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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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L’Union soviétique (suite) - Jean Lastérade
L’Internationale N°33 – 18 Décembre 1937
Article mis en ligne le 24 août 2025
dernière modification le 29 juillet 2025

par ArchivesAutonomies

La politique extérieure de l’URSS

Cette politique comprend à la fois les relations avec les états capitalistes et la pression faite sur ces états par l’intermédiaire des organisations dépendantes de la IIIème Internationale. Les deux choses sont extrêmement liées et l’URSS a soumis de plus en plus le second facteur au premier.

Diplomatie soviétique

La diplomatie de l’URSS, comme celle de tous les pays à cette époque, dépendit de sa situation de fait vis-à-vis des triomphateurs de Versailles et de la Société des Nations.

L’URSS, bien entendu, ne faisait pas partie des bénéficiaires du Traité de Versailles, et depuis Brest-Litovsk fut séparée de l’Entente et des tractations de la SDN. Elle s’apparentait sur ce plan à l’Allemagne, principale victime de Versailles.

Les Etats-Unis, hors du champ de la SDN, venaient ensuite s’ajouter à ces deux pays, où ils s’apprêtaient à investir leurs capitaux. Remarquons de plus que pour l’Amérique, l’Union soviétique apparaissait comme un chien de garde vigilant près du Japon.

La simple diplomatie bourgeoise que les bolcheviks adoptaient à leur tour ordonnait donc que les premiers accords soviético-impérialistes s’encadrent dans cette sorte de bloc anti-Entente. Ce sont donc les liaisons avec les Etats-Unis et le Traité de Rapallo en 1922 avec l’Allemagne qui illustrèrent cet état de choses.

La formule "utiliser les contradictions inter-impérialistes" à laquelle les bolcheviks voulaient donner un air révolutionnaire et par laquelle ils s’apprêtaient à tout justifier au nom du marxisme, ne constituait en réalité que la définition même de la diplomatie bourgeoise. Quant un Etat bourgeois entre dans un bloc impérialiste, c’est pour utiliser les contradictions qui existent entre les pays auxquels ils s’allient, et les pays du bloc opposé.

L’Union soviétique en s’opposant à la France, à l’Angleterre, à la Société des Nations voulut justifier politiquement aux yeux des ouvriers son attitude, plus exactement l’URSS voulait faire soutenir sa diplomatie par les organisations communistes, en faisant de cette diplomatie un chapitre du programme de la IIIème Internationale.

L’Entente et la SDN furent montrées comme une coalition spécialement contre-révolutionnaire dirigée contre le régime intérieur de l’URSS ; en réalité l’Allemagne et les Etats-Unis n’étaient pas moins ennemis de la Révolution d’Octobre que les Etats de la SDN. Celle-ci fut qualifiée avec une horreur toute spéciale de "repaire des bandits impérialistes" ; mais la Conférence de Gênes en 1922 constituait une réunion de ces bandits et pourtant Tchitchérine y fut envoyé et y débita un discours plein d’amabilité et de bassesse. Par ailleurs, l’URSS répondit à plusieurs convocations de ce "repaire des bandits impérialistes" (Conférence navale de 1923, Conférence du désarmement, 1927).

Quant l’Union soviétique signera le Traité de Rapallo, l’Internationale communiste en cachera la caractère capitaliste derrière une théorie de défense des vaincus ; les ouvriers de tous les pays seront invités à plaindre la bourgeoisie allemande dépouillée et écrasée par les dettes.

Dans toute cette période du pouvoir léniniste, les Etats furent occupés à restaurer leur économie disloquée par la guerre ; mais tous leurs actes furent cachés derrière une fausse activité pacifiste. Malgré la propagande de la IIIème Internationale, l’URSS ne put pas résister au désir de participer à ce concert de tromperie pacifiste. Tout d’abord en 1922, en avril à Gênes, en juillet à La Haye, ensuite en 1923 à la Conférence navale convoquée par la SDN en mai, puis plus tard à celle du désarmement en 1927.

Dès 1921 commencèrent d’autres manifestations diplomatiques : les pactes de non-agression qui se sont poursuivis jusqu’à nos jours. C’est ainsi que furent signés des pactes d’amitié avec la Perse, l’Afghanistan, la Chine, etc. Comme plus tard le pacte d’amitié avec l’Italie et presque tous les pays impérialistes. Les bolcheviks qui au début refusaient aux pays de l’Entente, la promesse de ne pas tolérer d’activité révolutionnaire contre eux, donnaient au contraire ces garanties politiques à l’Afghanistan, et à la Perse :

"Les parties contractantes ne permettront pas et empêcheront sur leur territoire l’organisation et l’activité de groupements, ainsi que l’activité des personnes isolées, nuisant à l’autre partie contractante en préparant le renversement du régime d’état (août 1936)."

Ce coup d’œil rapide de la politique extérieure, dans la période léniniste de l’URSS, montre qu’on ne pourra pas trouver de coupure nette avec la politique stalinienne ; dans ce domaine, comme dans les autres, les bolcheviks ont, sous prétexte de nécessité, préparé le chemin du stalinisme.

