venait de sa propre "conscience" (on pourrait citer de multiples réponses faites au cours des débats qui illustrent ce propos). Rien ne justifie de rester dans un groupe lorsqu’on n’a plus aucun espoir d’y trouver ce qu’on cherche dans une telle activité et encore moins d’en discuter. Rien ne justifie de vouloir à tout prix maintenir l’existence d’un groupe qui, par son évolution, est devenu semblable à maints autres groupes auxquels je n’avais jamais eu aucune raison de participer ou même que j’avais pu critiquer assez durement. C’est à ce moment que j’ai quitté ICO, au terme d’une évolution et d’une lutte commencée à mon avis en 1967. Un des derniers débats, un des seuls qui essaya d’approfondir les divergences, montra l’importance de celles-ci et qu’elles étaient bien celles que j’ai développées tout au long de cet exposé : les termes de "projet révolutionnaire" et d’"influence" ne laissaient aucun doute à la fois sur l’orientation de la majorité des camarades d’ICO et sur mon isolement.

L’ÉVOLUTION DES CLASSES EN FRANCE 

La petite histoire d’un groupe n’est pas intéressante en elle-même, mais elle se déroule dans une société capitaliste où existent des conflits de classe. Cette société évolue, les conflits changent de nature et forme. L’existence d’un groupe, les débats qui s’y déroulent, son orientation, la conception même qu’il a de lui-même, ce qu’il est amené à faire, tout cela est l’œuvre d’hommes qui ont, à ce moment, des préoccupations en étroite relation avec le milieu dans lequel ils se situent. Leur expérience passée, leur connaissance d’autres expériences et de la totalité dans laquelle leur milieu se situe, élargit cette conception du groupe. C’est la relation entre le groupe, la société et les conflits de classe qui s’y déroulent qui est essentielle.

Dans les groupes participant à l’idéologie d’avant-garde (sous ses formes traditionnelles issues du marxisme ou de l’anarchisme, ou sous ses formes plus modernes) on ne parle que de la relation du groupe vers la société, c’est-à-dire de l’influence éventuelle du groupe, d’une manière quelconque et diverse suivant les groupes, de son intervention dans les conflits de classe : le groupe élabore des concepts théoriques (ou reprend des concepts antérieurs) et formule des jugements, donne des explications ou des mots d’orde, appelle à le rejoindre ; la relation est toujours du groupe vers la ou les classes ou milieux jugés dignes de recevoir la Parole, même si les concepts ont été formulés ou modifiés par ce qui se passe. On évite de parler de la relation inverse : des classes ou conflits de classe vers le groupe ; cela évite de regarder dans l’histoire des luttes sous le capitalisme, l’évolution des formes de luttes et des formes d’organisations, notamment dans la période présente. Il suffit pourtant, pour la France par exemple, de regarder et comparer quelle est dans le capitalisme moderne la différence entre ce que veulent faire les groupes et ce à quoi ils sont réduits par le mouvement autonome de lutte, en ne remontant pas plus loin que 1968.

La société, c’est la société capitaliste dans sa totalité avec sa base fondamentale, l’exploitation du travail salarié, c’est-à-dire l’extorsion de la plus-value et sa réalisation pour qu’elle devienne du capital, c’est-à-dire la recherche du profit maximum. Mais c’est aussi une société avec les particularismes de l’Etat dans lequel on vit et lutte. L’expérience particulière de chacun, là où il se trouve et dans le milieu où il évolue, détermine les questions qu’il peut se poser. Elle détermine aussi les moyens par lesquels il tente de relier sa réflexion et son action à d’autres dans le passé ou le présent. L’idéalisme peut alors prendre toute sa dimension si cette généralisation privilégie cette expérience et ne la ramène pas à son importance relative dans l’ensemble des luttes sociales, dans le processus de l’évolution du capital et des luttes. Plus l’expérience directe est liée à une fonction dans l’appareil productif du capital (tout ce qui concourt de près ou de loin à la production et à la réalisation de la plus-value, y compris le travail intellectuel), même si elle contient des particularismes, moins elle tendra à devenir une idéologie ; plus cette expérience est éloignée d’une telle fonction, plus elle aura tendance à se convertir en idéologie. Par idéologie je veux dire toute tentative d’ériger une lutte quelconque en modèle exemplaire et universel pour le présent et l’avenir.

