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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Extrait du texte d’Henri Simon - Réflexions sur des réflexions autour d’Echanges
Londres - Juin 1979
Article mis en ligne le 14 janvier 2025
dernière modification le 13 janvier 2025

par ArchivesAutonomies

Je voudrais raconter brièvement mon "histoire militante" pas du tout pour qu’elle soit portée en exemple mais pour montrer comment les idées que l’on essaie de mettre en pratique sont transformées par la réalité quotidienne et les luttes et que ce que l’on fait (si l’on ne se cache pas derrière son doigt) est totalement différent ce ce que l’on voulait faire : il est essentiel alors au lieu de continuer à chercher inlassablement comme une guêpe au fond d’une bouteille à chercher inlassablement la sortie vers la lumière de déterminer comment la réalité quotidienne et les luttes transforment les idées et quelles sont les idées ; souvent non exprimées (parce que souvent nous nous obstinons comme la guêpe) qui se cachent derrière les actions réelles tant du quotidien que des "grandes" luttes.

Préalablement, je soulignerai deux choses seulement :

— cette évolution qui pour moi a duré plus de 20 années, la plupart des générations montantes la franchissent rapidement et si l’on retrouve, avec des variantes dans les formes le même type d’illusions, celles-ci tombent beaucoup plus rapidement car à la fois le capital et ses formes répressives contiennent cette évolution de 30 années que ceux de ma génération ont vécue au jour le jour.

— ma vie "militante" n’a jamais été séparée pour moi de ma vie tout court. J’ai sans doute pris beaucoup de ma vie pour les "activités syndicales et politiques" et cela a orienté toute ma vie, y compris ma "vie de famille" (ce qui n’a pas été sans créer de problèmes), mais, le "dévouement total à la cause" n’a jamais eu de sens pour moi : si dans certaines circonstances on pouvait interpréter ma vie comme cela, l’irruption d’un problème personnel faisait que les relations individuelles prenaient, pour le temps qu’il fallait, le pas sur le "travail militant". En ce sens, je suis assez circonspect quant à l’utilisation de formules comme celles qu’utilise MB : "remettre constamment tout en question en particulier sa propre démarche sociale, son propre conditionnement". J’y vois là la source de son volontarisme et sa coupure avec la démarche de l’immense majorité des travailleurs qui jamais n’agissent comme cela. Pour eux, essayer de vivre est essentiel, y compris avec tout ce que la morale élitiste contre le conditionnement, la soumission, l’aliénation, etc. peut fustiger dans la vie quotidienne de tous. Je ne suis pas venu au militantisme par une volonté de remise en question affirmée, mais "comme tout le monde" avec le corps d’idées "moyennes" sur la vie de famille et matérielle. La lutte découle, pour l’immense majorité des travailleurs du conflit entre les efforts personnels pour réaliser cette vie (qui effectivement est en partie la "vie qu’on leur fait") et ce que le système exige d’eux, les empêchant de réaliser ce qu’ils voudraient faire. C’est la démarche exactement opposée à celle de MB.

J’ai abordé le "travail salarié" (ce serait trop long à expliquer comment et pourquoi) avec — de par mon origine sociale, ma vie familiale antérieure, les vicissitudes de la guerre — 16 ans en 39 et pour une petite part par mon caractère (les données innées façonnées par une vie qui avait été loin d’être facile bien que pas "malheureuse") — avec une bonne dose d’un certain conformisme de vie, de sentimentalisme romantique, d’élans de révolte individuelle contre tout ce que je considérais comme "l’injustice", des positions politiques très sommaires traduisant les aspirations et les conflits de la société paysanne traditionnelle française du début du siècle secouée durement mais sans trop comprendre par la première guerre mondiale et la crise. En gros, des positions enrobées d’idéalisme humanitaire étaient celles d’une transformation sociale par l’action politique "la plus à gauche" et, à cette époque, elles conduisaient droit dans les bras du PC.

