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Plan de la présentation de l’Union Communiste (1933-1939).
Gaston Davoust [1] un des piliers de l’Union communiste (UC) envisageait son histoire sous l’angle d’une analyse de son « évolution face aux faits qui obligeaient à prendre position nettement » [2]. Il avait commencé à élaborer un plan dans 2 lettres adressées à Guy Sabatier que nous reproduisons en partie :
« Mon travail sur l’UC (...) J’ai terminé la lecture de L’Internationale journal, et pris des notes, choisi quelques tracts à publier (...). En relisant notre prose, je me suis rendu compte de notre évolution, plus importante encore que ce que j’ai pu en dire. Idem pour l’effort systématique d’analyser les réactions des capitalistes face à la grande crise des années 30 (déflation puis dévaluation-inflation), idem pour l’inexorable préparation à la grande "der-des-der", malgré la politique retardatrice de la Grande-Bretagne (Espagne, Munich) et l’intermède italien (Dolfuss en Autriche, 8 février 1934 et Abyssinie 1935), sans oublier l’Extrême-Orient où le Japon poursuivait son expansionnisme. Concernant l’évolution politique face à tous ces événements, aux illusions trotskystes, etc., je distinguerai :
1°) Les origines de l’UC : conférence d’unification d’avril-juin 33 et la scission dans ce qui restait de la Ligue ;
2°) Période de décantation, de recherche d’une cohérence et donc d’une cohésion, de 1933 à mi-1935 (naissance du Front populaire)
Ensuite je verrai, peut-être une période mai 35 à juillet 36, à cause de l’évolution rapide de l’URSS en relation avec les faits.
Après, (période de la revue), le gros du travail "théorique" étant fait ou suffisamment amorcé, l’évolution est plus lente mais néanmoins continue : articles de Lastérade et Lang (Voradi) sur l’URSS, bilan du Front populaire tel que l’article de 1938 dans le Réveil [syndicaliste] [3] qui traitait aussi de l’intégration des syndicats. Quant à la gymnastique trotskyste, elle fut critiquée au fur et à mesure de ses épisodes.
Seulement voilà : l’histoire de l’UC mérite plus qu’une brochure de 100 à 150 pages, car il faut reproduire suffisamment de textes. D’autre part, il y a les liaisons internationales dont une première tentative de Conférence internationale pour la préparation de laquelle Vera Buch, du groupe Weisbord (USA), s’était beaucoup donnée de mal au cours d’un long séjour en Europe... notre conférence internationale d’avril 37 sur l’Espagne, etc. Tout cela étant intéressant, comme la Conférence d’unification d’avril-juin 33 en France, du fait que cela donne une idée de l’extrême-gauche non trotskyste de l’époque » [4].
« (...) De 1936 à 39 : progrès dans la question russe, dans la critique de l’intégration des syndicats ; notre participation aux Cercles Lutte de classe et ses limites. Ça pour les périodes (chronologie). Mais aussi les grandes questions prises séparément pour résumer l’évolution de nos positions. Enfin, tout ce qui concerne l’évolution inexorable vers la 2è guerre mondiale. Et aussi nos articles d’économie : déflation et inflation à propos de la Belgique, banc d’essai pour la France. Les liaisons internationales. Informations et divergences. Tu vois, c’est encore flou. Ce qui doit ressortir, c’est que les événements nous poussaient au cul et que nous avons fait face, même sur le plan de la réflexion théorique. Ce que je veux absolument dire : la faiblesse numérique des groupes. Craipeau est resté vague, un aveu toutefois (il faut que je retrouve la page) : le trotskysme n’a remué au plus qu’un millier de types... en comptant les Jeunesses socialistes de la Seine ! [5] Il faut dégonfler la légende. Autre question : être en avance dans la discussion sur l’URSS, éventuellement sur une autre question, ne signifiait pas grand chose, simplement que des "intellectuels" étaient mieux informés. Exemple : en 1933, le groupe dit des étudiants, Treint, et quelques autres comme Souvarine, on les retrouvera tous dans le PS quelques années après. J’ai déjà été dur avec les chercheurs d’auditoire (ex-groupe Rosmer), avec les "number one", etc. dans la préface de la Chronique. Cette fois, je citerai des noms, en plus des chiffres dont j’ai parlé plus avant. Et je répondrai au mépris venimeux d’un Rabaut [6] et d’un Craipeau au sujet de l’UC (...). Un chapitre sur nos correspondants, les « vous avez raison, mais... », sera fait de la matière de nos Bulletins intérieurs (...). Idem pour de larges extraits du texte d’août 34 sur l’entrée des trotskystes dans la SFIO, pour le Bulletin spécial Deux politiques. Après, on verra. » [7]
Malheureusement le plan est resté à l’état d’ébauche. C’est pourquoi nous ne pouvons pas le reprendre tel quel. C’est son esprit qui importe et le souhait le plus cher à Gaston Davoust : analyser l’UC dans son évolution, comme tout autre groupe politique qui naît, vit et meurt. Davoust pensait important de donner beaucoup de textes aux lecteurs à une époque où le seul support était le livre. Ce qui fut le cas pour la Chronique de la révolution espagnole dont nous parlons plus bas. En accord avec cette façon de voir, en conformité avec notre démarche d’aller directement aux sources primaires, nous avons ressaisi plus d’une centaine d’articles des différents bulletins, journal et revue L’Internationale, à mettre en relation avec notre contribution qui s’appuie en majeure partie sur ces sources. Celle-ci avec ses limites, ses insuffisances, a pour objectif premier de faire découvrir l’UC puis, surtout, de susciter l’envie, le besoin d’approfondir son étude.
Sources
Gaston Davoust est le seul témoin qui a relaté l’histoire de l’UC : ici et là dans sa correspondance avec Henri Simon, Guy Sabatier et Michel Roger [8], puis dans son introduction à la Chronique de la révolution espagnole, livre paru en septembre 1979. Il avait conservé des archives que l’on peut trouver à la bibliothèque La Contemporaine à Nanterre. Celles-ci ne sont pas complètes, ce que nous avons remarqué car Gaston Davoust fait parfois référence dans sa correspondance à des documents qui ne s’y retrouvent pas. Une partie des archives a été détruite par son père en 1940.
Voici la liste des documents utilisés, tous numérisés et que nous proposons aux lecteurs :
Les bulletins de l’opposition de gauche du 15ème rayon, puis de la Banlieue-ouest — 1933-1934,
Les procès-verbaux du groupe du 15ème rayon — 21 octobre 1932 au 1er juin 1934,
Les documents ayant trait à la Conférence d’unification des mois d’avril-juin 1933,
Les procès-verbaux de la 1ère Union communiste, puis des réunions en vue de l’unification entre celle-ci et la Fraction communiste - Octobre-Novembre 1933 puis quelques rares documents internes,
Les bulletins du groupe UC de la Banlieue-ouest, et les bulletins d’informations et de liaison, ainsi que quelques tracts — 1934-1936,
L’Internationale, organe de l’Union communiste, d’abord comme journal imprimé du 11 novembre 1933 au n° 22 du 18 juillet 1936 puis le même titre comme revue ronéotée, n° 23 du 28 octobre 1936 au n° 43 du 5 juillet 1939. 43 numéros ont paru [9].
A cette liste, comme sources primaires, nous rappelons qu’il y a les revues Bilan, Octobre, Communisme, le Bulletin de la Ligue des communistes internationalistes, La Révolution prolétarienne, Prometeo, déjà mises en ligne
La correspondance d’Henry Chazé et Henri Simon [10], la correspondance de Gaston Davoust et Guy Sabatier [11] et enfin la correspondance d’Henry Chazé et Michel Roger [12] sont des sources d’informations irremplaçables pour se familiariser avec la vie de l’UC, parce que nous estimons que les lettres de Gaston Davoust sont fiables pour ce qui touche aux faits, mais toujours dans ses jugements.
La correspondance d’Henry Chazé et Henri Simon est consultable, puisque disponible aux éditions Acratie. Quant aux deux autres correspondances nous ne les mettons pas en ligne.
Nous avons placé à la fin de cette contribution une "Bibliographie touchant à l’UC", liste des quelques livres et revues dans lesquelles on peut trouver des textes de l’UC, des analyses, des essais de biographies.
Préhistoire de l’UC
Avant d’aborder l’histoire de l’Union communiste (1933-1939) il convient de revenir sur sa "préhistoire" que l’on peut situer entre 1929-1933, au moment où existent déjà des groupes oppositionnels et ce depuis 1924, issus du Parti communiste (PC) et de l’Internationale communiste (IC). Rappelons très brièvement que l’apparition de ces groupes oppositionnels se fait au moment où l’IC met en place la politique de bolchevisation de ses sections en 1924. Celles-ci vont être mises au pas, désormais elles devront appliquer, sans discussions, les décisions du Comité exécutif de l’IC. Sur le plan organisationnel, la base du Parti n’est plus le territoire, mais la cellule d’entreprise (ou de quartier) permettant ainsi un contrôle plus efficace de la hiérarchie qui étouffe les débats. La bolchevisation signifie clairement que tous ceux qui ne marchent pas droit vont devoir se taire ou être exclus.
Le contexte international
L’Etat russe, ayant à sa botte l’IC va la pousser à opérer un tournant qualifié d’ultra-gauche. Lors de son 6ème Congrès tenu en juillet-août 1928, l’IC proclame l’avénement de la "troisième période" comme période de luttes révolutionnaires directes, succédant à la première crise révolutionnaire qualifiée "d’aiguë", de 1917 à 1923 ; puis la deuxième dite de "stabilisation partielle" du capitalisme. Cette troisième période se distinguerait par la volonté des Etats impérialistes de déclarer la guerre à l’URSS : « La politique de la 3ème période n’est au fond qu’une mobilisation générale du prolétariat révolutionnaire autour du mot d’ordre central de la défense de l’URSS » [13]. C’est ainsi que des manifestations seront organisées au niveau mondial, par exemple, le 1er août 1930. Ce tournant à gauche se fait avec l’idée que la révolution est pour demain, dans une atmosphère d’optimisme révolutionnaire à tout crin, où les masses seraient radicalisées et prêtes à tout pour vaincre. Dans ce mouvement de radicalité verbale, tous les partis sont des ennemis, en particulier la social-démocratie considérée à présent comme le frère jumeau du fascisme, devenant ainsi social-fasciste. Si le fascisme et la social-démocratie sont de même nature, ils doivent donc être combattus de la même manière. Les militants des partis de l’Internationale ouvrière sont considérés comme des ennemis et les organisations syndicales influencées fortement par la social-démocratie doivent être abandonnées. Cette fracture ouverte dans le camp ouvrier va mener à la défaite du prolétariat en Allemagne en 1933 [14].
Cette 3ème période ne peut qu’être le théâtre de luttes révolutionnaires directes puisque, suite au changement structurel du capitalisme ("trustisation du capital, fusion des organisations patronales avec l’Etat") chaque grève plus ou moins importante « est un événement politique de première importance » [15]. Chaque grève est ainsi montée en épingle... mais à chaque fois ce sont des défaites retentissantes. Lors de ces grèves, pas question de s’unir dans un front unique avec la social-démocratie. Les effectifs du PC en France fondent, ainsi que ceux de la CGTU complètement inféodée au PC.
Groupe de l’Opposition de gauche du 15ème Rayon
A la différence des autres groupes oppositionnels qui ont en commun d’avoir été exclus du PC dès 1924, le regroupement décrit ci-dessous a connu une existence originale au sein du PC puisqu’il fut constitué de militants exclus ou démissionnaires (en majorité) et de militants toujours membres du PC.
Ce Groupe est l’Opposition de gauche du 15ème Rayon [16], situé dans la banlieue ouest de Paris, regroupant les cellules de Puteaux, Suresnes, Courbevoie, La Garenne, Colombes, Nanterre et Neuilly. Il sera la cheville ouvrière de la future Union communiste.
D’abord quelques militants [17] — Jules Bonneville, Auguste Lacroix — sont exclus en 1929 pour divergences qualifiées de "trotskystes" comme il se doit. Ce sont eux qui fondèrent ce Groupe oppositionnel (appelé aussi Groupe Lacroix) autonome, qui accueillait aussi des militants toujours membres du PC - comme Gaston Davoust, Albert Leboucq - continuant à se battre en son sein pour tenter d’en redresser le cours.
Ce groupe n’est pas affilié à l’Opposition de gauche internationale chapeautée par Trotsky, à la différence des autres groupes oppositionnels qui se disent trotskystes, comme la Ligue communiste, la Gauche communiste, le groupe de Bagnolet, etc. C’est pourquoi par la suite Gaston Davoust dira que l’Union communiste fut constituée au début de son existence en 1933 de ¾ de trotskystes et ¼ de non-trotskystes. Pourtant à la lecture du Bulletin de l’Opposition de Gauche du 15è Rayon, nous constatons qu’il n’y a pas de différence notable quand on examine les positions programmatiques des uns et des autres. Ces points sont :
— lutte contre la bureaucratie stalinienne qui mène la révolution russe à sa perte. Cette lutte doit mener à la régénération du Parti bolchevik, des soviets et des syndicats ;
— lutte pour le redressement du PC et défense de la démocratie en son sein. La perspective de la création d’un second parti n’est pas envisagée, seule compte la lutte contre la direction et son remplacement ;
— lutte pour la politique de Front unique syndical et politique.
— et enfin dernier point, en cas d’attaque militaire de l’impérialisme mondial contre l’URSS, sa défense est incontournable.
La différence entre les uns et les autres se situe plutôt sur la manière de faire. Les trotskystes étant à l’extérieur du PC, ils n’ont pas d’autre choix que de publier leur propre presse, mais ce faisant ils sont très isolés tout en étant discrédités. L’Opposition de gauche du 15è Rayon peut encore agir au sein du PCF. Elle provoque en 1932 une discussion en vue de la Conférence prévue pour le 5 juin. Normalement la bureaucratie du Comité du 15è Rayon aurait dû préparer ces débats en confectionnant un bulletin, ce qu’elle n’a pas fait. Et c’est l’opposition qui va publier un Bulletin (1er juin 1932 pour le premier numéro). Son but est de discuter d’une série de « graves problèmes », d’une part internationaux (situation en Allemagne, invasion du Japon en Mandchourie en septembre 1931) et d’autre part, nationaux. L’axe central de la critique, le leitmotiv que l’on retrouve dans tous les articles, c’est le nécessaire redressement du parti, sa politique étant jugée « mauvaise ».
Cela suite à la perte de près de 300.000 voix aux dernières élections législatives de 1932, soit 30% de moins qu’aux élections législatives de 1928. Cette lutte pour le redressement du PC signifie lutter contre le sectarisme (qui implique le refus du Front unique d’organisation à organisation car la social-démocratie est qualifiée de social-fasciste), le bureaucratisme et la toute puissance de l’appareil qui étouffe toute possibilité de discuter et de créer des fractions. Qualifier la social-démocratie de social-fasciste est une manifestation de haine qui s’exprime par des campagnes d’insultes grossières, et ne voit pas que la SFIO a encore une grande influence sur nombre d’ouvriers. Cela revient à se couper de ceux-ci, en ne comprenant pas qu’il ne faut pas avoir « l’insulte à la bouche », mais user « d’arguments et des faits (...) et appeler fraternellement les ouvriers socialistes à l’action unique revendicative et politique » [18].
Sur le plan syndical, la politique de la CGTU inféodée au PCF, est qualifiée de « désastreuse », car il y a une régression énorme des effectifs, on passe de 412.000 adhérents en 1929 à 250.000 en 1931. Depuis le tournant de 1928 et sa politique ultra-gauchiste, la surenchère est de mise dès que se déclenche le moindre mouvement de grève, d’où des défaites retentissantes et le passage de nombreux militants dans les rangs de la CGT "réformiste".
De même que l’Opposition pense que la direction du PCF est « mauvaise », elle dit que l’IC ne doit pas « faire sienne la politique de l’Etat soviétique » dans la lutte à mener contre les menaces de guerre contre l’URSS suite à l’occupation de la Mandchourie par l’armée japonaise.
Cette urgence à vouloir redresser le parti s’explique par une analyse très optimiste de la situation sociale : « Il faut actuellement être capable de dominer les événements, de voir clair dans le déroulement de la crise mondiale, dans le développement de la révolution en marche [NdE : nous soulignons]. Il le faut, sinon le prolétariat n’aura pas de guide, pour le mener à la victoire » [19].
L’Opposition de gauche ne pense pas seulement que c’est une simple question de "mauvaise" direction, bien qu’elle insiste beaucoup là-dessus avec l’illusion de croire que si l’on en trouve une meilleure, on pourrait s’engager dans la voie du redressement. Il y a l’appel aux « copains du parti » de « s’intéresser davantage à la vie de leur Parti, de réfléchir par eux-mêmes, de ne plus accepter qu’un appareil leur impose des chefs et des directives sans discussion et sans contrôle » [20]. Ce qui explique qu’en novembre 1930 les militants exclus aient organisés un cercle d’études marxistes à Courbevoie dont le secrétaire est Robert Verdeaux. Ce cercle « réunit actuellement chaque quinzaine de 15 à 30 camarades. Il a pour but l’étude des origines et de l’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire (...) Contrairement à tous les cours et écoles que le Parti organise, notre Cercle a une formule qui permet aux camarades de retenir ce qu’ils apprennent par la discussion générale qui suit l’exposé" [21].
A posteriori on peut dire que c’est la lutte de David contre Goliath, et que la lutte engagée par l’Opposition de gauche est plus une "maladie de la volonté" qui fait fi des forces matérielles représentées par la « lourde et épuisante bureaucratie du parti » [22]. Albert Vassart [23] écrit dans ses Souvenirs que les « trois-quarts de l’activité des militants parisiens se trouvait absorbée, dans les années 1929-1930, par la multiplicité des réunions intérieures où l’on rabâchait les mêmes formules-clichés » [24]. Au bureaucratisme, il faut ajouter la calomnie infamante, formulée régulièrement par L’Humanité [25] et ses conséquences directes : la montée de la répression à l’encontre de tout oppositionnel, déclaré ou supposé tel. C’est ainsi qu’au meeting tenu par le PCF à la salle Bullier le 29 juillet 1932 une cinquantaine de membres du service d’ordre « se ruèrent sur les oppositionnels » et les tabassèrent [26]. Gaston Davoust s’étant élevé contre ces brutalités, au moment du meeting puis dans sa cellule, ce fut le prétexte invoqué pour l’exclure au mois d’octobre 1932, lui, ainsi que 2 autres membres de l’Opposition, Albert Leboucq et un certain Guillaume [27]. Cette Opposition se retrouve définitivement exclue et doit commencer à voler de ses propres ailes à son corps défendant, car elle agit encore comme partie prenante du PC. Ce que l’on peut constater en lisant le Bulletin n° 4 du 15 mars 1933 [28] où est signalé « notre faiblesse [du Parti] dans le travail parmi les petits paysans et ouvriers agricoles de la grande banlieue » (c’est nous qui soulignons).
Vers la Conférence d’unification [29] (avril-juin 1933)
Dans ce qui va suivre, nous reprenons, un peu modifié, ce que nous avons déjà écrit pour la présentation du groupe La Gauche communiste, au moment où différents regroupements oppositionnels entrent en relation, correspondent et échangent leurs publications dans le but de se rapprocher.
Une lettre de Daniel Lévine [militant de la Gauche communiste] du 1er décembre 1932 adressée à Gaston Davoust, secrétaire du groupe de l’opposition de gauche de la Banlieue-ouest, après son exclusion du PC, semble bien marquer le début des rapports entre ces 2 groupes.
La GC prend connaissance du Bulletin de l’opposition de gauche de la Banlieue-ouest. Daniel Lévine écrit : « ne crois-tu pas camarade qu’il serait important que des échanges de vues existent entre nos deux groupes ; que des discussions s’engagent sur tel ou tel problème brûlant, sur telle ou telle tactique du mouvement communiste et en particulier de l’opposition de gauche ? Les groupes de l’opposition de gauche ont intérêt à ne pas s’ignorer car leur action est commune. Des rencontres entre nos deux groupes peuvent apporter des résultats tangibles pour l’opposition de gauche. » Une fois de plus la GC met en avant sa préoccupation en pressant l’opposition de gauche du 15ème rayon pour poser « les tâches d’un regroupement ultérieur des forces oppositionnelles » puisque « la Ligue communiste ne fait pas son travail de clarification politique, son régime intérieur lui empêche d’accomplir cette tâche ; d’autres doivent la faire ! »
Cette lettre de Lévine arrive au moment même où la Fraction de gauche [30] prend contact avec l’opposition de gauche du 15ème rayon pour que les groupes oppositionnels non reconnus par le Secrétariat international de l’Opposition de gauche [31] s’unissent. C’est à partir de décembre 1932 que va se mettre en route tout le travail de discussions et de confrontations des points de vue entre les différents oppositionnels. De fait, c’est l’opposition de gauche de la Banlieue-ouest qui en prend les rênes, à ses conditions : « nous tenons à ce que cette confrontation des points de vue ait lieu sur la base la plus large (participation de tous les groupes) et de telle sorte que les camarades puissent s’exprimer librement » [32]. Elle enverra une lettre dans ce but le 19 janvier 1933 aux groupes suivants : Le Secrétariat international ; la Ligue communiste ; la Gauche communiste ; la Fraction de gauche ; la Fraction de gauche du Parti communiste italien ; la Nouvelle opposition italienne. Les trois questions essentielles mises en avant dans cette lettre sont :
1. La politique de masses de l’avant-garde communiste.
2. L’appréciation du régime soviétique et de ce qu’est devenue la dictature du prolétariat en URSS.
3. L’appréciation de l’IC et ses perspectives politiques. Comment réaliser le redressement communiste.
Tous ces groupes vont répondre, donnant leur accord, sauf la Ligue communiste qui sera toutefois présente, considérant que son seul apport est d’éclairer les participants sur ses positions, que l’on peut résumer ainsi : « rejoignez-nous ». S’ajoute en cours de route, le groupe des "étudiants" dit groupe Prader, qui se considère plus comme observateur que participant aux discussions et qui a écrit le texte "Pour le regroupement des forces communistes" [33] en date du 26 décembre 1932. Nous retenons de ce texte l’essentiel : La bureaucratie soviétique défend ses intérêts propres sur la base d’une économie étatisée dont elle tire des profits. Son but est d’empêcher le prolétariat d’accéder au pouvoir, ce qui menacerait son existence. L’IC, à son service, n’a pas commis "d’erreurs", mais a développé une politique visant à ôter au prolétariat sa « substance historique, sa raison d’être même : l’idéal de la révolution socialiste mondiale. » C’est pourquoi on ne peut rien attendre, ni de l’URSS, ni de l’IC, qualifiée « d’organisation pourrie ». L’opposition de gauche est fortement critiquée pour sa détermination à redresser l’IC, à n’en être que sa fraction, en s’interdisant du coup « l’activité théorique et pratique autonome qui seule aurait pu donner à l’opposition, devant la classe ouvrière, la vie dont elle a toujours manqué. » D’où la nécessité de travailler à créer un nouveau parti, en sachant « qu’un travail préparatoire de longue haleine sera nécessaire ». La tâche la plus urgente pour ce groupe est de « regrouper les communistes », de combattre « le sectarisme étroit et l’esprit de chapelle », d’engager une confrontation des positions des uns et des autres, en particulier sur la nature de l’URSS et sur la perspective : réformer l’IC ou créer le "Parti nouveau". D’autres militants sont sur des positions similaires :
— A. Treint et Nelly Rousseau qui ont démissionné de la Fraction de gauche et défendent une position capitalisme d’Etat pour la Russie ;
— Mathieu et Gandi [34], 2 ex-militants de la Fraction de gauche du PCI, publiant la revue Pour la renaissance communiste ;
— La Fédération communiste indépendante de l’Est, composée d’ex-militants du PCF de 1927 à 1932. Leur publication est le Travailleur communiste, syndical et coopératif. Cette fédération ne sera pas invitée à la Conférence d’unification alors que les militants indiqués ci-dessus le seront à titre individuel.