Sous cet aspect, on peut considérer que la France présente des traits spécifiques qui marquent profondément les idées et les conceptions des groupes, et particulièrement leur prétention d’ériger Mai-68 au stade de prototype de la révolution mondiale.

Le principal caractère du capitalisme en France reste la domination du capital financier ; pour maîtriser le prolétariat, ce capital a dû s’appuyer et protéger les classes moyennes, celles-là mêmes qui sont directement menacées par son développement. L’évolution industrielle et commerciale plus lente qu’ailleurs se marque par la persistance de structures particulièrement inadaptées, par un protectionnisme contre l’entrée du capital étranger (notamment par les nationalisations) ou contre la compétition des produits étrangers (notamment dans l’agriculture). Après cinquante ans d’immobilisme, tout a commencé à évoluer dans l’après-guerre, lentement puis plus rapidement. La rupture de Mai-68 était précisément un conflit entre deux fractions de la bourgeoisie, la plus rétrograde contre la plus moderniste. La modernisation et la concentration du capital ont touché particulièrement les classes moyennes (paysans, commerçants, professions libérales, etc.). En quinze ou vingt années, beaucoup sont passées de la condition "indépendante" basée sur la propriété privée et sur la rente (et à l’occasion sur l’exploitation du travail) à la condition dépendante de travailleur salarié (dépendante privilégiée sans aucun doute souvent, mais dépendante). Une bonne partie d’entre eux ont donné les classes moyennes nouvelles ; mais la condition de cadre moyen est différente de celle d’un "notable" et même la condition de cadre moyen s’est modifiée par rapport à l’avant-guerre. Tous ont dû abandonner plus ou moins des modes de vie spécifiques pour la condition dépendante de salarié inclu dans une stricte hiérarchie et pris dans les impératifs de la production en grande série. Leurs valeurs traditionnelles (qui étaient celles-là mêmes que la classe dominante imposait aux prolétaires comme valeurs dominantes) se sont trouvées bousculées et des servitudes ont fait irruption dans leur vie : les servitudes qui avaient été toujours le lot des prolétaires. L’extension du capital à tous les secteurs de la vie les dépossédait parallèlement plus ou moins de leurs jouissances individuelles et "créatrices" ; ils deviennent aussi des sujets de la grande consommation même s’ils sont des consommateurs privilégiés. Ainsi, aussi bien dans leur travail que dans leur vie, ils se trouvaient réduits à une dépendance là où toujours ils avaient eu liberté d’exploiter et liberté de vie.

