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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Vers l’orientation nouvelle du mouvement ouvrier - Varine
Bulletin communiste n°28 - 2 septembre 1920
Article mis en ligne le 11 avril 2020

par ArchivesAutonomies

La discussion est ébauchée dans le Parti socialiste sur l’adhésion à la 3e Internationale et les obligations qu’elle comporte. Les polémiques débordent le cadre et les organes du Parti pour gagner les milieux syndicaux, directement intéressés à l’action du mouvement spécifiquement socialiste ou communiste. La presse bourgeoise tout entière se mêle aux débats, ce qui n’est pas pour les clarifier. Il importe que les militants de la fraction d’extrême-gauche, qui sera demain la majorité du Parti, ne laisse pas déformer par des contradicteurs sans scrupules, au cours de la période de controverses qui s’étendra jusqu’au prochain Congrès, les conceptions de l’Internationale Communiste auxquelles nous entendons rallier les masses actives du monde ouvrier.

La presse bourgeoise s’est emparée triomphalement des déclarations et des articles des syndicalistes domestiqués pour annoncer que le prolétariat français est réfractaire au communisme. C’est ce que l’avenir nous dira. Les Jouhaux, les Dumoulin, les Laurent, les Merrheim, les Bidegaray, et autres renégats ouvriers de moindre envergure, ne représentent que la fraction de la classe ouvrière dont ils ont empoisonné l’esprit avec force mensonges et sophismes, et qui répudiera ses mauvais bergers à mesure que l’antidote de la vérité communiste pénétrera les masses. Les journaux bourgeois qui leur servent d’organes, la Bataille, l’Atelier, l’ Information ouvrière et sociale, dont les racines capitalistes et les attaches gouvernementales ne sont plus à dévoiler, peuvent poursuivre leurs campagnes contre-révolutionnaires, dénigrer la République des Soviets, calomnier les bolcheviks : le prolétariat secouera la tutelle des agents de la bourgeoisie qui le trompent et l’égarent, dès qu’il percevra, à la lumière de l’expérience et avec l’aide de son élite révolutionnaire, ses véritables intérêts de classe. Le Parti socialiste, transformé et régénéré après la crise qu’il traverse, sera aussi un puissant facteur de transformation et de régénération de l’organisation syndicale, dont la structure et la politique ne correspondent en rien aux conditions de lutte de classes où se trouve l’Europe d’après-guerre.

Il est visible que cette perspective effraie déjà les chefs syndicaux embourgeoisés, qui se sentaient un moment rassurés par l’emprisonnement de leurs adversaires les cheminots révolutionnaires, et qui doivent constater que l’hydre révolutionnaire a trop de têtes pour qu’il soit possible de l’exterminer même avec la collaboration du gouvernement, de la police et de la magistrature, sans laquelle les jaunes eussent été incapables de ressaisir la direction de la Fédération des cheminots, les majoritaires syndicaux doivent se préoccuper des progrès de l’idée communiste dans les syndicats, et se soucier de l’orientation nouvelle du Parti, dont ils craignent avec juste raison de graves conséquences pour leur hégémonie arbitraire. Aussi prennent-ils les devants et dénoncent-ils avec virulence "l’ingérence de la 3e Internationale dans le mouvement syndical, les manœuvres de division de Zinoviev, l’intrusion de la politique dans les syndicats", etc, etc.

Il ne sera pas difficile de faire comprendre aux ouvriers que la question ne se pose pas de faire de la politique ou de n’en pas faire, car c’est un fait que la majorité confédérale pratique une certaine politique. La véritable question est tout autre et se pose ainsi : "De quelle politique doit-on s’inspirer ? De la collaboration de classes ou de la lutte de classes ? Du réformisme ou du communisme ?" Quant à la "division" de la classe ouvrière, il sera non moins facile de prouver qu’elle n’est pas imputable à Zinoviev, mais à ceux qui ont trahi la cause prolétarienne et servi les intérêts bourgeois. La "division" existe, qu’on la constate ou non, et c’est parce qu’elle existe que les éléments les plus avancés du prolétariat font écho à l’appel de Zinoviev pour la formation d’une Internationale syndicale rouge, tandis que les éléments attardés restent, encore dans l’Internationale syndicale jaune en attendant que celle-ci subisse le sort de la 2e Internationale socialiste.

Il se trouvera dans la C.G.T. assez d’esprits éclairés, d’intelligences ouvrières ouvertes, pour grouper autour du noyau de la Vie Ouvrière une importante fraction d’avant-garde qui saura entraîner dans la voie où elle s’est engagée les masses encore hésitantes. Le Congrès Confédéral de septembre lui donnera l’occasion de développer son programme et de l’opposer aux reniements et aux capitulations de la majorité. Certes, il n’y a pas lieu d’attendre de ce Congrès un changement d’orientation de l’action syndicale, mais nous voulons croire qu’il sera, pour les révolutionnaires, le point de départ d’un effort de propagande et d’organisation systématique, méthodique, soutenu, dont les effets ne tarderont pas à apparaître.

Les révolutionnaires du Parti doivent apporter à l’œuvre de leurs camarades de la C.G.T. un concours dont nous pouvons préjuger l’efficacité d’après les criailleries de nos social-traîtres, qui ne se tiennent pas de rage à l’idée d une collaboration entre les extrême-gauches syndicale et socialiste. La fécondité de ce travail en commun se laisse trop aisément prévoir pour qu’il soit utile d’y insister ici.

Le Parti ne se laissera pas impressionner par les jérémiades hypocrites des politiciens qui parlent toujours "d’union nécessaire de toutes les forces socialistes et syndicalistes" comme s’ils ignoraient les raisons profondes des dissensions actuelles et comme s’il était possible de réaliser par un coup de baguette magique l’union d’éléments disparates, voire même antagoniques. Parler toujours de l’union comme d’une abstraction, sans dire qu’il s’agit d’unir les révolutionnaires aux contre-révolutionnaires, les rouges aux jaunes, les fidèles aux traîtres, c’est, ou se moquer délibérément de l’auditoire, ou se griser de paroles vides. L’union n’est possible qu’entre combattants de la même cause. L’unité du prolétariat ne se réalisera pas sur la simple injonction d’un Paul Faure, même en supposant que celui-ci recouvre le crédit qu’il a perdu, mais elle se constituera sous l’inspiration du communisme, sur le terrain du communisme, dans la lutte pour le communisme.

Les charlatans de l’"union de toutes les forces socialistes et syndicalistes" tiennent exactement le langage des zélateurs du "bloc des gauches" et des champions de la trop fameuse "union sacrée". Les uns et les autres invoquent, tout en les transposant, les mêmes sophismes pour "unir" des ennemis mortels, et toujours au bénéfice des exploiteurs dont ils présentent les intérêts comme concordant avec ceux des exploités. Ces duperies ne sont plus de saison. Le prolétariat a subi trop de cruelles épreuves pour se laisser berner par les pacificateurs qui lui démontrent doucereusement la nécessité de désarmer, tandis que ses ennemis décuplent leurs moyens d’oppression. Il soutiendra sans faiblir la lutte contre le patronat, contre le salariat, contre l’Etat bourgeois et contre les auxiliaires du capitalisme qui détiennent temporairement la direction du mouvement ouvrier.