Projet de thèses sur la tactique de l’Internationale Communiste dans la lutte pour la dictature du prolétariat [1]
I
De même que le capitalisme mondial a démontré à travers la guerre impérialiste mondiale qu’il n’était pas capable de maîtriser les forces productives qui ont été créées par le capitalisme, de même que le capital des puissances centrales au sommet de ses victoires a montré son incapacité à assurer les conditions du développement du monde, de même le capital de l’Entente, victorieux dans la guerre mondiale, a démontré qu’il n’était pas capable de reconstruire le monde en ruines et de lui assurer la moindre part de la sécurité et de l’ordre que l’organisation capitaliste lui avait jusqu’à aujourd’hui assurés. Le capital de l’Entente a abattu les puissances centrales, et aujourd’hui essaie de réduire en esclavage les peuples d’Europe centrale, créant ainsi les bases d’une nouvelle guerre, dans le même temps où il constitue ainsi en Europe centrale une Allemagne "irrédente", il crée toute une série de petits Etats se combattant les uns les autres et soumet les pays balkaniques à la domination des politiciens affairistes serbes et des boyards roumains auxquels il livre une grande partie du peuple bulgare. De cette façon, les Balkans demeurent un centre de conflits politiques, comme ils l’ont été jusqu’à maintenant. Le démembrement de la Turquie ouvre l’époque de la concurrence entre les Etats de l’Entente pour l’héritage turc, mais aussi celle de leurs conflits avec les populations indigènes. En Extrême-Orient, l’Entente a vendu quarante millions d’"alliés" chinois à l’impérialisme japonais, ce qui n’a fait qu’aggraver le conflit entre capitalistes japonais et américains. L’Entente était entrée en guerre sous le mot d’ordre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais elle laisse sous le knout anglais les peuples en train de s’éveiller d’Irlande, d’Égypte et de l’Inde, et prépare par là leur entrée en lutte contre l’impérialisme anglais. La tentative de créer une Société des Nations dont le but était de soumettre au capital victorieux de l’Entente et à leur exploitation commune par lui les intérêts des pays vaincus comme ceux des petits peuples et des centaines de millions d’habitants de l’Asie et de l’Afrique, a fait faillite. Il est évident qu’aujourd’hui, à l’intérieur même de l’Entente, se préparent de nouvelles coalitions impérialistes travaillant les unes contre les autres. Incapable de maintenir l’ordre capitaliste, l’Entente cherche par tous les moyens à étouffer dans l’œuf l’ordre socialiste-communiste en train de naître. Comme auparavant, dans ce but, elle fait la guerre à la Russie soviétique qu’elle tente d’encercler par une ceinture de petits Etats qui doivent constituer un lacet pour l’étrangler mais se transforment eux-mêmes en zones de mort et de dévastation.
Cette politique mondiale du capital victorieux de l’Entente ne lui permet même pas d’utiliser les minces possibilités de reconstruction de l’ordre social capitaliste que lui a encore laissées la guerre mondiale. L’œuvre de destruction de l’impérialisme, quatre années durant, ne pourrait laisser la place à une reconstruction capitaliste, l’énorme fardeau ne pouvant être allégé que si les cliques capitalistes victorieuses pouvaient apporter aux vaincus matières premières et produits alimentaires afin de courber à nouveau les masses prolétariennes sous le joug capitaliste et ainsi de faire payer le coût de la guerre au prolétariat du monde entier. Mais au contraire, le capital de l’Entente dévaste la Russie, cherche à voler à l’Europe centrale ses derniers produits alimentaires. Ce faisant, non seulement il condamne la plus grande partie de l’Europe à l’anéantissement économique et à la mort par famine ; il prononce en même temps la sentence de mort du développement du capitalisme dans ces mêmes pays. L’Europe centrale et orientale pourrait constituer le meilleur des marchés pour les produits industriels de l’Occident. Elle pourrait lui fournir une importante quantité de matières premières. Leur paralysie signifie le dépérissement progressif des pays industriels de l’Occident, le chômage grandissant, l’aggravation des conflits sociaux qui se multiplient déjà du fait d’une hausse des prix sans précédent, l’augmentation du fardeau des impôts et, dans la classe ouvrière, la prise de conscience de sa propre force qui a commencé à apparaître pendant la guerre. Ainsi, la politique de l’Entente renforce-t-elle les tendances révolutionnaires, elle pousse les masses ouvrières et paysannes des pays vaincus dans les bras de la révolution mondiale, accélère en Occident la transformation de la lutte de classes toujours plus aiguë en guerre civile, montre concrètement aux masses populaires du monde entier qu’elles seules, que seule la classe ouvrière, sont appelées à remettre de l’ordre dans le chaos capitaliste, à construire le monde sur une nouvelle base. Non seulement la révolution mondiale communiste, qui a commencé en Russie, n’a pas été brisée par la victoire de l’Entente ; au contraire, la politique du capital victorieux de l’Entente, dans l’année qui a suivi la guerre, a efficacement œuvré dans ce sens, et accéléré le développement révolutionnaire.