Les groupes : Fraction de gauche, Gauche communiste, Groupe d’opposition de gauche de la Banlieue-ouest et la Ligue communiste, mettent en place le Comité Intergroupe pour organiser la Conférence d’unification. Il publie un Bulletin préparatoire où se retrouve un ensemble de textes des différents groupes pour la Conférence dont la première date est fixée au samedi 8 avril, à 17 heures. Les textes de fond sont les suivants : Gauche communiste : "Rapport sur la question russe" et "Les rapports de l’opposition de gauche avec les partis staliniens" ; Groupe de la Banlieue ouest : "Résolution sur la question russe" et "Résolution sur les rapports de l’avant-garde communiste et les masses" ; Fraction de gauche : "La conquête des masses — Contribution à la discussion" [35].
De cette Conférence qui se tient sur plusieurs jours : 8-10 avril, 22-23 avril, 7 mai et 10 juin, vont se dégager 2 tendances :
— ceux qui pensent que l’Etat soviétique a encore un caractère ouvrier dans la mesure où subsiste la socialisation de la grande industrie, la nationalisation de la terre et le monopole du commerce extérieur. De cette constatation on peut en déduire qu’il est encore possible de redresser l’IC et qu’il ne faut pas tenter de construire une organisation d’avant-garde indépendante. C’est ce que défend le groupe de la Banlieue-ouest alors que la Gauche communiste va plus loin en disant que l’IC n’est plus une avant-garde du prolétariat et qu’il convient de reconstruire l’avant-garde communiste internationale et nationale. Mais pour tous ces groupes, la défense de l’URSS en cas d’agression impérialiste ne se discute pas.
— ceux qui pensent que l’Etat soviétique n’a plus rien de prolétarien. Il s’agit d’Albert Treint, Simone Weil, le groupe des "étudiants", Mathieu et Gandi.
Pourtant ce n’est pas une raison, pour la Gauche communiste, la Fraction de gauche et le groupe de la Banlieue-ouest pour exclure ces derniers, alors que la Ligue pense le contraire : « Ou bien vous chassez de la Conférence Treint et le groupe Prader, ou bien nous, nous partons » [36] de la Ligue, sans date, 1933. Archives Gaston Davoust, La Contemporaine. Voir "Documents de la GC".]]. C’est la raison pour laquelle la Ligue quitte la Conférence le 9 avril [37], poussant ainsi 2 de ces membres, Rimbert et Félix à rompre avec elle le 23 avril, après qu’elle ait tenté à nouveau, les 22 et 23 avril d’imposer son programme.
Dès le début des réunions les discussions portent sur la nature de l’URSS et les conséquences qui en découlent. Suite aux discussions des 8 et 9 avril, les 3 groupes majoritaires proposent une résolution dont les points principaux sont les suivants : « Nous repoussons catégoriquement la préparation d’une deuxième révolution en URSS, tant que les conquêtes d’Octobre ne seront pas complètement effacées (...) Mais nous refusons catégoriquement de considérer le PC comme définitivement perdu. » La déclaration est soumise à un vote où une majorité se dégage — 25 voix pour, contre 0 et 15 abstentions -, constituée de la Gauche communiste, de la Fraction de gauche et du groupe de la Banlieue-ouest [38].
Suite à ce vote [39] et à la déclaration d’Alfredo, membre de la Fraction de gauche du PCI, qui défend l’idée que la « question essentielle n’est pas la nature de l’Etat soviétique, mais la création d’une fraction unifiée » [40], le groupe des "étudiants", S. Weil, Gandi, Mathieu, A. Treint, A. Patri (ex-Gauche communiste) quittent la Conférence et écrivent une déclaration commune d’où il ressort qu’ils « jugent impossible de considérer l’Etat russe actuel (...) comme un Etat des travailleurs » et considèrent que l’IC « a cessé de représenter le communisme selon la définition de Marx » [41].
Les réunions suivantes, après le départ définitif de la Ligue le 23 avril, jusqu’à la dernière du 14 juin, réuniront les partisans de la création d’une fraction française unifiée - Gauche communiste, de la Fraction de gauche et du groupe de la Banlieue-ouest - qui va s’appeler désormais Fraction communiste de Gauche [42]. Un "Projet de résolution sur le régime intérieur et les tâches immédiates d’organisation de la Fraction de gauche du PCF" est rédigé, reprenant l’historique des réunions successives et des délimitations qui s’y sont faites jour [43]. L’objectif est d’adopter une plateforme politique qui doit être finalisée lors d’une première Conférence nationale, devant se tenir au maximum 6 mois après le 14 juin. A partir de ces documents sera publié le texte "Résolution politique adoptée par la conférence d’unification du 14 juin 1933", paru dans Le Communiste n°12, d’août 1933 [44], qui énonce une série de points politiques d’accord. Pour l’instant est défini un régime intérieur très général où est mis l’accent 1) sur la clarté politique en respectant les droits de chaque membre ; 2) le travail dans les organisations ouvrières ; 3) la participation aux cours d’éducation des cercles marxistes afin d’élever le niveau idéologique. Des tâches organisatives immédiates sont mises en place dont la nomination d’une Commission exécutive, d’un Bureau... dont voici le détail [45] :
Nomination de la Commission Exécutive : 7 membres + suppléants. Bureau : 3 membres.
Commission Exécutive : [Pierre] Rimbert, [Michel] Collinet, [Daniel] Lévine, Marc [Chirik], [Henri] Barré, [Auguste] Lacroix, [Gaston] Davoust
Suppléants : 1 camarade de Bagnolet [Fraction de gauche], Juin [Serge Dorne], [Robert] Verdeaux, Félix [Michel Mazliak]
Bureau : Rimbert, Lévine, Davoust
Comité central : [Alfred] Rosmer, [Alfred] Bonneville, Sarah [Safir-Lichnevsky]
Commission de Presse : [Marcel] Fourrier, [Benjamin] Péret
Bien que cette nouvelle Fraction se proclame unifiée, nous pensons qu’elle ne l’est pas encore sur le fond. Les discussions sur la question russe le montrent. Ainsi la Gauche communiste dans son texte préparé en vue de la Conférence "Rapport sur la question russe" y définit la bureaucratie en Russie comme une « caste pratiquement inamovible », ce qui lui fait dire que l’on ne peut plus « affirmer le caractère ouvrier de cet Etat ». Le groupe de la Banlieue-ouest n’est pas d’accord, car selon lui, tant que subsistent ce que l’on peut nommer les 3 acquis de la révolution russe (socialisation des moyens de production ; nationalisation de la terre ; monopole du commerce extérieur) on ne peut en arriver à une telle conclusion. Pourtant la Gauche communiste ne va pas jusqu’au bout d’un tel constat puisque d’une part elle s’oppose à la création d’un 2ème parti et d’autre part elle continue à vouloir défendre l’URSS en cas d’agression impérialiste. Quant à la Fraction de gauche, elle continue à penser que la tactique de redressement du PC est toujours valable. Aurélien Durr dans sa thèse sur Albert Treint écrit :
« Cela révèle la difficulté pour de nombreux groupes, pourtant désillusionnés depuis plusieurs années, de conclure à la fin de l’expérience révolutionnaire débutée en 1919. Ils apparaissent abasourdis devant l’enchaînement des événements et incapables d’accepter les conséquences de leurs propres analyses. » [46]
Alfred Rosmer a une analyse plus tranchée et il vaut la peine d’extraire de sa lettre à Adhémar Hennaut le passage suivant :
« Le manque de nouvelles dont tu te plains reflète exactement les côtés négatifs de l’unification qui a été réalisée ici et dont tu as connu, à leur début, les négociations et discussions qui l’ont précédé. Pour une bonne part, on peut dire que c’est une unification manquée. Bien que les discussions préparatoires aient été fort longues et qu’on ne soit arrivé à la décision définitive qu’après de multiples réunions, il n’y a pas eu de fusion véritable. Chacun est resté plus ou moins sur ses positions anciennes et a poursuivi son travail comme par le passé. Il y a eu plutôt juxtaposition qu’union. D’où la difficulté d’une action collective, à commencer par la publication régulière du Communiste. Je ne veux parler de tout cela qu’avec une certaine réserve puisque je n’ai pu participer aux travaux qui ont conduit à l’unification. Je me bornerai donc à te donner mon opinion personnelle. Il y a eu, d’une part, des éléments indésirables dont le représentant le plus typique était Marc, ancien treintiste, grand coupeur de cheveux en quatre et discutailleur interminable. Sa perspective la plus claire était la rentrée dans la Ligue : d’où le souci constant de ne critiquer celle-ci qu’avec les plus grands ménagements. D’autre part, il faut dire que les bordiguistes ont compliqué considérablement le travail. Je ne peux entrer ici dans tous les détails de cette querelle. J’espère avoir un jour l’occasion de m’expliquer à fond avec les bordiguistes (....) La gauche unifiée n’a donc eu jusqu’ici qu’une vie assez étriquée, mais il est possible qu’un événement prochain puisse modifier cette situation. » [47]
L’événement prochain sera l’exclusion de la Ligue communiste de 6 militants - Giacomi (Mario Bavassano), Dimitri, Doudain, Savall, Walfisz, Emile (Élija Rosijanski) [48] - au mois de septembre 1933, suivie par le départ des militants du groupe juif, de la Nouvelle opposition italienne, et du groupe jeunes, qui s’en solidarisent. C’est en tout 35 exclus.
Après tous ces départs, la Ligue communiste est réduite à peau de chagrin, il reste 35 à 40 militants [49], tandis que les 35 exclus vont s’organiser en un nouveau groupe : l’Union communiste, qui va publier le 11 novembre 1933 le premier numéro de son nouvel organe L’Internationale.
L’Union communiste unifiée
Assez rapidement, le rapprochement entre l’UC et la Fraction communiste de gauche va s’opérer. Rimbert dans une lettre à Walfisz du 18 octobre 1933, lui fait part de la volonté du CE de la Fraction communiste d’organiser « une assemblée générale commune, dans laquelle seraient discutés nos rapports, nos possibilités de collaboration et, si possible, l’unité de nos deux groupes » [50]. Lors d’une réunion du Comité [de l’UC] du 23 octobre 1933 il est proposé d’inviter Rimbert en vue d’une « réunion de délégations de chaque groupe ». Lors de la réunion suivante du Comité (29 octobre) Daniel Lévine est présent. Le processus de fusion entre ces deux groupes va rapidement s’effectuer et sera acté le 2 décembre 1933, donnant naissance à la seconde UC — qui va s’appeler dans un premier temps Union communiste unifiée - dont l’organe est toujours L’Internationale. Dans ce numéro se trouve la "Déclaration de l’Union communiste unifiée" - assez semblable à celle du numéro 1 — dans laquelle se trouvent les bases doctrinales de l’UC que nous reproduisons ci-dessous [51] :
« La base doctrinale de notre organisation est le marxisme-léninisme, c’est-à-dire : 1° La lutte conséquente contre le régime existant et tous les courants au sein de la classe ouvrière qui, directement, comme la social-démocratie, ou indirectement, comme le stalinisme, le soutiennent ; 2° La reconnaissance de l’internationalisme prolétarien, du caractère permanent de la révolution prolétarienne, du rôle dirigeant du prolétariat dans les révolutions contemporaines, qui groupe autour de lui les plus larges couches de la population, de l’impossibilité d’existence d’un régime intermédiaire entre le régime capitaliste et la dictature du prolétariat ; 3° La lutte sans merci pour la libération des peuples opprimés par l’impérialisme, surtout des colonies et semi-colonies.
Nous rejetons par conséquent les théories social-démocrates sur la collaboration des classes, la défense nationale en régime capitaliste, « l’impossibilité pour le prolétariat de vaincre, si ce n’est simultanément, dans le monde entier » (Blum sur les formes intermédiaires), etc. Cette dernière théorie, soi-disant internationaliste, est destinée à cacher aux ouvriers la volonté de la social-démocratie de sauver sa propre bourgeoisie.
En même temps, nous rejetons les théories staliniennes : 1° "Du socialisme dans un seul pays", qui est la négation de l’existence d’une économie mondiale et internationale et de l’internationalisme prolétarien ; 2° Des partis bipartites (ouvriers et paysans), qui nient le rôle dirigeant du prolétariat et assignent à la petite-bourgeoisie un rôle politique indépendant ; 3° De la "dictature démocratique des ouvriers et paysans" qui n’est qu’une utopie réactionnaire, petite-bourgeoise ; 4° "Du social-fascisme" ; 5° Des "syndicats rouges" et de la subordination des syndicats aux partis, etc.
Notre politique et notre tactique sont subordonnées à un seul but : gagner les couches décisives du prolétariat à la révolution prolétarienne.
Pour atteindre ce but, nous sommes des partisans résolus du front unique de toutes les organisations se réclamant de la classe ouvrière, de l’unité syndicale, d’une démocratie prolétarienne réelle au sein des organisations ouvrières et contre la conception staliniste de la tactique électorale "classe contre classe".
L’application de cette politique permettra aux masses de connaître leur propre force et de se persuader que c’est seulement nous, marxistes-léninistes, qui sommes capables de donner des solution radicales à tous les problèmes. »
Un tel programme est identique à celui des trotskistes de la Ligue dans un premier temps, puis par la suite il y aura évolution sur certains points cités plus haut, comme sur le front unique, l’unité syndicale. Avec la Ligue, il y a toutefois une différence de taille, qui n’apparaît pas dans les articles de L’Internationale, c’est la pratique sans prétention que met en place l’UC, sur laquelle nous allons revenir longuement dans le reste de cette contribution.
Les effectifs de l’Union communiste
Le pointage effectué lors des séances de la Conférence d’unification d’avril 1933 dénombre 72 personnes [52]. Des 3 groupes qui vont créer la Fraction de la Gauche communiste, on dénombre 34 militants. A cela il faut ajouter quelques individualités comme Pierre Rimbert de la Ligue communiste. Arrive-t-on ainsi à 40 militants, c’est possible. Puis il faut ajouter les 35 exclus de la Ligue qui fondèrent la première UC, qui se sont associés très vite à la Fraction de la Gauche communiste, donc au maximum, 75 militants. Henry Chazé écrit : « En étant large, disons que l’Opposition toute entière dépassait de très peu la centaine de personnes. Voilà ce qu’un historien doit dire. Cela pour Paris. Soyons encore très larges, et admettons une autre centaine pour la Province » [53]. Dans une autre, il écrit : « l’Assemblée générale de la région parisienne de la Ligue réunit 50 membres ! Avec un ordre du jour de scission ! Le vote, 24 contre 26. Ça en octobre 1933. Si tu enlèves les 35 de ces 50, tu as une idée de l’effectif de la Ligue après la scission » [54]. Dans le recueil de textes sur l’Espagne, Davoust écrit que la Ligue, après la scission, ne compte que 35 à 40 militants. Ce qui précède est valable pour 1934, pour 1935 il est évoqué « à peine une cinquantaine » de militants pour l’UC [55]. Pour les années suivantes nous n’avons trouvé aucune information précise. Nous pouvons donner quelques noms dont on est sûr qu’ils forment le noyau de l’UC et ce jusqu’en 1939, tout en sachant que cette liste est incomplète : Jean et Marcelle Lastérade, Lang (Voradi), Robert Glassman, Jules Bonneville, Robert Verdeaux, Mario Bavassano (Giacomi), Gaston Davoust (Chazé), Paul Chausson, Paul Walfisz, Pierre Corradi [56], Auguste Lacroix, Szaja Schönberg (Laroche), Koulèche, Lew, Geroë (Grandval) [57].
Il y a d’autres noms cités par Davoust dans sa correspondance : Jean (ou Pierre ?) Justus, communiste de conseils, rallie l’UC vers 1936-37 [58], Maurice Lime (qui passera au PPF de Doriot et à la collaboration), Marc Chirik de la fondation de l’UC jusqu’en 1936 puis il rejoint la Fraction italienne.
Il ne pouvait en être autrement. L’évolution de l’UC, nécessaire « pour rester des révolutionnaires internationalistes dans cette période de préparation à la seconde guerre impérialiste mondiale et participer aux grandes luttes sociales de l’époque » [59] ne pouvait attirer dans ses rangs qu’une poignée de militants.
Au-delà de la bataille des chiffres, qui ne peut être résolue, ce qu’il faut garder à l’esprit c’est la faiblesse extrême des groupes oppositionnels, de leur incapacité à peser sur les événements en cours, sauf dans des cas particuliers, ponctuels que nous évoquerons par la suite [60]. C’est le côté dramatique pour les révolutionnaires dans une telle période - que l’on peut comparer à la nôtre actuelle -, vouloir agir sans possibilité de transformer le monde. Ainsi certains militants présents dans l’UC dès sa naissance ont préféré aller chez Jacques Doriot, lorsque le rayon de Saint-Denis défendait le Front unique en 1934, puis rompant avec lui ont rejoint la Gauche révolutionnaire (GR) en septembre1935 puis le Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) en 1938, toujours à la recherche de pouvoir agir, plutôt comme militants confus quant à la vraie nature du Front populaire, dont ils pensaient qu’il était à défendre malgré tout, ce qui a fait dire à Daniel Guérin, militant de la GR et du PSOP, que « nous aidions ainsi, dans une certaine mesure, à la propagande d’une duperie » [61].
Décantation rapide avant février-mars 1934
Au début 1934, on assiste au départ des membres de l’ex-Gauche communiste, le départ de la minorité qui se constitue autour de la question de la 4è Internationale qui va former le groupe "Marxistes internationalistes".
Le texte du numéro 2 de L’Internationale souligne qu’il existe une divergence réelle : la question de la 4ème Internationale. Malgré cela la majorité et la minorité au sein de l’UC ont reconnu qu’elles peuvent cohabiter ensemble tout en poursuivant la discussion sur la question en litige, en se soumettant à la volonté de la majorité de l’organisation. Puis avec le n° 3 de janvier 1934, nous apprenons que la majorité de l’UC s’est prononcée pour la 4ème Internationale, tout en disant, qu’au vu de la situation du prolétariat, ce ne peut être une réalisation immédiate, d’autant plus que la création de la 4ème Internationale, comme « direction révolutionnaire internationale du prolétariat ne naîtra pas de la volonté d’un ou quelques groupes de révolutionnaires, mais d’un mouvement de masse. » Ce qui veut dire que ce qui est à l’ordre du jour est la préparation « des cadres révolutionnaires éduqués et combatifs qui seront capables de devenir le cerveau et l’armature de la 4ème Internationale. » Quant à la minorité de l’UC où l’on retrouve certains membres de l’ex-Gauche communiste, elle repousse le mot d’ordre de 4ème Internationale car elle le juge purement artificiel dans une période de reflux du mouvement ouvrier, marquée par la déroute du prolétariat allemand. Selon elle, il est « néfaste pour l’avenir de rompre avec les forces communistes groupées autour de la 3ème Internationale » [62], car pour elle la « troisième Internationale n’est pas passé dans le camp de la bourgeoisie, ni au point de vue pratique, ni au point de vue idéologique [63]. » Ce en quoi la majorité est en désaccord, c’est la raison d’être de l’UC.
Nous constatons le départ d’autres membres de l’ex-Gauche communiste dès janvier 1934 : Michel Collinet, Serge Dorne, Simone Kahn, Yves Allegret [64]. Il est précisé dans un rapport d’activité de l’UC en date du 4 février 1934 que ces derniers militants « n’avaient jamais assisté au groupe, ni participé, sous quelque forme que ce soit, à l’activité de l’organisation » [65]. La plupart d’entre eux écrivent dans la revue Masses depuis novembre 1933. L’UC, après avoir écrit qu’il « faut que nous contrôlions la situation de nos camarades actuellement dans Masses » [66],décide de ne pas collaborer vu que le « travail dans cette organisation ne peut être intéressant » et ce pour deux raisons, 1°) car « composée de groupes et sous-groupes dont la composition est peu intéressante » et 2°) et que la direction souvarinienne de Masses ne reconnaît pas « le caractère prolétarien de l’URSS » [67].
