Présentation [1]
Dans les critiques anti-institutionnelles de mai 68, les prisons, comme les asiles et les institutions d’enfermement ou d’isolement des "cas sociaux" ou "d’handicapés", avaient été épargnées.
Mais le bouillonnement créé par plusieurs milliers de nouveaux militants issus de mai 68 va entraîner la répression de l’Etat : Mai 70, la Gauche prolétarienne (maoïste) est dissoute ; Juin 70, le gouvernement adopte une loi "anticasseurs". En quelques mois, une centaine de militants d’extrême gauche sont arrêtés et incarcérés. Le soutien et la solidarité s’organisent autour du "Secours rouge". Ces prisonniers politiques se font entendre à l’extérieur et les gens encore sensibilisés par "l’esprit de mai 68" découvrent alors l’univers carcéral.
Le 8 février 71, à l’issue de la 2è grève de la faim des maos emprisonnés, le Groupe d’information sur les prisons est créé. Le G.I.P. regroupe des intellos (dont Michel Foucault), quelques anciens détenus, mais aussi des cathos et des personnes concernées par la prison pour des raisons politiques (en grande majorité influencées par le "maoïsme") ou professionnelles (avocats, travailleurs sociaux...)
Les militants incarcérés revendiquent le statut de prisonniers politiques sans oublier les droits communs : "Nous voulons que notre combat dénonçant le scandaleux régime actuel des prisons serve à tous les prisonniers". La population carcérale, les familles des détenus de droit commun découvrent alors des pratiques collectives. Le G.I.P. aborde le problème de la prison, non sous un angle idéologique, mais en s’appuyant sur le vécu des taulards. Il s’agit de donner la parole aux prisonniers sans faire de distinction entre politique et droit commun.
La loi du silence est rompue, le G.I.P. lance même un questionnaire sur les conditions de détention et se retrouve aux portes des prisons avec les familles des détenus qui font la queue des heures durant.
Le G.I.P. se veut être un outil d’expression des détenus, des familles, mais il faut attendre fin 71 pour qu’une symbiose réelle puisse s’opérer entre le G.I.P. et les familles des détenus "ordinaires". En effet, des actions de révolte, le plus souvent individuelles, de taulards, entraînent une répression collective de I’Etat : suppression des colis de Noël (décembre 71)... On dénombre alors 37 mouvements collectifs puis 85 en 1972, dont certains feront "dû bruit" dans l’opinion :
— Révolte de Toul (décembre 71) qui donnera lieu à une commission d’enquête sur les mauvaises conditions de détention... L’Etat s’en "sortira" en faisant de Toul un cas particulier non représentatif de l’ensemble du système pénitentiaire.
— Révolte de Nancy (janvier 72), où les détenus montent sur les toits et lancent à la population des tracts portant leurs revendications et qui seront reproduits et distribués en ville par le G.I.P.
— Action collective à Melun où les détenus rédigent une "déclaration à la presse et aux pouvoirs publics". C’est de là que sortira l’équipe fondatrice du Comité d’action des prisonniers (C.A. P.).
Ces mouvements, mélange de révoltes et d’actions collectives, font éclater le scandale de la prison sur la scène politique. Les détenus, ayant suffisamment de choses à gueuler, agissent eux-mêmes. Le G.I.P. sert d’outil et de caisse de résonance. Les prisonniers, dans ces révoltes ou actions collectives, ne remettent généralement pas en cause en tant que telle la prison ou la justice. Ils demandent une amélioration des conditions de détention tout en prenant conscience de leur dignité bafouée.
Du côté militant, dans cette effervescence des années post 68, des remises en cause ont lieu, la critique de la prison et des institutions d’enfermement en général se radicalise, certains en viennent à critiquer le G.I.P. jugé trop réformiste. Parallèlement, ce mouvement militant commence à s’étioler, à se scléroser dans des groupuscules et à tourner à vide sans aucune assise populaire. Fin 72, le "Secours rouge" disparaît.
- Voir les 4 brochures Intolérable (1971-1972) diffusées par le GIP
[1] Texte extrait de Courant alternatif n° 48, Été 1985.