La marche vers la guerre généralisée ne montre aucun signe de ralentissement. Chaque nouvel événement est un rouage supplémentaire de l’engrenage mortel. Aucune illusion. Quel avenir le capitalisme nous offre-t-il ? Gaza pour tous. Des massacres et des déportations systématiques, la famine et la terreur. Des bandes armées et des milices de tous les impérialismes qui ravagent les territoires et se vautrent dans le sang. Gaza est-elle une exception ? Le même processus est déjà en cours en Cisjordanie. Le carnage va bien au-delà d’Israël-Palestine. Les bombardements russes et ukrainiens deviennent plus massifs et la terreur s’abat sur les populations. Pendant ce temps, les guerres ravagent l’Afrique et s’étendent à l’Asie. Et pour ceux qui se croiraient en sécurité sur d’autres continents, en particulier dans les pays dits « développés », l’explosion des déficits budgétaires pour un réarmement généralisé n’est qu’une autre manifestation de la marche vers la guerre généralisée.
Cela provoque sidération et panique dans une grande partie des populations. Parfois même des réactions : aux déserteurs ukrainiens et russes s’ajoutent désormais des réservistes israéliens qui refusent de répondre à leur appel par l’armée pour envahir et occuper Gaza. Des manifestations de rue appellent à la paix. Si ces réactions réflètent un sentiment plus ou moins large et confus contre la guerre, elles restent individuelles et pacifistes par nature. La « solution » à cette situation historique ne se trouve pas dans des réponses inter-classistes et confuses.
Dans sa préparation à la guerre, la bourgeoisie a déjà engagé le combat contre le prolétariat et le contraint à réagir. C’est ce qui s’est produit lorsque le prolétariat de Los Angeles s’est révolté contre les raids spectaculaires menés par les services d’immigration de Trump contre les travailleurs immigrés. Le lecteur peut se référer à notre déclaration sur les premières manifestations pour voir les orientations que nous proposions à ce moment précis [1]. À première vue, ce qui s’est passé à Los Angeles en 2025 peut sembler similaire à ce qui s’est passé en 2020 à Minneapolis contre les violences policières, après le meurtre horrible de George Floyd ; les deux furent des manifestations de rue spontanées contre les politiques racistes du gouvernement Trump. Cependant, en y regardant de plus près, il apparaît clairement que ces deux événements sont contrastés en termes de caractère de classe. Dans une période de mécontentement social croissant, il est important de discerner la différence entre les révoltes populaires (interclassistes) et les révoltes qui se situent sur un terrain de classe (prolétarien). Dans le cas des manifestations de Minneapolis en 2020, celles-ci se déroulèrent initialement sur un terrain interclassiste, dans laquelle la présence du prolétariat fut incroyablement faible — voire inexistante —, même si l’avant-garde communiste ne pouvait pas y rester indifférente [2]. Bien que la présence prolétarienne ait été minime, avec une seule action menée par les employés de la restauration refusant d’exécuter les ordres de la police et une autre menée par les chauffeurs de bus refusant de transporter les policiers, cette dernière ayant été rapidement étouffée par les syndicats, les communistes ont eu raison de ne pas ignorer la colère légitime qui s’exprimait. Il suffit de se référer à cette citation de Lénine :
« Pourquoi l’ouvrier russe manifeste-t-il encore si peu son activité révolutionnaire en face des violences sauvages exercées par la police contre le peuple, en face de la persécution des sectes, des voies de fait sur les paysans, des abus scandaleux de la censure, des tortures infligées aux soldats, de la guerre faite aux initiatives les plus anodines en matière de culture et ainsi de suite ? Serait-ce parce que la “lutte économique” ne l’y “fait pas penser”, parce que cela lui “promet” peu de “résultats tangibles”, lui donne peu de résultats ”positifs” ? Non, prétendre cela, c’est, nous le répétons, vouloir rejeter sa faute sur autrui, son propre philistinisme (ou bernsteinisme) sur la masse ouvrière. Si jusqu’à présent, nous n’avons pas su organiser des campagnes de dénonciations suffisamment larges, éclatantes et rapides contre toutes ces infamies, la faute en est à nous, à notre retard sur le mouvement des masses. Que nous le fassions (nous devons et pouvons le faire), et l’ouvrier le plus arriéré comprendra ou sentiraque l’étudiant et le sectaire, le moujik et l’écrivain, sont en butte aux injures et à l’arbitraire de la même force ténébreuse qui l’opprime et pèse sur lui à chaque pas, durant toute sa vie ; et, ayant senti cela, il voudra, il voudra irrésistiblement et saura réagir lui-même ; aujourd’hui il “chahutera” les censeurs, demain, il manifestera devant la maison du gouverneur qui aura réprimé une révolte paysanne, après-demain il corrigera les gendarmes en soutane qui font le travail de la sainte inquisition, etc. Nous avons encore fait très peu, presque rien pour jeterdans les masses ouvrières des révélations d’actualité et embrassant tous les domaines. Beaucoup d’entre nous n’ont même pas encore conscience de cette obligationqui leur incombe, et ils traînent spontanément à la suite de la “lutte obscure, quotidienne” dans le cadre étroit de la vie d’usine [3]. »
Les manifestations de 2020 furent en effet rapidement récupérées par une campagne idéologique bourgeoise, raison de plus pour laquelle les communistes se devaient de lutter contre le courant dominant en tentant, aussi difficile et improbable que cela ait pu apparaître, de scinder une partie de la mobilisation et de la placer sur un terrain prolétarien. En revanche, les manifestations de 2025 à Los Angeles se sont situées sur le terrain prolétarien, simplement parce qu’elles répondaient aux attaques directes contre les prolétaires menées par l’ICE [4] de Trump.