D’autres membres de l’ex-Gauche communiste, comme Paul le Pape, feront partie de la minorité de l’UC, puis s’en sépareront pour constituer un groupe appelé "Marxistes internationalistes" qui ne semble pas avoir eu de publication et dont nous ne savons rien de plus [68].
D’autres départs à signaler : Benjamin Péret en mars 1934, Pierre Rimbert [69] rejoint le groupe interne-externe de cadres communistes animé par André Ferrat qui lancera la revue Que Faire ? en novembre 1934 tout en étant membre de la SFIO depuis 1934. Départ d’un certain Roger du groupe juif qui retourne à la Ligue en février 1934 ainsi que Maurice Doudain.
Après le 6 février 1934
En février 1935 le groupe l’Huillier, qui s’est opposé à l’entrée dans la SFIO prônée par la Ligue et a créé le journal Le Prolétaire d’avant-garde, adhère à l’UC [70]. Mais cela ne dure pas longtemps car « nous dûmes nous séparer d’eux après une vie commune de deux mois » [71].
Pour la suite, nous en savons peu. Il y a le groupe formé par Bayard : « Ils représentaient en France les Communistes de conseils. Ils nous rejoignirent dans l’UC, probablement en 1935. » [72]. A vrai dire, on n’en sait trop rien. Dans une lettre datée du 23 juin 1936 et envoyée à l’UC par le Comité fédéral de la Fraction italienne on peut lire « nous (...) avons pris contact avec votre organisation, avec le groupe Bayard ». Est-ce que cela signifie que ce dernier groupe est encore distinct de l’UC ? Puis en 1937, lors de la conférence des 6 et 7 mai à Paris, y ont participé le Cercle marxiste, c’est-à-dire le groupe conseilliste de Bayard. Vers 1938, certains ont rejoint les trotskystes du POI. Quant à savoir dans quelles mesures les positions communistes de conseils de ce groupe ont eu une influence ou non, nous ne pouvons pas le savoir. On peut supposer que son intégration dans l’UC montre que celle-ci ne conçoit plus le parti comme parti dirigeant et de plus cela peut signifier aussi que ce groupe a trouvé en l’UC un regroupement où la discussion est possible. A la lecture attentive de L’Internationale, nous ne trouvons pas trace de positions conseillistes parmi les articles écrits par des militants de l’UC, par contre il y a plusieurs articles du Groupe communiste internationaliste de Hollande (Groop van Internationale communisten) où ces positions sont nettement affirmées.
Henry Chazé écrit : « ceux effrayés par notre évolution rapide, notamment sur l’URSS leur départ s’échelonne entre 34 et 36 : Fourrier, Péret, quelques uns issus des 35 trotskystes, dont la moitié du groupe juif en 1936 » [73]. Or dans l’article "Un nouveau parti, une nouvelle aventure", il est écrit autre chose : « Des camarades de notre groupe (six) qui ne sont jamais arrivés à se libérer de l’idéologie trotskyste, se sont laissés entraîner dans l’activisme stérile du POI » [74]. Dans une autre lettre [75] il explique autrement le départ des militants qui rejoignent le POI :
« Des camarades du groupe juif (petits métiers du Marais) ont pu croire que "la révolution avait commencé alors que dans une réunion de l’UC, à laquelle je m’étais fait un devoir d’assister, je déclarais : « j’ai l’impression de travailler pour l’ennemi » — c’était dans les jours où il fallait avoir le fanion de la CGT pour faire la tournée des usines et y pénétrer. D’où la scission et le départ de quelques camarades du groupe juif, dont Emile et Félix, deux leaders de ce groupe ».
A ces noms il faut ajouter celui de Jean Beaussier, qui fut solidaire du groupe juif exclu de la Ligue en 1933.
Il continue en disant qu’outre l’absorption du groupe Bayard, il y a la venue de militants de l’Ecole Emancipée, des ex-souvariniens, des « camarades recrutés au cours de notre activité. »
Fin 1936, début 1937, des militants de la minorité de la Fraction italienne de la Gauche communiste internationale en sont exclus et rejoignent l’UC. A cette même époque Marc Chirik « et un sympathisant » [76] rejoignent la Fraction italienne.
La question du parti
Pour tous les groupes oppositionnels, cette question est centrale, c’est pourquoi nous commençons par elle. Puis nous enchaînons en abordant les relations de l’UC avec les groupes trotskystes.
Lors de la Conférence d’unification, l’heure n’est plus à devoir redresser le Parti communiste existant, mais d’en créer un nouveau. L’UC, à ses débuts, se revendique des 4 premiers Congrès de l’IC (1919-1922). Le 2è Congrès de l’IC définit dans une résolution "le rôle du PC dans la révolution prolétarienne" comme suit :
« Le Parti communiste est la fraction la plus avancée de la classe ouvrière (...) il envisage la mission historique de l’ensemble de la classe ouvrière (...) il dirige dans le bon chemin les masses du prolétariat et du demi-prolétariat (...). Le but que se fixe le Parti communiste est la conquête du pouvoir politique » [77].
Il ne s’agit pas pour autant de fonder maintenant le nouveau Parti qui reste la perspective à long terme. En faisant un parallèle avec la pratique des bolcheviks de construire l’avant-garde, l’UC veut aller en profondeur en privilégiant la formation de « cadres trempés et éduqués » [78] en vue de construire le parti, tout en étant lié aux luttes de la classe ouvrière, en militant activement dans les syndicats et (en 1934) dans les comités antifascistes. C’est un choix difficile que de concilier une activité pratique purement défensive, sans influence notable, ni capacité à inverser le reflux du mouvement ouvrier, tout en s’efforçant de mener un travail de réflexion théorique sur un ensemble de points importants. Ce choix s’explique par le refus de « se détacher de toutes les contingences de la période actuelle et philosopher à l’écart » [79].
L’UC qui ne se voit pas comme la préfiguration du futur parti, se démarque des militants de la Gauche italienne qui publient la revue Bilan dont elle affirme qu’ils sont « quasiment prédestinés à devenir le noyau de la future organisation internationale, parce qu’Italiens, et, de ce fait, armés d’une expérience et d’un bagage politique et doctrinal inégalables. » [80]. Elle travaille à la reconstitution de l’avant-garde sans pour autant définir avec précision la forme qu’elle prendra, l’essentiel est la lutte contre la dissémination des militants aux quatre coins de la France et du monde.
Sur la question du parti, conçu au départ comme parti dirigeant, il y a évolution, comme l’a écrit Henry Chazé : « évolution plus lente en ce qui concerne le Parti, bien qu’au départ et déjà dans le groupe de la Banlieue-ouest, nous étions pour un parti animateur et non dirigeant » [81] . « Entre 1933 et 1936 s’était peu à peu imposée la notion de parti "guide et animateur" des luttes ouvrières, au lieu de parti ’dirigeant’ » [82]. Un article signé Jacques Perdu, présenté comme camarade de province, va dans ce sens. C’est la première manifestation d’une critique qui établit un lien entre la dégénérescence de l’IC et de la Russie soviétique et la conception du parti prônée par Lénine. Celle-ci est fortement critiquée car elle n’est pas étrangère à son évolution future : « cette théorie du chef omniscient, du parti centralisé guide du prolétariat, jointe à une sorte de méfiance envers les masses, devait rapidement dévier vers la politique de l’hégémonie du parti sur le prolétariat ». Pour lui « le parti ne peut être que l’animateur, le guide, qui éclaire, précise, tire les enseignements des événements et jalonne la route du prolétariat marchant vers le socialisme » [83]. L’UC ne va pas passer ouvertement, proclamée ainsi,à la conception du parti "guide et animateur" des luttes, dont le but n’est pas de diriger la classe, mais de l’amener à se diriger elle-même. Gaston Davoust écrira même qu’en 1945 « la conception léniniste du parti [reste] très vivace chez Lastérade, Verdeaux, Laroche et les quelques autres anciens de l’UC » [84]. D’un autre côté on ne peut trouver une date précise qui indique qu’il y a un avant (parti dirigeant) et un après (parti guide, animateur). Ainsi Lastérade écrit une critique du rôle du parti bolchevik comme devant imposer, sans la moindre discussion, la vérité « aux masses profanes » : « C’était le rôle de génie surhumain, de messie attribué au parti au lieu de celui de conseiller et de pédagogue prolétarien. Les bolcheviks niaient en fait cette vérité marxiste simple que tout acte vraiment voulu et décidé par le prolétariat doit être exécuté par le prolétariat lui-même et non pas seulement en son nom. [85] » Et ce, au même moment où l’UC met l’accent sur l’importance du parti dirigeant lors du mouvement révolutionnaire en Espagne (voir cette partie).
Sur cette question du parti, il y a convergence de vue avec la Ligue des communistes internationalistes de Belgique (LCI) (groupe Hennaut). Dans le texte "La fin d’une alliance" de la LCI et publié sans commentaire dans L’Internationale [86], il est écrit qu’il y a une différence de taille entre la conception de la LCI et de la Fraction italienne. La LCI, tout comme l’UC ne rejette pas la nécessité du parti car la lutte du prolétariat est une lutte politique qui pose la question de la conquête du pouvoir politique, le parti est donc nécessaire pour que le prolétariat s’érige en classe dirigeante. Mais il y a échange constant entre le parti et la classe ouvrière ; le parti n’est pas le seul à donner. Celui-ci apparaît « comme un instrument forgé par la classe ouvrière, mais qui devient à son tour capable d’influencer cette classe ». Le reproche à la Fraction italienne est que celle-ci (tout comme les trotskistes) reprend la conception bolchevik du parti sans voir qu’entre cette époque et les années 30 il y a eu la dégénérescence du bolchevisme. Ainsi on ne peut reprendre la conception telle quelle. Pour la LCI, la Fraction italienne a une conception du rôle hypertrophié, totalitaire du parti :
« Si le rôle de la classe ouvrière dans la révolution se ramène en dernière analyse à s’en remettre à la sagesse du parti révolutionnaire, les possibilités révolutionnaires d’une situation ne pourront être déterminées qu’en fonction de l’existence ou de la non-existence de ce parti. Si le parti existe, la situation prend une tournure ou en tout cas peut prendre une tournure révolutionnaire. Si par contre ce parti fait défaut, l’héroïsme le plus pur de la classe, son idéalisme le plus exalté doit se dépenser en pure perte. »
Relations avec les groupes trotskystes.
A y regarder de près, il n’y a pas de divergences notables entre les bases doctrinales de l’UC et celles de la Ligue communiste. Pourtant il y a 2 organisations séparées et incompatibilité de se retrouver ensemble, malgré les tentatives de l’UC en ce sens, et ce pour plusieurs raisons. La première, qui explique les départs successifs de la Ligue [87] c’est qu’il est devenu impossible de militer en son sein pour beaucoup de militants pourtant proches politiquement mais qui se sont élevés fermement contre « le régime intérieur complément pourri » selon les termes d’Alfred Rosmer [88] constatant que dans la Ligue, comme au sein du Secrétariat international de l’Opposition de gauche on assiste à « l’épanouissement des pires procédés staliniens » [89], qu’il y a impossibilité de discuter sans se heurter à une clique qui veut s’imposer comme direction quitte à user de moyens peu recommandables.
La deuxième raison est que la Ligue se donne une importance qu’elle ne peut avoir, au vu de ses effectifs au début de l’année 1934. Pourtant elle prétend jouer un rôle d’avant-garde dans l’immédiat alors que son influence, comme tous les groupes oppositionnels, est insignifiante. En interne, c’est une autre chanson, car au vu de la lecture des « documents d’une quinzaine de pages que les membres de la Ligue communiste viennent de recevoir » la réalité est exposée sans fard :
« La Ligue est faible organisationnellement (...) l’organisation révolutionnaire ne signifie pas : le journal plus ses lecteurs (...) les cadres de notre organisation sont faibles, les hommes nouveaux ne sont pas venus (...) notre composition sociale nous coupe des ouvriers (...) nos liens constants avec le classe ouvrière sont quasi nul (...), etc. » [90].
A la différence de la Ligue, nous pensons que le lien commun entre les différents regroupements qui ont fondé l’UC est de ne pas se gonfler d’importance comme on peut le lire dans cet article [91] :
« Ne nous gonflons pas. Comprenons que nous n’avons pas la possibilité actuellement de déterminer les mouvements de masse : n’ayons donc pas la prétention, à quelques centaines de militants que nous pouvons être dans tout le pays, de modifier directement la situation actuelle. »
La force de l’UC est de se garder d’agir pour agir car « l’affolement et l’agitation fébrile ne peuvent rien résoudre » bien que l’on sache qu’il faut faire quelque chose alors que « le fascisme menace, le patronat et le gouvernement s’attaquent violemment aux conditions d’existence du prolétariat, la guerre se prépare activement. » [92] Les militants de l’UC n’auront de cesse de dénoncer le "bluff" de la Ligue, ses grandes déclarations et sa volonté d’aller vite se traduisant par une agitation fébrile et superficielle. Dans quel but ? : « Leur ardent besoin d’exercer leur influence sur les masses les a poussés à se jeter sur le pauvre PSOP »[Souligné par nous.] [93] . Cet article émet un aspect difficilement entendable pour tous ceux qui veulent en finir avec ce monde : la contradiction entre les désirs et la réalité contre-révolutionnaire que l’on ne peut changer par un volontarisme à tout crin. On peut garder la force de militer en se nourrissant de l’illusion d’être à la veille d’un bouleversement social, comme Trotsky a pu le croire en écrivant en juin 1936 que la « révolution française a commencé ». Ce faisant, « ceux qui n’arrivent à conserver leur "foi" que par l’espérance d’une révolution proche sont à chaque instant prêts à interpréter les manœuvres de duperies comme des étapes de la révolution en marche » [Idem.]].
Ce volontarisme est appelé "gymnastique" convulsive par Chazé. Les trotskystes mettent régulièrement en avant, lors d’événements qu’ils considèrent « comme des étapes de la révolution en marche », des bordées de mots d’ordre, aventuristes ou opportunistes, accompagnées de perspectives plus audacieuses les unes que les autres. C’est le propre de tous les militants activistes-volontaristes à toutes les époques. Outre le fait que cela est tout bonnement ridicule au vu de l’influence quasi nulle sur les masses, cela :
« Brise définitivement, chaque année, les reins d’un certain nombre de militants, elle permet par contre, de gonfler l’enthousiasme d’éléments nouveaux et jeunes qui donneront la possibilité aux organisations trotskystes de poursuivre leur activité tapageuse » [94].
Pourtant l’UC va tenter pendant plusieurs années d’aller vers les trotskystes, ses critiques fermes étant destinées à « pousser la Ligue dans la bonne voie ». En 1934, au moment où la Ligue va entrer dans la SFIO [95], elle propose le regroupement des marxistes-léninistes, en toute indépendance des staliniens et des sociaux-démocrates : « c’est une tâche urgente, à laquelle nous convions les camarades de la Ligue qui sont conscients de leur responsabilité historique dans le moment présent » [96]. Toutes ces tentatives vont rester lettre-morte et le document suivant, en est l’illustration.
La lecture de la lettre-circulaire du 12 février 1934 envoyée à différents groupes oppositionnels pour constituer un "Comité inter-oppositionnel" [97] et surtout les commentaires manuscrits y figurant, permet, plus que des pages et des pages adressées à la Ligue communiste de connaître l’état d’esprit de ces militants trotskystes :
« Front unique ! Quelques jours après avoir envoyé une délégation à la Ligue communiste afin d’entreprendre en commun le travail de propagande et d’action que nécessitaient les événements (à laquelle la délégation Franck de la Commission exécutive répondit que la Ligue travaillait avec les grandes organisations de masse et n’avait rien à faire avec nous) nous avons expédié la lettre suivante [celle du 12 février] ».
La lettre est restée sans réponse. L’UC avait en effet convoqué ces oppositionnels le 5 février, personne n’était venu, sauf des militants de la Gauche italienne. De même que la Ligue estimait n’avoir rien à faire avec l’UC, elle répondit à l’UC qui se proposait d’apporter « le concours que notre organisation propose à la Ligue communiste » suite à l’expulsion de Trotsky : « Franck de la CE de la Ligue a toutefois répondu verbalement : Vous nous emm[er]dez. Donc acte. » De quoi être refroidi, mais l’UC le fut-elle ? Non, puisqu’elle rédigera encore deux textes d’importance : "Aux camarades de la Ligue communiste" en août 1934, puis le Bulletin d’informations et de liaison en décembre 1935 intitulé "Deux politiques". Le premier fut écrit au moment où la Ligue s’engageait dans une politique "d’entrisme" dans la SFIO. Le deuxième fut écrit après la dislocation du groupe "entriste" suite à sa sortie de la SFIO un an plus tard en plusieurs tronçons, dans le but de s’adresser à de jeunes militants formées dans la Jeunesse socialiste pour tirer le bilan de « tous les tournants et de l’aventurisme des bolchevik-léninistes. »
Au moment des discussions pour entrer dans la SFIO pendant l’été 1934, des militants de la Ligue s’y étaient opposés, considérant cette politique comme une "capitulation". En octobre 1934, ils fondèrent le journal Le Prolétaire d’avant-garde, organe des Communistes internationalistes, et se rapprochèrent de l’Union communiste au point de fusionner avec elle en février 1935, comme le proclame l’article "Nouvelle étape du regroupement de l’avant-garde" [98]. Cela ne dura que peu de temps, après quelques mois, ce groupe, appelé communément "groupe Lhuillier" du nom de son dirigeant, démissionne de l’UC, reprend la publication du Prolétaire d’avant-garde, cette fois-ci comme organe de l’Action léniniste. René Lhuillier va rejoindre le Parti ouvrier internationaliste (trotskyste), et refusera l’entrisme dans le PSOP en 1939.
Puis en 1936, dans le Bulletin d’informations et de liaison n°4, avril 1936, l’UC envoie une résolution à la conférence du GBL (Groupe bolchevik-léniniste qui prit ce nom au moment de l’entrée de la Ligue communiste dans la SFIO le 24 août 1934) et des JSR (Jeunesses socialistes révolutionnaires constituées suite à la rupture des Jeunesses socialistes de la Région Parisienne d’avec la SFIO). Cette conférence est fixée pour le 12 avril suite à une lettre ouverte de ces deux groupes parues en février 1932 dans le but de proposer un projet de programme pour le Parti [99]. Après quelques péripéties entre différents regroupements se réclamant du trotskysme, ce processus va mener à la constitution du POI (Parti ouvrier internationaliste) que rejoindront en juin 6 militants de l’UC.
Il n’y eut pas de suite à la lettre de l’UC, ne serait-ce que parce les trotskystes continuaient à penser qu’il faut défendre l’URSS sur le plan militaire. Dans un article de L’Internationale n° 21 (23 mai 36) l’UC défend toujours la conception du parti selon Lénine :
« Nous considérons toujours que l’avant-garde du prolétariat n’est pas tel ou tel autre groupement qui se proclame avant-garde. Mais celui qui est reconnu par le prolétariat révolutionnaire comme tel. Nous considérons toujours que l’avant-garde ne se met pas à la tête de tous et de tout (...) mais qu’elle est placée à la direction par les masses elles-mêmes et sous leur contrôle constant et direct. Qui ne comprend pas la différence entre ces deux conceptions ne comprend pas la différence entre la conception léniniste du parti et la conception staliniste du parti. »
Si l’UC, dans sa démarche, s’oppose à des avant-gardes qui se proclament telles parce qu’ayant le "bon" programme, alors que dans la réalité il faut gagner la confiance des ouvriers par un « travail révolutionnaire et honnête », il n’en reste pas moins que dans sa défense de la conception du parti selon Lénine cela relève du mythe. La conception du parti léniniste est formulée maintes fois au moment des toutes premières années de l’IC, nécessitée par le besoin d’affirmer cette conception-là contre le syndicalisme révolutionnaire et les gauches communistes "infantiles". Ainsi on peut lire dans la "Résolution sur le rôle du PC" déjà citée : « Le Parti Communiste constitue la force organisatrice et politique, à l’aide de laquelle la fraction la plus avancée de la classe ouvrière dirige, dans le bon chemin, les masses du prolétariat et du demi-prolétariat. » et puis plus loin : « Le centre organisateur et dirigeant ne peut être qu’un Parti politique. » On est encore loin de la conception de "parti-animateur et non dirigeant" selon Chazé.
Par la suite il n’y eut plus de tentatives de la part de l’UC de solliciter les groupes trotskystes. Rien que l’évolution de l’UC sur l’analyse de l’URSS, qualifiée de capitalisme d’Etat et son opposition à la défendre en cas de guerre, que les tentatives de rapprochement ne pouvaient qu’être vaines, d’autant que « l’intérêt de l’URSS, voilà le critère suprême des trotskystes » [100]. Ainsi, lors de la bataille militaire des mois de juillet/août 1936 entre l’URSS et le Japon pour un territoire revendiqué par l’URSS, les trotskystes proclament que la « défense de l’URSS contre le Japon est le devoir de tout travailleur » [101]. L’UC commente cette position ainsi :
« On sait comment les baïonnettes soviétiques apporteront la libération aux ouvriers japonais. Les exemples d’Espagne et de l’action contre-révolutionnaire de Moscou par l’intermédiaire de la 3ème Internationale nous avaient assez éclairés sur ce que l’on doit attendre de l’URSS » [102].
Donc il semble bien qu’après 1936 et les commentaires à propos des GBL, l’UC ne sollicite plus les trotskystes français. Dans le numéro 36, il est écrit dans l’article "Le mouvement communiste d’opposition en Amérique" à propos des groupes avec lesquels il y a des divergences, que ce sont des groupes issus du trotskysme mais qu’ils ne « sont plus sous la direction de Trotski ». Ce sont des groupes dissidents, qui, surtout parce qu’ils sont en pleine évolution, travaillés par des courants dissidents et révisionnistes, offrent l’espoir d’une cristallisation sur des positions débarrassées des clichés et des formules qui ont toujours fait du trotskysme un appendice du mouvement stalinien, ou du mouvement social-démocrate.
