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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Liberté (1958-1971)

Présentation

Créé en janvier 1958 par Louis Lecoin, et parti, comme prévu, avec lui en juillet 1971 lors de son décès, ce journal de combat a cessé de paraître il y a plus de cinquante ans. Autant dire que ses derniers abonnés ne doivent plus être très nombreux.

Pour l’évoquer, le témoignage le plus fiable dont nous disposons, est celui de Pierre-Valentin Berthier, disparu, lui, en 2012.

En 1997, le groupe Maurice Joyeux, de Paris, lui a demandé de préfacer la brochure qu’il préparait : "Gaston Leval et Défense de l’Homme. Première partie : 1949-1956."

Cette préface est très claire sur l’histoire de ces deux périodiques créés par Louis Lecoin, très honnête et juste, et elle constitue l’essentiel de ce que nous pouvons dire.

Dans les deux cas, P.-V. Berthier a donné un article du numéro un, jusqu’au dernier. 177 pour Liberté, (13 ans de parution) ; 304 pour Défense de l’Homme (28 années de parution).

Proche collaborateur et ami, tant de Lecoin que de Dorlet, Berthier a toujours milité dans l’intérêt du mouvement anarcho-pacifiste.

Au sujet de la "passation de pouvoirs" à Défense de l’Homme, en 1955, voici ce qu’il écrivait dans la préface que nous évoquons :

"La revue mensuelle Défense de l’Homme, d’où sont extraits ces textes de Gaston Leval, a paru sans interruption d’octobre 1948, date du numéro 1, à mai-juin 1976, date du numéro 314.

Bien que ce numéro 314 annonce : "Le numéro 315 paraîtra en septembre" et fasse appel encore aux "nouvelles adhésions", que les rats de bibliothèque ne s’y trompent pas : ce fut bel et bien le dernier. Louis Dorlet, qui l’éditait alors, se bornait à signaler qu’en raison de son état de santé la continuation de la revue obligerait à trouver des solutions pratiques.

Défense de l’Homme, à laquelle le signataire de cette préface a collaboré du premier au dernier numéro, avec fort peu d’interruptions, n’a jamais porté d’étiquette, mais, en gros, elle exprime synthétiquement les divers aspects de l’idéal libertaire, dont elle fut, dans le domaine de l’écrit, un instrument de pensée et de combat.

Elle fut fondée par Louis Lecoin (1888-1971), militant anarchiste et syndicaliste que douze années passées en prison n’avaient point, comme on dit, "rangé des voitures", et qui, dès le numéro 1, émit cette promesse : "Nous dirons toujours ce que nous pensons." Il conserva la responsabilité de Défense de l’Homme jusqu’au numéro 80 de juin 1955."

Quant à la naissance de Liberté, son explication est aussi claire :

"A la fin de 1956, Marie Morand, la compagne de Lecoin, mourut subitement. Ancienne militante du syndicat des postiers, plusieurs fois sanctionnée à cause de son dévouement à la cause ouvrière, elle avait secondé activement Lecoin. Elle disparue, il ne put supporter longtemps une vie végétative et demanda à Dorlet de lui rendre Défense de l’Homme, mais Dorlet s’était attaché à un périodique devenu pour partie son œuvre : il refusa.

La bonne entente n’en souffrit pas entre les deux hommes. Lecoin, simplement, fonda un nouvel organe, Liberté, dont il fit le fer de lance de sa campagne en faveur de la reconnaissance légale de l’objection de conscience, campagne dramatisée par vingt-deux jours de grève de la faim et achevée par le vote du statut du 22 décembre 1963 [1].

Pendant ce temps, Dorlet continuait de publier Défense de l’Homme. Le siège en était maintenant son propre domicile, une maison qu’il avait construite de ses mains à Golfe-Juan. Ce dernier transfert eut lieu en juillet 1961, date du numéro 153. Dorlet a donc édité la revue pendant vingt et un an, de juillet 1955 à juin 1976."

Liberté est un journal de huit pages, en format 29 x 41cm, "l’hebdomadaire de la paix paraissant le vendredi" avec comme exergue : Tout ce qui est humain est nôtre". Puis paraissant tous les quinze jours à partir du numéro 25 du 25 juillet 1958, bien que toujours indiqué "hebdomadaire" jusqu’au 38 (23 janvier 1959) ; puis à partir du 39 (6 février) il paraît tous les mois (mais encore indiqué "hebdomadaire") ; puis à partir du numéro 40 c’est indiqué "tous les mois" ; puis "social, pacifiste, libertaire", paraissant tous les mois avec le numéro 40 du 15 mars 1959. Le journal est illustré abondamment par des dessinateurs du Canard Enchaîné comme Grum, H. Monier, Moisan, Pol Ferjac, Grove et ce jusqu’au numéro 69 d’août 1961.

Le but initial de Louis Lecoin et du comité de 12 personnes [2] qui appuie la création du journal ainsi que son secrétaire adjoint Pierre Martin est l’obtention d’un statut pour les objecteurs de conscience [3] qui croupissent des années en prison, en attendant que l’armée leur propose à nouveau un uniforme qu’ils refusent, puis retournent en prison. Il faut rappeler qu’en 1958, il y a 90 objecteurs en prison, dont 2 protestants, 2 catholiques, 2 athées et 84 Témoins de Jéhovah. Edmond Schaguené, dont la photo figure en page 1 du premier numéro a passé 9 ans en prison et sera libéré au mois d’août 1958. Puis au mois de septembre 1958 seront libéré les objecteurs ayant fait plus de 5 ans de prison.

