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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Présentation du Bulletin Communiste - 1ère période (1920-1921)
Article mis en ligne le 29 mars 2020
dernière modification le 24 février 2022

par ArchivesAutonomies

Le Bulletin Communiste est l’organe du Comité de la 3ème Internationale. Le premier numéro voit le jour le 1er mars 1920. Il est né sous l’impulsion de Boris Souvarine, aiguillonné par la nécessité d’exprimer la position du Comité dans son propre organe au lieu d’être dépendant de journaux comme le Populaire, l’Humanité, le Journal du Peuple, l’Avenir international. Mais avant d’en écrire plus sur le Bulletin Communiste, il s’agit de voir ce que fut ce Comité de la 3ème Internationale (CTI).

Le CTI, officiellement né le 8 mai 1919, est issu du CRRI (Comité pour la reprise des relations internationales) qui voit le jour en janvier-février 1916. La raison d’être de ce dernier est son opposition à la guerre et à l’Union sacrée, pour rassembler dans un premier temps les différents opposants, issus autant du syndicalisme, du socialisme que de l’anarchisme. Ce comité développera une activité importante entre 1916 et 1918. "Au moins une soixantaine de tracts et brochures sont diffusés clandestinement" [1] pendant cette période. En mars 1917, il saluera la révolution russe car elle fit naître l’espoir de la fin de la guerre [2] et en toute logique, suite à la création de la IIIème Internationale en mars 1919, il y adhère, puis change de nom.

Ce changement de nom signifie la rupture avec la IIème Internationale alors qu’auparavant les membres du CRRI pensaient possible que celle-ci se rétablisse "sur les principes de ‘lutte de classe’ du socialisme révolutionnaire". Or la fondation de la IIIème Internationale précipite les événements, il ne s’agit plus de vouloir changer un organisme qui ne va pas de l’avant, mais d’adhérer à un mouvement qui revendique clairement les "principes de la lutte de classe" et de le renforcer comme cela est écrit dans le premier article de ses statuts :

Le Comité de la Troisième Internationale a pour but d’amener l’ensemble des organisations ouvrières, socialistes, communistes et révolutionnaires, à rejoindre la Troisième Internationale et de propager, parmi les masses et les organisations prolétariennes, les principes suivants :

I.— La tâche du Prolétariat consiste à l’heure actuelle en la mainmise immédiate sur le pouvoir de l’Etat capitaliste et son remplacement par un appareil gouvernemental prolétarien.

II.— Le type de l’Etat prolétarien doit être non pas la fausse démocratie bourgeoise, mais le self-gouvernement des masses par l’intermédiaire de leurs organes électifs ; non pas la bureaucratie capitaliste, mais les organes d’administration créés par les masses elles-mêmes avec leur participation réelle à l’administration et à l’œuvre socialiste constructive. La forme concrète est le pouvoir des Soviets ou des organisations similaires.

III.— La Dictature du Prolétariat doit être le levier de l’expropriation immédiate du capital ; de la suppression du droit de propriété privée ; de l’institution du travail obligatoire ; de la socialisation des moyens de production et d’échange : terres, industries, mines, moyens de transport, sous la gestion directe des paysans, ouvriers, mineurs, cheminots, marins.

IV.— La méthode principale consiste dans l’action des masses du prolétariat pouvant aller, selon la résistance de l’adversaire, jusqu’au conflit à main armée avec le pouvoir d’Etat capitaliste.

La composition du CTI est hétérogène [3], car il rassemble des socialistes (comme Emile Chauvelon, César Hattenberg, Marcel Martinet,...), des syndicalistes révolutionnaires (comme Pierre Monatte, Alfred Rosmer, Fernand Loriot...), des syndicalistes anarchistes (comme Gaston Monmousseau, Henri Sirolle,...).

L’année 1919 est marquée par la réorganisation des forces révolutionnaires un peu partout en Europe. La révolution russe en 1917, en Allemagne en 1918-1919, en Hongrie en 1919 sont autant d’événements d’importance qui poussent les militants socialistes, anarchistes, syndicalistes à se positionner franchement. Le fait le plus marquant en cette période est l’enthousiasme pour la révolution russe, bien résumée par cette phrase quelque peu dithyrambique : "la sympathie du prolétariat français pour la révolution russe, pour les soviets, le communisme et ses apôtres Lénine et Trotsky augmente et s’affermit tous les jours ainsi que sa confiance dans la vitalité du nouveau système" [4]. Outre l’apparition du CTI, c’est la résurrection le 30 avril 1919 de la revue syndicaliste révolutionnaire la Vie ouvrière , animée par Pierre Monatte, Alfred Rosmer. C’est la publication du journal l’Internationale par Raymond Péricat le 15 février 1919.

