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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Le congrès anarchiste – Émile Pouget
Le Père Peinard N°5 - Série3 – 12 Février 1900
Article mis en ligne le 1er février 2020
dernière modification le 24 janvier 2020

par ArchivesAutonomies

Les camarades n’ont sûrement pas oublié l’appel, lancé l’an dernier, en faveur d’un congrès largement ouvert où pourraient émettre leurs opinions, révolutionnaires et anarchistes.

D’ailleurs, pour ceux qui l’auraient oubliée, — ou ne l’auraient pas connue, — je republie ci-dessous la circulaire en question  :

AUX ORGANISATIONS OUVRIÈRES, SYNDICATS, BIBLIOTHÈQUES ET CERCLES D’ÉTUDES SOCIALES  ; AUX COMUNISTES RÉVOLUTIONNAIRES, AUX ANARCHISTES DE TOUS LES PAYS.

Camarade,

Les derniers Congrès internationaux : Paris 1889, Bruxelles 1891, Zurich 1893 et surtout les incidents du dernier congrès tenu à Londres en 1896, ont provoqué un certain mécontentement dans les milieux révolutionnaires des divers pays.

La social-démocratie, qui tend exclusivement à la conquête des pouvoirs publics, prétend représenter tout le socialisme et subordonner à ses buts électoraux tout le mouvement ouvrier. Elle a ainsi abandonné l’esprit révolutionnaire de l’Internationale dont elle ne peut plus se réclamer. Sous son influence, les congrès cités plus haut se sont occupés plutôt de mesures de législation que de questions de propagande socialiste.

L’intolérance de certains groupes a interdit à Zurich et à Londres l’accès du congrès à des fractions entières du socialisme international et a même exclu du congrès prochain tous les syndicats ouvriers qui ne déclarent pas reconnaître la "nécessité de l’action législative et parlementaire".

Il y a donc, à notre avis, nécessité de réunir en congrès international les groupes ouvriers, les socialistes révolutionnaires, les communistes anarchistes, pour s’entendre sur les moyens de combattre l’oppression économique et politique de la société actuelle et de détruire le régime capitaliste.

Après avoir consulté plusieurs associations ouvrières, révolutionnaires, ainsi que nombre de communistes de différents pays d’Europe et d’Amérique, nous avons pris l’initiative de provoquer  : UN CONGRÈS OUVRIER, RÉVOLUTIONNAIRE, INTERNATIONAL, et nous [1] de délégués en fixant sa date pendant la durée de l’Exposition de 1900. Un congrès corporatif doit avoir lieu à la même époque, et tant pour restreindre les frais des délégués que pour ne pas gêner les travaux de ce congrès, nous fixerons le nôtre immédiatement après le congrès corporatif.

Le comité d’initiative comprend des membres d’organisations ouvrières françaises et étrangères, des socialistes révolutionnaires et des communistes anarchistes.

Pour le Comité d’initiative  : F. DOMELA NIEUWENHUIS, FERNAND PELLOUTIER, ÉMILE POUGET.

Cet appel n’est pas tombé dans le désert. D’un peu partout les adhésions ont rappliqué, — principalement de l’Extérieur. Et il est compréhensible que les camarades éloignés aient fait connaître, les premiers, leur désir de participer aux travaux du Congrès  ; ils ne pouvaient attendre le dernier moment, car ils eussent risqué d’arriver trop tard.

Donc, du dehors surtout les adhésions sont venues  : en Bohême, en Portugal, en Italie, en Angleterre, en Belgique, aux États-Unis, etc., on s’occupe ferme du Congrès.

En France, jusqu’ici, une telle préoccupation semblait prématurée, — elle ne l’est plus maintenant.

* * *

Comme nous l’avons indiqué dans notre première Circulaire la tenue de ce Congrès doit — dans l’esprit des initiateurs, — coïncider avec celle des Congrès Corporatifs. Tout concorde à appuyer cette manière de voir  ; or, comme c’est en septembre que se tiendront les Congrès Corporatifs, c’est vers cette époque que devra s’ouvrir le nôtre.

Il n’y a donc pas de temps à perdre. L’heure est venue de nous décarcasser, et nous désirons que le Congrès anarchiste ait quelque relief et que, par les idées qui y seront discutées, il serve à activer le mouvement révolutionnaire.

Il y a d’autant plus nécessité de se hâter, que ce Congrès, d’allure toute nouvelle, ne devra ressembler "en rien" aux autres congrès. S’il devait être un pastiche des pétaudières parlementaires où le dada de tous est de faire prédominer sa propre conception, en étouffant celles du voisin, il serait inutile d’ouvrir une discussion pour se mettre d’accord sur ce que sera cette réunion. On connait assez le vieux système : la majorité fait parade de son nombre et étouffe la minorité qui, pour avoir voix au chapitre, boucane tant et plus.