Une proposition d’un statut pour les objecteurs de conscience est rédigée par Albert Camus le 15 septembre 1958 et signé par les 12 membres du comité [4]. Mais elle est refusée par le gouvernement tant que la guerre d’Algérie continue. Le 1er mars 1962, Lecoin pose un ultimatum : "avant 3 mois, les objecteurs de conscience recouvreront la liberté" [5] puis, n’ayant pas de réponse ferme, il entame une grève de la faim - à 74 ans ! - le 1er juin, qui durera 22 jours. C’est une victoire apparente car le statut des objecteurs est mis de côté alors que certains ministres et De Gaulle le soutiennent. Les objecteurs restent en prison. Malgré des démarches, des lettres pour faire avancer la cause des objecteurs, rien ne se passe, alors une nouvelle grève de la faim est annoncée pour le 23 août 1963, qui, au dernier moment, sera annulée, car le 21 août le gouvernement annonce qu’il demandera à la rentrée parlementaire de l’automne de voter le statut définitif. Ce qui sera chose faite avec l’adoption d’une loi le 23 décembre 1963. Le 24 décembre, tous les objecteurs sont libérés.

Lecoin continuera d’utiliser Liberté dans le cadre d’autres campagnes dont celles contre la peine de mort ; contre l’esclavage dénoncé alors par un jeune militant André Chalard ; contre le régime franquiste et pour l’Espagne libre ; pour le planning familial et la libre contraception et toujours pour la paix et le désarmement unilatéral.

Le nombre de signataires d’articles est impressionnant. On retrouve un certain nombre d’habitués des journaux "frères", et des inconnus, des éphémères et des constants. Toutes les plumes pacifistes de l’époque, ou presque, ont signé des articles dans Liberté.

L’ensemble des 180 numéros de ce journal exceptionnel, constitue une mine d’informations pour qui veut approfondir ses connaissances sur le pacifisme, l’anarchie, et les prémisses de l’écologie.



Document

  • Louis Lecoin, Le Cours d’une vie, Paris, 1965
Notes :

[1Le statut des objecteurs de conscience, histoire d’une obstination.
Le premier numéro de Liberté en janvier 1958 s’ouvre sur une photo d’Edmond Schaguené, objecteur de conscience en prison depuis 9 années. Celui-ci sera libéré au mois de septembre suivant, le Général de Gaulle étant arrivé au pouvoir en juin de la même année. De ce premier numéro jusqu’au N°157 en 1969 la cause des objecteurs de conscience est la raison principale de l’existence de ce journal qui se confond avec la lutte de Louis Lecoin pour l’existence d’un statut pour ceux qui refusent de servir dans l’armée et simultanément pour la libération de ceux qui se trouvent en prison.
Il est possible de diviser cette période en deux parties, avant et après le statut. Celui-ci est obtenu par un acte de force, Louis Lecoin entamant une grève de la faim à mort. Celle-ci dure 22 jours à partir du 28 mai 1962. Le statut est voté par le Parlement en Janvier1964 (N°99). Les objecteurs en prison ont été libéré le 24 décembre. Au mois de mai 1964 les premiers objecteurs bénéficiant du statut sont incorporés dans la Protection civile à Brignoles dans le Var (N°103). Avec beaucoup de péripétie ce statut, modifié à plusieurs reprises va fonctionner jusqu’à la suspension du service militaire par le Président Chirac le 28 octobre 1997.
La lecture attentive des articles de Liberté concernant les objecteurs de conscience révèle en fait une mécompréhension de Louis Lecoin envers les objecteurs. Celle-ci s’exprime en deux temps. Il y a d’abord du fait de l’irruption de l’Action Civique Non-violente dans le combat une incompréhension totale de la part de Louis Lecoin envers l’ACNV qui est pour lui constituée de croyants (vrai pour partie) et vis-à-vis de la non-violence qui lui est complètement étrangère. A cela il faut ajouter la solidarité du bout des lèvres du monde anarchiste réellement hostile à ce type de refus des armes.
Après le début du service civil, devant la répression suites aux grèves de Brignoles Louis Lecoin sera solidaire (N° 103 à 124). Mais dès le commencement de Brignoles, si les Objecteurs de conscience jouent le jeu, ceux qui en leur sein incarnent la partie radicale est foncièrement hostile à l’idée même d’un service national. Ce que L. L. ne comprend pas. Il a rêvé de camps d’où les Objecteurs de conscience pourraient “partir en guerre” contre la guerre. ( N°154 à 157)
Il y a donc bien eu obstination dans le cas de Louis Lecoin, victorieuse en ce qui concerne l’obtention du statut qui permet la sortie des prisons de nombre d’objecteurs, et obstination dans son incompréhension de ce qu’était cette nouvelle génération d’objecteurs pour qui primait seulement le refus de l’armée. Bibliographie : Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie.

[2André Breton, Ch. Aug. Bontemps, Bernard Buffet, Albert Camus, Jean Cocteau, Jean Giono, Lanza del Vasto, Henri Monier, l’abbé Pierre, Paul Rassinier, le pasteur Roser, Robert Treno.

[3Nous signalons que la lutte pour un tel statut remonte aux années qui ont suivi la première guerre mondiale. Une Ligue pour la reconnaissance de l’objection de conscience - Décembre 1923. Son objectif : "Faire légitimer par l’Etat, en temps de paix, comme en temps de guerre, le refus de porter les armes, de "servir" pour l’Individu à qui ses opinions philosophiques, morales ou religieuses interdissent un tel acte. C’est une formule générale, car le mouvement ne doit pas être accaparé par une doctrine quelconque. C’est une formule essentiellement individualiste, qui met l’individu en face de l’Etat, et non une théorie en face d’une autre théorie." Le Semeur de Normandie n° 7 - 3 Janvier 1924.

[4Liberté n° 31 du 17 octobre 1958.

[5Liberté n° 76 du 1er juin 1962.

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