Le Congrès de Strasbourg marque, sans contestation possible, la volonté des masses militantes du Parti de placer enfin celui-ci à la hauteur de la situation révolutionnaire mondiale et de son rôle historique. Les 1.621 mandats groupés sur la motion d’adhésion immédiate à la 3e Internationale, les concessions accordées par les Reconstructeurs à l’opinion toujours plus radicale de leurs partisans et le ralliement au Centre du dernier carré majoritaire montrent bien que le Parti est entraîné à gauche, vers les solutions claires de l’Internationale de Moscou et de la Révolution prolétarienne.
Est-ce à dire que les aspirations de la grosse majorité des militants aient bien été traduites à Strasbourg ? Nullement ! Nombre de ceux-ci se sont encore laissé influencer par la phraséologie sentimentale de quelques rois du verbe, opérant pour une hypothétique reconstruction d’une quatrième Internationale et qui leur offraient pour atteindre le but un chemin moins âpre, plus fleuri que celui de la troisième.
Une fois de plus, les tirades mélodramatiques sur l’unité si féconde et si chèrement acquise, sur les bienfaits d’un socialisme de camaraderie, tolérant et bon enfant, ont accompli leur œuvre dissolvante.
Nombreux sont, dans les sections et fédérations, ceux qui, de cœur avec nous, n’ont pas su se dégager des formules équivoques qu’un confusionnisme habile et bien outillé jetait avec insistance en pâture à leur esprit.
D’autres, plus décidés, comme nos camarades du Pas-de-Calais et de la Loire, ayant voté l’adhésion immédiate à la 3e Internationale, n’ont pas compris l’impérieuse nécessité du mandat impératif et nettement défini à donner à leurs délégués ou ont été volontairement trahis par ceux-ci à Strasbourg.
Cela n’a d’ailleurs qu’une importance relative, car les débats ont singulièrement éclairci la situation respective doctrinale des deux grandes tendances du Parti et les militants ont aujourd’hui des éléments d’appréciation qui leur permettront désormais de déjouer plus aisément les tentatives faites pour les égarer.
Nous n’escomptions pas la victoire numérique au Congrès national. La conquête de la Fédération de la Seine et les 1.621 mandats recueillis à Strasbourg constituent pour nous une victoire morale dont les effets ne tarderont pas à se faire sentir.
Ce qui est essentiel, ce qui constitue à mon sens le fait le plus important du Congrès, c’est la position prise sous l’invincible pression des événements par la fraction des ex-minoritaires et nettement caractérisée dans les discours de Pressemane et de P. Faure.
Nous devons savoir gré à ces deux orateurs d’avoir montré avec franchise et talent qu’ils n’ont rien de commun avec nous, d’avoir mesuré toute la distance qui les sépare de la 3e Internationale et des révolutionnaires communistes et prouvé péremptoirement que leurs conceptions fondamentales sont les mêmes que celles de la droite avec laquelle, d’ailleurs, ils n’ont jamais cessé de s’allier.
Ainsi se trouve vérifiée avec force cette affirmation toujours faite par nous pendant la guerre, toujours combattue par les minoritaires avec d’autant plus de véhémence qu’ils avaient intérêt à donner l’illusion d’être d’accord avec nous, que le fossé réel qui sépare les tendances socialistes, non seulement en France, mais partout ailleurs, n’existe pas entre la droite et l’opposition apparente du centre, mais entre le bloc de ces deux tendances et les communistes révolutionnaires.
Le fait qu’en Allemagne les Indépendants sont séparés des majoritaires n’infirme pas cette thèse. La trahison avérée des Noske et des Scheidemann ne permettait évidemment plus la présence dans leur parti qu’à leurs complices, mais le fossé existe entre la masse des Indépendants, dont la majorité accepte le mot d’ordre communiste et le Comité directeur. A tous les points de vue, Clara Zetkin et les communistes allemands sont beaucoup plus éloignés des Kautsky, des Hilferding et des Crispien que ceux-ci le sont des fonctionnaires en place et des petits bourgeois qui composent aujourd’hui le vieux parti d’Allemagne.
Je me propose d’ailleurs de revenir sur ce point et de montrer la valeur des attaques portées par Longuet et les reconstructeurs contre les communistes allemands.
P. Faure, après avoir maintes et maintes fois affirmé que rien ne nous séparait de lui et de ses amis, que notre intransigeance et notre sectarisme, notre désir puéril de nous singulariser a subitement découvert et avoué à Strasbourg que nous suivions des routes très différentes. Pressemane avant lui l’avait suffisamment démontré et Renaudel très bien compris.
Nous voilà donc définitivement situés les uns et les autres et il ne reste plus que Verfeuil pour n’avoir pas saisi que la légende du cheveu, du souffle, du rien qui nous divisa est maintenant périmée.
Si l’on considère, comme de récentes informations me l’ont confirmé, que nous sommes en parfait accord de doctrine et de tactique avec la 3e Internationale, il en faut nécessairement conclure que nos reconstructeurs sont aussi loin de cette organisation révolutionnaire que de nous.
Il est bon que les militants français sachent cela et nous ne saurions trop féliciter Pressemane et Faure de nous avoir aidés à le leur faire connaître.
Il faut qu’ils le sachent et qu’ils y réfléchissent pour donner à cette constatation son véritable sens et sa valeur. La majorité du Congrès a estimé que P. Faure avait si bien traduit ses idées qu’elle a voté d’enthousiasme l’impression de son discours aux frais du Parti. Cette décision n’est pas pour nous déplaire. Aurait-elle été la seule prise à Strasbourg que le Congrès n’aurait pas été inutile.