Cette adhésion à la révolution russe et à la 3ème Internationale implique la rupture avec la 2ème Internationale. Il y a la volonté affirmée de s’organiser au sein d’une même organisation révolutionnaire qui se démarque d’avec "le vieux type de parti européen parlementaire, réformiste" pour reprendre les termes de Lénine. Or, à la différence de l’Allemagne, de la Russie, de la Hollande où il y avait un courant de gauche organisé depuis 1907 (son point de départ lors du congrès de la 2ème Internationale à Stuttgart), en France ce n’est pas le cas. Les éléments révolutionnaires sont dispersés suite à l’effondrement du syndicalisme révolutionnaire, du socialisme et de l’anarchisme en août 1914. La confusion règne à la fin de la guerre, il s’agit de savoir sur quelle base fonder le futur parti révolutionnaire, communiste et avec qui et au cours de quel processus. 2 conceptions apparaissent  :

— L’une, qualifiée d’ultra-gauche par A. Kriegel, [5] qui renonce à travailler au sein du PS et de la CGT et milite pour créer de suite le Parti communiste sur des bases claires. Ce sont des militants issus du CDS (Comité de défense syndicaliste), né en décembre 1916, en réaction à la politique d’union sacrée de la CGT. Le CDS militait pour rappeler constamment à la majorité confédérale les principes syndicalistes. A cette époque la scission n’est pas envisagée mais une politique visant à remettre la CGT dans le droit chemin de la lutte de classes. Dès 1917, le CDS se démarque nettement des socialistes et en novembre 1917, dans son journal intitulé Rapport du CDS de France, il axe sa propagande en faveur de la révolution russe. Puis en 1919, il se métamorphose en PC. L’évolution est radicale, la rupture doit être totale, autant avec le PS, qu’avec la CGT. Ce qui explique la fondation du journal l’Internationale le 15 février 1919. Le 8 mai le PC est créé et le 30 mai son Manifeste et ses statuts sont adoptés. La durée de vie de ce PC va être courte, en décembre 1919, il n’existe plus et au cours de l’année 1920 ses militants ne sont même pas capables d’exister comme courant [6].

— L’autre, qualifiée d’extrême-gauche, à dominante socialiste et syndicaliste, ne veut pas rompre immédiatement avec le PS et la CGT. Pour la majorité des socialistes du PS, des syndicalistes de la CGT, cette scission doit être le fruit de tout un processus de maturation vers des positions plus radicales : une rupture de l’unité ouvrière qui n’est pas à prendre à la légère. Donc tout en consolidant l’organisation autonome et développant la propagande en faveur de la IIIème Internationale, il faut agir minoritairement au sein du PS et de la CGT. Ce qui se traduit par une politique qui oppose systématiquement "la pétition de principe révolutionnaire à l’action opportuniste et centriste" [7]. Cela est un exercice de style quelque peu ambigu, car tout en s’opposant, il faut être "constructif", prendre des responsabilités au sein d’une organisation alors que ces militants du CTI se rendent compte qu’elle fait tout pour ne pas adhérer franchement à la 3ème Internationale.

Le CTI va se développer. D’une centaine de militants à son origine [8], il va essaimer dans différentes villes en France. "Dans le Rhône, les adhérents à la 3ème Internationale sont assez forts pour créer un hebdomadaire officiel des comités locaux" [9]. Dans le Nord, un autre journal du CTI, le Prolétaire, est né en février 1920 et en février 1921 son tirage est de 3.000 exemplaires. Le nombre d’adhérents est estimé en 1920 à 7.000 ; ils sont présents dans un centaine de sections.

Comme on le voit le Bulletin Communiste ne fut pas le seul organe du CTI. C’est pourtant celui qui est le plus connu. En raison de sa longévité et de la personnalité de Souvarine ? En tout cas, c’est un journal diffusé dans toute la France et parallèlement il existe une collection de brochures intitulée "Bibliothèque communiste" qui sont en grande majorité des textes pour faire connaître la révolution en Russie et l’Internationale Communiste.

Si la clé de voûte, l’âme même [10] du Bulletin Communiste est Boris Souvarine, c’est avec d’autres membres du Comité, comme F. Loriot, que l’aventure démarre. Ce bulletin — selon les mots de Souvarine — "exerça une influence décisive sur les cadres du PS, en vue du congrès de fin d’année, duquel sortit la section française de l’Internationale Communiste" [11].

Parcours de Souvarine.