On peut aller plus loin dans la description des différences de classe entre ces deux mobilisations en examinant les détails. Tout d’abord, les médias bourgeois n’ont pas hésité à apporter leur « soutien » aux manifestations de 2020, Black Lives Matter (un réseau militant entièrement bourgeois) s’imposant immédiatement pour prendre la tête du mouvement et canaliser l’explosion initiale dans l’impasse des politiques identitaires. Dans le cas des manifestations de 2025 à Los Angeles, le Parti démocrate s’est contenté de condamner Trump pour des raisons stratégiques, s’abstenant de tout soutien ouvert aux manifestations. Contrairement aux manifestations de 2020, la faction de la bourgeoisie américaine représentée par le Parti démocrate a jugé nécessaire de créer sa propre mobilisation à partir de zéro, qu’elle pouvait contrôler de manière préventive, au lieu d’essayer de récupérer les manifestations existantes, d’où la manifestation « No Kings », qui a reçu le financement d’une héritière de la famille Walton [5]. Un autre exemple est la différence entre les deux mobilisations dans leur rapport à la présence d’activités lumpen, à savoir le pillage de magasins. Alors que les pillages, comme celui du magasin Target à Minneapolis, ont été au centre des manifestations de 2020, ce qui était une condition préalable à leur absorption dans une campagne idéologique bourgeoise, de nombreuses images montrent que les manifestations de 2025 à Los Angeles n’avaient rien à voir, soit étaient carrément hostiles aux pillages qui ont eu lieu [6].
En ce sens, les réactions prolétariennes aux descentes de police dans les quartiers, aussi limitées soient-elles, constituent la voie à suivre [7]. Un autre exemple à suivre, bien qu’également limité, est celui du personnel navigant d’Air Canada, qui s’est mis en grève et a refusé de reprendre le travail [8] malgré l’injonction du gouvernement en vertu de la loi sur l’arbitrage et les menaces de répression.
Entrer en lutte est la première étape. Mais ces réactions doivent s’appuyer sur une action collective et unitaire de classe. C’est sans doute l’enjeu auquel les manifestations et émeutes massives en cours en Indonésie aujourd’hui se trouvent confrontées. Seule une dynamique ouvrière, de classe, peut véritablement donner une perspective de lutte « efficace » au soulèvement massif de la population, majoritairement ouvrière, contre l’augmentation de l’inflation et du chômage de masse ; et contre... la répression sanglante qui a déjà causé plusieurs morts. [9]
Ce n’est pas cette voie que semble prendre l’appel « spontané » — sur les réseaux sociaux — « au peuple pour un arrêt général et illimité du pays le 10 septembre » en France. Nul doute qu’il exprime une colère et une révolte croissantes de la plupart de ceux, la majorité là-aussi ouvriers et salariés, qui se reconnaissent dans cet appel et vont y participer. Mais les mots d’ordre de « boycott total »,« ne payons plus, ne consommons plus, ne travaillons plus, gardons nos enfants à la maison » sont l’assurance de l’impuissance, de l’échec et de l’impasse pour les prolétaires qui y participeront [10].
Face à l’inflation provoquée par les droits de douane de Trump, face aux coupes dans les dépenses sociales pour financer les déficits budgétaires et le réarmement généralisé, augmentations salariales et pas de licenciements ! Face à la répression — et aux expulsions — des travailleurs immigrés et, plus largement, grèves et manifestations de rue aussi massives que possible. Extension, généralisation et unification des luttes sont les mots d’ordre de l’heure et doivent être adaptés à chaque situation. Seuls ces mots d’ordre et orientations pourront permettre aux luttes d’être suffisamment efficaces pour à la fois combattre l’appauvrissement et l’exploitation croissants et pour ralentir, voire arrêter, les préparatifs pour la guerre généralisée.
Il appartient aux travailleurs les plus militants, révolutionnaires ou non, d’organiser et de préparer ces grèves et ces luttes qui ne manqueront pas d’éclater. C’est pourquoi, entre autres choses, nous les encourageons à se regrouper et former des comités de lutte chaque fois que cela est possible.