En guise de conclusion à propos des groupes trotskystes, on peut citer un passage de Socialisme ou Barbarie n°1 :
« C’est parce que l’organisation trotskiste a été incapable de se séparer radicalement et organiquement du stalinisme, parce qu’elle n’est restée, au mieux, qu’une opposition à celui-ci, ou comme on l’a dit, un appendice du stalinisme, qu’elle n’a jamais pu se construire. La "IV° Internationale" n’a pas conquis son autonomie, parce que celle-ci exigeait une critique radicale et une analyse définitive de l’évolution et de la dégénérescence de l’organisme dont elle procédait, de la III° Internationale. Ce n’est qu’à partir de cette analyse et de la destruction radicale de l’idéologie stalinienne qu’elle aurait pu poser les fondements de sa propre existence. »
6 février 1934 - La lutte contre le fascisme
Les groupes oppositionnels, anti-staliniens, réduits à peau de chagrin, vivent une période de reflux de la vague révolutionnaire mondiale née en 1917, et ne peuvent peser de manière significative sur le rapport de force entre les classes. Pourtant, l’UC va devoir affronter une période riche en événements divers tant nationaux qu’internationaux.
Les années 1930 sont marquées par les conséquences de la crise économique déclenchée lors du krach d’octobre 1929 aux Etats-Unis : augmentation du chômage, faillites d’entreprises, baisses des salaires... toujours la misère pour le prolétariat. En France, les rares grèves sont battues, se heurtant autant à l’intransigeance patronale qu’aux politiques anti-ouvrières des gouvernements successifs. De plus les partis politiques et les organisations syndicales représentant le monde ouvrier, profondément divisés, sont incapables de prendre la direction des mouvements de lutte et s’y opposent même.
Le contexte au niveau international, c’est bien sûr la venue d’Hitler au pouvoir le 30 janvier 1933 signifiant « de nouveaux décrets de terreur du gouvernement fasciste, de nouveaux mandats d’arrêt, la suppression de toute presse, de toute réunion, de nouveaux attentats terroristes, des assassinats ignobles ont commencé. La vague sanglante de la contre-révolution couvre l’Allemagne » [103]. Le mouvement ouvrier est décapité. De même en Autriche, l’insurrection ouvrière du 12 février 1934 éclate contre l’attaque du siège du parti social-démocrate de Linz par les forces conservatrices. Les militants locaux du Schutzbund (milice ouvrière du PS) y prennent part en opposition avec la bureaucratie de leur parti qui depuis des mois capitule devant cette contre-révolution menée par le chancelier Dollfuss. L’insurrection gagne d’autres villes, puis est battue, laissant sur le carreau plus de 1.000 morts.
En France, Le 6 février 1934 est une date importante. Tout le spectre de l’extrême-droite descend dans la rue pour faire bloc contre le gouvernement Daladier, en exigeant la formation d’un nouveau gouvernement de salut public. La Garde mobile tire et tue plus d’une dizaine de manifestants. Suite à ces émeutes le gouvernement Daladier démissionne le 7 février et laisse la place au gouvernement d’Union nationale de Gaston Doumergue.
Contre ces menaces qualifiées par les uns de réactionnaires, par les autres de fascistes [104], la riposte s’organise : le 7 au soir, la CGT et le PS, ainsi que d’autres organisations appellent à la grève générale le 12 pour la défense de la République et des libertés démocratiques. Le 9 février le seul PCF, qui accuse le PS de soutenir un gouvernement qui baisse les salaires et brise des grèves, organise une manifestation place de la République. Celle-ci est violemment réprimée, laissant sur le carreau 6 morts. Puis c’est la grève générale du 12 février à laquelle le PC se rallie sous l’injonction de Moscou. Elle sera très imposante, réalisant les vœux les plus chers de la classe ouvrière : dépasser les divisions entre les centrales syndicales et les partis politiques de gauche. Dans les nombreuses manifestations un cri unanime retentit : « Unité, unité ». Ce désir profond est un élément déterminant pour comprendre le processus de rapprochement entre les différentes organisations ouvrières qui va se concrétiser dans les mois à venir.
Le PCF va devoir abandonner la ligne "classe contre classe" et tendre la main au PS et à la CGT. Sa politique sectaire mécontente de plus en plus de militants qui sont attirés par le rayon de Saint-Denis, fief de Jacques Doriot qui depuis des mois en appelle au Front unique d’organisation à organisation et l’a mis en œuvre le 12 février. L’attitude sectaire du PCF exaspère aussi la Russie et l’IC qui sont dans une démarche de rapprochement avec les Etats impérialistes "versaillais" dont son rapprochement avec l’Etat français pour faire contre-poids à l’Allemagne nazie. L’IC va mettre la pression sur la direction du PCF pour qu’il canalise le mouvement anti-fasciste dans les intérêts de la politique extérieure de l’URSS.
Le positionnement et l’activité de l’UC.
Pour l’UC, le « fascisme a prouvé sa réalité en France le 6 février », ainsi que sa gravité comme écrit dans le tract diffusé en février 1934 : « le Fascisme menace les libertés ouvrières » [105]. Tout n’est pas joué pour autant car tout dépend de la force du « front unique de tous les ouvriers » à l’encontre des divisions syndicales et politiques. Lors de la grève générale du 12 février « les travailleurs français ont pris conscience de leur force. Ils se sont rendus compte de ce que pourrait être leur unité d’action. Tels sont les côtés positifs de la journée du 12 février. » Jacques Doriot dénombre l’existence, au lendemain du 12 février de 3.000 comités de vigilance ou comités d’action, chiffre repris tel quel par l’UC. Ces comités rassemblent des communistes, des socialistes, des éléments les plus exploités des classes moyennes, luttant au coude à coude. L’UC va dépenser beaucoup d’efforts pour concrétiser l’unité en cours en sachant qu’elle reste fragile : tracts, lettre adressée à d’anciens militants du 15è rayon, travail en direction du rayon de Saint-Denis, lettre-circulaire à différents groupes oppositionnels pour constituer un "Comité inter-oppositionnel" [106], participation à des comités de vigilance à Paris [107].
Puis l’UC met le doigt sur les aspects négatifs du mouvement en rappelant que cette journée d’action a été l’œuvre des réformistes du PS et de la CGT : « Mais ce qui est plus significatif, c’est que ces manifestations ont eu pour mot d’ordre essentiel la défense de la démocratie bourgeoise. » Et que cette orientation donnée au mouvement ouvrier ou plutôt son encadrement dans les limites des institutions bourgeoises ne peut que mener « infailliblement comme en Allemagne et en Autriche à la victoire du fascisme, à l’entraînement du prolétariat dans la guerre impérialiste ».
L’UC va mettre en avant quelques propositions :
— Sur le plan syndical, appel à l’unité, imposer un congrès de fusion.
— Sur le plan politique, réaliser le Front unique d’organisation à organisation. « Un Front unique loyal, sur des objectifs précis (...) sur la défense des libertés ouvrières. » [108]
— Pour la constitution de milices ouvrières communes pour la défense physique des locaux, des lieux de réunion, des coopératives, des journaux.
L’UC, constatant que le PS est à la manœuvre lors de ces journées, celui-ci se disant « partisans de la lutte contre le fascisme », alors il « faut les mettre en demeure au sujet des moyens aptes à donner aux ouvriers la possibilité de lutter efficacement contre la pire réaction anti-prolétarienne » [109], il faut l’obliger au front permanent d’organisation à organisation. Ce faisant l’UC pense encore que le PS est une organisation qui peut défendre les intérêts de la classe ouvrière, bien qu’elle dise que le PS ne pourra jamais être redressé, « qu’elle ne sera jamais le guide du prolétariat révolutionnaire » [110]. Par la suite l’UC a pu dire qu’elle a cédé à la confusion générale en proposant au bloc (stalinien et social-démocrate) d’« accepter les comités de masses et les milices communes » [111].
Cette prédominance du PS s’explique par l’inexistence du PC « qui a failli à sa tâche depuis quelques années. La même politique qui a conduit le prolétariat allemand à la défaite est suivie en France par le parti qui se dit encore communiste » [112]. Le PC n’a fait que suivre le PS et « aucun effort sérieux pour modifier les buts de la manifestation dans un sens révolutionnaire n’a été fait ». La critique de l’UC porte ainsi sur la fausseté de la politique stalinienne, comme si le PC pouvait agir différemment.
L’UC remarque que la politique « monolithique stupide » du PC entraîne non seulement une politique criminelle, mais aussi un désarroi parmi sa base qui, lors de ces journées, a violé la « ligne générale » en agissant avec les militants de la CGT et du PS, comme ce fut le cas dans la localité de Saint-Denis, fief de Jacques Doriot, militant du PCF qui depuis quelques années est favorable au Front unique et va être exclu du PCF pour cette raison en juin 1934.
Les organisations ouvrières craignant une radicalisation du mouvement vont interdire les comités de vigilance, condamner l’armement ouvrier et vont s’engager dans la voie parlementaire pour sortir de la crise. Ce qui va amener le PS et le PC à signer un pacte d’unité d’action le 27 juillet sur le seul terrain légal et parlementaire.
Avant cette signature, l’UC croit encore que « le salut de la classe ouvrière se trouve aujourd’hui dans l’application juste et loyale du front unique entre toutes les organisations ouvrières, avec la participation active de larges masses du prolétariat et sous leur contrôle constant » [113] alors que les faits montrent que « l’application juste et loyale » est une chimère quand les sociaux-démocrates et les staliniens font tout pour liquider le mouvement unitaire de février.
Si l’UC estime le danger fasciste réel peu avant la journée du 12 février 1934 : « le gouvernement Doumergue, que la bourgeoisie présente comme le sauveur de la situation, sera l’instrument du rassemblement de toutes les forces réactionnaires et de la préparation d’un parti fasciste » [114], elle va rapidement penser que le fascisme n’en est pas un dans l’immédiat : « La résistance ouvrière quasi nulle des couches exploitées [contre les mesures fiscales, la baisse des salaires], n’a pas nécessité l’intervention de moyens plus puissants que ceux du souriant Doumergue » [115]. Elle dit par ailleurs que la nécessité pour la bourgeoisie de la préparation d’un conflit impérialiste constitue au même degré un danger pour le prolétariat.
L’UC constate que pour la bourgeoisie, le choix entre démocratie et fascisme est guidée par ses intérêts de classe, rien d’autre. Après avoir été tentée par l’option fascisme en février 1934, elle a été amenée à « éprouver la solidité des forces et des moyens démocratiques susceptibles d’être encore utilisés ; elles servaient enfin et surtout à noyer dans une psychose et dans une activité anti-fascistes la volonté de lutte de classe du prolétariat » [116]. Le gouvernement Doumergue est une étape dans le renforcement de l’Etat et du pouvoir exécutif pour être en mesure de réagir promptement à toute réaction ouvrière face à l’aggravation de la crise. La méthode fasciste pouvant être envisagée si la comédie parlementaire ne suffit pas à l’avenir.
Le Front unique, le Rassemblement populaire, le Front populaire
La position de l’UC au lendemain du 6 février va évoluer rapidement. Dans un premier temps l’UC pousse à la roue les partis ouvriers pour qu’ils réalisent le "vrai" front unique. Puis dans un deuxième temps, où le vrai front unique signifie accord des bureaucraties politiques pour mettre en place une stratégie parlementaire visant à arriver au pouvoir, il n’y a plus place pour une certaine illusion quant à participer à l’édification d’un réel front unique de luttes.
Après la signature du pacte d’unité d’action du 27 juillet 1934 « nous nous refusâmes à confondre le bloc des deux bureaucraties avec un front unique parce que ce bloc est la négation de la conception léniniste du front unique, qu’il ne réaliserait pas l’unité d’action de la classe ouvrière française contre la bourgeoisie et le fascisme » [117]. Dans la réalité le front unique s’est transformé en « front unique d’inactivité » qualifié désormais de « duperie », terme qui reviendra régulièrement par la suite.
Ce pacte d’unité d’action est la première étape vers la constitution du Front populaire. D’autres vont suivre :
— Le 9 octobre 34, Thorez lance un appel pour la constitution d’un « Front populaire du travail, de la liberté et de la paix ». Il est le premier à utiliser l’expression "Rassemblement populaire". Le même jour a lieu la première rencontre au sommet CGT-CGTU pour engager le processus de réunification.
— En décembre 1934, Lors du 13è Exécutif de l’IC il est dit que « le fascisme veut unir les forces les plus réactionnaires du monde bourgeois pour une agression contre l’URSS ». Ce qui explique que l’URSS veut se rapprocher des Etats démocratiques, en particulier la France. En établissant un lien entre antifascisme et guerre, en cherchant un responsable de la future guerre non pas dans la nature du mode de production capitaliste, l’IC renoue avec les arguments de la social-démocratie, qui en 1914, a appelé à la défense de la civilisation contre la barbarie, expression revue et corrigée en 1935 en défense de la démocratie contre le fascisme.
— Le 2 mai 1935 est signé le pacte d’assistance franco-soviétique suivi du communiqué du 15 mai rédigé suite à la venue de Pierre Laval à Moscou où l’on peut lire que : « Monsieur Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité. » Ce qui provoque la stupéfaction parmi les militants du PC et tous les oppositionnels jusqu’aux anarchistes. Ainsi Le PS et le Parti radical obtiennent des gages du PC et peuvent lui accorder toute leur confiance alors qu’il y a peu, il les traitait en ennemi.
— Puis le 17 juin, est constitué le Comité de "Rassemblement populaire" qui réunit le PS, le PC, le Parti radical puis la CGT, la CGTU et d’autres organisations comme la Ligue des Droits de l’Homme dont l’objectif est l’organisation des manifestations du 14 juillet 1935. Ce front républicain déclare sous forme de serment le 14 juillet : « Nous faisons le serment de rester unis pour défendre la démocratie, pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour mettre nos libertés hors de l’atteinte du fascisme » [118]. Le rassemblement où se mêlent le drapeau rouge et le drapeau tricolore, la Marseillaise et l’Internationale est imposant, environ 250.000 à Paris. Il y a beaucoup de cortèges dans de nombreuses villes en France.
L’UC dénonce ce Front populaire qui n’est autre qu’un Front national [119]. La devise du Manifeste du Parti communiste « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » se transforme dans les faits en « Français, unissez-vous ! » La peur du fascisme est utilisée uniquement pour défendre la République, pour dissoudre le prolétariat dans le peuple, préparant ainsi l’union sacrée pour la guerre.
Au cours de l’été 1935, « les travailleurs atteints par les décrets-lois ont manifesté une combativité indiscutable... » [120], ils réagissent à l’application par le gouvernement Laval des décrets-lois qui diminuent les dépenses publiques, en clair c’est une baisse du salaire réel de 10%. A Toulon et Brest du 5 au 8 août 1935 des mouvements de grève contre les baisses de salaires tournent à l’émeute, pendant plusieurs jours [121]. Ces émeutes sont réprimées violemment et les organisations ouvrières ne prennent pas la direction du mouvement pour l’élargir [122]. Au contraire elles ont tout fait « pour le trahir et pousser à la rentrée des ouvriers sans conditions » [123]. En effet un tel mouvement va à l’encontre de la volonté du Front populaire d’arriver au pouvoir par la voie légale. De plus il ne peut voir que d’un mauvais œil un tel mouvement spontané dans l’arsenal de Brest - après la signature du pacte Laval-Staline dans son aspect militaire - qui est un des points stratégiques de la défense française.
A la veille de la venue au pouvoir du Front populaire, l’UC définit nettement ce qu’il va appliquer :
« Le Front populaire, comme tout gouvernement bourgeois, devient donc le gérant et le gardien du régime capitaliste. L’exploitation des ouvriers dans les usines, leur oppression par le fisc, seront désormais organisées par des socialistes, des radicaux et des "communistes". L’étouffement ou la répression des réactions ouvrières, des mouvements grévistes, sera l’œuvre de ministres du Front populaire qui dirigeront les mêmes gardes mobiles et les mêmes flics que Chiappe. Les patrons, les grands trusts garderont leurs entreprises et leurs bénéfices ; les crédits militaires serviront à encaserner les jeunes et à les faire massacrer au besoin pour la nation, la patrie.
Voilà les choses que le gouvernement de Front populaire réalisera à coup sûr ; elles nous suffisent pour dénoncer le ministère Blum comme un instrument dans les mains de la bourgeoisie, instrument d’autant plus dangereux qu’il n’a pas contre lui la méfiance des classes laborieuses sur lesquelles il s’appuiera pour consolider le régime capitaliste et pour préparer la prochaine guerre impérialiste » [124].
Question syndicale
Sur cette question, il va y avoir une nette évolution. Pendant deux ans la position de l’UC ne va pas varier : « Dans la situation actuelle, il n’y a pas d’autres moyens pour renforcer la capacité de résistance de la classe ouvrière devant l’assaut gouvernemental et fasciste qu’en unifiant organiquement les organisations syndicales. Ceci n’est possible qu’à travers des fusions des syndicats, des fédérations et des confédérations nationales. » [125] C’est ce leitmotiv qui revient régulièrement dans les articles du journal. L’UC considère que cette unité syndicale ne peut qu’avoir des répercussions les plus positives pour le mouvement révolutionnaire car les conditions matérielles pour lutter sont plus favorables à la différence des années précédentes où la haine était entretenue parmi les militants syndicaux. Comme groupe luttant pour le regroupement des éléments d’avant-garde, la tâche de l’UC est définie dès son origine :
« Ces côtés positifs du bloc socialo-stalinien ne pourront être développés que si les éléments marxistes-léninistes hâtent leur regroupement (...) militent activement pour orienter les ouvriers vers une action effective contre le fascisme, et dans les syndicats luttent pour la réalisation immédiate de l’unité syndicale. » [126]
Mais quelle unité syndicale ? : « L’unité syndicale pourra donner au prolétariat la possibilité de développer les organisations de masse nécessaires à sa défense, à condition toutefois qu’il essaye de se débarrasser de la tutelle des chefs réformistes qui momentanément auront la direction des syndicats unifiés » [127]. Puis voyant comment le processus de réunification se déroule à partir du mois d’octobre 1934, l’UC met l’accent sur la « création d’un courant révolutionnaire dans la future CGT unique » [128]. Ce sont toujours les faits qui vont radicaliser la position de l’UC, car au fil des mois elle ne peut que constater, à partir de l’analyse des grèves, que cela n’intéressent pas particulièrement ni le PS qui ne « donne que de courtes informations sur les mouvements en cours » ni le PC qui ne fait pas « une propagande systématique en faveur de l’élargissement du mouvement de résistance de la classe ouvrière ». Le constat à retenir est le suivant :
« Il devient donc de plus en plus clair pour les militants révolutionnaires que les ouvriers n’ont pas dans leurs organisations les instruments qui devraient leur permettre de se défendre. Les organisations ouvrières sont entre les mains d’appareils bureaucratiques qui ont des intérêts différents de ceux des ouvriers. Comment donc ceux-ci pourront-ils reconquérir et reconstruire leurs armes de classe ? » [129].
C’est surtout après les dures grèves de Brest et Toulon, dénoncés par les bureaucraties syndicales, « promptes à accourir en aide à la bourgeoisie » [130], que l’UC va contribuer activement à la naissance de L’Avant-garde syndicale, "organe d’action syndicaliste révolutionnaire". Ce groupe est animé par des militants syndicalistes minoritaires des deux CGT [131], de la Fédération autonome des fonctionnaires et de l’Union communiste. Il va publier 4 numéros de novembre 1935 à mars 1936. La gérante est Colette Audry, militante de la Fédération unitaire de l’Enseignement-CGTU ainsi que de la Gauche révolutionnaire. Le journal considérait que le « Front populaire sert d’autre part à dissoudre la classe ouvrière en tant que classe pour l’amener à réaliser "l’unité de la nation française" » [132]. Cette expérience fut de courte durée, les militants renonçant à poursuivre cet effort en raison de désaccords importants. Selon le journal L’Internationale :
« En fait, la conclusion à tirer de cette expérience est qu’elle fut prématurée, car, venant trop tôt après la réalisation de l’unité syndicale, elle ne correspondait pas une réaction de militants de base contre le Front populaire et l’orientation de la CGT. Elle traduisait seulement les velléités de quelques camarades qui s’aperçurent très vite qu’eux-mêmes étaient divisés par de profondes divergences » [133].
L’UC soutient et participe à ce regroupement car c’est « une réaction, non pas contre l’unité syndicale comme le prétendrons staliniens et réformistes, mais contre l’abdication des positions de classe sous le signe de laquelle s’est décidée et se réalise cette unité syndicale. » Si l’UC constate que « L’Avant-garde syndicale hésite à voir dans l’unité syndicale ce qu’ont voulu en faire les dirigeants staliniens et réformistes : une étape de l’union sacrée et un pas de plus dans la collaboration de classes » [134], et qu’elle se fait quelque illusion qu’une orientation révolutionnaire soit possible au sein de la CGT unique, elle n’en soutient pas moins cet effort.
Malgré les efforts de ce regroupement, bien téméraire et volontariste face à l’imposante bureaucratie syndicale, la réunification syndicale va se réaliser au congrès de Toulouse en mars 1936, selon les plans de la CGT et de la CGTU, ce que va anticiper l’UC :
« La réalisation du compromis entre les deux bureaucraties syndicales n’est pas déterminée par la défense des intérêts de la classe ouvrière, mais pour atteindre les buts qui leur sont propre : les réformistes, défendre l’Etat démocratique bourgeois. Les bureaucraties unitaires staliniennes, défendre la politique extérieure de l’URSS (...) La CGT unique française sera la CGT de trahison ». [135].
De même, après la réunification, elle évolue encore dans son analyse :
« Le syndicalisme français a fait à Toulouse le pas nécessaire pour sa transformation en organe auxiliaire de l’appareil étatique bourgeois (...) cette page sombre indiquera qu’à ce congrès de réunification la classe ouvrière française a abdiqué de ses prérogatives de classe et à inscrit sur son drapeau la collaboration avec l’ennemi. Cette page indiquera également qu’à cette heure décisive, aucune voix prolétarienne ne s’est élevée pour protester contre cette capitulation, aucune voix révolutionnaire n’a pu se faire entendre pour affirmer l’attachement aux principes de classe » [136].
