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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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La dictature du prolétariat et les coopératives - Miasnikov
Bulletin communiste n°11 - 27 mai 1920
Article mis en ligne le 29 mars 2020
dernière modification le 10 février 2020

par ArchivesAutonomies

La décision des Alliés de lever le blocus de la Russie soviétique, a attiré l’attention sur les coopératives russes, avec lesquelles ils prétendent traiter directement, sans reconnaître le pouvoir des Soviets. Le fait que tout le commerce extérieur, importations et exportations, est nationalisé en Russie est déjà une preuve que les Alliés devront s’adresser au pouvoir soviétique. Mais les coopératives, avec lesquelles ils veulent traiter, sont elles-mêmes devenues un organe du pouvoir soviétique, le seul organe de répartition des produits. 

L’étude de Miasnikov, que nous publions et qui est de toute actualité, permettra à nos lecteurs de connaitre mieux le mouvement coopératif russe et son évolution jusqu’à sa transformation en un organe du gouvernement soviétique. Ils comprendront que la reprise des relations commerciales avec les coopératives entraîne la reprise des relations avec le gouvernement des Soviets. 

Les Coopératives ouvrières en Russie

On peut dire que jusqu’en 1905, il n’y eut, en Russie aucune coopérative ouvrière. Il existait bien antérieurement des sociétés de consommation mais elles appartenaient à d’autres groupes ; il y avait, par exemple, des sociétés de consommation d’officiers, de fonctionnaires de cheminots, de riches paysans. On avait ouvert aussi de petits magasins alimentaires dans les fabriques, mais Ils étaient dans la dépendance complète de la direction des fabriques et du patronat. Ces coopératives étaient dénommées justement ’’dépendantes’’. Le caractère des coopératives russes était donc purement bourgeois jusqu’en 1905.

En 1906, pour la première fois, des coopératives ouvrières ’’indépendantes’’ furent fondées à Petrograd. En 1908, eut lieu à Moscou le premier Congrès coopératif panrusse, auquel prirent part 800 représentants du coopératisme. Le congrès adopta le principe de neutralité des coopératives anglaises. La coopération ouvrière ne joua, au congrès. qu’un rôle secondaire ; le principal rôle était tenu par les coopératives bourgeoises et paysannes. Il en fut de même au deuxième congrès, à Kiev, en 1913. Le troisième congrès, en 1917, eut un caractère un peu différent. Une association centrale des sociétés coopératives y fut fondée ses tâches furent formulées ainsi par le congrès : "Comme organisation autonome, en dehors de tout parti, 1’association centrale aura pour tâche de mettre son travail et 1’activité des organisations coopératives réunies, en accord avec les autres organisations ouvrières qui conduisent au socialisme, c’est-à-dire avec le parti socialiste, les fédérations syndicales, les formes municipales de la vie économique, les entreprises d’éducation et les organisations d’entr’aide de la classe ouvrière." 

Le gouvernement démocratique bourgeois Lvof-Kerensky émit, le 20 mars1917 un décret détaillé et typique sur les coopératives de consommation et leur fédération. Ce décret était le résultat des trois congrès des coopératives de consommation. L’influence petite-bourgeoise sur le mouvement coopératif russe, dans lequel les coopératives ouvrières jouaient un grand rôle, devint la loi. Cette influence petite-bourgeoise fut exercée par les mencheviks, les socialistes-révolutionnaires, les "socialistes" sans étiquettes et les divers réformistes. Jusqu’à la révolution d’octobre, ce fut eux qui donnèrent la nourriture spirituelle au mouvement coopératif ouvrier.

Nous nous souvenons encore de la lutte qui eut lieu de 1907 à nos jours dans les coopératives ouvrières. En 1907 déjà, les mencheviks, en réservant complètement le mouvement ouvrier, avaient jeté toute leur attention sur les possibilités légales. Les journaux bolcheviks, Notre Echo, par exemple, s’opposèrent alors fermement à ces tendances.