D’où une révolte contre l’environnement social, d’autant plus aiguë que cette mutation des classes moyennes touchait d’abord les éléments jeunes. Ceux-ci, à la faveur d’un système universitaire dépassé, pouvaient accéder en grand nombre non seulement à des connaissances mais aussi à des espoirs de promotion sociale. Beaucoup se trouvaient éjectés en cours de route, mais même à ceux qui se trouvaient nantis d’un diplôme universitaire, le capitalisme moderne ne pouvait offrir que la condition de technocrate étroitement assujetti à ses impératifs et participant directement à l’application des méthodes modernes de domination et de conditionnement dans l’organisation de la production et de la consommation capitalistes. Cette révolte s’est cristallisée dans le milieu étudiant pratiquement à partir de la guerre d’Algérie au cours de laquelle le capitalisme supprimait un privilège de classe, les sursis (en 1973, on trouvera la même révolte sur le même sujet). Elle a pris des formes très diverses depuis l’action politique avec la lutte contre la guerre du Viet-Nam et le tiers-mondisme jusqu’à la critique "globale" de la société de consommation dans le situationnisme. Il serait intéressant de retracer toute cette histoire de la révolte étudiante à travers les diverses idéologies qui convergeront en Mai-68 dans le grand creuset de l’action étudiante. Mais, ce qui se développa dès la guerre d’Algérie, nous l’avons déjà souligné, et ne fit que s’amplifier sous des formes diverses, c’est la résurgence de l’avant-gardisme : les étudiants, qu’ils soient trotskystes, maos ou situs, ou du 22-Mars, se prenaient comme l’avant-garde de la Révolution, comme les seuls conscients des méfaits du capital, comme les seuls agissants, même s’ils divergeaient profondément quant aux perspectives et aux méthodes. Mais 1968 devait donner une dimension extraordinaire à cette idéologie avant-gardiste : le mouvement étudiant avait précédé le mouvement ouvrier, lui avait ouvert la voie ; de plus, le saut était à la fois qualitatif et quantitatif et pouvait donner l’illusion que tout ce qui sortait de Mai-68 avait non seulement des possibilités immenses par le nombre mais exprimait aussi des choses totalement nouvelles quant à la "révolution". En général, les travailleurs étaient jugés durement : les moutons qui avaient pris le chemin de leur "exploitation" alors que "tout était possible", des "matérialistes" bien terre à terre qui n’avaient pas compris la leçon de l’action étudiante, pas écouté toute la propagande dirigée vers eux depuis les facultés occupées. La conclusion, pour beaucoup des étudiants, était qu’il fallait aller aux ouvriers pour leur apporter l’expérience, le soutien, la théorie ; l’avant-garde, d’une manière ou d’une autre, devait se structurer. Ces conceptions variaient selon les groupes et les théories, ce que les intéressés jugeaient être la "conscience de leur libération" (on a vu qu’ICO n’échappa pas à cette vague). Dans une telle perspective, ceux qui avaient le plus de chances de succès étaient ceux qui se plaçaient dans la perspective même du capitalisme le plus moderne, un capitalisme d’Etat éliminant les tares les plus évidentes du capital en France ; c’était en fait les moins révolutionnaires (ce qui ne veut pas dire les moins radicaux). D’où le succès des groupes léninistes, trotskystes ou maoïstes. Tout comme le situationnisme qui sous-tendait maints groupes autonomes de la même époque, l’idéologie de ces organisations et leur action représentaient "objectivement" exactement les différents visages de l’action globale pour le maintien des privilèges de leur classe (tout comme les enfants de la bourgeoisie en 1830 ou en 1848 luttaient aux côtés des ouvriers mais pas du tout pour les mêmes raisons).

Je ne veux pas m’étendre ici sur cette question que je considère comme fondamentale. Ce que je veux souligner, c’est que tout ce mouvement vient en quelque sorte trop tard en raison du développement du mouvement autonome de lutte des travailleurs qui, lui, doit tout au développement et à la transformation du capital en France, y compris ce qui s’est passé en mai 1968. C’est ce même développement du capital qui pousse vers la révolte au même moment les étudiants issus de la moyenne et petite-bourgeoisie dépossédée, donnant ainsi l’impression que la même cause produit les mêmes effets. Le résultat est que toutes les tentatives d’avoir une emprise quelconque sur le mouvement des travailleurs se brise sur cette autonomie et que toutes les structures qui tentent d’imposer une centralisation organisationnelle ou théorique finissent par être plus ou moins atomisées malgré les apparences. Cela est particulièrement net pour tous les mouvements maoïstes ; l’autonomie des luttes auxquelles ils se mêlent les réduit au rang d’instruments temporaires ; et ils sont rejetés aussitôt qu’ils tentent d’avoir une permanence quelconque. Un autre résultat concerne la démarche elle-même de la plupart de ceux qui s’affirment "révolutionnaires" non-léninistes dans le monde moderne. Ils font une critique des formes d’organisation du passé, notamment du léninisme et de toute conception centraliste. Mais en même temps ils se pensent la "conscience" et agissent comme tels et cherchent constamment à établir la permanence de cet avant-gardisme sous une forme ou sous une autre (pouvant aller de la violence directe sélective à la recherche théorique dispensant des brevets de qualité révolutionnaire à certaines formes des luttes).