Fin 43, j’appartenais à une organisation locale de "résistance" mais, paradoxalement — mon "refus de tuer" m’avait sans doute fait classer comme un individu bizarre et attribuer un rôle d’infirmier ; je me suis retrouvé secrétaire d’un comité local de libération, ce qui, joint à ce que je voyais de l’activité de mon père, adjoint au maire du bled, SFIO, m’édifia grandement sur la "politique" au niveau de ses réalisations concrètes. Mon premier écrit politique fut une lettre publiée en 1944 par un journal local pour la défense de jeunes communistes malmenés par un bonze MRP local [1]. Pourtant je ne fus jamais contacté par le PC pour adhérer, pas plus qu’après alors que j’étais un militant CGT actif et convaincu (pas très dans la ligne). Il est bien certain que certaines résistances et attitudes, malgré mon enthousiasme devaient faire de moi un hérétique avant la lettre ; sans trop savoir pourquoi, j’étais aussi grandement méfiant pour cet engagement politique. Ma vision d’une autre société que je plaquais alors sur le PC et la Russie avait une base humanitaire marquée et une bonne coloration d’une société à la Rousseau que je portais en moi comme tout bon fils d’une société radsoc [2] petite-bourgeoise nourrie aux mamelles des philosophes du siècles des lumières.

Je devais aussi avoir la fibre organisationnelle portée par cet "élan vers les autres" et le "besoin d’être utile socialement" (je peux expliquer d’où ça venait, mais ce serait trop long). J’avais créé en 44-45 un groupe de jeunes dans le bourg où je vivais rattaché formellement aux organisations unifiées PC-SFIO sous l’étiquette de Front National (ne pas confondre avec le National Front anglais). C’est là que je rencontrai Odette qui allait devenir ma femme. Cela m’obligeait à trouver un travail avec une seule porte de sortie : Paris. 99 % des jeunes du bourg vidé de toute activité économique par la concentration et la mécanisation agricoles n’avaient d’autre solution. Sans l’exprimer ainsi, je pouvais mesurer combien mes aspirations idéalistes volaient en éclat au contact de réalités quotidiennes, les miennes propres qui étaient aussi la réalité collective de tous.

Il serait aussi trop long d’expliquer pourquoi je finis par atterrir comme employé d’assurances ; cela procédait d’un choix individuel : je pensais que mon état de santé — assez durement obéré par la guerre — m’interdisait tout travail dur (peut-être aurais-je fait un travail manuel par hasard, j’ai failli à plusieurs reprises le devenir, menuisier, jardinier, fromager... chimiste) ; cela procédait d’une impossibilité sociale : les finances de mes parents et les miennes m’interdisaient absolument toute carrière universitaire ou de recherche que j’aurais pu effectivement poursuivre à ce moment (sciences) ; cela procédait aussi de refus : celui d’un certain nombre de boulots que l’on m’avait proposés et que je jugeais trop "engagés" du côté patronal ou de soutien du système. Dans tout cela, j’étais certainement beaucoup plus déterminé qu’il n’y paraît, même dans la "modestie de mes ambitions" il y avait peut-être une plus grande part de timidité et de manque de confiance en moi que de refus du système et de révolte. Avec le temps, je me rends compte combien il est facile de plaquer des idées et des sentiments sur des comportements qui, quand on y regarde de plus près, sont à peu près les mêmes que ceux de tous ceux qui se trouvaient dans la même situation à la même époque.