C’est la première fois que l’UC, se retrouve bien seule, parmi les oppositionnels, pour comprendre la nouvelle CGT comme auxiliaire de la bourgeoisie. Ce qu’elle réitéra dans le numéro 21 du 23 mai 1936 : « La CGT se prépare à transformer les syndicats en organes auxiliaires de l’Etat. » [137] Ce qui est en jeu c’est le pouvoir accru des organisations syndicales par le biais du principe de l’arbitrage étatique.
Intégration des syndicats et Front populaire
Le Front populaire arrivé au pouvoir en mai 1936 va être mis à rude épreuve lors du mouvement de grève de juin 1936 dont le dynamisme fit peur à la bourgeoisie et mit en danger le gouvernement. Le PC monte au créneau et proclame qu’il « faut savoir terminer une grève », signifiant par là que le prolétariat doit rentrer dans le rang après avoir obtenu quelques avantages matériels notables : les 40 heures, 2 semaines de congés payés et des relèvements de salaires significatifs.
Si l’élément le plus important à retenir de ce mouvement c’est la confiance acquise au cours de la lutte, la mise en application de l’action directe et la puissance qui s’en dégage, il n’en reste pas moins que dans les mois qui suivent le Front populaire va agir de pair avec le patronat pour étrangler le mouvement. Le Front populaire est là pour assurer l’ordre, réprimant les mouvements grévistes en envoyant les gardes mobiles tout en promulguant des réformes, comme l’arbitrage obligatoire et les contrats collectifs [138], qui renforcent le processus d’intégration des syndicats et la domestication de la classe ouvrière.
L’emprise de la CGT va prendre de l’ampleur, il y a désormais 5 millions de syndiqués, le processus d’intégration des syndicats va s’accentuer : « Le fonctionnement des délégués d’usines, des sections syndicales et de la centrale elle-même a complètement changé le rôle et le sens de l’organisation syndicale qui s’est ainsi transformée d’organisme de lutte de classe, en un rouage de l’Etat capitaliste moderne » [139].
Au sein de l’UC il va y avoir un débat ouvert en 1938 sur le phénomène de l’intégration des syndicats et sur les réformes qui poussent dans le sens de « l’organisation corporative de l’Etat » [140]. Laroche pose le dilemme suivant : « il s’agit de savoir s’il faut approuver de tels mouvements, et encourager une action allant à l’encontre de la direction centrale, ou désapprouver l’indiscipline et préconiser la stricte observance syndicale. » [141] Si on les approuve alors on va dans le même sens que les directions syndicales, si on s’y oppose, on se retrouve allant contre les ouvriers qui se révoltent contre la trahison des organisations syndicales. Pour lui, les syndicats ont épuisé leur rôle historique progressif. De nouvelles tâches surgissent, celles-ci « exigent des organisations où chaque prolétaire prenne en mains propres sa destinée et ne laisse pas dépendre son salut de la "bonne "ou "mauvaise" direction et qu’on empêche que les ouvriers, découragés et dégoûtés des syndicats, ne deviennent la proie d’autres organisations ennemies analogues. » [142]
L’autre point de vue dans l’UC est plus nuancé. S’il reconnaît que l’on va vers une plus complète inféodation à l’Etat capitaliste, les syndicats ne sont pas encore intégrés dans l’Etat comme c’est le cas en Allemagne, en Russie, en Italie. Les révolutionnaires ont encore la possibilité d’y militer "utilement". On ne peut pas quitter les syndicats, car quelles perspectives peut-on « tracer à l’action ouvrière qui surgit et surgira » [143] malgré le carcan syndical et la législation sociale ? De fait, la situation n’est pas mûre pour que surgissent d’autres types d’organisation (soviet, conseil d’usine...). La seule option est la lutte tenace au sein du syndicat contre l’évolution des syndicats. Il faut être conscient que « toute propagande, si juste soit-elle, ne peut convaincre qu’un cercle limité de militants, si elle ne correspond pas à une expérience continue des masses. » [144] Les travailleurs doivent arriver à comprendre par eux-mêmes le véritable rôle des syndicats, qu’ils comprennent eux-mêmes qu’il faut envisager de créer d’autres formes nouvelles. Le rôle des militants révolutionnaires est « d’aider à cette compréhension ». Il faut épuiser toutes les possibilités de lutte au sein des syndicats pour éviter de s’isoler d’une partie de la classe ouvrière organisée.
Activité du Cercle syndicaliste Lutte de classe
Nous avons déjà présenté l’activité de ce Cercle et nous convions les lecteurs à s’y reporter. Nous en rappelons ici les grandes lignes.
La création du Cercle syndicaliste Lutte de classe en janvier 1937 tire son origine dans le mouvement de résistance à l’encontre des directions syndicales qui brisent les mouvements de lutte depuis des années et dont l’objectif est la paix sociale au détriment des légitimes revendications ouvrières. A la différence de la fin de l’année 1935, début 1936, lors de l’apparition du journal L’Avant-garde syndicale, les conditions sont favorables pour une telle initiative car des milliers de militants de base s’opposent dans leur pratique à l’orientation de la CGT. Le Cercle est le fruit des efforts de militants syndicalistes adhérents à la CGT, venant d’horizons politiques différents — ex-PCF, anarchistes, anarcho-syndicalistes, syndicalistes révolutionnaires, communistes internationalistes —, ayant eu la force de maintenir ce "front unique" des minorités révolutionnaires en vie. Tout en militant au sein de la CGT, ils refusent son orientation qui « désarme les syndiqués » et « favorise la contre-attaque patronale » selon les termes du Manifeste du 15 janvier 1937. Ils voient dans l’évolution de la CGT le danger de l’intégration du syndicalisme dans l’Etat. Ils veulent en conséquence un retour au syndicalisme révolutionnaire défini par la Charte d’Amiens de 1906 et agissent pour le redressement de la CGT.
Une première année d’efforts tenaces va aboutir à la publication du journal Le Réveil syndicaliste, daté du 15 janvier 1938.
L’UC est partie prenante et va être une des composantes les plus actives pour que le Cercle se développe. Que ce soit pour favoriser le regroupement des avant-gardes, ou pour favoriser ce type de regroupement syndical, l’UC a la même ligne de conduite, faire œuvre utile en entraînant :
« L’ensemble des militants des cercles locaux et d’usines, au fur et à mesure de leur recrutement, dans les discussions générales qui, infailliblement, aboutiront à une différenciation nécessaire, laquelle pour être positive ne devrait pas se faire prématurément, ce qui ne manquerait pas d’arriver si les discussions restaient limitées au sommet du Cercle » [145].
Puis en disant qu’il ne faut pas avoir peur des discussions sur l’orientation du Cercle pouvant menacer l’existence de front unique de militants syndicaux, il faut « envisager les moyens d’organiser les discussions de telle manière que les points de vue exprimés ne se heurtent pas violemment, mais que leur confrontation aboutisse à une clarification dont le mouvement révolutionnaire a tant besoin après les défaites subies dans tous les pays, après la trahison et la faillite des organisations réformistes, staliniennes, et anarchistes. » [146] Il faut donc pousser à la roue une telle expérience, dont l’objectif est le développement d’une minorité révolutionnaire dans la CGT tout en ne ménageant pas les critiques, rappelant que ce qui est prioritaire est la lutte contre la collaboration de classe et la réalisation de l’union sacrée.
Comme nous n’allons pas revenir en détail sur l’évolution du Cercle et de toutes les remarques de l’UC, nous nous attardons un peu sur le sujet essentiel débattu au sein des différents cercles. Il s’agit de savoir s’il faut ou non redresser la CGT ? Savoir que faire lorsqu’à partir de l’été 1938, suite au sabotage des grèves par la CGT, des militants syndicaux déchirent leur carte ? Savoir que faire alors que l’évolution de la CGT depuis la réunification de mars 1936 va dans le sens d’une intégration provisoire au sein de l’Etat et agit comme auxiliaire de la bourgeoisie ?
Pour l’UC il est illusoire de vouloir redresser la CGT qui est devenue ce qu’elle est non pas parce que ses chefs sont mauvais et qu’il faudrait donc les changer par de bons dirigeants, mais parce que dans un contexte marqué par une situation de coexistence pacifique entre le pouvoir bourgeois et les syndicats dont le rôle est la défense des conditions de vie et de travail, l’altération du caractère révolutionnaire ou de classe des organisations ouvrières est inévitable. Ils ne peuvent que s’intégrer ou alors être détruits comme ce fut le cas en Allemagne nazie. Pourtant l’UC ne prône pas la désertion de la CGT, d’autant que la situation sociale n’est pas en mesure d’accoucher d’autres organismes de classe. Il ne reste plus que la lutte en son sein comme minorité organisé tant que c’est possible.
En 1939, après la grève générale lancée sur le tard et avec la réticence de la CGT le 30 novembre 1938, sans aucune préparation sérieuse, c’est une défaite cinglante pour le prolétariat soumis à la répression étatique et patronale qui est féroce : condamnation à des peines de prison ferme, licenciements massifs dont principalement des leaders syndicaux, inscriptions sur des listes noires. Il n’y aura plus aucune grève au cours des 6 premiers mois de l’année 1939 (sauf le 1er mai) ; les effectifs de la CGT tombent de 5 millions à 1,5 million à la veille de la guerre ; les conditions de travail s’aggravent dans tous les secteurs de l’industrie. Dans une telle situation, on peut dire que le questionnement « rester ou pas dans les syndicats » change, car c’est l’Etat qui pousse les prolétaires hors des syndicats. Un militant ouvrier sans travail, sans possibilité immédiate de travailler vu qu’il est devenu "tricard" et exclu du monde ouvrier, n’a plus prise sur l’évolution du syndicat ne pouvant y intervenir de l’intérieur. Cette désaffection de la CGT est-elle intéressante ? Cela signifie-t-il qu’il y a constitution d’une autre force sur des bases de lutte de classe ? La réalité est sombre, car il y a des milliers de militants écœurés, conscients de l’impossibilité de redresser la CGT, qui se retrouvent à ne savoir trop quoi faire. L’UC propose que les noyaux révolutionnaires existant interviennent rapidement en sortant du cadre étriqué de la seule opposition, en menant une agitation plus large :
« Autour des Cercles, nous croyons utile de rassembler sous une forme ou sous une autre les bons militants écœurés qui ont quitté la CGT. La meilleure suggestion faite dans ce sens a été la création d’Amis du Réveil syndicaliste. S’il n’est pas trouvé d’autre solution, les Cercles se doivent d’adopter celle-ci en l’assouplissant au mieux. » [147]
La lutte contre les menaces de guerre
L’effroyable boucherie de 14-18 est encore dans tous les esprits. En consultant toute la presse militante de l’époque, qu’elle soit étiquetée anarchiste, communiste, anarcho-syndicaliste, etc. on est frappé par le nombre d’articles qui reviennent sur les dangers d’une guerre à venir. Cet extrait de l’article d’Hem Day de la Voix libertaire n° 279 (1934) [148] illustre bien ce sentiment :
« Nous sommeillons sur un volcan, prêt à chaque instant à vomir par son cratère, la guerre atroce et monstrueuse (...). Tout semble l’annoncer. Les menées et les intrigues nationalistes semblent précipiter chaque jour davantage le pays vers des conflits guerriers (...). Jamais la situation ne s’est révélée aussi alarmante. La guerre rôde dans l’ombre. Ce serait un crime vis-à-vis de nous-mêmes et du monde entier de taire nos pressentiments. »
Voilà pour le ressenti exprimé tant par les militants que par le commun des mortels, qui ont encore dans leur chair ou celle de leurs proches, les traces laissées par l’épouvantable conflit de 1914-18.
Si le ressenti a son importance pour expliquer la profusion d’articles sur les menaces de guerre dès que la moindre tension entre différents Etats se manifeste, il est clair que le futur conflit armé est déterminé par les conséquences du traité de Versailles, et du système d’alliances qui en est issu. L’Allemagne en subit durement les conséquences, elle est privée de ses territoires situées à l’Est et de son empire colonial. Il en est de même pour la Hongrie et l’Autriche. Ces Etats ne peuvent que compter sur la guerre pour détruire les frontières qui les corsètent. L’Europe est donc le futur champ de bataille.
L’UC en voit un autre : le Pacifique. « Le conflit du Pacifique est né des barrières opposées par l’Amérique et l’Angleterre à la pénétration du Japon sur le continent asiatique et à son expansion vers les magnifiques terres de colonisation de l’Océanie. » [149]
Ces différents impérialismes rivaux doivent s’organiser pour maintenir leurs positions dominantes. C’est pourquoi à partir des années 30, la course aux armements s’intensifie avec ses corollaires : d’une part l’augmentation importante du budget de l’armée, l’augmentation de la durée du service militaire, le vote de lois pour réprimer plus sévèrement l’antimilitarisme... et d’autre part les différents gouvernements et le Front populaire vont tout faire pour enrôler le prolétariat dans l’union sacrée.
Les différents moments de la menace d’une guerre généralisée.
A partir de 1933, l’Allemagne se réarme, après avoir quitté la SDN en 1933. En 1935, l’armée allemande est réorganisée et modernisée. Le service militaire est porté à 2 ans. En mars 1936, la Rhénanie est remilitarisée et la ligne Siegfried, face à la ligne Maginot construite à partir de 1928, va être édifiée. Puis avec l’intervention de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste au côté de l’armée franquiste en 1936, ces armées vont pouvoir expérimenter les armes modernes et mieux se préparer à une guerre généralisée.
Du 3 octobre 1935 au 9 mai 1936, c’est la seconde guerre italo-éthiopienne. L’Italie mussolinienne envahit l’Ethiopie dans le but de consolider son empire colonial en Afrique de l’Est et d’affirmer son statut de puissance internationale. Or ces deux pays sont membres de la SDN dont la raison d’être est de régler les crises internationales par la voie diplomatique. Dans la réalité la SDN fait preuve de passivité et deux de ces pays membres, l’Angleterre et la France sacrifient l’Ethiopie en laissant les mains libres à l’Italie dans le but de s’attirer les bonnes grâce de Mussolini. Or celui-ci gagne la guerre malgré la résistance acharnée des troupes éthiopiennes, grâce surtout à l’emploi d’armes chimiques, et se tourne vers Hitler pour nouer une alliance. Les blocs impérialistes qui vont s’affronter se dessinent plus nettement.
Quant à l’URSS, elle s’est maintenue à l’écart des camps impérialistes jusqu’en 1934 où son credo est que les impérialismes vont l’attaquer et qu’elle doit se défendre avec l’appui du prolétariat mondial. Pour la plupart des groupes oppositionnels, la défense inconditionnelle de l’URSS en cas d’attaque armée ne se discute pas, malgré les critiques de plus en plus sévères envers la bureaucratie soviétique.
C’est ce que constate l’UC : « L’URSS, jusqu’à ces temps derniers s’était tenue à l’écart des groupes impérialistes. Elle se préparait à faire front, avec l’appui du prolétariat mondial, à une guerre anti-soviétique qui, du même coup, aurait revêtu le caractère d’un conflit grandiose de classe. Mais les nécessités de politique intérieure poussent de plus en plus Staline à allier l’URSS à un des groupes impérialistes : celui de Versailles. » [150]
C’est avec son entrée dans la SDN le 17 septembre 1934, puis avec l’accord Laval-Staline en mai 1935 qu’elle entrera de plain-pied dans le camp impérialiste constitué par la France, l’Angleterre et la Petite Entente [151]. C’est cette intégration de l’URSS au sein de ce camp impérialiste en 1935, cette évolution, qui va pousser l’UC à constater qu’il n’y a plus à la défendre en cas d’attaque militaire, d’où qu’elle vienne. Cela la différencie des groupes trotskystes qui continuent à penser qu’il faut défendre l’URSS parce qu’elle reste, malgré tout, un Etat prolétarien... dégénéré. Comme on peut le voir dans le chapitre consacré à la nature de l’URSS et l’évolution des positions de l’UC la concernant, cette analyse trotskyste sera remise en question.
Analyses et positionnement de l’UC
En cas de guerre le positionnement de l’UC est en droite ligne de l’attitude des minorités révolutionnaires lors de la guerre de 1914-18 qui ont affirmé que « l’ennemi est dans notre propre pays », que la défense nationale est à rejeter et qu’il s’agit de lancer le mot d’ordre de "défaitisme révolutionnaire", de travailler à la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
Ainsi on peut lire dans l’article "La guerre qui vient..." [152] :
« Quoi qu’il en soit, un fait est certain : la guerre vient à grands pas et la classe ouvrière doit, elle aussi, se préparer à cette éventualité.
La classe ouvrière n’a pas de patries à défendre et le premier devoir des révolutionnaires est de lutter contre l’idéologie nationale qui conduit à tous les reniements, à toutes les trahisons.
N’ayant pas de patries à défendre, la classe ouvrière ne peut aborder le problème de la guerre impérialiste qu’avec la pensée très nette d’abattre le régime capitaliste fauteur de guerre. Et c’est là qu’apparaît l’importance du facteur idéologique de la propagande autour du mot d’ordre de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
Mais c’est maintenant, à la veille de la guerre, qu’il faut enraciner un tel mot d’ordre dans le prolétariat. Les partis politiques qui faillissent à cette tâche ne sont pas dignes de leur rôle d’avant-garde. »
Ce qui est écrit là en 1934 va rester une constance pour l’UC, comme on peut le lire dans cet article : « Dans la guerre qui menace, le prolétariat révolutionnaire ne pourra avoir qu’une seule position : le défaitisme révolutionnaire. Les fraternisations, le sabotage de l’appareil militaire de sa bourgeoisie, voilà ce qui sera le devoir des ouvriers dans tous les pays, jusqu’à la destruction de l’Etat capitaliste, voilà la voie de la révolution mondiale » [153].
Plus concrètement l’article "La guerre qui vient" [154] dénonce la politique du gouvernement d’union nationale, né des événements du 6 février, en vue des préparatifs de guerre :
— le retour au service de 2 ans,
— l’augmentation des crédits pour parfaire les armements,
— des décrets pour organiser la défense "passive",
— des lois pour réprimer l’antimilitarisme.
Avec le rapprochement de l’URSS et de la France, la signature du pacte Laval-Staline le 2 mai 1935, les menaces de guerre deviennent une réalité tangible : les camps impérialistes se dessinent nettement et dans ce pacte il est dit clairement que « l’URSS et réciproquement la France, se prêteront immédiatement aide et assistance. » Puis ce qui va faire réagir vigoureusement les minorités révolutionnaires, ce sont les termes du communiqué de Moscou du 15 mai 1935 où il est dit clairement que « Monsieur Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité. » On peut comprendre que les minorités révolutionnaires aient ressenti ce pacte comme un coup de tonnerre qualifié même de "trahison" [155] de l’internationalisme prolétarien en regard ce que l’on peut lire encore dans l’Humanité du 17 mars 1935 :
« Notre parti, surgi des luttes contre la guerre, ennemi irréductible de la défense nationale (...) demande à toutes ses organisations, à tous ses militants, de multiplier leurs efforts contre les deux ans, contre les préparatifs de guerre, contre notre ennemi essentiel : l’impérialisme français. »
Mais le PCF, qui n’est pas à une volte-face près, dira le 7 mai : « les travailleurs comprennent mieux chaque jour l’attitude des communistes qui veulent, par tous les moyens, garantir la paix » [156]. Ce sera désormais sa ligne de conduite : l’abandon définitif de l’antimilitarisme, la défense de l’union nationale pour enrôler le prolétariat dans la défense d’un camp impérialiste sous couvert de défense de la paix et de lutte contre le fascisme considéré comme fauteur de guerre.
L’UC ne se contente pas d’écrire des textes contre ces menaces de guerre, elle va joindre ses maigres forces à différents regroupements ouvriers composés de militants politiques et syndicaux — un spectre large qui va des pacifistes en passant par des sociaux-démocrates, jusqu’aux minorités révolutionnaires —, en vue d’action commune, pour un nouveau Zimmerwald. C’est ainsi que grâce à l’initiative prise par les militants de la Révolution prolétarienne va se mettre en place une Conférence nationale les 10 et 11 août afin de décider des moyens pratiques de lutte contre la guerre et contre l’union sacrée.
Ce faisant ces regroupements sont à contre-courant, l’heure est plus à vouloir défendre la patrie qu’à lutter contre. Ils se retrouvent en communion sur un seul point : la trahison du PCF qui renforce la coalition guerrière. 500 délégués sont réunis et rapidement, on s’aperçoit que c’est un rassemblement hétéroclite, ayant des divergences importantes tant sur le fond que sur les méthodes envisagées. Le seul rejet du changement de cap à 180° du PC ne saurait suffire. Cela ne pouvait que déboucher sur un constat d’impuissance tant les désaccords étaient profonds. L’UC n’hésite pourtant pas à affronter un tel éclectisme politique, sachant que c’est en étant présent parmi les délégués qu’elle peut avancer ses perspectives de lutte, définies en trois points :
« 1°) On lutte contre la guerre en démasquant tous les mensonges destinés à entraîner les masses travailleuses à la guerre.
2°) On lutte contre la guerre en opposant aux forces contre-révolutionnaires et opportunistes, les moyens d’intensifier la lutte de classe et l’organisation de l’action directe des ouvriers.