Cette situation ne peut que conduire à des conflits internes. D’un coté il y a la recherche absolue de l’action, de l’autre l’impossibilité de la faire déboucher finalement sur autre chose que sur le rejet de ce qu’on a pu constuire. L’impossibilité d’atteindre cette "cohérence" dans l’action, l’organisation, la théorie a deux conséquences immédiates pour tous ceux qui se pensent l’avant-garde ou la conscience du prolétariat (c’est finalement la même chose) et cherchent à aller toujours plus avant dans la construction de l’organisation, de la théorie, de l’action révolutionnaire :

— d’une part, ils mettent les échecs successifs sur le compte de "l’erreur", n’essayant jamais de comprendre les rapports entre ce qu’ils cherchent et ce que cherchent ceux qui luttent. C’est alors la fuite en avant par un remodelage constant des objectifs pour explorer toutes les voies possibles (l’avant-gardisme tombe alors dans l’opportunisme) ;

— d’autre part ils se mettent en cause eux-mêmes sous des formes très diverses, élevant souvent leurs propres conflits de "conscience" à la dimension d’un conflit de classe (on en a parlé à propos d’ICO).

Ce n’est pas par hasard si l’on trouve tous ces courants dans le sillage du néo-réformisme, à la fois parce qu’ils soulignent l’inadaptation des structures du capital en France et ensuite parce que le débouché d’une action idéaliste, si violente soit-elle, est toujours politique, c’est-à-dire conçue contre l’Etat, contre l’ordre public. Là aussi il faudrait des pages pour montrer comment, dans la France de 1973, apparaissent les conséquences de ce type d’activité.

RÉVOLTE OU LUTTE DE CLASSE 

Des idéaux seuls ne changent pas la société. A un "révolutionnaire", un docker anglais devant la prison de Pentonville répondait : "Nous ne faisons pas la révolution, nous sommes ici pour libérer des dockers." Les travailleurs luttent pour améliorer leur condition présente et pour rien d’autre. Quand des centaines de mille d’étudiants ou de lycéens manifestent et font céder le gouvernement dans l’affaire Guiot ou contre le sursis, si 50  000 "citoyens" sauvent le Larzac du camp militaire, ils n’ont fait que menacer un moment l’ordre public, ils ont pu remporter une victoire politique, ils n’ont en rien touché l’ordre social. Si les ouvriers du Joint Français ou les employés de Lip empêchent la fermeture de l’usine, obtiennent le maintien de leurs salaires et empêchent les licenciements, leur action a menacé l’ordre social et perturbé les conditions de l’exploitation et du profit qui forment exactement les conditions de l’ordre social actuel. Si des femmes organisent elles-mêmes publiquement des groupes d’avortement, si dans des classes les maîtres n’ont plus aucune autorité, cela touche aussi d’autres formes de l’ordre social.Tout cela n’est pas une question de volonté, d’idée, de conscience, cela tient simplement à la position sociale de ceux qui luttent. Je ne veux pas développer tout cela dans ce texte, mais souligner plusieurs points qui me paraissent essentiels :

— par lutte, il faut voir tout ce qui se déroule dans la société capitaliste. Il faut tenter de situer précisément chacune de ces luttes dans ce qu’elle exprime réellement, dans sa relativité, dans ce qu’elle a de plus ou moins fondamental. Il faut la voir, comme une partie d’un tout mais non comme une totalité en elle même ;