Naturellement, étant donné mon corps d’idées telles que je les ai exposées, j’adhérai à la CGT et y militais. Paradoxalement, ma croyance politique dans une bureaucratie éclairée (que je croyais être le PC) me conduisit à une école d’assurance pour la formation de techniciens moyens : la boîte venait d’être nationalisée avec les plus grandes boîtes d’assurances ; c’était l’étape vers le socialisme et je ne voyais pas de contradiction à "réussir" de cette façon et à devenir petit cadre (le plus bas échelon). Sur la même lancée, je devins licencié en droit tout en bossant. A la même époque, il y eut la fin de "l’unité nationale pour la reconstruction du capital en France" et sur le plan syndical la rupture entre la CGT et FO ; au niveau d’une boîte nationalisée colonisée par les technocrates socialistes, cela se traduisit par la construction d’un syndicat maison FO auquel adhérèrent la majorité des CGtistes d’avant ; la manière dégueulasse dont cela se fit heurtait tellement ma conception du syndicalisme d’alors que ma révolte se transforma en une défense de la CGT, avec des arguments qui auraient sans doute fait dresser les cheveux sur la tête d’un stalinien, mais dont les staliniens se servaient pour la défense de leur appareil. Bien que non copie conforme, je me retrouvai secrétaire de la section syndicale CGT et engagé encore plus à fond dans un syndicalisme militant. C’était l’époque de la chasse aux sorcières et il fallait être bien accroché pour rester dans une CGT minoritaire dans une boîte nationale. J’étais de plus doublement suspect : suspect parce que j’étais "l’extrémiste" (classé communiste à ce moment et autre chose plus tard) et pas du tout le personnage de l’appareil avec qui l’on pouvait discuter "entre chefs", suspect parce que nous menions une action de base contre le patron et contre toutes les bureaucraties syndicales, y compris la nôtre. Je n’eus guère à refuser grand’chose dans la suite de ma "carrière" : elle fut immédiatement cantonnée à un travail de documentation et d’archives ; je fus jugé, pour mon grand bonheur, incapable de commander qui que ce soit ; je n’eus à refuser en 25 années que 2 ou 3 propositions de promotion qui manifestement reniflaient trop l’achat direct du militant comme cela se pratiquait couramment avec les délégués syndicaux ; par contre je me bagarrais à plusieurs reprises pour éviter des sanctions parce que ce n’était plus ma lutte personnelle mais celle de tout le monde aussi ; je n’éludais pas blâmes, avertissements, conseils de discipline et finalement le vidage en 1971 [3]. Je savais que cela pouvait arriver à un moment ou à un autre ; j’évitais toujours de me trouver en porte à faux ou d’engager moi ou d’autres dans des actions "aventuristes" (les 5 années de militantisme CGT avaient été une assez dure leçon pour cela), mais dans les mouvements où les luttes mêmes individuelles la perspective d’être sanctionné ou vidé n’a jamais pesé dans mon engagement. Dès que j’ai pu, par contre, j’ai toujours pris certaines précautions matérielles pour ne pas placer ma famille dans une situation difficile du jour au lendemain.

Nous étions un groupe de jeunes très actifs dans la section CGT de la boîte et nous y faisions ce que nous voulions ignorant pratiquement les directives de la centrale. Nous n’étions pas seulement copains de boulot, on se rencontrait en dehors, on s’épaulait. C’était ce que MB décrit comme son aspiration de contacts au sein d’un groupe. Odette et moi avions deux puis trois enfants et ma vie de famille n’était pas séparée de cette vie militante. Les contacts politiques vinrent par hasard. Ils vinrent aussi à un moment où je ne pouvais faire autrement, de par mon engagement syndical qui à l’époque était étroitement mêlé au contexte international (guerre froide), que me poser des questions à tous les niveaux de cette politique. Mes idées sur les nationalisations, sur le PC, la CGT, le syndicat, mes idéaux "petits-bourgeois" en prenaient de grands coups. Si je gardais les mêmes élans il est bien évident qu’ils prenaient des formes bien différentes. J’aurais pu aussi bien rencontrer un anar ou un trotskyste : je rencontrai un gars [4] de SB qui bossait dans la même boîte et était aussi à la CGT. De discussion en discussion j’entrai à SB en 52-53 : j’avais trente ans. Auparavant, j’avais été le "leader" — secrétaire du comité de grève — de "ma" première grande grève — trois semaines. Les réunions de SB, une quinzaine de personnes une fois par semaine n’étaient pas contraignantes : j’écoutais pendant un temps plus que je ne participais ; j’entrai dans un monde et des problèmes que je n’avais guère débattus auparavant, par un côté ils avaient une relation avec ce que je vivais, par d’autres pas. J’y trouvais aussi des copains reproduisant à un autre niveau ce que MB décrit et qui ne diffère guère de ce que j’ai rencontré après à ICO ou à Echanges : des relations plus étroites entre certains, affinités personnelles et (ou) politiques ; des relations qui avec le temps et la vie sociale de chacun évolueront aussi. Je dois dire qu’à l’époque j’avais un rythme de vie que, s’il n’avait été soutenu plus par cet élan collectif que par mes élans individuels, je n’aurai pu tenir longtemps : j’avais mon boulot, mon militantisme de boîte (tracts, bulletins, réunions), ma vie de famille (j’ai construit de mes mains la bonne partie d’une maison), les réunions de SB, les contacts avec les copains et tous les problèmes que la vie soulève et soulevait à cette époque : pas de bagnole, pas de téléphone... je n’écrivais pas, sauf des tracts et le bulletin de boîte. Je trouvais le moyen de lire, mais je ne sais plus trop quand.