En 1007, les communistes de notre parti, à Moscou et à Pétersbourg, menèrent une lutte désespérée contre les menées menchevistes, soi-disant socialistes, sur le terrain des coopératives. Les mencheviks demandaient aux ouvriers affamés de Pétersbourg de lutte contre la cherté de la vie par la formation de magasins coopératifs. C’était leur seul moyen ; le comité pétersbourgeois de notre parti disait au contraire : "Le seul moyen de lutte contre le renchérissement est l’action directe du prolétariat, l’organisation de démonstrations de masses et la présentation d’une résolution à la Douma par la fraction social-démocrate, proclamant que les magasins et les boulangeries soient organisés par les organes officiels des villes, pour le bien commun et placés sous le contrôle de représentants ouvriers." En même temps, une résolution concernant la question coopérative était votée dans une série de fabriques par les ouvriers de Pétersbourg. Cette résolution commençait par ces mots : "bien que nous reconnaissions que l’affermissement du mouvement politique et coopératif soit la tâche principale de ce moment, nous mettons en garde contre l’emballement pour les coopératives de consommation. Nous sommes contre leur fondation dans les endroits où il n’y a pas de mouvement de masses en leur faveur."

Les mencheviks saisirent ce prétexte pour soulever une tempête d’indignation non seulement dans leurs propres journaux, mais aussi dans toute la presse libérale. Les coopérateurs Totomianz, Terejaslawski et d’autres ne cessèrent d’insulter les bolcheviks et les ouvriers. Ainsi les coopératives ouvrières russes se trouvèrent, jusqu’à ces derniers temps, aux mains des libéraux et des socialistes petits-bourgeois.

La Révolution d’octobre et la Coopération.

Tel était l’état des coopératives en Russie au moment de la révolution d’octobre. Elles gardèrent leur esprit bourgeois encore après octobre - presque une année entière - jusqu’au troisième congrès panrusse des coopératives ouvrières ; une telle situation devait naturellement paraître anormale. Tandis que le pays se trouvait déjà sous la dictature du prolétariat, une forme du mouvement ouvrier se trouvait aux mains d’éléments qui étaient étrangers à la classe ouvrière : les coopérateurs petits-bourgeois.

Chose remarquable, les coopératives de consommation formaient la dernière forteresse de la réaction politico-sociale. Les ennemis du gouvernement des Soviets cherchaient de là à blesser au cœur la dictature prolétarienne. Le mot d’ordre de l’indépendance des coopératives ouvrières était encore énergiquement proclamé, mais ce1a signifiait en réalité sa complète dépendance à l’égard de la bourgeoisie et avait pour but la lutte contre le gouvernement des Soviets pour retourner à l’idylle de la propriété et du commerce privés. Le prolétariat pouvait-il se les concilier  ?Avant la révolution se posait la question de la destruction des derniers appuis des ennemis de la classe ouvrière. Avant tout, un organe si fort et si éprouvé de la répartition des biens économiques, tel que les coopératives de consommation, devait nécessairement être utilisé pour la reconstruction socialiste du pays.

Le gouvernement socialiste dirigea alors toute son attention sur les coopératives de consommation et décida de les utiliser comme appareil de répartition des denrées alimentaires, appareil qui devait s’adapter à la production nationalisée, à une production qui ne reposait plus sur la propriété privée mais qui était socialisée.

Dans ce but, en janvier i918, on publia un projet de décret sur les communautés de consommateurs, qui visait à englober les coopératives de consommation dans le filet des organisations économiques du gouvernement soviétique. Les coopérateurs petits bourgeois poussèrent des cris furieux. Ils organisèrent une série de conférences des coopérateurs de la fédération centrale ; ils préparèrent des rapports dont le leitmotivétait toujours la même chanson ennuyeuse : "Les coopératives seront détruites."

Les coopératives de consommation ouvrières en Russie, étaient entrées trop profondément dans le courant de l’idéologie bourgeoise. Des mesures très énergiques devaient être prises pour les porter à la hauteur de leur tâche. Le prolétariat tenait le pouvoir politique en mains ; ses fédérations syndicales établissaient la production socialiste, mais les coopératives de consommation, qui appartenaient soi-disant aux ouvriers, refusaient de servir le seul but de la classe victorieuse. Si les coopératives de consommation étaient dans le régime bourgeois, un organe de lutte du prolétariat ayant pour but la destruction du système capitaliste, avec la victoire de la classe ouvrière, elles devaient devenir une partie inséparable de tout 1’organisme soviétique. Comme les fédérations syndicales, sous le gouvernement des Soviets, ont cessé d’être des moyens de lutte pour devenir des organes de la production qui aident à construire l’immense mécanisme de l’industrie socialisée et s’efforcent de trouver les forces productrices, de les discipliner et d’élever la productivité, les coopératives de consommation devaient aussi mettre leurs expériences et leurs forces économiques au service de la même cause, pénétrer leurs organisations d’une nouvelle âme et faire de la masse des consommateurs qu’est la société moderne, une société coopérative socialiste.

