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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Manif à Denain
Supplément à Front Libertaire des Luttes de classes, n°107, 24 Mars 1979, p. 2-3.
Article mis en ligne le 18 décembre 2013
dernière modification le 7 février 2023

par ArchivesAutonomies

On voulait aller voir les gars de la sidérurgie depuis quelques temps déjà. Les émeutes des 7 et 8 mars à Denain nous poussent au cul ; on y va, le samedi 10 on est à Denain pour la grande manif organisée par les partis de gauches et les syndicats.
Dure l’arrivée à Denain : un temps gris, une ville grise, des gens gris.
- Un temps gris : il neige.
Une ville grise : côte à côte, sur des kilomètres s’étendent des villages dortoirs ; une banlieue sans centre ville, aplatie, des maisons toutes pareilles, sans étages, ou avec un seul étage, rarement deux, aux pied des crassiers et des hautes structures métalliques des usines, sur le mur d’une maison "défense d’uriner".
- Des gens gris, à cause du climat et du travail, tristes du retour à la routine après les deux journées d’émeute du mercredi et du jeudi.
Au décor il faut rajouter les restes des affrontements, trottoirs et chaussées défoncés, wagonnets brûlés et renversés sur les trottoirs, vitrines cassées.
Au rassemblement avant la manif, tout le monde parle des affrontements, un vieil homme de plus de 60 ans porte une "espèce de casque et une pancarte sur laquelle est inscrit le seule mot : Fumigène", dans les discussions il est fier des émeutes des jours précédents : il y était. Deux gars d’Usinor disent ; "T’as vu, personne n’en parle des deux gars qu’on été arrêtés pour avoir tiré sur les CRS ; c’est un d’Eternit et un de Trith St Léger".
Le PC est venu en force de toute la région. Grosse difficulté pour organiser le cortège, les pontes locaux du PC gueulent comme des fous : "de l’ordre, de la discipline". La manif part, les gens du PC font la chasse aux gauchistes tout au long du cortège. Du stalinisme à l’état pur, du fascisme ; les flics étant interdits de séjour à Denain, les beaufs de la GCT et du PCF les remplacent. Une manif sinistre, le PC qui regroupe à lui seul plus d’un tiers du cortège, ces connards sont tristes, lamentables, un seul slogan est repris : "Giscard, Barre, Mauroy vendus à l’étranger". Faut dire que le leader du PS du Nord est dans la manif et que les élections cantonales sont proches, dans le Nord, seuls PC et PS comptent, à eux deux ils ont 80% des voix.
Dans cette manif enterrement, traîne savates, Bidon, le seul cortège radical c’est les 150 gars de la CFDT de Longwy, qui gueulent surtout : "Etchégarray à la Feraille" et bien sur : "Flics, Fascistes, assassins", "CRS. SS". Des SO (services d’ordres) mixtes CFDT CGT détournent la manif pour éviter le commissariat ; à chaque fois, en face du SO des groupes de jeunes, souvent immigrés attendent ; eux ils étaient dans l’attaque du commissariat. Ils s’en vont en se disant : "laisse tomber, y’aura rien, aujourd’hui c’est trop encadré".
Après des kilomètres, arrivée dans un stade ; la tribune est "bleu blanc rouge", on ne voit que les écharpes tricolores des élus du PC qui remplissent la tribune. Discours mémorable du député PC Ansart, il ne parle pas des travailleurs, il ne fait que de la pub aux élus du PC. Dans la foule les gars de Longwy et d’autres gueulent : "des actions, pas de discours". Un dirigeant CGT explique qu’il faut écouter Ansart, qu’il était dans les affrontements, qu’il a respiré des gaz. A partir de ce moment Ansart, à chaque fois qu’il est couvert par les cris de la foule se racle la gorge, parvient à tousser, comme pour dire : "laissez-moi parler, j’y étais moi aussi". Lui qui deux jours avant disait : "c’est une victoire, rentrons dans l’usine en chantant, on a gagné". Espérant démobiliser les travailleurs, il se faisait alors insulter par les gars d’Usinor. Bref quand Ansart remercie les flics, la foule crie "Flics, fascistes, assassins", quand il dénonce les incontrôlés, Longwy hurle : "c’est eux, les incontrôlés" en désignant la tribune. Ecoeurés, les gars de Longwy et beaucoup d’autres se barrent en gueulant sans trop de conviction "au commissariat". Juste à ce moment c’est au tour du bonze CFDT de service de parler ; il voit les militants de son organisation syndicale se barrer sans l’écouter. Rien que cela valait le déplacement.
Quelques jours plus tard un groupe d’ouvriers "de la base" d’Usinor dénonçait les magouilles syndicales, les lycéens de Denain s’organisaient en comité de lutte autonome de tous partis et syndicats en disant : "Quand il y a eu les émeutes à Denain, les syndicats ont brisé la lutte".