Il a fallu près de deux années au syndicat CGT pour reprendre en main la section jusqu’au moment, en 54 où j’ai été exclu à la fois de mes fonctions de secrétaire et du syndicat ; pendant ces deux années de bagarres sournoises, l’écœurement était ce qui dominait et les copains se barraient les uns après les autres. Il faut dire aussi que le noyau se disloqua par la pression globale du système : l’expansion se développait et il était facile de trouver ailleurs un meilleur boulot ; les nécessités de la vie de chacun les y poussaient aussi. On restait copains un temps puis les vies divergeaient. Avec ceux qui restaient, on gardait le contact pour discuter de tout ce qui se passait, mais ce n’était plus la même chose. La plupart restaient en dehors du syndicat mais parce qu’ils y avaient été poussés ; personne ne faisait de l’anti-syndicalisme tout au plus critiquait les dirigeants ou tel ou tel délégué. Pendant trois ans, j’ai vécu un peu la traversée du désert. J’ai voulu quitter la boîte : commencé des cours d’informatique, reprendre des études universitaires d’anglais. La grande explosion de 1955 [5] balaya tout ça ; je renvoie au texte sur le "Conseil du personnel des AG-Vie" publié dans SB.

Quand MB demande qu’est-ce que l’action autonome, je réponds, c’est cela et 20 ans après, c’est toujours cela quand cela se produit : cela s’est passé au cours d’une grève syndicale ; cela a éclaté dans une période où il n’y avait pratiquement plus rien de ce réseau de copains dont j’ai parlé plus haut ; moi-même j’étais un peu débranché et ma participation suivie à SB ne m’apportait pas grand’chose sur ce terrain ; ce que j’ai dit dans une assemblée n’exprimait que ma réaction mais c’était aussi la réaction de tous ; je n’étais nullement un "militant" mais seulement un porte-parole renvoyant à tous mes camarades de travail leurs propres sentiments à ce moment. Quand MB demande qu’est-ce qu’est la solidarité : c’est la possibilité de trouver en 5 minutes assez d’argent pour acheter une ronéo et louer un théâtre pour une assemblée générale, c’est la formation d’un "conseil de délégués élus" dont aucun n’avait même pensé jamais occuper une place de délégué, ce sont des équipes de plus d’une trentaine acceptant pendant plus de 15 jours de donner une heure chaque matin avant le boulot pour distribuer des tracts dans toutes les boîtes d’assurance... Je pourrais continuer ainsi. La seule solidarité réelle est celle qui se forge dans et par la lutte autour des nécessités de lutte et non autour d’un idéal quelconque de remise totale en question. Tout cela a duré bien sûr l’espace d’une lutte. C’est ce que j’ai vécu à ce moment qui m’a fait faire un grand saut dans la compréhension de la manière dont se déroulaient les luttes. Un réseau s’était tissé, bien différent de ce qu’avait été la bande de jeunes dont j’ai parlé plus haut. Même si souvent j’étais seul à distribuer régulièrement le bulletin de boîte qui vit alors le jour, au cours des 15 années qui suivirent, on se retrouvait chaque semaine quelque fois deux ou trois quelquefois une trentaine à essayer de se défendre par les mêmes voies que notre propre expérience nous avait révélées. Parfois, c’était du militantisme, parfois c’était réellement l’action autonome : je renvoie à la collection d’ICO pour le détail de tout cela.