— ce ne sont pas les idées de ceux qui luttent qui déterminent le caractère et les formes de leur lutte, mais les nécessités mêmes de cette lutte, c’est-à-dire le contexte dans lequel elle se déroule. L’intérêt d’une lutte n’est donc pas quelque chose d’abstrait que l’on doit examiner à la lumière de quelques principes ou juger (pour les rejeter ou les déifier) en fonction de quelque théorie "révolutionnaire". C’est une réalité dans un processus historique dont on doit essayer de dégager et la place et le sens au sein de ce processus. C’est en ce sens que les discussions sur des abstractions ou sur des questions personnelles élevées à la dimension de problèmes universels, ou sur certains faits soigneusement sélectionnés par la théorie, comme c’était le cas à ICO ces derniers mois, ne présentent aucun intérêt pour moi. C’est en ce sens que j’ai pu écrire que les discussions à ICO ne m’intéressaient plus.

Si on essaie de replacer toute manifestation de lutte dans le contexte global de la société, on est amené à voir que ce qu’on appelle la "conscience de classe" n’a rien à voir avec la "conscience individuelle". Elle est la manifestation collective, le plus souvent acte en même temps que pensée, des nécessités propres de la lutte considérée en relation avec la société capitaliste dans laquelle se situe cette lutte. Là non plus nous ne voulons pas nous étendre mais indiquer que les manifestations de cette "conscience de classe" peuvent être relevées dans des domaines très divers. Il faut la voir non seulement dans le cadre traditionnel des luttes (les grèves par exemple, qui ne sont qu’une des formes de résistance à la domination du capital) mais dans le cadre global de la société.

Tant que le capital existe, toute lutte partielle (et elle le reste tant que le capital n’est pas totalement détruit dans le monde entier), qu’elle soit victorieuse ou non, concourt à la survie même du système d’exploitation en amenant son adaptation aux difficultés qui avaient donné naissance à cette lutte. Simplement, cette adaptation est plus ou moins rapide, plus ou moins profonde, mais surtout elle touche plus ou moins le processus de formation du capital. Plus elle le touche, plus elle oblige ceux-là même qui ont lutté à réinventer d’autres formes de lutte, à détruire les structures mêmes de leur lutte passée. C’est en ce sens même qu’apparaît l’autonomie puisque, constamment, il faut trouver autre chose que ce qui est proposé dans la société en place pour se défendre.

Ce que je veux faire ressortir, c’est que, dans les luttes, on se trouve de plus en plus clairement en présence de deux formes d’organisations antagonistes en rapport dialectiques : d’un côté, le mouvement des organisations structurées, permanentes avec un statut plus ou moins légal ou toléré (partis, syndicats, groupes, etc.), d’un autre côté, le mouvement autonome de ceux qui luttent eux-mêmes. C’est en ce sens qu’il avait été placé dans la plate-forme d’ICO une phrase qui ne fut pratiquement pas comprise : "Le mouvement ouvrier, c’est la lutte de classe telle que les travailleurs la mènent." Le mouvement des organisations cherche toujours, d’une manière ou d’une autre, à utiliser, à manipuler le mouvement autonome. Il peut se montrer sous le visage d’un soutien et d’un encouragement à cette autonomie. Mais, il n’agit alors qu’en poussant au "débordement" par la surenchère sur les organisations les plus anciennes et les plus structurées. Toute surenchère, même au nom de l’autonomie, se place sur le même terrain que les autres organisations. Elle aboutit finalement à l’adaptation du capital, de ces organisations violemment combattues, à la formation de nouvelles structures permanentes d’intégration. On pourrait examiner sous cet angle des mouvements comme celui des objecteurs, des travailleurs immigrés, des prisons, etc. Ce qui ne signifie pas que ces mouvements soient inutiles, mais il importe de les replacer à leur place réelle. Si on s’y trouve impliqué, cela ne signifie pas qu’on soit obligé de se taire ou d’emboîter le pas à tous ceux qui n’y agissent que comme "organisation".

