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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Une crise à surmonter (problèmes du KAPD)
L’Ouvrier Communiste, n°4/5, Novembre 1929
Article mis en ligne le 22 décembre 2013
dernière modification le 22 juin 2019

par ArchivesAutonomies

La gauche communiste allemande, comme élément principal du mouvement ouvrier-communiste international est le théâtre d’une crise à la fois idéologique et organisatoire qu’il ne dépendait pas d’elle d’éviter, qui possède une valeur générale et qui ne peut être surmontée qu’internationalement et sur le terrain des réalités historiques.
De cette réalité historique de la crise mortelle du capitalisme le prolétariat d’Europe occidentale et son élite, le mouvement ouvrier communiste, est beaucoup plus près, que n’importe laquelle des organisations "ouvrières" bureaucratiques (politiques ou syndicales) et en particulier que les organisations d’importation russe, comme les Internationales n° 3 et 3 et demi. Aussi, tandis que chez Staline et chez Trotsky, les rivalités de personnes, les querelles de clans bureaucratiques, sont dissimulées pudiquement derrière des débats de principes ou de tactique, chez nous, les questions de personne peuvent être traitées au grand jour ; éclater "scandaleusement" devant les masses, être réglées comme telles, et permettre ensuite d’envisager sans aucun voile les problèmes politiques réels qu’elles tendaient à dissimuler.
Nous voulons consacrer une partie de nos colonnes à un approfondissement des questions politiques posées par la situation et qui ont déterminé en Allemagne la scission du K.A.P.D. et de l’A.A.U. Notre objectif ne sera pas de chercher un remède artificiel à la rupture ou à la baisse des effectifs, mais de chercher pour la gauche internationale un enracinement toujours plus solide dans le terrain historique de l’époque (et pas cela seulement de la phase) actuel.
Pour cela nous n’avons pas à tenter une atténuation des oppositions de personnes, dans une conspiration du mystère, mais à déblayer, au contraire, en premier lieu le terrain des "scandales de chefs" qui l’encombrent. En tentant de vider l’abcès Schwartz, l’abcès Scharrer, et tous ceux que nous pourrons rencontrer, nous séparerons catégoriquement la conduite personnelle des hommes de la critique des tendances doctrinales dont ils participent. Juger un mouvement sur les déviations privées d’un ou deux "phénomènes" est indigne d’un révolutionnaire et d’un marxiste.
Nous ouvrons le débat par la publication d’une circulaire envoyée par le comité directeur du K.A.P.D. aux groupes ouvriers communistes de Tchécoslovaquie et dont la copie nous a été transmise tout récemment par ce même comité directeur.