II
Les partis communistes des pays qui sont encore capitalistes partent, pour leur combat, de ces tendances du capitalisme mondial qui œuvrent en faveur de la révolution mondiale. En même temps qu’il démontrait son incapacité à reconstruire l’ordre capitaliste, le capital mondial a pour longtemps détruit toute possibilité d’une politique orientée vers des réformes. La tâche de la classe ouvrière dans l’Europe centrale et occidentale comme en Amérique est la construction de l’ordre socialiste, mais non la transformation du monde capitaliste ; non la conquête de concessions partielles, mais la destruction du capitalisme qui ne peut signifier aujourd’hui que misère, chaos et guerre. Les enseignements des révolutions bourgeoises du passé, comme ceux de la révolution prolétarienne russe, ont démontré qu’un nouvel ordre social ne peut être construit que par la guerre civile des masses prolétariennes opprimées contre les classes dominantes en train de mourir. Les porteurs victorieux d’un ordre nouveau doivent assurer, au moyen de leur dictature, la transition de l’ordre social ancien à l’ordre social nouveau.
La révolution prolétarienne russe a montré au prolétariat international, avec les conseils ouvriers, l’organe qui est nécessaire à cette réalisation du socialisme. Ce n’est pas par des institutions parlementaires qui unissent toutes les classes du peuple que le socialisme peut être réalisé, mais seulement par les conseils ouvriers, l’union de tous les travailleurs intellectuels et manuels intéressés à l’ordre nouveau prenant entre leurs mains tous les pouvoirs législatifs et exécutifs. La révolution prolétarienne russe a montré comment les classes capitalistes résistent de toutes leurs forces à toute tentative d’émancipation de la classe ouvrière, comment elles ne reculent pas devant la trahison et l’alliance avec les pays capitalistes étrangers contre les masses populaires de leur propre pays. C’est pourquoi la classe ouvrière est contrainte d’opposer à la violence de la contre-révolution tous les moyens violents de la révolution, et de défendre l’épée à la main la construction du socialisme.
Les développements politiques de l’année écoulée après la fin de la guerre mondiale en Europe centrale et occidentale ont confirmé ces leçons de la révolution russe. Elles ont enseigné que toute idée de réaliser le socialisme par un compromis avec la bourgeoisie sur la base de la démocratie bourgeoisie était une parfaite utopie, dont la diffusion n’aide que la bourgeoisie et sème la confusion dans le prolétariat. En dépit de sa peur du mouvement révolutionnaire, la bourgeoisie sabote non seulement toute politique de socialisation, mais aussi toute politique qui vise à donner à la classe ouvrière le moindre droit de participer à la direction de la production. Ce n’est pas par des concessions sociales mais par son rassemblement dans le camp de la réaction brutale que la bourgeoisie répond au mouvement révolutionnaire et elle ne recule pas devant l’emploi des moyens les plus violents contre le prolétariat. C’est pourquoi l’Internationale communiste doit, de la façon la plus énergique, dénoncer comme une illusion pour le prolétariat toute tentative de compromis entre la lutte du prolétariat pour sa libération et la dictature du capitalisme, comme les social-démocrates de gauche et les dirigeants des indépendants de droite, comme l’opportuniste hollandais Troelstra et le socialiste réformiste suédois Branting, qui réclament la création d’une chambre du travail à l’intérieur du parlement bourgeois. La tâche du parti communiste dans les pays encore capitalistes consiste, en premier lieu, à amener par la parole et l’action le prolétariat à la conscience qu’il n’existe pour l’humanité laborieuse aucune issue autre que le combat révolutionnaire jusqu’à la construction de la dictature du prolétariat sous la forme de république des conseils, leur union et leur défense, par tous les moyens, contre les forces du capitalisme.