Toutes ces choses n’étaient pas spécialement discutées à SB mais avec quelques copains de SB ou plutôt connus à travers SB — particulièrement Chazé et Cajo. L’un avait l’expérience des luttes de boîte, l’autre la réflexion théorique qui correspondait à ce que je vivais. Hors ces discussions — surtout par échanges de lettres — il y avait une cassure entre mon activité de boîte et ma participation à SB. C’était, mis à part les grands machins théoriques de Chaulieu, les événements politiques qui alimentaient les discussions : la guerre d’Algérie, la Pologne et la Hongrie. Là aussi je renvoie à ce que j’ai pu écrire sur SB de cette période. ICO était différent (je ne parle pas du groupe né de la scission avec SB mais du groupe de copains d’entreprise qui lui a survécu sous ce nom) : pendant dix ans, ce fut un peu ce que MB souhaiterait voir à Echanges ; mais pas avec les rapports qu’il souhaite voir s’établir à Echanges. La plupart avaient leur vie, leur expérience de boîte, leur réseau de copains, un peu comme moi aux AG et une expérience des luttes qui avec quelques variantes était à peu près identique. C’était très intéressant de parler de ce que nous vivions, cela nous aidait beaucoup de mieux comprendre notre propre expérience et à voir les choses d’un point de vue moins particulier. Mais aucun d’entre nous ne voulait en faire une activité militante de groupe. D’un autre côté, ICO ne me satisfaisait pas entièrement parce que je n’y trouvais pas en plus un apport théorique que j’aurais souhaité y trouver. Les mêmes relations personnelles évoquées plus haut, d’autres contacts, des lectures comblaient en partie ce manque mais pas entièrement.

J’arrête là ce récit parce que la suite est connue de la plupart des camarades. On la trouve dans ICO, un point de vue, et dans De la scission de SB à la rupture avec ICO. Ce n’est pas d’un seul coup que mes idées sur le militantisme et sur le mouvement réel de lutte prirent forme et s’approfondir[ent] : d’un côté mon expérience avait donné forme à un ensemble de tendances surgies elles-mêmes des transformations de la société française entre 1945 et 1975 ; d’un autre côté, cette expérience se révélait, de par ce qu’apportait la connaissance de l’expérience des autres boîtes (comme MB j’ai toujours cherché à connaître quelle était l’expérience personnelle de chacun et sa relation aux luttes mais cette connaissance, on peut aussi l’acquérir par la réflexion sur les éléments fragmentaires qu’apportent toutes les sources d’informations ; les contacts avec les copains de boîte ou d’ailleurs, pour chaleureux qu’ils soient n’apportent pas forcément cela et on ne peut être partout à la fois) ; et mes discussions ou lectures m’apportaient une vision encore plus générale et une réflexion liée à tout le processus historique, même si cela était très loin d’être satisfaisant. Suivant les périodes chacun des trois aspects ou bien coexistait avec les autres, ou bien l’un d’eux prédominait : ce n’était pas une question de choix ; il aurait été facile de me faire illusion et de dire que mon action était toujours "totale". En réalité, le plus souvent et par le jeu de circonstances extérieures, l’un des aspects prédominait reléguant les autres pour un temps. A Echanges, actuellement, c’est le troisième aspect qui prédomine et ce n’est pas par hasard. Le texte Nouveau Mouvement essayait de traiter ces problèmes d’une manière générale et peut-être pas suffisamment explicite.

Je ne veux pas reprendre ici les conclusions normales de cet exposé trop bref : que la lutte surgit non de l’intervention de militants mais du conflit entre les intérêts personnels des travailleurs et l’intérêt du patron ; que le "militant" s’il "intervient" effectivement n’est jamais qu’un instrument dont les actes sont finalement dictés non par ses idées et ses "révoltes" mais par ce que veulent et font les travailleurs en fonction de leurs intérêts, ce qui est déterminé par le rapport de forces global du moment, que des organisations de lutte (une lutte même élémentaire est toujours "organisée" mais souvent pas au sens traditionnel de ce terme) surgissent de la lutte mais ne peuvent avoir qu’un caractère temporaire, que la solidarité n’est pas ce que quelques-uns rêvent d’une relation "communiste" mais ce qui s’établit alors au cours de telles luttes (j’y englobe tout autant ce qui existe dans le quotidien des boîtes sous des formes très diverses)... Tout cela, je l’ai développé dans différents textes et je pourrais mettre de nombreux exemples vécus par moi ou par d’autres dans différents pays. Je pense que l’expérience de chacun, celle de MB en particulier dans ce qu’il commence à vivre dans son travail en usine, peut apporter à cette discussion : effectivement le Nouveau Mouvement était — volontairement — concis comme une sorte de thèse mais personne n’a jamais voulu en faire une bible ; MB le premier doit formuler plus que des critiques qui finalement ne disent rien, ni de son expérience, ni de ses relations à la lutte de classe (ce qu’il exige pourtant des autres) ; je n’y trouve que son désir d’une relation privilégiée au sein d’un groupe, rien d’autre.