19 juin 1929,

Chers camarades,

Nous avons reçu votre lettre de ce mois et nous faisons suite volontiers à votre demande de renseignements sur la situation de notre mouvement en Allemagne. Nous attirons votre attention sur le fait qu’un rapport comme le nôtre est loin d’épuiser le sujet. Dans de telles questions, il est souvent difficile de distinguer à première vue la question centrale. La discussion est généralement encombrée par des polémiques personnelles hétérogènes. Si donc vous éprouvez la nécessité d’explications complémentaires, nous sommes disposés à vous les fournir.
La récente crise de notre mouvement montre clairement une fois de plus comment le manque d’activité de la classe ouvrière entraîne l’agitation brouillonne des éléments dispersés du mouvement révolutionnaire. On supplée au manque d’activité des masses prolétariennes par des tours d’adresse, par "l’habileté tactique". Mais il en ressort toujours clairement que ces essais sont infectés de démagogie, soient qu’ils louvoient sous le pavillon de la "souplesse tactique", soit qu’ils se drapent dans la toge de la "fermeté de principe".
La crise en Allemagne a son point de départ dans la crise de l’Union [1]. La situation du prolétariat entier s’aggrave objectivement de plus en plus. Mais le prolétariat essaye encore et toujours de se défendre par des moyens parlementaires et syndicaux. De vastes couches de prolétaires quittent les syndicats, mais restent dans l’expectative et la passivité. La politique de "conquête" du Parti Communiste Allemand s’est complètement effondrée. Le K.P.D. vacille de droite et de gauche , mais il se heurte à une situation syndicale sans issue. Le "Leninbund" essaye de s’accommoder à la réalité en préconisant la fondation de caisses particulières de grève en dehors des syndicats. Il apparaît en toute question et sur chaque terrain que l’autonomie et l’initiative des masses deviennent une nécessité inéluctable. Il s’agit donc d’éclaircir la question de l’Union et de sa tactique, pour n’en pas faire le jouet d’entreprises aventurées.
Nous devons mentionner ici que notre opinion n’est pas non plus que l’Union ait à attendre la maturité subjective complète du prolétariat, le moment où il veut la révolution. Mais nous sommes d’avis que l’aggravation du sort de la classe ouvrière dépend de façon décisive d’un ensemble de facteurs objectifs (crise permanente du capitalisme), et que la trahison des syndicats et des partis parlementaires n’en donne pas une explication suffisante. Tout en stigmatisant la trahison des social-démocrates d’Amsterdam et de Moscou ainsi que celle des syndicats, il faut toujours de nouveau mettre ceci en évidence : il n’est plus possible de pratiquer un réformisme "honnête", fut-ce dans l’Union. Un mouvement qui arrache les questions de la lutte de classe à leur terrain objectif et les transporte sur celui de l’appréciation morale des personnes, sacrifie par cela même les fondements du marxisme, et ne peut plus exercer d’attraction que sur des imbéciles petit-bourgeois, sur des baudets à l’âme sentimentale. D’ailleurs, seuls des crétins pourraient prétendre à ce rôle de Messie, à ce travail d’Hercule : délivrer l’humanité par la seule vertu de leur adresse, de leur malice à conduire le prolétariat au but par des sentiers détournés, en lui mentant dans l’intérêt de la vérité.
Le K.A.P.D. a combattu tous les essais qui tendaient à "élargir" la tactique de l’A.A.U. dans cette direction. Nous partons toujours de ce point de vue que le capitalisme monopolisé met le prolétariat devant le problème de l’action propre des masses. Toute tactique qui part de la situation d’une usine isolée et qui a encore en vue le règlement avec les capitalistes de salaires, durée de travail, etc., est non seulement utopique, mais orienté vers la collaboration. Si nous réussissons à faire de l’Union un facteur qui représente le prolétariat des usines, l’unité par elle-même fera le nécessaire pour sauvegarder le principe de l’Union - l’activité propre des masses - contre les dangers d’une politique de maquignonnage. Et cela du fait même qu’elle représente l’ensemble des ouvriers industriels. Ainsi l’Union comme organisation totale ne marchandera pas avec des capitalistes autour d’un tapis vert (en attendant que le prolétariat soit assez fort pour marcher au dernier assaut) ce qui reviendrait à reprendre l’ancienne politique de chef, à une époque où elle est devenue objectivement une antiquaille. Telle est, en raccourci, dans ses grandes lignes, notre position fondamentale. Malheureusement, l’adversaire n’a pas toujours formulé clairement la sienne. Cela peut provenir du fait que la clarté lui fait généralement défaut. On se contente avec le "déclenchement sans merci des luttes économiques" (voir la grève du Textile dans la Tschgechei, où le K.P.D. a déclenché la lutte économique sans conditions). Après quoi on en vient à revendiquer pour les ouvriers et leurs familles " de quoi manger à leur faim" etc. Aux objections de notre part, le côté adverse a répondu en quittant le terrain de la discussion objective et en remplaçant les arguments de fait par des accusations personnelles infamantes.