3°) On lutte contre la guerre en prévoyant la possibilité de son déclenchement malgré nous et en préparant les ouvriers à remplir leur devoir révolutionnaire en temps de guerre. »
Et de conclure que tout cela nécessite « une avant-garde ayant des buts et des perspectives révolutionnaires clairs. Le regroupement d’un nouveau Parti prolétarien est un des facteurs indispensables à la réalisation présente et à venir de cette lutte contre l’impérialisme. » [157]
Malgré ses efforts, l’UC constate qu’elle ne peut pas continuer à s’investir dans le "Comité contre la guerre et l’union sacrée" né des suites de la Conférence du mois d’août qu’elle estime inféodée au Parti socialiste :
« La Conférence de St-Denis avait déjà montré suffisamment qu’il était impossible de concilier, même momentanément et sur un point, des tendances inconciliables. Dès le début du comité, nous avions dit que seul avantage à tirer d’un tel amalgame, c’était une discussion politique approfondie et une délimitation publique des conceptions marxistes et opportunistes. »
L’UC conclut : « Les petits groupes révolutionnaires restants ont décidé de poursuivre la lutte en commun contre l’union sacrée en mettant au centre de cette lutte non plus une propagande contre la guerre, mais la préparation de la révolution comme seul moyen de s’opposer aux forces d’union sacrée. » [158]
Cette participation de l’UC à la Conférence puis au Comité de lutte contre la guerre et l’union sacrée, ont permis l’expression libre et publique de ses conceptions [159]. Cela va permettre la création d’un Comité syndical minoritaire déjà en gestation à St-Denis qui va publier le journal L’Avant-garde syndicale, dont le premier numéro est daté de novembre 1935, dont nous relatons l’existence dans la partie consacrée à la question syndicale.
En 1938, le constat est amer pour l’UC qui considère que « tant dans les pays fascistes que dans les démocraties, le prolétariat, écrasé, trahi, battu, berné, est entraîné dans une intensive préparation de la guerre impérialiste » [160]. Elle constate que la plupart des groupes comme l’Union anarchiste, la Révolution prolétarienne, la Gauche révolutionnaire... « considèrent que la lutte contre la guerre est la lutte pour amener les masses à marcher dans une guerre impérialiste baptisée "antifasciste". » [161] Quant aux trotskystes, ils sont prêts à défendre l’URSS en cas d’attaque militaire du fascisme international... mais comme cette dernière est alliée à la France par un pacte militaire, il devient difficile d’avoir une position de classe ! L’UC se retrouve isolée et ne peut donc que rappeler que la lutte contre la guerre signifie lutte contre le capitalisme.
Enfin pour finir ce chapitre sur la question de la guerre, il faut rappeler l’attitude de l’UC lors de la guerre italo-éthiopienne. L’UC considère que la question éthiopienne est « une étape de la préparation du prochain conflit mondial » [162]. Elle y voit une « accélération de la formation des constellations impérialistes qui s’affronteront dans la prochaine guerre mondiale » [163]. En rappelant les thèses du IIè Congrès de l’Internationale communiste qui stipule que « la domination étrangère entrave le libre développement des forces économiques, c’est pourquoi sa destruction est le premier pas de la révolution dans les colonies », l’UC considère qu’il faut lutter contre l’impérialisme italien, qu’il faut souhaiter sa défaite, cela ne peut se discuter tout en n’accordant aucun soutien au Négus. En conclusion de ces articles sur cette question, l’UC a fait preuve d’un optimisme "trotskyste" en écrivant « Nous sommes sûrs que les ouvriers révolutionnaires de tous les pays et particulièrement les ouvriers italiens, forts de leurs traditions historiques, sauront se redonner une direction révolutionnaire » [164]. Ce avec quoi, la revue Bilan est plus lucide :
« Broyé par le fascisme, le prolétariat italien est sans force pour s’opposer à un épisode de préparation de la conflagration mondiale. Au contraire, les ouvriers seront emportés par le fracas des musiques militaires, les discours patriotiques » [165]
Question de la nature de l’URSS
Comme nous l’avons écrit plus haut, la position de l’UC - en 1933/34 — est de défendre l’URSS en cas d’attaque militaire de l’impérialisme mondial, afin d’assurer et de garantir les conquêtes politiques et économiques de la Russie, considérée encore comme un Etat prolétarien. Dans un article [166] on peut lire : « Nous devons tenir compte que l’URSS est un Etat prolétarien, encore que la bureaucratie s’érige de plus en plus en caste dominante. »
Mais l’UC a déjà discerné une évolution, constatant que si l’URSS s’est tenue à l’écart des groupes impérialistes jusqu’à son entrée dans la SDN, elle a remarqué que « les nécessités de politique intérieure poussent de plus en plus Staline à allier l’URSS à un des groupes impérialistes : celui de Versailles. » [167]
La signature du pacte Laval-Staline le 2 mai 1935 est le moment-clé où l’UC change nettement de position. Déjà parce qu’elle a écrit que toute défense nationale est à rejeter (le pacte impliquant qu’en cas d’agression de l’URSS, la France se portera à son secours) il n’est pas question de faire une exception. Alors qui va défendre l’URSS ? Sinon les oppositionnels trotskystes qui ne changeront pas de position jusqu’en 1945, car considérant que la contradiction « entre l’impérialisme mondial et l’URSS est plus profonde que les antagonismes qui opposent les divers pays capitalistes les uns aux autres. » [168]
A la fin de l’année 1935, non seulement l’UC écrit « ... que les possibilités et perspectives de construction du socialisme ont fait place à une marche vers le rétablissement d’une forme évoluée de capitalisme », mais dit aussi que « l’URSS occupe aujourd’hui une place primordiale dans le mécanisme contre-révolutionnaire de l’offensive et des victoires de la bourgeoisie mondiale » [169] alors qu’elle écrivait encore un an auparavant que l’URSS « se préparait à faire front avec l’appui du prolétariat mondial à une guerre anti-soviétique qui, du même coup, aurait revêtu le caractère d’un conflit grandiose de classe » [170].
Cette remise en question va être explicitée dans une série d’articles intitulés d’abord "L’évolution contre-révolutionnaire de l’URSS" à partir du numéro 15, daté du 2 juillet 1935 puis "La marche de la contre-révolution en Union soviétique" à partir du n° 17 du 20 septembre 1935 jusqu’au n° 21 du 23 mai 1936. Ces articles écrits par Voradi [171] et Jean Lastérade passent en revue les "progrès" de la contre-révolution en Russie dans différents domaines :
— dans le domaine moral « la sainteté de la famille, de la nation, de la patrie est rétablie » [172]. La famille est glorifiée, le divorce et l’avortement presque interdit ;
— dans le domaine de la religion. Celle-ci revient par la petite porte et la propagande anti-religieuse est abandonnée.
— dans le domaine de l’industrie, la rentabilité des entreprises devient le principe directeur. Le stakhanovisme qui apparaît au mois d’août 1935 n’est rien d’autre qu’une augmentation de l’intensité du travail, parfaitement typique des méthodes d’exploitation capitaliste . Ce phénomène s’inscrit dans un processus d’exploitation et de contrôle des ouvriers : en 1932, c’est la peine de mort pour vol de la propriété collective, le licenciement immédiat en cas d’absence et l’instauration d’un passeport intérieur pour limiter les déplacements. Puis, avec le décret du 7 avril 1935, les mesures pour sauvegarder la propriété s’étendent jusqu’aux enfants de 12 ans, pouvant être condamnés à mort pour cela ! [173]. A cela il faut ajouter la suppression des cartes alimentaires qui accentue la misère ouvrière concomitante avec la suppression d’un certain minimum de salaire.
— le militarisme est enseignée comme l’idéal suprême. L’armée est glorifiée, non plus comme armée du prolétariat, mais comme armée du nationalisme soviétique.
C’est avec l’article "Contre toute défense de l’URSS", [174] qu’il est écrit explicitement que « c’est vers le capitalisme que tend l’évolution contre-révolutionnaire de l’URSS (...) vers un capitalisme évolué, correspondant aux nécessités modernes du développement d’une grande nation impérialiste » et que « la base sociale de l’Etat soviétique n’est plus le prolétariat (...) mais les couches sociales qui au travers de l’industrialisation et de la collectivisation agricole ont réussi à tirer un large bénéfice de leur rôle de cadres de l’économie (production et répartition des produits) et à s’imposer comme éléments dominants, s’attribuant la plus large part de la plus-value produite par les travailleurs. » [175] Pourtant le terme "capitalisme d’Etat" n’est pas encore utilisée, car le rédacteur de cet article, Davoust l’avait rédigé « avec une seule interdiction : ne pas utiliser l’expression "capitalisme d’Etat" ! » [176]. C’est seulement fin 1936 que cette expression sera utilisée, du moins c’est ce que Davoust dit. Pour notre part nous ne l’avons trouvée que dans l’article "L’Union soviétique" où l’on peut lire : « L’URSS a donc réalisé le capitalisme d’état », il y a « une véritable accumulation de capital et de véritable plus-value. La production non seulement n’est pas sous le contrôle prolétarien, mais elle n’engendre par l’augmentation de la consommation. Le travail supplémentaire du prolétariat ne passe pas au producteur par la consommation, mais il est détourné, accumulé, vers la classe exploiteuse qui possède son propre état dictatorial qui dirige la production et l’exploitation des ouvriers. » [177]
* * * * *
A travers le témoignage de Gaston Davoust on peut mieux comprendre l’évolution de l’UC sur cette question sachant qu’il en était la cheville ouvrière et un des éléments moteur qui savait user de patience pour que les idées, confrontées aux faits, évoluent. Cela ne peut se réaliser que dans un cadre collectif, c’est pourquoi sa ligne de conduite fut de « rester avec des copains actifs et riches d’expérience, et des jeunes, comme Lastérade » et non avec quelques individus avec lesquels on est d’accord comme ce fut le cas lors de la Conférence d’unification de 1933. A ce moment il aurait pu suivre Albert Treint, Jean Prader et Simone Weil qui comme lui considéraient l’URSS comme capitaliste d’Etat. Il ne voulait pas s’enfermer dans une tour d’ivoire mais plutôt rester « minoritaire dans un groupe et mener la discussion, analyser les faits et convaincre » [178]. Dit autrement : « c’était à la fois viscéral et raisonné. J’avais besoin de rester en prise directe avec des copains ouvriers, même plutôt lents à tirer les enseignements théoriques de leur lutte et des événements » [179]. Au sein du groupe du 15è Rayon, puis de l’UC, il était très minoritaire sur la question russe pourtant il avait pu obtenir qu’elle reste « en discussion » [180]. Si ce sont les faits qui ont permis cette évolution, il faut ajouté la lecture des textes cités ci-dessus ainsi que d’autres livres comme le Staline (paru en septembre 1935) de Boris Souvarine qui développe la notion de capitalisme d’Etat en Russie dans le chapitre 10 ; la brochure d’Yvon Ce qu’est devenue la Révolution Russe (1935). Pourtant ces lectures furent limitées. Davoust écrit : « nous n’avions pas connaissance des travaux de Pannekoek ou de la Gauche allemande, faute de traduction. Les contacts avec Canne Meijer étaient tout récents. La seule traduction [c’est] la réponse de Gorter à Lénine » [181].
Révolution et contre-révolution en Espagne
Précisons dans ce chapitre que nous n’écrivons pas une histoire de la révolution et de la contre-révolution en Espagne après le 19 juillet 1936. Nous tentons de mettre en avant les préoccupations militantes de l’UC alors en liaison étroite avec des militants en Espagne. Les articles de L’Internationale, comme c’est le cas pour les journaux L’Espagne antifasciste puis l’Espagne nouvelle, font part des critiques et des premières leçons formulées à chaud. La revue était lue en Espagne dans les milieux syndicalistes, poumistes et anarchistes qui envoyaient des informations fiables.
Comme nous l’avons signalé au début de cette contribution, Henry Chazé a contribué à la publication de la brochure Chronique de la révolution espagnole — Union communiste (1933-1939). Ce recueil de textes du journal (puis revue) L’Internationale est centré sur le mouvement révolutionnaire espagnol. Dans cette Chronique qui permet de restituer les faits dans leur déroulement, leurs enchaînements et leur dynamique, Chazé a mis en avant de nombreux articles pour que les lecteurs puissent se faire une idée, en évitant le dogmatisme des interprétations idéologiques diverses. Ce livre est paru en septembre 1979 et quasiment au même moment, le livre de Jean Barrot Bilan — Révolution et contre-révolution en Espagne (1936-1939) donne la possibilité de lire des textes de la revue Bilan et quelques uns de L’Internationale. Aujourd’hui les lecteurs ont la possibilité de lire l’intégralité de L’Internationale, de Bilan, d’Octobre, de Communisme et de Prometeo. A ces titres nous rajoutons les numéros de La Révolution prolétarienne où écrivait Nicolas Lazarévitch [182], articles auxquels renvoient régulièrement L’Internationale. Peut-être qu’ainsi on pourra dépasser les vives polémiques de l’époque qui ont abouti non seulement à des positionnements antagoniques mais à des amalgames, des mensonges et des insultes peu dignes de militants révolutionnaires.
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Du 19 juillet 1936 au 3 mai 1937
En réponse au pronunciamento du 17 juillet, coup d’Etat militaire mené par les généraux Mola et Franco contre le gouvernement républicain pour imposer par la seule terreur l’ordre capitaliste, le prolétariat réagit fortement en prenant les armes, en s’imposant dans les rues et les quartiers. Cette situation a un caractère révolutionnaire qui se concrétise par la constitution de milices ouvrières, la prise en main de l’appareil productif industriel et la socialisation des terres : « le prolétariat a créé de toutes pièces et en quelques jours ses milices, sa police, ses tribunaux et il a jeté les bases d’un nouvel édifice économique et social » dans différentes régions de l’Espagne — à des degrés divers — en Catalogne, en Aragon, dans les provinces de Valence, de Madrid...
L’UC dénonce le Front populaire, cette bourgeoisie de gauche, qui n’est pas ennemi irréductible de ces militaires rebelles, car celui-ci a laissé « impunément les militaires s’organiser en vue de l’insurrection (...) Le Front populaire qui, impuissant à endiguer la poussée des travailleurs se préparait à laisser la place à une dictature ». Bien que le prolétariat lutte « pour tout autre chose que la défense de la République », on ne peut que constater que si l’appareil d’Etat a été ébranlé, il n’a pas été détruit. Immédiatement après le 19 juillet, il va y avoir deux luttes à mener :
— la lutte militaire anti-fasciste pour que Franco ne transforme pas l’Espagne en un immense cimetière. Car ce fut le cas là où Franco a déjà triomphé en 1936, comme dans les régions de Navarre, de Castille-et-Leon, de Galicie et d’Andalousie occidentale. Cela s’est soldé par l’exécution de milliers et de milliers d’ouvriers. Cette lutte est une guerre civile, contre une armée composée en majorité par des officiers, des phalangistes, des carlistes, des légionnaires (tristement célèbres pour avoir massacrer l’insurrection des Asturies en octobre 1934), les troupes marocaines et des enrôlés de force, ce qui exclut toute possibilité de fraternisation. Cette guerre n’est pas encore menée au nom de la défense de l’anti-fascisme démocratique comme ce sera le cas exclusivement après les journées de mai 1937 : « Nous avons compris tout de suite que les travailleurs espagnols luttaient pour toute autre chose que la défense de la République. »
— et la lutte sociale pour approfondir le mouvement révolutionnaire. Pour l’UC c’est une « révolution en marche » [183].
L’UC voit cette révolution comme un mouvement révolutionnaire qui impose un rapport de force mettant à l’ordre du jour la question du pouvoir politique. Rien n’est figé, tout est possible car la gestion ouvrière des usines, l’expropriation des grands propriétaires terriens, l’occupation de locaux divers, l’armement du prolétariat et la constitution de milices, la lutte contre le clergé transforment les rapports sociaux. C’est un pouvoir réel incarné dans un premier temps par le Comité central des Milices au sommet, tandis qu’à la base le prolétariat réorganise l’ensemble de la vie quotidienne.
Mais ce mouvement s’arrête à mi-chemin, le prolétariat ne détruit pas l’Etat, la bourgeoisie est encore aux commandes. Affaiblie elle va chercher à reprendre, morceau par morceau, les bases de son pouvoir.
Dans une telle situation l’UC se demande quelle aide elle peut apporter et au vu de sa faiblesse, elle se fixe comme tâche « d’aider le plus grand nombre de militants à y voir plus clair », dans le but de contribuer au regroupement des révolutionnaires d’avant-garde. C’est pourquoi elle ne va pas ménager ses critiques quant au cours que prend ce mouvement révolutionnaire et sur la tactique déployée par la bourgeoisie espagnole et internationale pour reprendre en main la gestion capitaliste des affaires.
Le cours ultérieur des événements est marqué par cet antagonisme de classe, l’UC constate que la révolution recule et que le prolétariat n’est plus à l’offensive, bien que tentant de résister à cet étranglement progressif.
Comme notre but est d’exposer les analyses de l’UC, nous n’allons pas ici retracer dans tous les détails les étapes de la reprise en main de l’ordre capitaliste dans ses formes traditionnelles et les réactions qu’elle a suscitées. En gros, ces étapes sont la dissolution du Comité central des milices ; leur militarisation ; le freinage des collectivisations ; la signature du pacte d’unité CNT-FAI et l’UGT-PCUS signifiant l’alignement de la CNT-FAI sur la politique des staliniens et des socialistes ; la participation des anarchistes au gouvernement bourgeois de Caballero et Hernandez. Ce rétablissement de l’ordre ne s’est pas fait non sans mal et ne peut s’expliquer que par l’existence d’un foyer révolutionnaire qui reste fort et ne capitule pas. Quant aux réactions contre cet étranglement du mouvement révolutionnaire, nous allons y revenir par la suite.
Nous allons nous attarder sur la critique de l’UC envers les forces politiques qui n’ont pas été en mesure d’être à la hauteur des événements : le POUM et le couple CNT-FAI.
Le POUM
Nous rappelons que le POUM est le Partido Obrero de Unificacion Marxista (Parti ouvrier d’unification marxiste), créé le 29 septembre 1935. Il est la fusion de l’Izquierda comunista de Espana (Gauche communiste d’Espagne), organisation trotskyste de gauche dirigé par Andreu Nin et du Bloque obrero y campesino (Bloc ouvrier et paysan), dirigé par Joaquin Maurin. En février 1936, le POUM propose le texte "Ce qu’est le POUM et ce qu’il veut" où dès les premières lignes il fait état du manque d’un « grand parti socialiste révolutionnaire » sans lequel la victoire révolutionnaire n’est pas possible. Voilà pourquoi l’UC qui s’inscrit encore dans cette compréhension léniniste de la prise du pouvoir par le parti, va consacrer beaucoup de pages à la critique du POUM.
Dans un texte paru en février 1937 [184] l’UC dresse un état des lieux dans une déclaration en vue d’une Conférence internationale organisée par le POUM à Barcelone en février 1937 qui finalement n’aura pas lieu.
Tout d’abord l’UC replace le mouvement révolutionnaire espagnol dans le contexte international. Elle constate que la situation politique internationale évolue de plus en plus rapidement vers la guerre impérialiste : « parmi les forces contre-révolutionnaires l’Etat soviétique et les partis staliniens (...) se placent à l’avant-garde de la préparation de la guerre ». Les événements révolutionnaires en Espagne posent dans les faits le dilemme révolution prolétarienne ou guerre. En ce début de l’année 1937, la révolution est étranglée par la contre-révolution qui s’est ressaisie grâce à la participation active des staliniens et des socialistes. De ce fait la situation en Espagne s’oriente vers la guerre impérialiste. Le poids des impérialismes prend de l’importance, la politique de non-intervention voulue par le Front populaire en France a permis le blocus du foyer révolutionnaire et n’entrave pas l’aide militaire à Franco.
L’UC, en affirmant que la question du pouvoir est posée, constate que le « prolétariat espagnol n’a pas eu les dirigeants clairvoyants et audacieux capables de lui indiquer la solution du problème du pouvoir politique (...) l’évolution de la situation depuis les journées de juillet a en effet démontré l’immaturité politique de l’héroïque prolétariat ibérique ».
Cette immaturité a permis à la bourgeoisie et ses fidèles terre-neuves staliniens et socialistes de se ressaisir avec l’appui, l’aide et la capitulation des dirigeants anarchistes de la CNT-FAI qui ont accepté l’union sacrée avec la bourgeoisie pour mener la guerre contre Franco au nom de la guerre des démocraties contre les fascismes, ne comprenant pas que l’antagonisme réel est entre les différents impérialismes, quelque soit le régime politique. L’UC pense au contraire que pour « battre Franco, il faut battre Caballero » car le sort « de la lutte militaire était et reste lié au développement et à l’issue de la lutte révolutionnaire contre l’Etat bourgeois. »
Cette lutte révolutionnaire contre l’Etat pose la question de la conquête du pouvoir politique : qui est réellement au pouvoir ? Le rapport de force imposé par le prolétariat dès juillet ne s’est pas évanoui en quelques jours, il va perdurer pendant plusieurs mois et c’est l’intervention consciente des éléments d’avant-garde, impliqués directement dans la lutte, qui peut contribuer à ce que le prolétariat devienne une force qui se dégage de l’emprise idéologique et matérielle de la bourgeoisie.
C’est pourquoi l’UC va revenir régulièrement dans ses articles sur le rôle primordial du « véritable parti révolutionnaire » qui manque au prolétariat espagnol. Mais à la différence de la revue Bilan qui écrit que le parti n’est pas né en Espagne à cause de l’arriération politique du prolétariat espagnol pour des raisons historiques, économiques et sociales, que donc son absence implique l’inexistence de la révolution, l’UC croit que le POUM peut devenir le parti révolutionnaire politiquement trempé : « une politique hardie pourrait encore faire de lui le guide des masses » [185].
Il ne s’agit pas pour autant d’un soutien sans condition. L’UC critique vertement le POUM sur plusieurs points car elle pense qu’il n’est pas suffisamment armé idéologiquement pour vaincre : au vu de son incapacité à dénoncer le rôle contre-révolutionnaire de l’URSS ; pour avoir adhérer dès le printemps 1936 au Frente popular ; pour avoir des illusions sur le Front populaire en France ; pour avoir participé au Conseil de la Généralité aux côtés des anarchistes. Mais malgré ces réserves, l’UC mise sur la force du mouvement révolutionnaire pour pousser le POUM à changer, qu’en son sein cela provoque la naissance d’une fraction capable de forger le parti révolutionnaire.