Pour cela il était nécessaire que les coopératives désirent elles-mêmes cette nouvelle organisation de la société, mais les coopératives de consommation russes y étaient opposées  ; c’est pourquoi la question se posa à notre Parti : conquérir les coopératives ! Le comité central du Parti le résolut en été 1918. En même temps, le gouvernement des Soviets entreprit de subordonner le mouvement coopératif et ses organes aux tâches générales du prolétariat et de ses buts politiques. Le 11 avril 1918 le premier décret sur les coopératives de consommation, qui était le résultat de longues conférences des organes gouvernementaux et des institutions coopératives, fut voté par le Conseil des Commissaires du peuple et ratifié par le comité exécutif central pannusse. Le 12 avril il était publié.

Les bases de ce décret étaient les suivantes : Dans chaque district, des organisations coopératives de consommation doivent être fondées ; tout le pays doit être partagé en un nombre déterminé de districts ; dans chaque district, il ne doit pas y avoir plus de deux sociétés de consommation à l’œuvre : une coopérative pour tous les citoyens et une coopérative spéciale pour les ouvriers ; les représentants des sociétés de consommation devaient être attirés dans les organes officiels de ravitaillement centraux et locaux. La plus importante et la principale mesure pratique de ce décret est la faculté pour les associations coopératives, selon le développement de leur appareil technique et économique, d’acheter, de restaurer et de produire des marchandises à la demande des organes officiels de ravitaillement et du Conseil supérieur d’économie populaire, avec son aide et sous son contrôle.

Il est naturel que ce décret n’était pas rigoureusement applicable complètement dans toutes les circonstances, il n’a pas créé subitement des relations de bon voisinage entre les coopératives de consommation et le gouvernement et il va de soi que toute la population ne fut pas immédiatement ravitaillée par ces coopératives. Il fallait beaucoup de temps et de gros efforts jusqu’à leur fonctionnement. Il fallait avant tout trouver un modus vivendi pour les organes coopératifs. Le 22 avril de la même année, fut promulgué un décret concernant l’organisation d’un département coopératif au lieu du Conseil supérieur d’économie populaire et immédiatement après des instructions pour l’organisation de départements coopératifs locaux dont la tâche était d’enregistrer les coopératives de consommation, de les contrôler et de préparer des instructions et des projets de lois pour les organes coopératifs. De tels départements ne furent pas fondés seulement dans les capitales, mais aussi dans les villes départementales. En province, ils accomplirent un gros travail en rassemblant autour d’eux les coopératives disséminées, en les répartissant en districts, selon leur activité, et en apportant de l’ordre et du système dans la nouvelle vie coopérative.

Les mesures les plus importantes de la législation sur la question coopérative sont : le décret complémentaire du 8 aout 1918 concernant 1’échange des marchandises dans les contrées riches en pain, et le décret du 21 novembre 1918 sur le ravitaillement. Le premier de ces décrets charge les organisations coopératives de 1’échange des produits agricoles contre des produits industriels ; le deuxième établit 1’ordre dans la nationalisation du commerce privé et dans la répartition des marchandises à la population par l’intermédiaire des magasins soviétiques et des coopératives. La législation du gouvernement des soviets concernant les coopératives, s’appuie sur le grand mouvement de la classe ouvrière, qui finit par englober aussi le domaine, resté en arrière, de la vie coopérative et qui a fait une brèche dans la muraille de la dernière forteresse des réformistes. La campagne entreprise par le parti ouvrier contre les coopératives a conduit à la victoire.

Dans la deuxième moitié de l’année 1918, la vie des coopératives russes est marquée par la série de résolutions et de décisions, prises et réalisées, dans de grands congrès et conférences, qui fait des soi-disant coopératives ouvrières de véritables coopératives ouvrières et qui les subordonne aux tâches générales de la classe ouvrière.

La position des coopératives ouvrières est particulièrement remarquable ; leur direction a passé finalement aux mains des communistes. Le troisième congrès panrusse des coopératives ouvrières se plaça, dans sa majorité au côté de la classe ouvrière ; la majorité des délégués du congrès était communiste.

Ainsi, le moment le plus difficile était passé. Le mouvement coopératif russe était enfin aux mains des ouvriers eux-mêmes.

La répartition socialiste unifiée.