Pendant la guerre, Souvarine adhère au PS et rapidement à la tendance socialiste "minoritaires de guerre" qui créèrent le CDSI (Comité de défense du socialisme international). En 1917, Souvarine soutient la révolution d’octobre tout en mettant en garde les bolcheviks contre leur action minoritaire : "il est à craindre que, pour Lénine et ses amis la ‘dictature du prolétariat" doive être la dictature des bolcheviki et de leur chef" [12]. Toutefois, par la suite, il devient un soutien inconditionnel et de la révolution russe, et des bolcheviks [13] et de l’Internationale Communiste.

C’est à la fin de l’année 1919 qu’il se sépare des chefs de file (Jean Longuet, Raoul Verfeuil et Paul Faure) du CDSI qui n’avaient pas approuvé l’existence de la 3ème Internationale et avaient entrepris de reconstruire la 2ème Internationale, d’où le nom de "reconstructeurs" dont Souvarine les affubla par la suite. Le 11 novembre, il écrit à Jules Humbert-Droz "Nos idées font un bond prodigieux." [14] Il finit par donner son adhésion au Comité de la III° Internationale. Dès ce moment, il travaille dans le sens de la scission : "La scission est inévitable et sera salutaire", tout en se démarquant nettement du groupe de Raymond Péricat qui fonde le PC en 1919, jugeant cette fondation prématurée et sectaire [15].

L’année 1920 voit le CTI accumuler des résultats encourageants au sein du PS. Au Congrès de Strasbourg en février 1920, le Comité, lors du vote final des motions sur l’avenir du PS — se maintenir ou non dans la 2ème ou adhérer à la 3ème - obtient 1.621 mandats et les reconstructeurs, 3.031. Ce n’est pas la majorité, cela permet au CTI de mesurer son influence.

C’est à ce moment que le premier numéro du Bulletin Communiste voit le jour. On peut lire dans l’article "La Troisième Internationale en France" cette profession de foi : "Il nous sera permis de conclure que notre thèse triomphera aisément quand il nous sera possible de la diffuser mieux et plus que nous l’avons fait jusqu’à ce jour. En d’autres termes, la tâche du Comité de la 3ème Internationale est de créer l’organe qui exprimera ses vues, formulera ses doctrines et surtout précisera ses conceptions. (...) Le Comité unanime l’a parfaitement compris, et a décidé la publication de ce Bulletin Communiste documentaire, en attendant de pouvoir créer un journal qui atteigne et pénètre facilement les masses ouvrières."

Il nous semble important de souligner que si Souvarine revendique la nécessité du Parti, il le fait en se démarquant des militants qui "se fient aveuglément à leurs ‘chefs’ " car "tout militant doit s’élever lui-même à la hauteur des problèmes qui le sollicitent, et que la force d’un parti est faite, non de la docilité de l’ensemble des injonctions aux chefs, mais de la conscience de chacun" [16]. C’est une des raisons qui explique que Souvarine ne pouvait pas accepter le tournant pris par le PC au moment de la bolchevisation. Mais ceci est une autre histoire.

Alors que l’on peut penser que le CTI va voir son influence grandir pour devenir prépondérante, ce n’est pas ce qui se passe. Nous allons énumérer 3 éléments qui expliquent cela.

1°) Le CTI en devenant une force va s’attirer les foudres de l’Etat. Aux mois d’avril/mai, des arrestations ont lieu parmi les militants qui se revendiquent du communisme révolutionnaire, en l’occurrence les militants du CTI et ceux des groupements qui "se dénomment, l’un "Parti Communiste", l’autre "Fédération des Soviets", comme l’écrivit Souvarine [17]. Les principaux dirigeants du CTI – Pierre Monatte, Fernand Loriot, Gaston Monmousseau, Boris Souvarine [18] - sont mis en prison sur l’inculpation de "complot contre la sureté de l’Etat" et même pour Loriot, en vertu des lois scélérates de 1893-94, de "provocation au meurtre, au pillage, à l’incendie" [19]. Accaparé par la défense des accusés, leur soutien matériel, cela laisse le champ libre aux reconstructeurs qui freine des quatre fers pour soutenir pleinement la révolution soviétique et adhérer à l’Internationale Communiste et plus prosaïquement, faire le maximum pour que ne s’expriment pas la solidarité pleine et entière avec les inculpés [20]. Nous retrouvons ainsi dans le Bulletin Communiste, toute une série d’articles dénonçant la politique opportuniste, parlementaire, pleine de faux semblants, de paroles creuses des reconstructeurs. Souvarine résume la situation dans le PS par cette formule lapidaire : "C’en est assez du révolutionnarisme en paroles et du réformisme en actes" [21].