Dans ses articles l’UC manie souvent le conditionnel : la seule perspective qu’elle envisage à la fin de 1936 serait la formation d’un gouvernement ouvrier : « le POUM devrait préconiser cette orientation. Il trouverait dans les masses et dans la CNT elle-même un large écho. La situation peut être retournée » [186]. N’oublions pas que déjà à la fin du mois de décembre le POUM est menacé de destruction par les staliniens. Est-ce seulement parce qu’il est vu comme simple concurrent ? Ou bien parce qu’il exprime encore la résistance du prolétariat ? Pour l’UC c’est le cas, ce qui l’incite encore aux mois de janvier, février 1937 à penser que le POUM est capable d’évolution, toutefois il doit changer « radicalement sa politique », mener « une politique hardie [qui] pourrait encore faire de lui le guide des masses (...) Coûte que coûte un parti révolutionnaire doit se forger en Espagne, et actuellement seul un Congrès du POUM peut hâter sa création ». [187]
Ce Congrès est fixé pour le 15 février. Une gauche pourrait prendre les rênes du parti, c’est la Jeunesse communiste ibérique qui se fixe comme objectif d’abattre le gouvernement démocratique de Caballero et de le remplacer par le pouvoir prolétarien. Or, si cette gauche se manifeste, elle ne pourra pas influer sur l’évolution du POUM « qui continue à avoir une action effective qui n’est pas en rapport avec ses déclarations. » [188] Dans la réalité il cède, il capitule devant le pouvoir bourgeois et ses séides staliniens et une fois de plus l’UC manie le conditionnel : « l’action révolutionnaire des travailleurs pourrait encore changer le cours actuel des événements. Appeler la classe ouvrière à agir, pour la défense de ses conquêtes menacées, il n’est pas d’autre moyen de faire reculer la contre-révolution. »
La CNT et la FAI
Dans son premier article consacré aux événements révolutionnaires survenus en Espagne en juillet 1936, l’UC souligne que la CNT et la FAI ont été à la « tête de la Révolution », que « les anarchistes ont été les plus ardents dans la lutte ». Dans le domaine économique c’est la CNT qui prit « l’initiative de la socialisation des services publics, des grandes entreprises et des différentes branches d’industrie ». « Dans le domaine politique, la CNT et la FAI se trouvèrent dans l’obligation de s’orienter vers la réalisation d’une véritable dictature du prolétariat quelle que puisse être leur aversion pour ce qu’exprime ce terme. Le Comité des Milices de Barcelone, tous les comités des villes et villages de Catalogne et d’ailleurs, ne sont en effet pas autre chose que des organes de pouvoir ouvrier. » Mais, comme nous l’avons dit plus haut, le mouvement s’arrête à mi-chemin : « Les anarchistes et syndicalistes de la CNT ont laissé au Gouvernement de la Généralité une partie de son pouvoir ». Dans cet article comme dans les suivants, l’UC va mettre en évidence l’apolitisme des anarchistes qui est « un danger pour la Révolution ». En effet les anarchistes vont faire de plus en plus de compromis avec le gouvernement de la Généralité comme avec le gouvernement de Madrid : « Leur proposition de Conseil National de Défense comprenant des représentants de l’UGT, de la CNT, et des partis bourgeois, avec le maintien du président de la République, participe de la même confusion politique. »
A l’avenir les dirigeants de la CNT, comme de la FAI vont aller de compromis en compromis, signifiant à chaque fois le recul du mouvement révolutionnaire. Pourtant il existait une autre perspective que l’UC met en avant :
« Leur position sur l’État les a amenés en Catalogne à faire un compromis avec le pouvoir bourgeois plutôt que d’entreprendre hardiment, en collaboration avec le POUM, la préparation d’un Congrès des Comités ouvriers et de toutes les organisations de travailleurs, Congrès qui aurait été l’expression véritable de la Révolution et aurait pu donner naissance à un gouvernement prolétarien. » [189]
Tout cela est un peu de la politique-fiction, mais l’UC, ayant des bases marxistes, place au centre de la révolution la question du pouvoir et son organe, l’Etat. Les anarchistes croient que l’œuvre d’organisation économique est déterminante, laissant ainsi la question du pouvoir politique aux autres, aux mains de l’Etat (administration, police, armée). 2 ans après juillet 1936, un article de la LCI que l’UC a volontiers publié dans sa revue, revient sur la voie suivie par les anarchistes et la synthétise ainsi :
« On aurait dit que les choses se passaient comme si les anarchistes disaient : "Nous ferons le boulot dans les usines ; nous organiserons la production en lieu et place de la bourgeoisie défaillante ou dépossédée sous l’action spontanée des masses ; nous nous battrons sur les fronts, mais d’autres s’occupent de la politique, nous ne nous en mêlons pas." Conception imprégnée d’un démocratisme benêt et qui témoigne d’une cécité criminelle envers les plus graves problèmes de la révolution et de la lutte des classes. »
La conclusion de l’article est sans appel : « L’aversion traditionnelle de l’anarchisme pour la politique servait admirablement les desseins de la bourgeoisie, qui ne demandait pas mieux que les chefs syndicaux s’occupent de la production, du moment qu’il était entendu qu’on ne toucherait pas à l’État. » [190] La leçon que tire l’UC de ce mouvement révolutionnaire, contre la position de l’anarchisme, c’est la nécessaire destruction de l’Etat et l’instauration du pouvoir ouvrier, de la dictature du prolétariat émanant des organes créés par la révolution.
Conférence du mois de mars 1937
La Conférence internationale voulue par le POUM n’ayant pas pu se tenir, certains combattant au sein des milices convoquent alors une conférence internationale tenue à Paris pour « discuter de la situation créée en Espagne et tirer les leçons politiques qui en découlent ». [191] Les groupes suivants y participent :
- la Ligue des communistes internationalistes de Belgique,
- le Groupe marxiste allemand ,
- le Groupe des communistes internationalistes de Hollande ,
- la Gauche italienne (ex-minorité de la Fraction italienne de la Gauche communiste),
- la League for a Revolutionary Workers Party (États-Unis et Canada),
- la Revolutionary Workers League des États-Unis
- le Cercle marxiste (France),
- l’Union communiste,
- Un camarade russe (Miasnikov) de l’ex-Opposition ouvrière russe.
Le but est double : discuter de la situation intérieure espagnole et l’aide possible des révolutionnaires aux militants d’avant-garde (POUM et CNT) et en toute logique, « organiser des liaisons continues entre les tendances marxistes de tous les pays ».
Malgré des discussions approfondies, en particulier sur la situation en Espagne, rien de concret ne débouche de cette Conférence, un projet de résolution devait être rédigé, il n’en fut rien. De même l’établissement de liaisons sérieuses, par le biais d’un Bulletin international de liaison, entre groupes ne put se concrétiser.
Les journées des 3-8 mai 1937
Avant ces journées l’UC a écrit que « c’est seulement en Catalogne que la résistance ouvrière à l’étranglement du mouvement révolutionnaire peut tenir en échec la contre-révolution. » La prédiction de l’UC se réalise : « La question du pouvoir est posée et la solution qui interviendra aura un caractère décisif. Les anarchistes de la CNT et de la FAI capituleront-ils en définitive, en acceptant de continuer une participation au gouvernement, ou bien tiendront-ils ferme sur leur position actuelle, ce qui les rejetterait dans l’opposition et permettrait au mouvement révolutionnaire de retrouver son indépendance d’action ? » [192].
Nous n’oublions pas que lorsque l’UC critique la politique menée par le POUM et la CNT-FAI, c’est toujours en les considérant comme faisant partie du même camp, à la différence de sa dénonciation du stalinisme qu’elle considère comme le principal fossoyeur du mouvement révolutionnaire : grâce au chantage exercé sur la livraison des armes pour obtenir du POUM et de la CNT-FAI toujours plus de concessions et de compromis avec l’Etat au nom de l’unité antifasciste ; grâce à son infiltration de l’appareil d’Etat ; grâce à la calomnie, le mensonge, les intrigues ; grâce à la terreur exercée contre le prolétariat et les militants révolutionnaires signifiant : assassinats, disparitions, prisons secrètes, tortures.
Le 3 mai l’insurrection ouvrière éclate à Barcelone suite à la tentative de l’Etat, aux ordres des staliniens, de récupérer le Central téléphonique tenu par la CNT. Elle ne tombe pas du ciel, elle est le point d’orgue d’une radicalisation du prolétariat contre les agissements contre-révolutionnaires. Le groupe anarchiste "Les Amis de Durruti" créé le 17 mars 1937, regroupant quelques 5.000 adhérents est une des expressions organisées de cette radicalisation. Il s’oppose à la militarisation, à l’entrée de la CNT dans le gouvernement. A la fin du mois d’avril des affiches annoncent son programme : « Tout le pouvoir aux travailleurs. Tout le pouvoir économique aux syndicats. Contre la Generalitat, la junte révolutionnaire » [193]
Les combats vont se poursuivre jusqu’au 8 mai et il faudra la venue des gardes d’assaut de Valence, les injonctions des ministres anarchistes (Montseny et Garcia Oliver) pour que les militants cessent de combattre et mettent un terme à la grève générale. L’UC va combattre les dirigeants anarchistes qui ont trahi et le dira avec vigueur dans un tract diffusé lors d’un meeting organisé par l’Union anarchiste le 18 juin 1937 :
« Vous avez été conviés a ce meeting pour écouter la voix de la CNT C’est en effet au nom du Comité national de la CNT que Garcia Oliver et Federica Montseny parleront, mais ce n’est pas au nom des ouvriers révolutionnaires d’Espagne, ni des membres de la CNT et de la FAI.
(...) C’est la trahison des Garcia Oliver, Federica Montseny et de la direction cénétiste qui a permis aux staliniens et aux gardes d’assaut d’assassiner lâchement de nombreux militants révolutionnaires (...)
Pour battre Franco, il fallait battre Companys et Caballero. Pour vaincre le fascisme, il fallait écraser la bourgeoisie et ses alliés staliniens et socialistes. Il fallait détruire complètement l’Etat capitaliste etinstaurer un pouvoir ouvrier issu des comités de base des travailleurs.
L’apolitisme anarchiste a fait faillite. Pour n’avoir pas voulu faire la politique du prolétariat, les dirigeants de la CNT ont fait celle de la bourgeoisie. Tel est un des grands enseignements de la lutte de nos frères d’Espagne. » [194]
Après les journées de mai 1937 jusqu’à la victoire de Franco
Malgré cette défaite l’UC continue de croire qu’il « faut espérer qu’une maturation politique s’opérera et que se créeront les prémices de la formation d’un véritable parti révolutionnaire » [195] sans savoir si la gauche du POUM en sera capable, ni les éléments radicalisés de la FAI, "Les Amis de Durruti" qui ont dénoncé nettement les dirigeants anarchistes.
La réalité — après coup c’est toujours plus facile de le voir - c’est une défaite cinglante et surtout une étape décisive dans le processus contre-révolutionnaire. La répression va se déchaîner, le POUM va être interdit, de nombreux militants vont être arrêtés, certains vont disparaître, puis les staliniens vont monter un procès contre le POUM en 1938 avec les accusations ubuesques de trahison, rébellion, espionnage... qui va se solder par la condamnation à 15 ans de prison pour 4 accusés et 11 ans pour un autre.
C’est 2 mois plus tard, en juillet 1937, que l’UC affirme que la contre-révolution a pleinement triomphé. Le prolétariat n’a plus aucun pouvoir, il est désarmé dans tous les sens du terme, militairement, économiquement et politiquement. L’autre constat important est de dire que la guerre contre Franco a perdu son caractère de guerre civile qu’elle avait après le 19 juillet. L’UC ne croit plus à ce qu’il y ait de nouvelles batailles d’envergure contre l’Etat, ce qui n’exclut pas des luttes localisées qui seront impitoyablement réprimées. l’UC continue pourtant à croire que l’avenir dépend de la capacité des militants révolutionnaires de former un organe d’avant-garde en doutant quand même qu’il puisse se constituer rapidement.
Dans les articles suivants, jusqu’en 1939, l’UC ne peut que constater que la contre-révolution triomphe et que l’heure est au bilan. Continuant à revendiquer la nécessité du parti révolutionnaire, elle souhaite qu’une discussion internationale « puisse s’engager entre les groupements d’avant-garde » [196]. Pour favoriser cette discussion, elle publiera des articles extraits du journal El Amigo del Pueblo car elle est en accord avec certains points, comme la nécessité d’une direction « qui aurait indiqué sans confusion le chemin à suivre » ; comme la critique des militants anarchistes qui en juillet 1936 renoncèrent au communisme libertaire et se sont mis à la remorque de la démocratie ; comme la nécessité d’une junte révolutionnaire composée de « travailleurs qui descendirent dans la rue les armes à la main », de la prédominance des syndicats et d’une structure libre des municipalités ; comme la nécessité d’une théorie révolutionnaire qui fit défaut et qui explique que la CNT et la FAI ne « surent pas tirer l’esprit révolutionnaire des journées de juillet et mai. » [197].
De même l’UC publiera des textes de la gauche du POUM provenant de la "Cellule 72, 5è district" [198].
Quant à la guerre menée contre Franco, au départ guerre civile, elle est devenue guerre « alimentée et entretenue par les impérialismes, qui en ont fait une préface à la prochaine tuerie mondiale. » [199] Dans cet article l’UC renouvelle ses critiques à l’égard du prolétariat international en partie responsable de cette évolution désastreuse car il continue à être passif, incapable d’intensifier la lutte contre ses propres exploiteurs et l’Etat. Puis L’Internationale aborde une fois de plus la question du mot d’ordre de "défaitisme révolutionnaire", resurgit en 1935 avec le pacte Laval-Staline. Pour Chazé, même si la guerre a pris un caractère impérialiste, elle « a conservé encore une partie de son caractère de guerre civile. On s’en rend compte par exemple dès que l’on essaie d’envisager concrètement comment pourrait s’effectuer la fraternisation sur les fronts, entre les soldats de l’armée républicaine et les mercenaires étrangers, ou les requetes et phalangistes » [200]. On ne peut donc pas travailler à la défaite du camp républicain, alors même que le prolétariat n’a plus rien à espérer de l’armée républicaine. L’accent doit être mis sur la propagande contre le gouvernement et la trahison des dirigeants anarchistes, staliniens et réformistes dans le but de créer un mouvement de révolte contre la réaction triomphante.
Cette prise de position de Chazé a suscité la réaction de Laroche qui considère que « dès les premiers jours de 1937, et à coup sûr après la semaine sanglante de mai à Barcelone, le sort de la contre-attaque prolétarienne fut définitivement fixé, et l’attitude des révolutionnaires en face des événements pouvait être déterminée sans hésitation » et plus loin : « jusqu’à la fin de la déroute, pendant plus d’un an et demi, les discussions sur l’attitude à adopter ont continué de plus belle au sein des groupes politiques, et que les arguments qui ont servi à caractériser la première phase de la lutte ont continué à être invoqués comme si rien ne s’était passé entre temps. Les aspects de la lutte étaient déjà profondément modifiés, le rapport des forces en présence était radicalement changé, mais les positions théoriques et pratiques des groupes révolutionnaires restaient toujours les mêmes. » [201]
Rapports avec la Fraction italienne de la Gauche communiste
« C’est ce sectarisme qu’il faut dénoncer et démolir. On peut avoir une grande rigueur de pensée, présenter ses opinions nettement et ne pas être sectaire pour cela. Sans blague, qui peut prétendre posséder la vérité ? Tout ce que chacun ou un groupe peut apporter, c’est une contribution. Chacun doit défendre le fruit de ses réflexions, de son expérience, mais sans affrontements violents ou dialogue de sourds. On doit chercher à se comprendre, soit pour aboutir à un accord, soit pour préciser et peut-être limiter les divergences. » [202]
Les relations des militants du 15è Rayon, puis de l’UC avec les militants de la Gauche italienne remontent à 1933, lors de la Conférence d’unification. Il est possible qu’il y ait eu des contacts auparavant, mais nous n’en savons rien. Ces militants de la Gauche italienne se regroupent au sein de la "Fraction de gauche du PCI". Cette Fraction existe en Belgique et en France (comme Fédération parisienne). Un document de mai 1933 juge que le texte de la Fraction communiste de Gauche, constituée suite à la Conférence d’unification, ne se différencie en rien d’avec le programme de la Ligue : « tout cela devait donc aboutir à l’existence de deux organisations se revendiquant l’une et l’autre du même document de base » [203]. Pour cette Fédération il faut en revenir à la fondation du PCF, qui ne fut pas un véritable PC, sans cadres véritables. Lors des années suivantes, il n’y a pas eu de véritable opposition qui débute avec des cercles de littérature politique et avec des syndicalistes révolutionnaires. Puis lorsque Trotsky organise et chapeaute l’Opposition de gauche internationale à la fin des années 20, la seule référence aux 4 premiers congrès suffit et du coup un réel travail politique sur l’évolution du PC passe à la trappe. C’est pareil pour la Fraction de gauche communiste qui ne fait que répéter les écrits de l’Opposition mais reste muette sur les luttes du prolétariat en France, son passé, son avenir. La proposition de la Fédération est « d’appeler tous ces groupes à une confrontation politique dans le but d’établir une plate-forme reposant sur les bases de l’IC : le 2è Congrès. Certes, notre méthode de travail aurait été plus longue et plus laborieuse, mais les résultats auraient été positifs et le prolétariat français aurait enfin son organisation de classe. Nous constatons à notre grand regret, que l’unification s’est faite avec le même système déjà expérimenté en 1930 et qui donna les résultats lamentables que nous connaissons. »
L’on retrouve là la méthode propre à la Gauche italienne : d’abord des discussions qui visent à se mettre d’accord sur une plate-forme politique solide, alors que les militants qui ont fondé l’UC priorisent la création d’une seule organisation, en sachant qu’il y a des points de divergences importants et misent sur l’engagement militant dans les luttes, la discussion politique menée en rapport avec la volonté de transformer la réalité sociale et l’élaboration de positions théoriques en confrontation avec l’évolution des faits et en relation avec l’histoire passée.
L’engagement dans les luttes est primordial pour l’UC, Davoust écrit que « la composition sociale de l’organisation était ma principale préoccupation » [204] et ajoute quelques mois plus tard : « nous ne devons pas nous séparer de ces travailleurs dont nous faisons partie » [205]. Pour les militants de la Gauche italienne la situation est différente. En Belgique ce sont des militants italiens en exil contraints de ne pas intervenir dans la politique du pays sous peine d’être expulsés, quant aux 3 militants "belges" (Jean Mélis, Benjamin Feingold, Henri Heerbrant), le jugement de Gaston Davoust est sévère : « les jeunes bordiguistes belges — je les connaissais bien — étaient incapables de tels contacts, pourtant indispensables pour connaître et "sentir" la profondeur d’un mouvement, d’un épisode de la lutte de classe » [206]. Cela constitue certainement la pierre d’achoppement dans leurs relations, car pour l’UC les militants de la revue Bilan ont une connaissance abstraite de la lutte de classe, ils n’en comprennent pas intuitivement tous les aspects profonds. Et ce n’est pas un hasard si la minorité de la Gauche italienne a rompu à la fin de l’année 1936 avec la majorité sur la question des événements en Espagne. Pour ces militants, la plupart ouvriers ayant connu, participé à de grandes luttes, le puissant mouvement révolutionnaire en Espagne était une évidence. Il fallait intervenir pour renforcer l’autonomie du prolétariat attaquée par les forces démocratiques, fascistes et staliniennes. [207]
Gaston Davoust dans sa correspondance et dans sa préface à la Chronique a toujours eu "une dent" contre la Gauche italienne et les militants qu’il estime être retranchés dans une tour d’ivoire d’où ils analysent les événements sans en comprendre la richesse. Dans sa Chronique, nous pouvons retenir plusieurs points : 1°) que les « jeunes bordiguistes belges pratiquaient le mensonge, la falsification de textes et l’amalgame dès 1935 » ; 2°) que lors des événements d’Espagne, puisqu’il « n’existe pas de parti révolutionnaire (bordiguiste s’entend) donc pas de révolution possible » ; 3°) de cette critique, Chazé écrit : « la position a priori de la direction bordiguiste la conduisit à un monstrueux refus de solidarité de classe avec les travailleurs espagnols en lutte » ; 4°) qu’en conséquence il y eut une importante scission dans le groupe de Bilan avec des militants italiens en Belgique et en France qui partirent en Espagne et rejoignirent en 1937 l’UC et « y restèrent jusqu’à la fin de la guerre ».
Dans sa correspondance il va plus loin dans ses jugements. Pour lui « le comportement de Bilan et Communisme, c’est-à-dire de la prétendue majorité des bordiguistes, fut en fait un monstrueux déni de solidarité prolétarienne — sous des prétextes dogmatiques. Combien plus chaleureux et plus juste aussi fut le comportement des bordiguistes qui allèrent à Barcelone d’abord dans les milices, puis lorsque celles-ci furent "militarisées" (ce qui n’allait pas sans résistance), travaillèrent en usine ». Et en réaction avec ce qui est écrit dans Bilan n° 38 « à la lutte contre les maures et les fascistes, [opposer] la fraternisation », il écrit dans sa correspondance : « ça rappelait "les flics avec nous" des staliniens. » [208]
Davoust pense que cette prise de position est la conséquence d’une attitude qui consiste à vouloir « se démarquer à tout prix » [209]. Ce qui est assez typique de militants isolés qui ont un comportement paranoïaque, car ils se croient seuls au monde, entourés d’ennemis, persistant à vouloir se donner raison contre vents et marées.