L’entrée de Staline à la SDN par exemple ne constituait pas en réalité de trahison spéciale, mais seulement une contradiction avec la propagande politique que la IIIème Internationale avait développé précédemment dans le but de soutenir la position économique de l’URSS contre l’Entente.

Un traité comme celui de Rapallo de 1922 constituait une compromission aussi dangereuse et d’autant plus néfaste que les bolcheviks le faisaient passer pour un modèle de travail révolutionnaire. Le 18 mai 1922, le Comité central exécutif de l’URSS "exprimait sa satisfaction du traité russo-allemand, conclu à Rapallo, en le considérant comme la seule issue justifiable permettant de sortir des difficultés, du chaos et des dangers de guerre."

Le gouvernement de Lénine reculait donc devant la pression de l’impérialisme et trouvait dans la capitulation la "seule issue justifiable" contre l’offensive impérialiste qu’il appelait "difficultés, chaos, danger de guerre." La lutte révolutionnaire du prolétariat russe était donc représentée par les tractations diplomatiques, mais, par rapport à la Révolution d’Octobre, Rapallo signifiait défaite sur le plan international et c’est sur un ensemble de défaites de ce genre que grandissait le stalinisme, c’est-à-dire la défaite intérieure.

La diplomatie stalinienne qui succédera, prendra un caractère contre-révolutionnaire quand la maturation de la classe exploiteuse permettra à l’URSS de se prononcer catégoriquement en face de la situation internationale nouvelle : en effet, à la période du pacifisme impérialiste, succédera la période de préparation intensive d’une nouvelle guerre impérialiste.

Staline, après avoir changé de camp, entré à la SDN, signé l’accord franco-soviétique, approuvera et encouragera le surarmement du capitalisme français ; l’URSS travaillera à réaliser l’Union sacrée dans tous les pays qui peuvent être ses alliés ; dans les conflits guerriers qui éclateront comme prélude au conflit mondial, l’URSS se joindra aux cuisines répugnantes de la SDN (pour l’Ethiopie en particulier), du Comité de non-intervention (pour l’Espagne) et du Comité de Bruxelles (pour la Chine). Tout ce qui est un obstacle à cette préparation de la guerre sera combattu et écrasé : l’URSS jouera le rôle de l’avant-garde de la contre-révolution.

Toute la diplomatie stalinienne comme le régime intérieur soviétique, interdit désormais de parler d’opposition de classe entre l’URSS et les autres pays capitalistes. L’URSS sera un objet d’agression au même titre que n’importe quel pays ; elle n’est aux yeux des autres nations qu’un grand concurrent sur le marché mondial. Les pays opposés à l’URSS en veulent à ses positions économiques et non à son régime qui ressemble plus à celui des états fascistes ses "ennemis" qu’à celui des pays démocratiques ses "alliés".

Ce n’est pas la démocratie prolétarienne que la bureaucratie soviétique défend, car elle l’a supprimée ; ce n’est pas le bien-être des masses ouvrières puisqu’elle les exploite ; ce n’est pas le pouvoir des soviets et des syndicats, puisqu’ils n’en ont plus.

Ce que défend le stalinisme (et que le prolétariat n’a pas à défendre) ce sont les débouchés nécessaires à ses revenus commerciaux, et le territoire russe où elle "possède" des richesses immenses et des millions d’ouvriers à exploiter.

La IIIème Internationale instrument de l’Etat russe

En disant que l’état ouvrier ne pouvait subsister que par l’aide du mouvement révolutionnaire international, les communistes voulaient exprimer que l’URSS, grâce aux difficultés intérieures créées aux gouvernements bourgeois, pouvait attendre un moment l’avénement au pouvoir du prolétariat dans un nombre de pays suffisant pour constituer un bloc inébranlable. L’action des ouvriers de tous les pays constituait donc à la fois un obstacle à l’intervention impérialiste en URSS et la marche vers la constitution d’un nouveau pouvoir révolutionnaire.

Mais le recul du mouvement ouvrier dans tous les pays poussa le gouvernement bolchevik non plus à espérer et à faciliter la marche d’une révolution nouvelle, mais simplement à se servir de l’agitation ouvrière comme moyen de pression dans les marchés avec les pays capitalistes.

Une opposition communiste dans une nation bourgeoise renforçait la position diplomatique et économique de l’URSS, mais l’éclatement d’une révolution ne pouvait au contraire que gêner les pourparlers des ambassadeurs soviétiques et créer des difficultés à l’URSS.

Dans cet ordre d’idées, le traité de Rapallo a certainement eu une grande influence sur la politique de la IIIème Internationale : la négligence des dirigeants russes du Komintern vis-à-vis du mouvement révolutionnaire de 1923 en Allemagne, peut facilement être expliqué par le désir de ne pas compromettre les appuis économiques de l’URSS sur l’Allemagne, dans un mouvement révolutionnaire qui pouvait échouer.

