
Présentation
Le Père Peinard voit le jour le 24 février 1889.
C’est Émile Pouget qui en est à l’origine.
Quelques mois auparavant, il avait édité, pour l’élection législative partielle du 27 janvier, une affiche, Le Père Peinard au populo.
Hebdomadaire anarchiste, il se distingue des autres journaux libertaires (comme la Révolte, les Temps Nouveaux et le Libertaire qui utilisent une langue plus convenue) par l’utilisation d’un personnage, le Père Peinard, un cordonnier, un gniaff, qui écrit en langage populaire des ouvriers des faubourgs parisiens et adresse ses réflexions (ses réflecs) hebdomadaires, à son lectorat.
Ce journal est le premier à systématiquement rendre compte au niveau national de l’agitation sociale en France, et aussi le premier à donner une large place au monde paysan.
Son contenu est caractérisé bien plus que par son seul style. Le Père Peinard est sans ambiguïté. Les propos sont clairs et incisifs, avec un seul but : aider les mistoufleux, qu’ils soient ouvriers ou travailleurs de la terre, à se rebeller, à s’organiser contre la bourgeoisie, les patrons, l’armée, la justice, la religion, à lutter contre le capital, la duperie du suffrage universel et du parlementarisme.
Misère du peuple, luttes ouvrières, monde paysan, premier mai, grève générale... autant de thèmes déclinés en pamphlets, chroniques, évocations historiques, romans didactiques de propagande ainsi que dessins, poèmes et chansons, avec le ton et le style propre au Père Peinard, seront les caractéristique de cet hebdomadaire. [1]
Mais quelles que soient leurs formes, leur support (numéros spéciaux, journaux à afficher,...), ces écrits n’auront qu’un seul et unique but : saisir l’opinion, réveiller le populo en vue de ce que Le Père Peinard appelle le commencement de la fin.
Parutions
Le journal paraitra de 1889 à 1902, en tout 406 numéros (dont 2 sans numérotation, parus en 1897) sous divers formats. L’aventure du Père Peinard durera 13 années [2], qui se répartit sur trois périodes [3] :
— La première période couvre les années 1889 et suivantes, jusqu’au numéro du 21 janvier 1894. Seront publiés 253 numéros hebdomadaires (dits 1ère série) ainsi que 11 suppléments qui paraîtront surtout en période électorale, sous forme d’affiches.
N°1 du 24 février 1899 (an1) au n° 253 du 21 janvier 1894 (an VI).
Du n°1 au n°61, Le Père Peinard parait sous forme de petite brochure de 16 pages (avec 4 pages de couverture), de format 13 x 16,5 cm. A partir du n° 62, le format change : 16x22.5cm, et il n’y a plus de couverture.
Le 4 janvier 1891 (n°94), il passe à 8 pages, les textes sont sur 3 colonnes et son format grandit (24.5x32.5cm).
Le 1er janvier 1894 (n°198), son format grandit encore (27x36.5cm) ; et 2 affiches-suppléments seront éditées.
— La deuxième période s’écrit à Londres, lieu d’exil, où Émile Pouget rédigera en 1894, les 8 numéros du Père Peinard, dite La série londonienne (n°1 pour la deuxième quinzaine de septembre 1894 au n°8, deuxième quinzaine de janvier 1895 ; 30 pages puis 16 pages ; format 9.5x12.5 cm).
Ensuite viendra en mai 1895, l’intermède de La Sociale (76 numéros de mai 1895 à octobre 1896.)
— La troisième période comprend la série 2 et la série 3 :
La 2ème série : (format 28x38,5cm , 8 pages et sur 3 colonnes) ; paraitront 129 numéros du 25 octobre 1896 au 1er mai 1899 , avec trois affiches-suppléments (n°21, 79 et 83) , trois affiches insérées (n°81, 91 et 93) ; le journal aura 8 pages ; le format des n°111 à 126 sera de 31,5x46cm.
La 3ème série : composée de 15 numéros, (format 24,5x39cm, 8 pages) du 14 janvier 1900 au 21 avril 1900.
Et pour finir l’ultime numéro du 16 mars 1902 [4].
Le titre Le Père Peinard sera aussi décliné, toujours par Pouget, sous forme d’Almanach annuel (1894, 1896, 1897, 1898, 1899) ou alors de journal-affiche appelé Le Père Peinard au populo destiné à être collé sur les murs à l’occasion des campagnes électorales.
Sa Une est caractéristique, ses gérants sont multiples, et ses adresses aussi.
Sur la Une, à partir du n°62, 1ère série, une illustration représente le gniaff, assis à sa table de travail à l’intérieur de sa boutique. Elle est de Maximilien Luce [5], un vieil ami d’Émile Pouget. Ce dessin évoluera au fil des années.
Ses adresses seront multiples aussi allant du 16 rue du Croissant, au tout premier numéro, jusqu’au 123 rue Montmartre en 1900 ; adresses toujours sur Paris ; hormis bien entendu pour la série londonienne.
Multiples aussi les compagnons-gérants qui prêtent leurs nom pour que le journal puisse paraitre. Les condamnations (peines de prison et amendes) feront qu’ils seront nombreux, successivement, à occuper ce poste. Les premiers seront Lucien Weill, J. Bebin et Auguste Faugoux [6], suivront Gustave Mayence, Berthault, et Clair Joseph Sicard, Jules Dejoux, François Durey, Aristide Gardrat, Auguste Delale.
Le contenu
Les propos sont clairs, directs et imagés, inspirés du langage populaire de l’époque, et loin de tout académisme. Ils expriment le positionnement de classe d’Émile Pouget, ce dernier appelant un chat un chat et ne se perdant pas en considérations oiseuses.
