par ArchivesAutonomies
A Malville, je n’y étais pas. Je ne pouvais pas. Mais pour être honnête, il faut bien avouer que cette impossibilité me soulageait.Parce que j’avais la trouille et la trouille que ma trouille me bloque et me rende complètement inéfficace. Enfin, mes états-d’âme n’ont qu’un intérêt limité sauf que je n’étais sûrement pas le seul à avoir la trouille et que je pense qu’il vaut mieux en être conscient et savoir que l’affrontement avec le pouvoir totalitaire qui se met en place, ne sera pas une partie de rigolade et que les sourires n’ont jamais fait tomber les fusils. Je n’ai pas envie de mourir atomique ou idiot. Mais je n’ai pas non plus envie de mourir martyr, ni de perdre une jambe ou un bras ou quoi que ce soit. Alors j’ai suivi à la radio, comme tout le monde. Est ce que c’est moi qui déconne ou bien si vraiment tout le monde ce jour là, écoutait la radio avec un air grave qui n’est pas de mise un dimanche d’été. C’était peut-être la pluie.
D’abord, les communiqués avaient une petite allure triomphale "les manifestants pénètrent dans la zone interdite". Tout parait facile, presque trop beau. Et tout à coup, le ton change, devient plus grave, plus tendu "les forces de l’ordre ont décidé de ne plus reculer". Tiens ils avaient donc décider de reculer ? Tout cela donne l’impression d’un piège. A partir de là, on entend parler d’affrontements violents, les communiqués deviennent de plus en plus fréquents. L’annonce d’un mort ne me surprend pas. Je pense même que si on en annonce un c’est qu’il y en plusieurs. Ce qui suit donne l’impression d’une débandade. Et j’imagine, pour les avoir vécues en d’autres circonstance, les ratonnades qui doivent se dérouler.
Le lendemain tout le monde en parle. Pour certains avec amertume, avec le sentiment d’un échec, sans qu’il soit très clair si cette impression d’échec est due à l’impossibilité de pénétrer sur le site ou à la mort. Même ceux pour qui il faut toujours prendre la vie du bon côté et dont ce n’est de toute façon pas les oignons en parlent. Même ceux à qui on ne cause pas d’habitude. En tout cas tout le monde parait cette fois conscient de l’enjeu. Mais on n’en parle de façon anxieuse, sans trop s’engager, avec prudence et peur. Est ce que ce n’est pas cette même peur qui règne dans les périodes de montée du fascisme ? Et voilà, on entre dans une période cruciale où se joue un choix entre deux sociétés, deux civilisations fondamentalement différentes. Une société totalitaire ou une société libertaire. Entre les deux, il n’est pas de compromis possible, l’affrontement est inévitable. La prochaine fois, ou la fois d’après, j’y serais. Avec ma trouille. Mais je pense que dans cet affrontement, le choix des armes est aussi important et indissolublement lié au but que l’on se donne. Sur le terrain militaire, j’ai peur qu’on soit perdant d’avance soit parce que ce sont les armes de l’adversaire et qu’il les connait mieux que nous, soit parce que pour le surpasser on doive devenir pareil à lui. Je crois qu’il nous faudra trouver de nouvelles armes et un terrain d’affrontements que nous possédons mieux que le pouvoir. Je ne suis pas sûr que les grands rassemblements soient la meilleure, ou la seul possibilité pour cela.