Plus tard la décision de Staline en Chine en 1927 de livrer le prolétariat à Tchiang-Kaï-Chek doit être expliquée par les mêmes raisons. Enfin toute la politique néfaste de la IIIème Internationale, toute sa soumission à l’état russe dès le début, serait à reprendre avec de semblables considérations.

Aujourd’hui, l’URSS a, comme dans tous les domaines, donné un caractère ouvertement contre-révolutionnaire aux directives qu’elle envoie aux organisations communistes étrangères. La réconciliation avec la social-démocratie, la politique du Front populaire, la réconciliation des ouvriers avec "la Marseillaise", le drapeau tricolore et l’armée sont au plus haut point édifiantes.

En Espagne, enfin, l’URSS avec ses munitions et son or, donna au PSUC une telle puissance qu’il peut écraser dans le sang les ouvriers révolutionnaires anarchistes et poumistes et rétablir la domination de la bourgeoisie démocratique.

Les organisations communistes, sous le contrôle de l’URSS, œuvrent aujourd’hui à la préparation de la nouvelle tuerie impérialistes et seront les agents de la bourgeoisie pour la dénonciation et la répression des défaitistes révolutionnaires.

CONCLUSION

Pour conclure, il nous faut tout d’abord éliminer à jamais les expressions oppositionnelles périmées comme celles qui tendent à faire croire que Staline fait des erreurs, qu’il défend mal les conquêtes de la Révolution d’Octobre et que ses fautes proviennent de la théorie du "socialisme dans un seul pays". Non, Staline fait la politique d’une nouvelle classe basée sur l’exploitation des ouvriers ; tout ce qui reste en Russie de la Révolution d’Octobre a été transformé en instrument contre-révolutionnaire. Le monopole du commerce extérieur, les plans, la grande industrialisation rapprochent l’URSS non du socialisme, mais du capitalisme moderne, du fascisme. Le prolétariat n’y a pas plus le pouvoir en URSS que dans la Chambre des Députés en France ou dans les corporations en Italie. L’URSS s’appuie dans le monde sur les états impérialistes et organise partout la contre-révolution sanglante. Lutter pour la défense de l’URSS c’est se dresser contre l’émancipation du prolétariat russe, en même temps que favoriser l’union sacrée dans tous les pays.

Nous avons tenté dans cet article de placer la discussion sur l’URSS sur un terrain nouveau, c’est-à-dire débarrassé le plus possible des préjugés, des formules sacro-saintes qui ont étouffé la compréhension et la discussion marxistes depuis des dizaines d’années.

Les erreurs que les bolcheviks ont été poussés à faire par une situation internationale défavorable, nous ne voulons pas les accepter comme dogme et comme directive pour une autre période révolutionnaire à venir.

Le prolétariat international et spécialement sur le champ de bataille russe, a été battu : les formes que la défaite a prises, ce sont à l’extérieur, les capitulations diplomatiques au cours des difficultés économiques ; à l’intérieur, la structure bureaucratique dictatoriale de l’état dans les mains d’une fraction politique. Que la bourgeoisie stalinienne se soit développée sur ce recul devant l’impérialisme et sur la réconciliation avec lui, c’est là un phénomène historique aussi normal que le développement du capitalisme sur le progrès industriel.

Que le régime dictatorial créé par la fraction de Lénine, en face de l’offensive impérialiste soit une conséquence de l’immaturité de la situation, et finalement une victoire de l’impérialisme, on peut l’affirmer nettement aujourd’hui ; comment s’étonner alors que ce régime d’absolutisme ait constitué précisément la base du pouvoir de la nouvelle bourgeoisie ?

En résumé, l’expérience russe très riche en enseignements, doit surtout nous pousser à détruire les mauvaises herbes développées sur une situation intérieure et internationale défavorables ; elle doit aussi nous inciter à penser d’avance à ce que le pouvoir prolétarien doit être dans une situation plus mûre, dans des pays où le développement économique a réalisé les conditions même de l’organisation socialiste. Ce qui manquait à l’URSS en 1917 aura été réalisé par le stalinisme contre-révolutionnaire qui aura joué le rôle du fascisme en Italie et du capitalisme moderne en général.

Ouvriers d’URSS, l’heure n’est pas plus au réformisme en URSS que dans aucun autre pays, mais à de nouvelles luttes révolutionnaires. Les combats d’Octobre 1917, comme la Commune de Paris, comme les luttes prolétariennes sanglantes de nombreux pays ces dernières décades, n’ont pas abouti au but, mais elle ont éveillé des millions et des millions d’ouvriers du monde entier à la conscience de classe et leur ont montré la puissance irrésistible que peut acquérir le prolétariat. Ouvriers d’URSS ! La lutte de 1917 a avorté, mais l’heure est plus que jamais venue de faire votre révolution socialiste, d’organiser votre pouvoir prolétarien. Contre votre exploiteur, contre la guerre impérialiste où la bourgeoisie stalinienne veut vous entraîner, préparez l’insurrection prolétarienne !