par ArchivesAutonomies
Dans tous les métiers les ouvriers sont emmanchés les uns au-dessus des autres, de manière à les faire se jalouser mutuellement. Ce truc-là réussit aux patrons, nom de dieu ; les copains se chamaillent et en arrivent à se faire des méchancetés.
Au lieu d’être unis comme des frères dans la misère commune ; au lieu de se sentir les coudes afin de pouvoir mieux tenir au patron, les pauvres bougres se reluquent avec des yeux en boule de loto et veulent se commander entre eux.
Ça va bougrement loin, des fois ; la haine entre ouvriers pousse dans des cœurs où il ne devrait y avoir que la haine des singes.
Oui, nom de dieu, cette sale manie du commandement est pour beaucoup dans notre mistoufle. Partout elle crée des zizanies.
Dans les ateliers y a pas jusqu’à un apprenti, qu’a un mois de la boîte qui n’ait envie de commander au gosse entré de la veille.
Dans les magasins c’est pareil ou même pire, nom d’une bombe ! Un commis fait ses épates parce qu’il touche à la fin d’un mois cent sous de plus que son copain — il donne des ordres avec un air de tranche-montagne qui lui va comme un tablier à une vache.
Ah, les salops de patrons sont à la roue ! Ils connaissent le fourbi et ils savent que le plus sûr moyen d’être les maîtres c’est de faire naître entre leurs esclaves des piques, des envies, des jalousetés et toute la kyrielle dégoûtante des rosseries.
"Faut diviser les ouvriers pour régner sur eux et les mener comme des couillons par le bout du nez !" C’est le truc dont se servent les gouvernants avec leurs coteries politiques. C’est le truc qui réussit aux singes avec les haines d’atelier.
A preuve, le flanche que m’envoie de St-Ouen un copain qui bûche dans une verrerie.
" Travaillant à quatorze sur le même chantier nous sommes hiérarchiquement classés, qu’il dit. Donc, le premier ouvrier remplit les fonctions de chef de chantier tout en turbinant comme les autres.
" On est tous payés au mois, seulement on a une tâche à remplir ; une fois le maximum fixé par le patron atteint, le premier ouvrier consent à ce que l’on s’arrête — à condition de ne pas se faire piper. Ceci dit j’arrive au fait.
" C’était la semaine dernière, nous avions commencé à midi ; vers une heure, un camarade va aux chiottes, peu après un autre copain, puis ça fut mon tour.
" Ça a fait gueuler le chef de chantier ; à mon retour il était en train de discuter avec le camarade parti avant moi, disant qu’on n’arriverait pas à remplir la tâche fixée.
" Le copain a répondu ; voilà que le chef de chantier déclare qu’il apportera un revolver et que si quelqu’un rouspète quand il fera des observations, celui-là sera sûr de recevoir une balle dans la peau..."
Hein, les camaros elle est chouette la réponse ! Nom de dieu, si ça ne fait pas bondir. Qu’est-il donc ce type qui manie les revolvers si facilement ? Un pauvre bougre comme les frères et amis ; un mistouflier, qui demain peut-être sera foutu à la porte par le singe, sans la moindre considération.
Voilà l’esprit du commandement, dans ce qu’il a de dégueulasse. Ce chef de chantier n’est pas plus que les autres, il trime comme eux, mais le singe lui a passé la main dans le dos, ça suffit pour en faire un garde-chiourme.
Les aminches, si nous voulons foutre à cul toute la tri-pouillerie patronale, faut nous débarrasser illico de cette dégoûtante rage du commandement.
Unissons-nous, nom de dieu, y a que ça de vrai !