Il utilise le parlé des travailleurs et revendique le droit d’écrire comme son Père Peinard parle, refusant l’adjectif d’argotique pour qualifier ses propos.
Le principal rédacteur en est Émile Pouget, en tout cas au début ; ensuite se sont ajoutés ponctuellement Aristide Gardrat [7] et aussi H. Beaujardin, qui signait le Père Barbassou dans la rubrique Babillarde d’un campluchard [8]. D’autres noms apparaissent (comme Léon Leauthier [9]), mais la plupart du temps, par souci de sécurité, les articles ne sont pas signés.
Il y a aussi les correspondants, compagnons anarchistes présents sur le terrain, dans les villes et les campagnes, qui signaient leurs articles de pseudos.
De numéros en numéros, la rubrique Babillardes (courrier des lecteurs) s’étoffe. Les courriers se multiplient et Pouget a parfois du mal à y faire face. Le 29 avril, il écrivait : "Le peinard de Besançon et tous les copains...rouspétez pas ! Ça passera au prochain numéro ; y a inondation de copies !"
Ses lecteurs sont les sans travail, les ouvriers des usines, les compagnons des ateliers, mais aussi les trimardeurs, les paysans, les soldats.... Le Père Peinard est la tribune de la nébuleuse anarchiste.
A travers ses rubriques Les grèves ou Le Père Peinard en province, l’hebdomadaire se fait l’écho des luttes de l’époque. Les manifestations du premier mai seront l’occasion d’appeler à la grève générale.
Sa rubrique Communications est un outil au service des groupes anarchistes qui se servent du journal comme boîte aux lettres pour y annoncer leurs réunions, ou même parfois lancer des messages individuels.
Le milieu rural n’est pas oublié par Le Père Peinard , les paysans étant une des clés, comme l’hebdomadaire s’en expliquera souvent, pour que la Sociale puisse un jour aboutir. Grâce aux colporteurs et aux trimardeurs, Le Père Peinard s’infiltre dans le plus petit patelin, au plus profond des campagnes.
Si le fond des propos est clair, la forme ne l’est pas moins.
Ses articles sont classés en rubriques, parfois surmontées de vignettes illustrées par Luce. Pour étayer ses propos, Pouget fait appel à des amis dessinateurs Ibels, Maximilien Luce, Georges Pissaro, Lucien Pissaro, Willette, Constantin Meunier, et Paul Signac. Leurs dessins sont publiés en pleine page.
Le Père Peinard se sert des dates anniversaires pour évoquer des faits historiques (Commune de 1871, centenaire de la révolution française, ...)
Pour expliquer à ses lecteurs comment il voit la société idéale, Pouget fait appel à la structure romanesque, publiant des feuilletons qu’il rédige : Le musée des horreurs (numéro 24 du 4 août 1889 au numéro 34 du 13 octobre 1889) ; Mr Dugourdeau à la recherche du meilleur des gouvernements, (numéro 35 du 20 octobre 1889 au n°70 du 20 juillet1890 ; Les aventures du Père Peinard en 1900 (de septembre 1890 à février 1891 ), etc. On trouve aussi des chansons et des poèmes.
Biographies [10]
- Emile Pouget et présentation d’Emile Pouget dans les Hommes du jour, paru en 1908
- Henri Beaujardin
- Aristide Gardrat
Quelques brochures signées par Emile Pouget :
- L’action directe
- Les bases du syndicalisme
- La CGT
- Le sabotage
- Le parti du travail
- Le syndicat
- Variations guesdistes
Autres publications d’Emile Pouget
- L’Almanach du Père Peinard
- Le journal La Sociale (1895-1896) qui fut publié entre la série londonienne et la deuxième série.
Sommaires
Nous signalons aux lecteurs que nous avons rédigé des présentations particulières pour chaque série du Père Peinard.
- Sommaires de la dite première série :
- Sommaires de la dite série londonienne
- Sommaires de la deuxième série :
- Sommaires de la troisième série
[1] Lire en particulier : Comme quoi le Père Peinard se fout journaliste - n°1 du 24 février 1889.
[2] Son tarif n’évoluera jamais... 2 ronds (2 sous ou 10 centimes).
[4] Que nous n’avons pas.
[5] Peintre, illustrateur et dessinateur engagé dans la mouvance anarchiste et adepte, comme Paul Signac et Camille Pissaro, des sensibilités post-impressionnistes. Il sera emprisonné dans le cadre de la répression des anarchistes suite aux lois scélérates ; il collaborera aussi à la revue Les Temps nouveaux de Jean Grave, et réalisera, au début du 20ème siècle, une série de tableaux ayant pour thème la Commune de Paris.
[6] Faugoux, avec trois autres compagnons (Etiévant, Chevenet et Drouet) sera condamné en 1892 à 20 ans de travaux forcés pour avoir été complice de Ravachol dans un vol de cartouches de dynamite à Soissy sous Etiolles. Il mourra au bagne de la dysenterie en 1894.
[7] Émile Pouget. Le Père Peinard. Tome 1. Février-juillet 1889, n° 1 à 23. Édition de Denis Delaplace. Paris, Garnier (Classiques de l’argot et du jargon).
[8] On dirait aujourd’hui "lettre d’un paysan" ou encore "billet d’un paysan". Le mot babillarde ayant plusieurs sens - comme "montre", "pendule" - selon les dictionnaires du jargon parisien ou de l’argot consultés.
[9] N° 244 du 19 novembre 1893.
[10] Toutes ces biographies sont extraites du Maitron et du dictionnaire international des militants anarchistes.