
par ArchivesAutonomies
Quotidien. Une feuille grand format, six colonnes à la page. Prix : 10 centimes. Rédacteur en chef : Lissagaray. Principaux collaborateurs : Henry Maret [1] et Edmond Lepelletier [2]. Huit numéros parus du 17 au 24 mai. Principales rubriques : un éditorial, un bulletin militaire, des nouvelles, et un article "Au délégué de la Guerre" dans lequel, chaque jour, le journal expose ce qui lui paraît de nature à consolider la défense de Paris. Dans le n° 1, sous le titre "Parler haut !", Lissagaray écrit : "Où en sommes-nous ? Vingt et un membres de la Commune publient un manifeste qui est presque une démission…" Pourquoi ? dit-il. Par peur de la dictature du Comité de Salut public. Mais qu’importe la dictature pourvu que l’efficacité et la force en soient grandies !" Et il ajoute, s’adressant au Comité : "Le Comité de Salut public de 93 élevait l’incapacité ou l’incurie dans le commandement à la hauteur de la trahison ; de toutes les traditions de cette dictature, c’est la seule aujourd’hui que nous voulons." Dans la rubrique "Au délégué de la Guerre", le journal demandera successivement l’arrestation de tous les galonnés qui traînent dans les cafés, la construction de barricades transversales, l’utilisation de chalands à pétrole pour enflammer la Seine, l’armement de tous les bataillons avec des fusils à tir rapide, la préparation de fougasses et de torpilles… Dans le n° 4, un éditorial violemment anticlérical de Lissagaray : "Les Iscariotes de la République se lamentent sur les perquisitions opérées dans les couvents. On trouble les consciences, disent-ils. Taisez-vous, traîtres, on ne trouble que les débauches…" Dans le n° 5, Lissagaray félicite le Comité central de s’être mis à la disposition du Comité de Salut public. Dans le n° 6, sous le titre : "Plus bas que l’Espagne", il explique que si Paris s’écroule, la France va se trouver en proie aux mêmes désordres que l’Espagne où la guerre civile règne depuis cinquante ans sans qu’il y ait ni vainqueur ni vaincu. Le n° 7 (il est faussement numéroté 6) annonce l’entrée des Versaillais dans Paris. Sur toute la largeur de la page : "Paris était imprenable. Il a été trahi par l’incapacité de ses chefs. Oublions tout, sauf une chose : si le peuple succombe aujourd’hui, l’Empire est fait." En gras, au-dessous et sous le titre "La Résistance" : "La résistance s’organise. Il est temps. Les barricades s’élèvent ou se compliquent dans les faubourgs. Le quartier général de Dombrowski est aux Batignolles. On fortifie à la hâte la place Clichy et la place Pigalle. Montmartre a compris qu’il était désormais la citadelle de Paris. Il y a du courage et de l’intelligence, et c’est le peuple entier qui se bat." Plus loin : "On ne s’étonnera pas de ne pas trouver l’article dans le numéro du journal. Le seul Tribun digne du peuple, aujourd’hui, c’est le canon." Le n° 8 ne comporte que deux colonnes en gros caractères. Dans celle de droite, les dernières nouvelles ; dans celle de gauche, les proclamations de Delescluze et du Comité de Salut public, précédées de ces lignes de Lissagaray : "Voici la vraie situation sans exagération. Ne faisons pas au peuple l’injure de l’encourager. Il veut désormais des bulletins, non des proclamations. A la stupeur a succédé la colère. Au feu maintenant ! Il ne s’agit plus de crier : Vive la République ! mais de la faire vivre !"
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Une courte biographie de Lissagaray Prosper Olivier né à Auch, Gers, 1838 et mort à Paris, 1901. [3]
Après de brillantes études classiques et un voyage en Amérique, il vint s’installer à Paris, en 1860. Il créa une sorte d’université populaire, où il donnait des conférences sur la littérature, puis édita une Revue des cours littéraires. En août 1868, il fonda à Auch un journal, L’avenir, où il critiquait l’Empire. Il se battit en duel avec le député bonapartiste Paul de Cassagnac, qui était son cousin. Ensuite amendes et peines de prison ne cessèrent de pleuvoir sur lui, tantôt pour diffamation envers l’Etat, tantôt pour "excitation à la haine du Gouvernement". Le 10 mai 1870, il passa en Belgique pour échapper à un condamnation plus grave : un an de prison. Il rentra après la chute de l’Empire et fut nommé par Gambetta commissaire de Guerre à Toulouse. Il se rendit à Paris le 18 mars, mais ne devint, dit-il, "ni membre, ni officier, ni fonctionnaire, ni employé de la Commune", qu’il se contenta de servir comme journaliste en lançant l’Action, puis le Tribun du Peuple et comme combattant, en faisant le coup de feu sur les barricades durant la Semaine sanglante. Il se réfugia d’abord en Belgique, où il publia les Huit journées de mai derrière les barricades (Bruxelles, 1871), première esquisse de son histoire de la commune, puis en Angleterre, où il donna des leçons et des conférences. Il fréquenta la maison de Karl Marx à partir de 1874, et il semble qu’il y ait eu des projets de mariage entre lui et Eleanor [4], la troisième fille de Marx. Rentré à Paris après l’amnistie, il créa un journal, la Bataille, qui eut deux séries : 1882-1885 et 1888-1893. Il combattit pour le socialisme, sut dénoncer le général Boulanger et défendre Dreyfus, mais sans jamais adhérer à aucun parti. Ses amis l’ont décrit fier et hautain, emporté aussi, intransigeant surtout : esprit célibataire en somme, qui resta en marge faute de pouvoir concilier la liberté et l’autorité. Son Histoire de la Commune de 1871 (Bruxelles, 1876 ; réédition augmentée, 1896) est non seulement la meilleure histoire de la Commune par la rigueur de l’information, mais aussi son "Livre", celui où elle survit telle qu’en elle-même il l’a changée en l’écrivant.
Ces deux textes ont été rédigés par Bernard Noël dans le livre Dictionnaire de la Commune.
Cette numérisation a été effectuée par la Bibliothèque Nationale de France et transmise par l’auteure du blog macommunedeparis. Qu’elle en soit remerciée ici.
Numéros du Tribun du Peuple
- Le Tribun du Peuple n°1 – 17 mai 1871
- Le Tribun du Peuple n°2 – 18 mai 1871
- Le Tribun du Peuple n°3 – 19 mai 1871
- Le Tribun du Peuple n°4 – 20 mai 1871
- Le Tribun du Peuple n°5 – 21 mai 1871
- Le Tribun du Peuple n°6 – 22 mai 1871
- Le Tribun du Peuple n°7 – 23 mai 1871
- Le Tribun du Peuple n°8 – 24 mai 1871