par ArchivesAutonomies
La mort du camarade Münch, secrétaire du parti socialiste du canton de Berne, survenue pendant un bain à la suite d’une rupture d’anévrisme, est une perte sérieuse pour les communistes suisses, et l’Internationale Communiste perd en lui un de ces chaînons robustes et vivants qui nous unissent, en dépit du blocus, du boycottage et des barrières élevées par l’espionnage policier, au mouvement grandissant du prolétariat suisse.
Par l’histoire même de sa vie, Eugène Münch est bien le type de l’ouvrier socialiste suisse. Prédestiné à gagner sa vie par un travail assidu et pénible (il était métallurgiste) et à lutter contre des difficultés sans nombre pour nourrir sa nombreuse famille, il n’est pas venu au socialisme d’emblée et sans lutte, mais préalablement il a passé par plusieurs stades ; d’abord simplement membre de l’organisation professionnelle de son métier, il devint ensuite un organisateur. Après avoir débuté comme petit reporter, il devint ultérieurement rédacteur de journaux professionnels. D’abord simple membre du parti, il acquit progressivement, par de nombreuses et consciencieuses lectures, des idées générales et aussi la confiance d’un nombre toujours plus grand de camarades et d’organisation, et il fut appelé à un poste de responsabilité, celui de secrétaire du canton de Berne, le second canton en importance par le nombre des membres du parti. Il s’y distingua par un travail assidu et consciencieux, accompli avec un entier sentiment de sa responsabilité. Dépourvu de grands dons naturels, grâce à son labeur, à son désir de devenir ce qu’on appelle un homme, il est arrivé à un tel point de considération que sa mort a été ressentie et pleurée par des centaines de milliers d’ouvriers et de socialistes.
Voûté, de santé débile, la poitrine étroite, il était l’exemple vivant de ce que le capitalisme fait de l’enfant prolétarien. Condamné à un travail de forçat et sans beauté, ce fils des montagnes suisses, où la nature se montre si riche et si merveilleuse, s’est développé lentement, portant en lui le germe d’une maladie qui devait le rendre faible et chétif pendant, toute sa vie. Ajoutons que l’atmosphère antihygiénique qui l’entourait, la lutte précoce qu’il dut mener pour l’existence, un travail au-dessus de ses forces et de lourds soucis mirent toutes sortes d’obstacles à son développement intellectuel.
Mais c’est précisément ici que se révèle sa nature suisse et la force de son auto-éducation ainsi que la discipline intérieure et l’élan vers la lumière qui caractérisent tout prolétaire conscient. Chaque livre qu’il avait lu, chaque parcelle de science qu’il avait conquise, devenait partie intégrante de son individu. Chacune des notions qu’il acquérait devenait un des fils conducteurs de sa vie intérieure et extérieure.
Dès qu’il eut franchi le seuil du parti socialiste, Münch prit immédiatement position à l’extrême gauche du parti, dont le membre le plus éminent et le leader était alors cet homme richement doué qui s’appelle Robert Grimm. Pendant longtemps, Münch fut le disciple passionné, le collaborateur le plus proche et l’ami de Grimm et il soutint à ses côtés dans tous les congrès et toutes les réunions du parti aussi bien que dans le journal du parti et dans les unions professionnelles, la ligne de conduite qui se rapprochait le plus du marxisme. Ici, nous rencontrons encore un trait de caractère éminemment distinctif du prolétaire révolutionnaire ; dès que la révolution d’octobre eût montré au monde l’exemple de l’action révolutionnaire des masses des travailleurs, de la prise du pouvoir par le prolétariat et de la solution prolétarienne de toute une série de questions, Münch n’eut plus aucune hésitation. Sans se soucier de ses anciens maîtres et compagnons d’armes, il se mit à soutenir ardemment et sans réserves le pouvoir des soviets. Au plus fort de la réaction, qui prit dans ce pays de petits bourgeois un mode petit-bourgeois et caricatural et se manifesta par la persécution des ressortissants d’un pays étranger, voire même d’individus isolés, lorsque le berceau de la liberté et de la démocratie se mit en devoir d’"extirper la contagion russe" par des persécutions, des arrestations, des expulsions contre ceux qui la répandaient, l’humble militant, jusqu’alors relativement peu connu, prit une attitude nettement offensive. Bravant les nombreux ennemis des communistes russes, il mena une guerre de classe ouverte contre les classes dirigeantes et contre la pitoyable inertie dont faisait preuve l’opinion publique.
L’ardeur de la lutte, l’anxiété provoquée par le danger direct dont étaient menacées toutes les conquêtes du prolétariat, la solidarité avec les masses révolutionnaires éveillèrent pour ainsi dire, en les avivant, tous les traits essentiels d’un tempérament qui ne s’était pas encore révélé, et lui donnèrent la passion et le feu qu’il apporta désormais dans la défense de la cause commune.
Bien que Münch, le modeste secrétaire des organisations du parti en Suisse n’ait pas pris une part directe au mouvement international et n’ait pas été chronologiquement et personnellement de ce mouvement il est cependant devenu un des fossoyeurs acharnés de la 2e Internationale et un des maçons ardents de la IIIe, parce que, dans cette question, comme dans les autres, il voyait toutes choses à travers le prisme des intérêts du prolétariat et de l’avenir révolutionnaire de sa classe tout entière. Si la mort n’eût frappé, en août 1919, le camarade Münch, encore trop jeune pour mourir, à toutes les réunions du part ! et des ouvriers suisses, à toutes les discussions entre partisans et adversaires de l’action des masses pour la libération de ces dernières, partout où est engagée la lutte entre le passé, le présent et l’avenir, partout où s’impose la tâche de recruter de nouveaux adeptes au communisme, de nouveaux membres à l’Internationale Communiste, — la voix physiquement faible, mais politiquement et moralement puissante du lutteur prolétaire aurait fait taire tout opportunisme, toute hésitation et aurait continué à exciter les travailleurs suisses au combat, à les appeler à la victoire contre l’ennemi extérieur — la classe dominante — et contre l’ennemi intérieur — le réformisme, le nationalisme et, en général, l’opportunisme. Cette voix s’est tue trop tôt.