par ArchivesAutonomies
Appel au prolétariat anglais, français et belge.
Prolétaires,
Dans un élan magnifique, le prolétariat allemand a liquidé en quelques jours le coup d’État des Kapp et des Luttwitz. La réaction des junkers a été brisée, grâce à l’intrépidité des masses qui se sont dressées comme un seul homme. Ces masses ouvrières, divisées en elles-mêmes, affamées et misérables, abattues par le régime Noske, dépourvues d’armes, privées de leurs meilleurs chefs se sont unies en un geste superbe de combat et ont fait preuve à l’heure suprême d’un esprit d’initiative et d’un courage admirables. Sans un instant d’hésitation, le prolétariat allemand a abandonné les usines, immobilisé les transports et les services publics ; il s’est procuré les armes qui lui manquaient et, se servant du fusil comme de la grève, combinant les deux grandes méthodes de lutte de la classe ouvrière, il a vaincu.
Dès le premier jour de la lutte contre le coup d’État des hobereaux, une autre lutte se dessine, comme une flamme qui brille plus vivement au milieu d’une grande lueur. Cette flamme, c’est la lutte contre le régime bourgeois servi par le gouvernement social-démocrate, la lutte contre la tyrannie et l’oppression capitalistes, pour la libération de l’exploitation du travail, pour le régime des conseils d’ouvriers et la dictature du prolétariat. Dans les faubourgs de Berlin, en Saxe, en Thuringe, en Wurtenberg, en Bavière, dans l’Allemagne entière, mais surtout dans le pays rhénan et la Westphalie, les conseils ouvriers surgissent et s’efforcent de prendre en mains le pouvoir. Les prolétaires s’arment, se groupent en Gardes Rouges, les villes industrielles de l’ouest deviennent autant de forteresses où la révolution sociale s’organise et se renforce.
En même temps, la vague révolutionnaire gagne les campagnes, des troubles agraires éclatent en Poméranie et en Mecklenbourg, tandis qu’une partie de l’armée, des marins et de la police se refuse à combattre la révolution. Le gouvernement Ebert affolé, voit le véritable adversaire, voit Spartacus vaincu, décimé, écrasé tant de fois, qui relève la tête, plus fort et plus menaçant que jamais. Il voit les grandes masses du parti socialiste indépendant mener le combat de front avec l’avant-garde communiste, il voit en mains endroits même les membres du parti social-patriote s’unir à eux pour les démonstrations, les grèves et la lutte armée. Et l’effroi du gouvernement augmente devant l’attitude de la bureaucratie syndicale, qui, bien à contre cœur et craignant d’être submergée par le flot révolutionnaire, exige la socialisation immédiate des mines, les désarmements des troupes, la création d’une milice, la participation au pouvoir de la commission centrale des syndicats : - exigences qui, quoique en réalité une manœuvre de la bureaucratie syndicale, montrent que celle-ci est obligée de faire certaines concessions aux aspirations générales des masses vers le système des soviets.
Laissant tranquillement la contre-révolution des hobereaux s’installer, se renforcer dans la Silésie et la Prusse orientale, cette Vendée allemande, Noske le bourreau, Noske le massacreur a concentré toutes les troupes fidèles à sa disposition contre la Westphalie et le pays rhénan, les grands foyers de la révolution sociale où elle gagne chaque jour en vigueur et en éclat. C’est là que se décidera la lutte entre le passé et l’avenir, c’est là que soit le capitalisme allemand recevra un coup mortel, soit la tentative grandiose des masses ouvrières pour prendre le pouvoir sera noyée dans un fleuve de sang.
Et tandis que les milliers et milliers d’ouvriers, concentrés dans ces nombreuses cités du pays rhénan ne formant qu’une immense agglomération industrielle, déjà ébauchant les formes politiques de la société nouvelle, rétablissent l’ordre, remettent en train les services publics, organisent la première armée rouge dans l’Europe occidentale, les chargés d’affaire des gouvernements anglais et français s’adressent au gouvernement Ebert pour le complimenter de sa victoire sur la "réaction" et lui offrent leur appui pour écraser la république communiste naissante — ainsi que Bismarck, il y a presque un demi-siècle, offrit son appui à Thiers pour écraser la Commune.
Devant l’ennemi commun : la révolution sociale, vainqueurs et vaincus oublient leurs divisions ; leur opposition d’intérêts s’efface devant l’intérêt général de la classe capitaliste, devant son instinct de conservation.
Déjà, Lloyd George, Millerand et Vandervelde passent l’éponge sur leurs différents avec la bourgeoisie allemande. Plus : ils s’apprêtent à verser le sang du peuple anglais, français et belge pour la sauver.
Déjà, les soldats anglais à Soligen ont aidé à écraser l’insurrection spartakiste.
Déjà, les commandants des troupes de l’Entente ont délibéré à Mayence sous la présidence de Foch sur les mesures à prendre contre le mouvement communiste dans le bassin de la Ruhr.