Au Congrès anarchiste, il n’y aura rien de tel ! Et c’est pour cela qu’il est absolument nécessaire de s’entendre à l’avance sur les points principaux qui en fermeront la base, afin d’éviter le tohu-bohu et la confusion qui résulteraient forcément de ce congrès si, ceux qui y viendront, ne savaient pas à l’avance :

Primo, comment on y entrera ;

Deuxièmo, comment s’y passeront les discussions ;

Et troisièmo, quelles sanctions pourront ou ne pourront pas découler de ces discussions ?

* * *

Ces trois points, je me propose de les examiner à la queue-leu-leu.

Mais, pour que l’élucidation en soit complète, il est nécessaire que ma manière de voir ne soit pas la seule exprimée. C’est pourquoi, les critiques, les avis et les appréciations que les camarades voudront formuler seront accueillies dans le "Père Peinard".

La discussion est donc ouverte, — y participeront ceux qui le jugeront à propos, — et il est à espérer que, d’une discussion ainsi engagée, sortira une conception nette et précise.

* * *

Ceci dit, je vais — très brièvement, — indiquer de quelle façon on peut concevoir la solution des trois questions qui se posent.

L’entrée au Congrès

Il est évident que les camarades venus au nom d’un groupement seront admis d’emblée au Congrès. Sur ce point, il n’y a pas de matière à discussion.

Seulement, ce congrès n’ayant pas pour but d’imposer à des masses une conception uniforme, mais bien d’élucider des idées, d’échanger des appréciations sur des points de doctrine, de se familiariser avec des tactiques (de pratique courante dans certaines régions et pas dans d’autres), ce serait rétrécir considérablement le champ des discussions que de n’accorder la possibilité d’émettre leur opinion qu’à des mandataires de groupements.

Donc, il y aura au congrès deux sortes de participants :

Primo, les délégués de groupements ;

Deuxièmo, les camarades qui, en leur nom personnel, désireront prendre part aux discussions ;

Ceci nous amène, tout de go, à indiquer comment peut s’entendre le deuxième point :

L’allure des discussions

Dans un Congrès, semblable à ceux que nous avons coutume de voir ce mélange de délégués de groupes, avec des individualités venant exprimer une opinion personnelle, pourrait avoir des inconvénients. En effet, dans ces parlotes, les idées émises se jaugent habituellement, non à leur valeur, mais au nombre des voix qu’elles sont censées avoir derrière elles. Aussi arrive-t-il quelquefois qu’un délégué, désireux d’émettre des idées neuves, est obligé d’employer des petits trucs mesquins, il a soin de se munir d’un nombre respectable de mandats, afin que sa parole ait davantage d’autorité.

Et ce racolage des mandats ne se pratique pas qu’avec des intentions louables  !

Le Mahomet de Roubaix, Guesde, est fort au courant de ces manigances ; les fabricants de timbres en caoutchouc lui doivent une fière chandelle, car il leur a donné pas mal de travail, par la création de groupes fictifs, — dont l’existence se manifeste par une firme.

On serait donc mal venu de prétendre que l’entrée dans notre Congrès d’individualités parlant en leur nom unique faussera la discussion puisque (lorsqu’on ne se paie pas de mots et qu’on scrute les mobiles individuels) on constate que, dans les Congrès autoritaires. Cette façon de faire est courante. [2]

Seulement, nous nous distinguerons de ces parlottes en éliminant l’hypocrisie qui consiste en un tripatouillage et une distribution éhontée de mandats.

A notre Congrès, d’ailleurs, il n’y aura pas d’inconvénients à ce que des délégués de groupements collaborent avec des camarades sans mandat collectif, car la stupide division en majorité et minorité ne se produira à aucun moment : on ne légiférera pas et on ne formulera ni de décrétera une quelconque règle de conduite.

Votera-t-on  ?

Parbleu, non ! le vote n’ayant de raison d’être que pour dégager une majorité.

On se bornera à échanger des idées et nul ne sera assez prétentieux ni assez crétin pour chercher à imposer d’autorité ses façons de voir.

Cependant, quoiqu’on ne vote pas, on pourra fort bien chercher, sur chaque question, à dégager l’idée dominante des éléments participant au Congrès.

On n’émettra pas de votes, — on formulera simplement des éléments de statistique.

Ainsi, par exemple, il est probable qu’on désirera savoir dans quelles proportions l’idée de grève générale est acceptée — et comment elle est comprise.

Sur ce point particulier, les membres du Congrès diront leur opinion et les avis qui concorderont seront additionnés.

Mais cela n’impliquera pas que l’idée de Grève Générale, — fût-elle acceptée par les neuf dixièmes des Congressistes — doivent devenir un Credo obligatoire pour le dixième qui se serait prononcé contre.

* * *

Pour aujourd’hui, restons en là ! J’ai tenu à poser des jalons... Dans les prochains numéros, point par point, je reprendrai les questions indiquées ci-dessus et, si des camarades veulent mettre leur grain de sel dans la discussion, on causera.