Quant à ce qu’il qualifie de mensonge, Davoust y revient souvent dans sa correspondance. Dans sa Chronique il ne dit mot sur ce « mensonge tenace » [210] que Jean Barrot reprend dans le livre La légende de la gauche au pouvoir où nous pouvons lire :
« La seule attitude révolutionnaire consistait pour le prolétariat à combattre à la fois la République et Franco, à lutter pour la dictature du prolétariat. Cette attitude, défendue entre autres par Bilan et Octobre, fut rejetée par l’Union communiste qui, comme l’immense majorité de l’extrême-gauche de tous les pays, appela à soutenir la République espagnole. » [211]
Or en lisant la totalité des numéros de L’Internationale, il n’y a pas une seule phrase pour la défense de la République bourgeoise, ce que Gaston Davoust dit et que nous avons pu constater suite à une lecture minutieuse de l’ensemble des numéros de L’Internationale. Par contre l’on peut retrouver dans maints articles la nécessité de lutter contre Franco et la République, ce que Barrot omet de signaler.
Nous ne pensons pas que c’est un mensonge délibéré dans le sens où les "censeurs" "bordiguistes" et leurs héritiers feraient croire qu’une telle prise de position fût assumée explicitement et que l’on pourrait la retrouver dans un article. Cela découle du cadre théorique dans lequel ils évoluaient. Une citation extraite d’un texte de Vercesi [212] explicite cette conception théorique :
« La révolution est inconcevable sans la présentation politique du parti de classe. Le parti de classe est une condition sine qua non pour qu’une situation révolutionnaire existe ; s’il ne devait pas se présenter, la situation — comme il en fut le cas en Espagne — n’est ni révolutionnaire, ni susceptible d’évoluer vers la révolution et ceux qui s’évertueraient à la qualifier de révolutionnaire ou susceptible d’évoluer vers la révolution, seraient les instruments non du prolétariat mais de la bourgeoisie et qui agiraient pour éviter que de la bourrasque sociale résulte au moins la condition idéologique pour préparer le parti de classe du prolétariat. »
Là le prolétariat est réduit à l’état de pantin car du moment qu’il n’a pas pris le pouvoir il ne peut qu’être un objet. C’est ainsi qu’est évacué le mouvement révolutionnaire, sa puissance de transformation, son enracinement, sa capacité à défendre son autonomie de classe et mener une guerre civile contre les ennemis franquistes tout en continuant à lutter frontalement contre l’Etat républicain qui s’est acharné à reprendre les bases de son pouvoir. Or comme nous le montrons dans le chapitre consacré à l’Espagne, il a fallu des mois et des mois pour que ce mouvement révolutionnaire soit annihilé et réduit à néant.
La responsabilité de Marc Chirik est d’avoir défendu cette conception dès 1944 au sein de la Fraction française de la Gauche communiste, puis de la Gauche communiste de France et ensuite au début des années 1970 au sein du groupe Révolution internationale, comme on peut le lire ici : « fin 1936 une minorité de Bilan rejoindra l’UC dans la défense du camp républicain. » [213]. Puis il continue en tenant un raisonnement quelque peu machiavélique et tordu : « Un peu comme les trotskystes, UC souligne dans un tract qu’il ne suffit pas de lutter en France contre le blocus des armes pour l’Espagne mais qu’il faut lutter contre ceux qui l’organisent, c’est-à-dire le Front populaire, c’est une autre façon de soutenir le camp républicain en Espagne ». Nous invitons les lecteurs à lire ce tract dans la rubrique consacrée à divers "Documents" qui commence par « Camarades... »
Quant à ce qu’il qualifie d’amalgames, nous pensons que Chazé a pu avoir en tête la revue Communisme [214] où l’UC est amalgamée à des groupes trotskystes qui ont soutenu la Chine contre le Japon, l’Ethiopie contre l’Italie et qui conclut : « en dénaturant les critères marxistes sur l’Etat et le parti, ils ont été forcément acculés à devoir relier la Guerre et la Révolution au lieu de les opposer ; à faire accepter par le prolétariat la guerre placée sous le contrôle total de l’Etat capitaliste, qu’elle se déroulât sous le pavillon de l’anti-impérialisme (Ethiopie), de l’antifascisme (Espagne) ou de l’indépendance nationale (Chine). Et ce faisant, ils ont contribué — peu importe que ce fut consciemment ou inconsciemment — à l’étranglement de la lutte des classes, dans la même mesure que les social-patriotes en 1914/1918... ». Ou encore revue Octobre [215] qui va plus loin :
« La guerre d’Espagne fut l’occasion pour "Trotskistes", "Union communiste", "Révolution prolétarienne" de prouver (...) qu’il fallait pousser à la victoire des armées capitalistes et républicaines et s’opposer au défaitisme des gouvernements démocratiques qui, par complicité ou faiblesse, permettaient la victoire des armées fascistes. »
Les années passant il importe de prendre du recul et ne pas se positionner comme si nous étions à la même époque. Davoust utilise souvent le verbe "merdoyer" quand il revient sur l’activité militante des oppositionnels au stalinisme dans l’entre-deux-guerres. Comment des groupes aussi réduits auraient-ils pu faire autrement dans cette situation contre-révolutionnaire qui les a étranglé progressivement ? Les poussant toujours plus dans un isolement grandissant ? Le mérite de l’UC est d’avoir tenté de peser sur les événements. Dans le cas de l’Espagne, Chazé écrit dans sa Chronique qu’une « organisation révolutionnaire (parti compris) ne peut se forger que dans et grâce à un mouvement révolutionnaire et aux épreuves de force qu’il comporte. Et, en Espagne, ce n’était pas impossible a priori. Des révolutionnaires existaient, nous le savions, et ils se manifestèrent notamment au cours des journées de mai 37. En mai, c’était trop tard assurément, comme nous le craignions. Mais il était de notre devoir de les avoir soutenus. » C’est nous qui soulignons la dernière phrase et nous rajouterons au risque de se tromper. Or, les militants de la Fraction italienne, comme ceux de la Fraction belge constituée en février 1937 ont une attitude passive et insensible, ils ne tentent pas d’intervenir pour modifier le cours de la lutte de classe, comme si tout était déterminé. Cela ne pouvait que les mener à se noyer dans les « eaux des abstractions où nous nous complaisons » [216].
Alors que reste-t-il aux censeurs qui ne se sont pas mouillés et sont restés dans un rôle d’observateurs attentistes ? Le persiflage, l’amalgame, le mensonge pour prouver que eux, imbus d’un sentiment de supériorité, ont toujours eu raison. Ce qui les a amené assez loin dans l’insulte la plus grossière : « les trotskystes et les "communistes de gauche" ont renié le programme du prolétariat et ont désormais rejoint le marais de tous les renégats » ou bien, mieux encore : « le marais des idéologies capitalistes » [217].
Que ce soit dans l’entre-deux-guerres, après la seconde guerre mondiale, après mai 68 et les décennies qui suivent, la situation pour les minorités révolutionnaires est toujours identique : isolement et à contre-courant des idées dominantes, impuissance à ne pouvoir changer les rapports de force entre les classes. Ces minorités ne sont pas identiques, elles peuvent choisir entre 2 extrêmes : l’attentisme et l’entre soi ou l’activisme le plus débridé dans l’espoir — vain — de changer la réalité. Dans tous les cas, les minorités se heurtent à la pesanteur de la paix sociale avec l’impression qu’il ne se passe rien et que le prolétariat est totalement domestiqué domine. Le danger de l’attentisme est qu’il mène bien souvent au sectarisme et à l’élitisme de ces membres coupés du monde considéré comme une globalité ennemie. Quant aux activistes, tôt ou tard, ils vont se heurter au poids de la paix sociale, s’y casser les dents et s’épuiser ou bien être à leur tour domestiqués pour finir bonze syndical ou crapule politicarde [218].
En conclusion, il nous semble que l’activité de l’UC peut être une sorte de "modèle", une organisation vivante capable d’élaborer des conceptions théoriques tout en étant immergé dans la classe sans s’y noyer. Gaston Davoust et l’UC étaient en accord avec le constat d’Anton Pannekoek : « la position de l’homme au sein de la société n’est pas celle d’un observateur pur et simple, il constitue une force dynamique réagissant sur le milieu et la transformant ». [219]
La question des guerres progressives, guerres nationales
L’Internationale aborde peu la question de la lutte pour l’indépendance nationale et la question qui en découle : il y a-t-il des guerres progressives ? Faut-il soutenir les luttes nationales contre l’impérialisme, par exemple dans les cas de l’Ethiopie contre l’Italie, la Chine contre le Japon ? La position est claire et nette : « à aucun moment, et sous aucun prétexte, le prolétariat ne pourra se lier à un mouvement national quelconque. [220] » L’UC se revendique de Luxemburg en écrivant que sur la question des "minorités nationales" et de la "libération nationale", la question a été définitivement résolue en 1914 et que les années suivantes ont montré que le droit à l’autodétermination des peuples a servi d’arme de répression contre le prolétariat. Pour ce qui est de l’Espagne : « Ni l’autonomie catalane, ni l’autonomie d’Euzkadi ne peuvent apporter la moindre aide aux luttes prolétariennes. Bien au contraire : elles ne peuvent que dévier le prolétariat de son chemin de classe. [221] » Cet article conclut par cette affirmation : « Dans sa marche vers l’émancipation, le prolétariat ne peut compter que sur ses propres forces et doit lutter en toute indépendance quelles que soient les difficultés de la situation et la force de ses innombrables ennemis. C’est bien là le premier enseignement, la grande leçon que le prolétariat devra tirer des événements d’Espagne. »
Puis suite à l’invasion de la partie orientale de la Chine par l’armée japonaise en juin 1937, un conflit militaire oppose le Japon au Kuomintang et le Parti communiste chinois, les révolutionnaires seront amenés une fois de plus à se positionner sur la question de la guerre. La position des trotskystes est de considérer la guerre menée par le Kuomintang et le PCC comme "juste". L’UC rappelle que la leçon que l’on doit tirer des événements d’Espagne après mai 1937 est justement que lorsque le prolétariat collabore avec les forces bourgeoises dans la guerre, c’est toujours à son détriment. Il ne peut qu’en être de même dans ce cas, c’est l’UC écrit : « Oui, évidemment, du point de vue de l’historien regardant de sa tour d’ivoire les événements du monde, il peut y avoir des guerres progressives, nationales, etc. Mais du point de vue du militant révolutionnaire, le problème ne se pose que d’une façon : antagonisme irréconciliable entre le prolétariat et la bourgeoisie, lutte sans merci et sans trêve contre la domination capitaliste. [222] »
Dans le même numéro, Laroche va approfondir cette question [223] en revenant sur la conception de Lénine et de Luxemburg. Lénine soutient la bourgeoisie d’une nation opprimée contre l’impérialisme, considérant ce type de guerre comme "progressive". Il considère que le résultat d’une telle lutte, « la création d’un Etat national, fournira les meilleures conditions pour le développement du capitalisme » [224] et conclut : participation du prolétariat aux guerres nationales. Rosa Luxemburg s’y est opposée vigoureusement dans sa Brochure de Junius (avril 1915) en disant que c’est « la politique des grands impérialismes mondiaux qui détermine toute la vie des Etats bourgeois, et le droit d’auto-détermination des peuples n’a aucune influence sur la vraie marche des événements. » Elle en conclut qu’il ne peut plus y avoir de guerres nationales de défense.
Evolution vers le communisme de conseils ?
Gaston Davoust a écrit que l’UC « évolua rapidement vers le Communisme de conseils, absorbant le seul petit groupe se réclamant du Communisme de conseils ». Plus loin il termine ainsi : « vous ne trouverez rien sur le Parti, si ce n’est la répétition de positions héritées du léninisme, avec toutefois une critique du rôle "dirigeant". En 39, nous en étions à peu près sur cette question à la position d’Anton Pannekoek ou du KAPD - conservant le mot Parti » [225].
Dans sa correspondance avec Henri Simon, il écrit dans une lettre déjà citée et datée du 8 décembre 1973 : « les premiers contacts avec Canne Meijer datent de 1935 et inclinèrent notre évolution vers le Communisme de conseils ». Il réitère dans une lettre à Michel Roger datée du 25 décembre 1976 : « Toujours face aux événements qui se bousculaient, l’évolution se poursuivit vers... le Communisme de conseils ou plus exactement le KAPD ». Ce que nous savons par ailleurs ce sont les liaisons étroites de l’UC (en la personne de Gaston Davoust, en ce qui concerne d’autres militants, nous ne savons pas, peut-être Laroche) et la Ligue des Communistes internationalistes qui avaient des liens étroits avec le groupe hollandais [226].
Nous n’allons pas mettre en question les dires de Gaston Davoust dont nous connaissons suffisamment sa correspondance pour penser qu’il a toujours pesé ses mots avant de les coucher sur le papier et qu’il est fiable. Toujours est-il que dans L’Internationale il n’y a pas d’articles, de passages qui indiquent cette évolution. Lorsqu’il évoque le KAPD, il précise dans d’autres lettres qu’il n’avait pas lu de textes de cette organisation puisqu’il n’en existait pas de traduction. Le premier texte de Pannekoek traduit en français, publié par le Bulletin de la Ligue des communiste internationaliste fut Lénine philosophe en décembre 1938. Des articles du groupe conseilliste Communistes internationalistes de Hollande (GIC) furent publiés : sur la question russe (avril 1937) ; "les mouvements de masses et l’avant-garde" (octobre 1937) ; "l’empire néerlandais" (avril 1938) ; "comment Saint-Domingue a résolu le problème du chômage" (octobre 1938). A cela nous ajoutons l’article "salut à la crise" (août 1938) du "Groups of Council communists". Quant au groupe de Bayard, seul représentant du communisme de conseils en France, nous avons écrit plus haut que nous ne voyons pas en quoi cela se traduit dans les textes.
Le texte "les mouvements de masses et l’avant-garde" du groupe hollandais [227] n’est pas introduit, il est mis tel quel alors qu’il est une critique d’une phrase de L’Internationale disant que « tout l’avenir pèse sur nos épaules de plus en plus » (en août 1937). Le GIC rétorque que « l’avenir ne pèse pas sur leurs épaules, mais sur les épaules de toute la classe ouvrière. Les groupements de militants, relativement petits, ne peuvent pas repousser et renverser à eux seuls le capital. Cette vérité simple est toujours de nouveau oubliée. » Il est fort possible que ce texte corresponde aux discussions, réflexions en cours au sein de l’UC comme cela est relaté à la fin de l’article "La paix capitaliste et nos tâches" [228] : « nous voulions après des années de lutte oppositionnelle politique et syndicale, tirer les conclusions de notre bilan d’impuissance, ébaucher une ligne de conduite correspondant à la situation actuelle où tous les vieux problèmes, syndicat, fraction, parti, masses, se trouvent reposés et le vieux catéchisme communiste mis en doute. » Mais au vu de l’activité syndicale de l’UC, de son choix de privilégier l’engagement militant, de la difficulté à remettre en question les idées reçues, il est compréhensible qu’elle n’eut pas le temps de mettre noir sur blanc son évolution sur cette question, assumée par certains seulement selon nous, vers le communisme de conseils. Par ailleurs Gaston Davoust explique que « c’est dans mes 3 cellules de Fresnes [en 1941-42] que j’ai abandonné toutes les séquelles du léninisme (...) mais tout le monde n’a pas le "loisir" de faire un tel bilan ! Celui qu’avait pu faire Jean (Lastérade) était partiel, et celui d’anciens de l’UC encore plus partiel. C’est pourquoi je ne fis rien pour reconstituer l’UC. [229] » Dans une autre lettre il dit que Jean Lastérade, pilier de l’UC, « était resté très léniniste » [230]. On peut aussi penser que les militants de la minorité de la Fraction italienne de la Gauche communiste internationale qui ont rejoint l’UC en 1937 n’ont pas rompu avec la notion léniniste du parti. La trajectoire d’un Pietro Corradi après guerre nous le fait dire : d’abord adhésion à la Fraction française de la Gauche communiste internationale puis adhésion en 1952 au Parti communiste internationaliste (Programma comunista) qui revendiquait l’héritage léniniste sur cette question.
Ce que nous retenons est qu’en ce qui concerne l’évolution sur cette question du parti, est qu’elle fut très lente et que si l’on peut parler d’évolution vers le Communisme de conseils, en aucun cas il n’y eut adoption de ses thèses où la notion de parti est rejetée au profit de celle de conseils, explicitement affirmée.
Autres points à aborder
Il y aurait d’autres questions à aborder, mais cela n’est envisageable qu’au travers de discussions et d’un travail collectif qui font cruellement défaut. Ceci n’est pas une thèse, mais une contribution dont le but est d’approfondir certains points et en mettre d’autres en valeur.
Parmi ces points :
- L’effort systématique d’analyser les réactions des capitalistes face à la grande crise des années 30 (déflation puis dévaluation-inflation).
- Le défaitisme révolutionnaire qui est un peu abordé dans le chapitre "la lutte contre les menaces de guerre" et qui mériterait d’être développé au vu des conflits guerriers actuels et futurs.
- Les liaisons internationales : Mexique — USA — Angleterre — Canada — Belgique — Espagne.
- Gaston Davoust voulait faire un chapitre sur les lettres qu’il rangeait dans la catégorie « vous avez raison... mais » car cette « correspondance (...) donne une idée du désarroi des militants bousculés par les événements » [231]. On la retrouve dans L’Internationale comme revue ainsi que dans le Bulletin intérieur que nous n’avons pas.
- Les réfugiés politiques, les ouvriers étrangers, la dénonciation des campagnes xénophobes, la dénonciation de la terreur exercée à leur encontre par l’application de décret de loi qui anéantit le droit d’asile et qui ne peut que briser le front de résistance de la classe ouvrière française.
- Le capitalisme d’Etat. Nous sommes restés centrés sur l’évolution de l’analyse de l’URSS : caractérisation de l’URSS comme Etat ouvrier dégénéré, l’UC la définit comme capitaliste d’Etat en mai 1936 (sans utiliser le mot) puis ouvertement en novembre 1937. Se faisant elle n’isole pas ce phénomène du reste du monde, c’est l’inverse, la tendance au capitalisme d’Etat est un phénomène nouveau que des groupements oppositionnels anti-staliniens prennent en compte et entreprennent d’analyser. Otto Rühle [232] fut certainement le premier, puis Albert Treint [233] en 1934, Adhémar Hennaut dans son texte daté de janvier 1935 [234], l’UC ici et là dans ses articles. Pour elle l’intégration des syndicats dans l’appareil d’Etat fait partie de cette tendance.
Quelques éléments bibliographiques sur l’Union communiste
Il a fallu attendre les années 70 pour que l’UC sorte de l’ombre. Dans l’ordre chronologique, voici quelques livres et autres publications qui y font référence :
- La légende de la gauche au pouvoir — Le front populaire - Ph. Riviale, J. Barrot, A. Borczuk, paru aux Editions de la Tête de Feuilles en 1973. L’on y trouve quelques textes du journal L’Internationale.
- Bilan — Révolution et contre-révolution en Espagne (1936-1939) — Jean Barrot, paru aux éditions 10/18 en 1979 où l’on trouve 4 pages consacré à l’UC, puis quelques textes de L’Internationale.
- Chronique de la révolution espagnole — Union communiste (1933-1939) - Henry Chazé, paru aux éditions Spartacus en septembre 1979. Il s’agit d’un recueil de textes du journal (puis revue) L’Internationale centré sur la révolution espagnole, fruit d’une collaboration étroite entre Gaston Davoust et des militants du PIC (Pour une intervention communiste) publiant le journal la Jeune Taupe, dans lequel on trouve aussi quelques textes de L’Internationale.
- Guy Sabatier a écrit dans Les animaux de la ferme — Question sociale et "tiers-monde", brochure publiée au printemps 1986 par le groupe Révolution sociale, un bel hommage à Gaston Davoust intitulé "le refus de parvenir". On y apprend que Davoust avait l’intention d’écrire une histoire de l’UC, mais toujours occupé par une correspondance internationale importante et son souci d’analyser une actualité riche en bouleversements sociaux, il n’a pas pu y mettre un terme. On y trouve l’ébauche d’un plan sur lequel nous allons revenir ci-dessous.
- G. Davoust (H. Chazé) et la gauche communiste internationaliste, paru en juillet 1992 à 50 exemplaires (!) en éditions hors commerce par les soins de Robert Camoin. Livre sans aucun intérêt pour la période de l’UC. Le même auteur a écrit une biographie de Gaston Davoust dans la revue Jalons n° 5, octobre 1984.
- Envers et contre tout — De l’opposition de gauche à l’Union communiste, paru en 2017 aux éditions Ni patrie ni frontières, écrit par Michel Roger. Il a fallu attendre toutes ces années pour que soit proposé une histoire de l’UC qui tienne debout. Notre souci n’est pas de faire "mieux", mais autrement. Son livre propose très peu de textes car il s’est attaché à décrire le long processus de naissance et de vie chaotique des regroupements d’oppositionnels dont un quart à peine du livre est consacré à l’UC. Nous allons privilégier la lecture des documents originaux. Ce qui devrait permettre d’y voir plus clair et surtout de suivre pas à pas l’évolution de l’UC, d’en saisir les contradictions, les hésitations dans ses positionnements et ses analyses face aux événements qui se bousculent.
Du côté de la famille trotskyste il est vain de trouver des informations solides sur l’UC. Pierre Broué et Michel Dreyfus donnent certainement la clé pour comprendre cette absence : « On chercherait en vain dans les écrits de Trotsky plus qu’une allusion fugitive à ce groupe [l’UC] qu’il a définitivement rayé de son horizon ». Il est possible que le fait que « le grec Dimitri Yotopoulos, dit Vitte, membre du Secrétariat international qui a soutenu le groupe juif » contribue à cet effacement puisque considéré comme « instigateur de la scission dans la Ligue française » [235]. Quant à Yvan Craipeau, un des rares à évoquer l’UC, il le fait en quelques lignes méprisantes : « au travers de multiples scissions, unifications et réunifications, ils s’acheminèrent vers leur complète disparition. Ce scissionnisme chronique est une caractéristique des organisations infantiles, qui ne sont pas encore parvenues à prendre conscience de leurs responsabilités à l’égard de la classe ouvrière, et qui en sont restées au stade des équipes journalistiques changeantes » [236]. Bien sûr, tout cela n’est pas sérieux.