Pour bien faire comprendre ce que j’entends par "mouvement autonome", c’est-à-dire le mouvement des travailleurs eux-mêmes détaché du mouvement "organisé", je ne citerai qu’un exemple, celui de la grève des mineurs anglais de 1972 ; mais je pourrais aussi bien prendre beaucoup de luttes, comme celles des lycéens de 1972 en France, la grève chez Lip ou celle des mineurs du Limbourg. La grève des mineurs anglais était une grève lancée par le syndicat, c ’est-à-dire structurée d’avance, et une foule de groupuscules "poussaient" par tous les moyens traditionnels à la radicalisation du syndicat. Or la grève elle-même s’est développée dans une auto-organisation à la base, tissée à travers tout le pays, dans laquelle s’associèrent naturellement d’autres travailleurs, des étudiants, des femmes, etc. Ils ne faisaient pas seulement que dépasser les mots d’ordre syndicaux, par exemple en radicalisant les piquets devant les mines ou en organisant des collectes de fric de manière traditionnelle, mais en faisant tout autre chose, en déplaçant les objectifs mêmes de la lutte vers des objectifs essentiels en dehors des mines. Comment est apparue cette "organisation" de la base : impossible de le dire, bien qu’on en vît rapidement les effets. C’est d’autant plus difficile à dégager que cette organisation autonome devait prendre des formes plus directes et plus secrètes pour échapper aux emprises diverses de ceux qui essaient de la briser ou de se mettre à sa portée pour la conquérir et la tuer plus sûrement.

Si l’on examine les mouvements de lutte actuels, on s’aperçoit qu’il y a un double courant quant aux problèmes d’organisation :

— les organisations ou groupes traditionnels poursuivent inlassablement le but qu’ils se sont fixés en théorie : être les rassembleurs d’un nombre de militants toujours plus grands pour entraîner ceux qui luttent, les diriger, les amener à "faire la révolution" ;

— parallèlement se développent au cours des luttes nombre d’organismes sui generis dans lesquels cohabitent les membres des groupes (venus là avec des intentions précises qu’ils doivent constamment dissimuler sous peine d’être rejetés), des "inorganisés" (qui ne sont pas exempts d’intentions plus ou moins conscientes dans le genre "avant-garde étudiante" développée plus haut), conjointement avec ceux qui luttent (ou le plus souvent une partie d’entre eux) : les comités d’action de 1968, les comités de solidarité, le Secours rouge à un moment donné, le comité d’action Lip sont les meilleurs exemples de ces organismes. Je n’évoquerai pas ici leurs aspects positifs et négatifs : simplement, je veux souligner que ce type d’organisation (transitoire et en relation étroite avec les structures du capital), d’une part est l’amorce et en même temps le barrage à des formes d’organisation autonome de lutte ; d’autre part ne peut que présenter un caractère éphémère. Ce type d’organisme garde sa forme tant que dure la lutte, c’est-à-dire tant que le mouvement autonome de lutte informel des travailleurs lui donne une existence réelle. Si, après la lutte, il cherche à conserver une permanence, ou bien il devient une structure semblable à celle des syndicats ou des partis, ou bien il disparaît au bout de peu de temps. Actuellement, ces comités comprennent souvent des "militants » de l’extérieur et seulement des minorités de ceux qui luttent ; mais on peut penser que ce caractère se transformera et que peu à peu, ce sont les intéressés eux-mêmes qui animeront tous les aspects de leur lutte (Lip est intéressant à observer sous cet aspect).

QUELQUES CONCLUSIONS PROVISOIRES SUR L’ACTIVITÉ D’UN GROUPE

C’est en regard de ce que je viens d’exposer que nous devons, je crois, examiner l’activité et même l’existence d’un groupe.