Par exemple l’ex-camarade Schwartz étant retourné à son ancien métier de professeur dans un établissement où il enseignait jadis, a pris part, à titre de maître de français, à un voyage d’écoliers en France. La presse pacifiste-bourgeoise s’exerce à présenter de tels voyages comme l’illustration de la politique de Locarno. Nous avons convoqué le camarade Schwartz pour lui parler. Il a déclaré qu’en sa qualité de fonctionnaire assermenté de l’Etat, il peut se trouver extérieurement en contradiction avec les principes du K.A.P.D. et nous a proposé de le délier formellement de sa qualité de membre pour qu’il ne soit pas une charge pour le parti ; il désire cependant continuer à mettre sa force de travail à la disposition du parti. Le côté adverse exige que Schwartz soit traité en paria par la classe prolétarienne. Pour atteindre ce but, il s’est lié avec des gens qui, naguère encore, calomniaient le parti  [2] sous le prétexte démagogique qu’il aurait accepté de Schwartz, pour des buts de propagande, une partie de l’argent que celui-ci continuait à recevoir du K.P.D. après son exclusion sans donner de ce procédé aucune justification politique. Le "principe"" de ces gens est pauvre mais honnête...
Un autre camarade a écrit un livre prolétarien et l’a offert à nos éditions, mais celles-ci n’ont pu le publier, faute d’argent. Comme le camarade était forcé, de ce fait, de recourir à un autre éditeur, on lui attribue, d’après la couleur politique de la maison où il le fait paraître, la qualité d’agent de Noske ou de Staline. Le contenu du livre n’est pas la base de leurs appréciations... Nous pourrions citer encore d’autres exemples. Mais les précédents doivent suffire à caractériser une "opinion politique".
Nous voulons cependant signaler que l’exclusion du camarade Scharrer, prononcée par la IX° conférence nationale de l’Union, constitue une infraction à ses statuts. Le passage final des statuts en est la preuve :
"Les décisions de la conférence nationale ne lient l’ensemble des membres qu’autant que les questions de programme et d’organisation lui ont été préalablement soumises de manière à ce qu’une prise de position détaillée soit possible".
La note à l’occasion de laquelle le camarade Scharrer fut exclu avait paru dans le K.A.Z.  [3] longtemps avant la conférence. Il existait donc la possibilité d’éclaircir d’abord la question devant la région du Gross-Berlin. C’est ce qu’on n’a pas fait. Cependant la conférence a donné suite à l’exclusion, en violation du système des conseils, et de tout principe prolétarien.
Nous cherchons une possibilité de discussion avec tous les membres, tous les groupes et toutes les couches du prolétariat, s’il s’agit de volontés honnêtes pour faire avancer la cause des ouvriers. Ici, le radicalisme n’est qu’un masque, tandis que le mensonge et la démagogie sont constitués en principe.
Il y a donc là un différend qui ne peut ni ne doit être surmonté, parce qu’un mouvement qui laisse se propager dans son sein un foyer de pourriture en est envahi.
Le rapport des forces est tel que la majorité du parti dans le Gross-Berlin est avec nous. Dans le Reich, les voix se multiplient qui saluent notre conduite. Le "Comité national de travail" de l’A.A.U., par contre, parait être tout à fait à la remorque de quelques brouillons de Hambourg, qui fournissent de circulaires fantaisistes l’intérieur et l’étranger, mais qui n’arrêteront pas l’effondrement de leur "Union", mais l’accéléreront. Le Parti est déjà passé à la reconstruction des organisations d’usine, partout où les possibilités existent.
Nous regrettons que les moyens nous fassent actuellement défaut d’envoyer un camarade à votre conférence de Prague. En août un ou peut-être deux camarades viendront en vacances en Tchécoslovaquie, mais nous ne savons pas s’il est possible de changer la conférence de date. Peut-être auraient-ils quand même alors la possibilité de parler de la situation avec plusieurs camarades. Nous souhaitons à votre conférence un bon travail, et espérons que le présent rapport vous donnera quelques éléments positifs de discussion.

Arbeiter-Zeitung.