Déjà, le chargé d’affaires anglais a informé le vice chancelier allemand Schiffer que l’Entente ne livrerait ni vivres, ni matières premières à une république allemande des soviets.
Déjà l’Entente a permis que les troupes du gouvernement en marche contre l’insurrection communiste traversent le pays occupé et que celui-ci, dans l’attaque concentrée contre l’armée rouge, serve de base d’opération.
La solidarité unissant toutes les bourgeoisies, tous les militarismes est proclamée ouvertement, cyniquement, sans fard. Il s’agit de manifester aussi ouvertement, aussi fermement, la solidarité prolétarienne.
Prolétaires anglais, français et belges ; soldats et paysans, intellectuels laisserez-vous vos classes dirigeantes se servir de vous pour piétiner la révolution allemande ?
La révolution allemande — c’est là une façon de s’exprimer, une locution traditionnelle. Mais, à vrai dire, il n’y a pas de révolution russe, anglaise, française, italienne ou espagnole. Il n’y a qu’une seule révolution sociale comme il n’y a qu’une seule organisation capitaliste, comme il n’y a qu’un seul socialisme, un seul espoir des opprimés et des exploités de tous les pays.
Vos gouvernements savent que la République de conseils ouvriers établie en Allemagne, c’est l’accord de l’Allemagne avec la Russie soviétiste, c’est-à-dire le développement merveilleux de l’industrie et de la technique de l’une et les ressources immenses en produits agraires, en terres fertiles et en matières premières de l’autre s’unissant, se fondant, se fécondant réciproquement. Vos gouvernements savent que cet accord, c’est la révolution prolétarienne désormais invincible, tant par l’arme du blocus que par le fer et le sang. Ils savent que cet accord signifie l’évolution rapide et certaine de la production et de la culture communiste, son rayonnement tous les jours plus lumineux, plus serein, plus irrésistible vers les pays où le capitalisme immonde, puant la corruption et transpirant le sang, se débat encore dans une agonie horrible. Ils savent que le triomphe de la révolution en Allemagne entraînera immédiatement des mouvements révolutionnaires en Yougoslavie, en Pologne, dans les Balkans, en Italie, etc. Ils savent que si le capitalisme s’effondre dans l’Europe centrale, le capitalisme dans l’Europe occidentale est frappé mortellement. Ils savent, eux, que la révolution sociale est une, que l’écraser en Allemagne c’est l’écraser en germe dans leur propre pays.
Prolétaires français, anglais et belges, vous laisserez-vous encore une fois leurrer par vos classes dirigeantes ? Serez-vous les meurtriers de vos frères ? Préparerez-vous, en accomplissant cette abomination, votre écrasement de demain ?
Ou bien, saurez-vous mettre à profit les leçons de six années de souffrances inouïes, des expériences déchirantes par lesquelles a passé l’humanité ? Avez-vous compris la lumière qui vient de l’est, la lueur d’une espérance nouvelle, immense, a-t-elle dissipé en vous les brouillards de l’inconscience, purifié vos esprits et raffermi vos cœurs ?
Si oui, vous savez ce que vous avez à faire, à faire immédiatement, aujourd’hui même ; demain serait trop tard peut-être.
Il s’agit de refaire en grand pour vos frères allemands, avec infiniment plus de fermeté et de vigueur, le geste que vous avez ébauché pour vos frères russes et qui, quoique insuffisant et faible, a contribué à les sauver.
Prolétaires anglais, songez aux meetings tumultueux, superbes, du "Hands off Russia Committee" : ils ont été une force pour la levée du blocus.
Prolétaires français, songez aux marins de la mer Noire, aux dockers de Bordeaux : leur courage a contribué à la défaite des partisans de l’intervention militaire.
Ouvriers de l’Entente, déclarez hautement votre solidarité avec la révolution allemande. Exigez de vos gouvernements le rappel des garnisons du pays occupé.
Cheminots, refusez à effectuer aucun transport de troupes, d’armes ou de munitions vers l’Allemagne.
Tous, répondez à chaque tentative de vos gouvernements pour étrangler la révolution allemande en étendant et en renforçant votre propre activité révolutionnaire. Prouvez-leur que si la bourgeoisie internationale est une dans la défense de son ordre social ruiné et pourri, le prolétariat international est un dans sa lutte héroïque pour la délivrance.
Hardiment en avant, camarades !
C’est de vous que dépend en ce moment le sort de la révolution européenne, de votre courage, de votre initiative, de votre perspicacité.
Vive la révolution communiste en Allemagne !
Vivent la révolution mondiale, la république universelle des soviets !
Pour le Comité exécutif du Bureau Auxiliaire d’Amsterdam de la III° Internationale :
D. J. Wynkoop, Henriette Roland-Holst, S. J. Rutgers.