La plus importante mesure législative concernant la coopération, est le décret du Conseil des commissaires du peuple du 20 mars 1919, sur les communautés ou communes de consommateurs. Par ce décret est réalisé le gros et difficile travail de 1’incorporation du mouvement coopératif aux institutions officielles prolétariennes générales.

Par ce décret, un appareil unifié doit être créé pour la répartition des produits alimentaires, pour autant que les organes de répartition (qui sont généralement répartis en trois groupes, les organes de ravitaillement, les coopératives ouvrières et les coopératives pour le reste de la population) firent la majorité de leurs produits de la même source. L’unification des organes de répartition doit être réalisée de manière que le grand appareil de répartition, c’est-à-dire la coopération, qui est le seul appareil fondé et éprouvé pendant le temps de la domination capitaliste, ne soit pas détruit on écarté, mais qu’il en reste la base qui devra être développée et complétée. Par conséquent toutes les coopératives de consommation de la République sont transformées en un vision des coopératives en "coopératives ouvrières » et "coopératives pour les autres citoyens" est supprimée. Les magasins et les dépôts des coopératives et des Soviets sont mis à la disposition de ces communes de consommateurs. De telles communes existent partout, dans les villes, les centres industriels et à la campagne. Toute la répartition qui, jusqu’alors, était aux mains des organes de ravitaillement et des coopératives, est, dès lors soumise aux communes de consommateurs.

Ces communes sont formées de toute la population de la localité qui doit être enregistrée dans les bureaux de répartition déterminés. Plusieurs bureaux forment une association de district et plusieurs associations de districts, l’association départementale. A la tête de toutes les communes de consommateurs existe l’association centrale. Tous les citoyens qui ont le droit de vote, d’après la Constitution de la République socialiste fédérative des Soviets de Russie, ont le droit d’élire ou d’être élus dans touS les organes des communes de consommateurs.

En même temps, le travail des Conseils d’économie populaire et des anciennes coopératives de consommation est supprimé et les communes de consommateurs dépendent maintenant, comme organes de répartition, du Commissariat du peuple pour le ravitaillement. Le 3 juillet 1919, ce décret fut ratifié par le comité exécutif central.

L’appareil unique de la République s’appelle maintenant : "Société de consommation". Peu de temps après le décret, les ouvriers de Moscou créèrent la société de consommation moscovite, qui tient en mains toute la réPartition des vivres de la population de la ville et qui se donne pour tâche supplémentaire l’organisation d’entreprises pour la production de denrées alimentaires, d’entreprises agricoles etc.

Sans doute le nouveau plan du gouvernement soviétique pour la répartition des vivres ne fonctionne pas encore sans lacunes. La réalité et la grandeur de la tâche que les sociétés de consommation ont entreprise ne peuvent momentanément qu’esquisser les règles générales du ravitaillement de la population. Nous avons encore un grand travail devant nous. Nous comprenons les gens qui, détachés de l’ancien travail des coopératives, sont maintenant mécontents de la politique du gouvernement des Soviets. Lorsque des gens comme Kolokolnikoff, etc., écrivent aujourd’hui sur la destruction des coopératives et sur le mauvais fonctionnement de notre ravitaillement il faut penser que ce sont des gens incapables de s’améliorer, des sceptiques sans espérances, qui n’ont pas la volonté d’entendre la voix du prolétariat et qui ne veulent pas voir que le mouvement victorieux de la classe ouvrière russe grandit de jour en jour.

Dans ce mouvement, les coopératives de consommation jouent un rôle aussi grand que les fédérations syndicales et les partis ouvriers. Ces trois formes du mouvement ouvrier cessent d’être un moyen de lutte du prolétariat ; dès que la dictature du prolétariat est proclamée, elles deviennent les organes de la réalisation immédiate de la société socialiste . Tandis qu’elles étaient dispersées et souvent n’avaient rien de commun sous le règne du capitalisme, elle s’unissent sous la dictature du prolétariat, et une organisation de fer les oblige de servir les buts généraux de la classe ouvrière, du système des Soviets et de la reconstruction communiste de la société.

Les réformistes disent aujourd’hui : "La coopération est morte, vive la coopération  !" Ils pleurent la ruine de la coopération bourgeoise et saluent la nouvelle coopération bourgeoise. Oui  ! la coopération petite-bourgeoise est morte, mais les expériences de la classe ouvrière sur le terrain coopératif contribueront à la réalisation du communisme.