2°) Au Congrès de Strasbourg de février 1920, c’est la tendance "centriste" [22] qui l’emporte et mandate M. Cachin et J. Longuet (remplacé par la suite par L.O. Frossard) pour voir ce qui se passe en Russie et prendre contact avec les dirigeants du Parti bolchevik. Ils arrivent à Moscou en juillet, où, en bons opportunistes, ils se convertirent au communisme, surtout dans l’espoir secret de "reconstruire" le PS dans le cadre de la 3ème Internationale. À leur retour en France, ils participèrent jusqu’à la fin de l’année à des meetings en faveur de l’adhésion à la 3ème Internationale.

Cette évolution s’explique par l’évolution de l’attitude des bolcheviks vis-à-vis du mouvement ouvrier français. Le CTI a été soutenu depuis sa fondation par les bolcheviks. En 1919, il y a l’espérance d’une révolution à court terme. Par contre en 1920, la donne change quelque peu. La perspective d’une révolution en Europe s’éloigne. En Allemagne, après la grève générale de 4 jours et l’insurrection de la Ruhr contre le putsch de Kapp-Lüttwitz, l’ordre règne à nouveau à Berlin. Puis l’espoir d’exporter la révolution "à la pointe des baïonnettes" en Pologne s’évanouit au mois d’août. C’est ce contexte qui explique que les bolcheviks soient amenés à s’appuyer plus franchement sur les centristes, groupe plus conséquent en nombre et susceptible d’évoluer favorablement vers le communisme tout en invitant des délégués du CTI pour le 2ème Congrès de l’Internationale Communiste qui s’est tenu aux mois de juillet/août 1920.

3°) Cette délégation, emmenée par Alfred Rosmer est composée de Raymond Lefebvre, Marcel Vergeat et Jules Lepetit, les deux derniers anarchistes et membres de la CGT. Or ces trois-là disparurent en mer au large de Mourmansk dans des conditions pour le moins obscures lors de leur retour. Sans nous attarder ici pour savoir si ce fut un accident ou un assassinat prémédité, force est de constater que dans ce processus de scission d’avec le vieux parti socialiste parlementaire et cacochyme "ils étaient prêts à jouer dans le mouvement français un rôle de premier ordre" comme l’écrivit Pierre Pascal [23].


Fin de cette présentation provisoire


Quelques textes indicatifs pour l’année 1920 [24] :

Du Comité de la 3ème Internationale

— Premier anniversaire, Salut à l’Internationale Communiste par Loriot-Monatte-Souvarine, BC n°1
— Motions du CTI au Congrès de Strasbourg, BC n°1
— Pour la solidarité prolétarienne, appel du CTI par Loriot-Monatte-Souvarine, BC n°7
— Pour le conseil national socialiste du 4 juillet 1920 par la commission exécutive, BC n°15
— Aux travailleurs français ! Appel du CTI, , BC n°23
— La résolution d’adhésion à la 3e Internationale, , BC n°40

Contre les reconstructeurs, les social-patriotes...

— Une situation nette par Souvarine, BC n°3
— Léon Trotsky à Jean Longuet, BC n°12
— Réponse à Jean Longuet, , BC n°13
— Lénine et les reconstructeurs, BC n°15
— La grève de mai et les reconstructeurs, BC n°15
— Loyauté des reconstructeurs, BC n°17
— Deux discours contre-révolutionnaire, BC n°18
— Légalité et illégalité par Souvarine, BC n°33

Contre la 2ème Internationale, pour la 3ème Internationale, pour le Parti, 

— La 3e Internationale en France par Souvarine, BC n°1
— L’action communiste en France par Souvarine, BC n°6
— Les héros de l’Internationale de Berne, BC n°9
— La politique extérieure des deux Internationales, , BC n°16-17
— Le deuxième congrès de l’Internationale Communiste par Zinoviev, BC n°19
— La troisième Internationale par Jacques Sadoul, BC n°21
— Conditions d’adhésion à la 3ème Internationale par Trotsky, BC n°30

Articles sur la Russie, 

— La dictature du prolétariat et les coopératives par Miasnikov, BC n°11
— Les coopératives de consommation par Krestinsky, BC n°14
— Le premier gouvernement prolétarien — A.Ioffé (défense de la révolution d’octobre)
— L’ouvrière en Russie soviétique par Inès Armand, BC n°17

Divers 

— Le groupe communiste français de Moscou — Pierre Pascal, BC n°3

A souligner  : 

Il a des articles signés par des communistes hollandais, allemands, russes, italiens... qui soulignent l’importance de l’internationalisme : Roland-Holst, Pannekoek, Gorter, Miasnikov