ICO est né et s’est développé dans une période (les années 1950) où ces formes d’organisations parallèles n’existaient pas ; cela correspondait à la situation en France. Ce qui naissait dans les luttes ou hors des luttes était un mélange de néo-syndicalisme (les années 1950 furent en France la période des syndicats autonomes et des tentatives trotskystes ou anarcho-syndicalistes de réformisme syndical) et d’intervention pour "encourager" l’autonomie des luttes. De toutes façons, beaucoup avaient l’idée que l’action du groupe pouvait se substituer soit aux organisations "défaillantes", soit aux intéressés en lutte "qui n’allaient pas assez loin". 1968 a renforcé à la fois cette orientation, comme il a été exposé, et en même temps la rendait beaucoup plus difficile à pratiquer parce que moins nécessaire.

Le conflit actuel à ICO touche essentiellement le rapport entre le mouvement autonome de lutte et le groupe lui-même ; la majorité de ceux qui s’y retrouvaient était coincé par l’impossibilité pratique d’être une "avant-garde consciente", là où précisément leurs idées les conduisaient. Pratiquement, ils ignorent tout du mouvement de lutte et sans s’en rendre compte se replient de plus en plus dans une "réflexion" et une "activité" sans aucun rapport avec ce qui se déroule dans le monde actuel. La première tâche d’un groupe, c’est d’essayer de voir d’abord pourquoi il existe, en quoi il répond à un certain besoin. Il importe donc de savoir clairement ce qui unit ceux qui se retrouvent ensemble et d’analyser, autant que possible avant d’agir, ce que l’on peut être amené à faire.

Poser les choses ainsi conduit à deux types de travail qui sont d’ailleurs liés, mais que l’on peut séparer parce que leur rapport n’est pas un rapport subordonné mais un rapport dialectique :

— d’une part une discussion générale théorique et pratique qui inévitablement durera un certain temps et qui doit permettre de préciser une base commune et des divergences ; cette discussion doit aussi conduire à une analyse des tâches et du rôle d’un groupe dans la situation présente des luttes ;

— d’autre part une discussion permanente sur toutes les luttes qui peuvent permettre de faire ressortir les orientations du mouvement autonome (éventuellement en vue d’une publication).

Il est bien évident que ce travail suppose une base minimum commune existante. Je pense que l’exposé ci-dessus l’a fait suffisamment ressortir, c’est pourquoi je ne ferai que les résumer :

— refus de toute forme d’avant-gardisme aussi bien pratique que théorique ;

— refus de tout idéalisme ou idéologie : l’analyse de ce qui se passe doit nous donner constamment la mesure de nos idées présentes et de ce que nous pouvons faire ;

— un travail commun suppose un engagement commun. Ceux qui s’y associeront doivent prendre la mesure de ce qu’ils peuvent réellement faire. Sous cet aspect, je pense qu’une structure absolument informelle comme pouvait l’être ICO ne correspond pas à la nécessité présente d’un groupe. Le regroupement qui peut s’amorcer autour de ce texte doit définir un certain nombre d’orientations. L’accord des participants sur ces orientations emportera l’accord sur un minimum de participation.

— la société évolue constamment : les orientations et la définition du groupe et de son activité pourront être et même devront être réexaminées constamment, notamment lorsque des événements importants auront fait surgir des rapports et des problèmes nouveaux.

Simon, 27 octobre 1973

Des camarades de Paris ont continué à se réunir en marge d’ICO, à mener des discussions et à garder des contacts avec d’autres camarades ou groupes en France et à l’étranger. Mais il n’est pas possible de préciser actuellement, ni l’orientation de ce "groupe", ni ce qu’il pourra diffuser hors d’un cercle limité.

(Henri SIMON, 34 rue Saint-Sébastien, 75011 Paris.)

Un groupe de Rouen a commencé une discussion théorique et pratique à partir de la traduction d’une brochure du groupe anglais Solidarity, As we don’t see it (texte qui peut être envoyé contre 2,50 en timbres poste). (Daniel Trillon, Rouen.)