III
La lutte révolutionnaire pour la dictature prolétarienne augmentera en âpreté, en profondeur et en extension, au fur et à mesure de la décomposition du capitalisme. Sa domination sera de plus en plus insupportable au prolétariat, et la classe ouvrière apprendra toujours plus, de sa propre expérience, le caractère inévitable de sa lutte pour la dictature. Mais le développement de ce combat ne se fera pas sous la forme d’un élan unique ; il peut, dans les pays hautement développés d’Occident s’étaler sur une longue période de lutte fastidieuses et coûteuses. C’est seulement en combattant l’illusion qu’il serait possible de vaincre d’un seul coup et en prenant comme point de départ de leur tactique la perspective de la lenteur et de la difficulté de la lutte pour l’émancipation du prolétariat, que les partis communistes d’Occident pourront mettre en garde le prolétariat contre des tentatives prématurées de prendre le pouvoir avec les forces insuffisantes de petites minorités impatientes, et lui permettre de comprendre quels moyens de lutte il lui est nécessaire d’adopter. Le prolétariat ne remportera pas la victoire avant que les larges masses de prolétaires, travailleurs intellectuels compris, avant que les couches socialement décisives de la classe ouvrière — les mineurs, les métallurgistes, les cheminots et les ouvriers agricoles — soient passées au communisme et constituent une force suffisante pour briser la résistance d’une réaction bien organisée, militairement solide et s’appuyant sur la large couche des paysans aisés, et pour assurer les bases solides de l’édification de la dictature des conseils, qui repose sur la volonté consciente des masses prolétariennes de détenir le pouvoir.
IV
Ces masses se rassemblent dans les syndicats qui ont été construits dans l’époque pacifique du mouvement ouvrier ; elles s’y rassemblent afin de poursuivre comme autrefois la lutte pour l’amélioration de leur condition. Les communistes ont le devoir d’aller dans ces organisations de masse du prolétariat, bien que la bureaucratie syndicale tente de les transformer d’organisations de combat du prolétariat en organismes opportunistes ou contre-révolutionnaires d’un compromis avec le Capital. Ils doivent non seulement y combattre ainsi la politique opportuniste et contre-révolutionnaire, et opposer aux idées social-démocrates et social-réformistes la propagande pour les idées communistes, mais encore chercher à détruire l’influence de la bureaucratie syndicale, en devenant eux-mêmes l’élément agissant qui pousse de l’avant la lutte économique. Ils doivent non seulement expliquer aux travailleurs, par leur propagande, que l’entente (Arbeitsgemeinschaft) avec la classe capitaliste les conduit à la servitude, mais que les conquêtes partielles comme les augmentations de salaires seront annihilées par la hausse des prix, mais les appeler à un combat toujours renouvelé lorsqu’ils sont déçus et ne voient plus d’issue, au lendemain d’une défaite ou d’une victoire dont ils ont été frustrés. C’est seulement en luttant sans relâche pour l’amélioration de leurs conditions de vie, la hausse de leurs salaires, la diminution des horaires de travail, en se soutenant les uns les autres dans ce combat, que les travailleurs se rassemblent en une classe révolutionnaire qui deviendra capable non seulement de lutter pour l’amélioration de sa condition — ce qui à la longue devient stérile dans la période de la décomposition capitaliste —, mais de lutter pour la transformation de la société capitaliste en société socialiste.
Dans cette lutte, les communistes doivent expliquer aux masses ouvrières que le degré atteint par le développement capitaliste condamne à l’impuissance les luttes économiques isolées, qu’il faut aider toute partie du prolétariat luttant sur le front commun, qu’il faut élargir la lutte économique à des revendications qui se transforment en lutte pour la conquête du pouvoir politique et le renversement du gouvernement capitaliste.
Dans cette lutte, les communistes doivent entrer dans les syndicats afin que ceux-ci, avec le nivellement croissant des conditions de travail et de salaires des différentes catégories que provoque la décomposition du capitalisme, se transforment en syndicats d’industrie qui, face au capital uni, disposent d’une capacité défensive et offensive infiniment supérieure à celle des syndicats de métier divisés. Ils doivent y entrer afin que la bureaucratie syndicale contre-révolutionnaire centralisée qui dirige les masses d’en haut fasse place à un système souple de délégués (Vertrauensmänner). Elus dans les entreprises partout où cela est possible, ces derniers devront, sans entraver l’initiative des masses, pousser les directions syndicales, tout en diffusant simultanément dans les masses les perspectives économiques et politiques et les expériences de la direction.
La lutte économique du prolétariat à l’époque de la révolution sociale consiste clans le renforcement et la généralisation de la poussée des masses pour le renversement de la bourgeoisie, mais sans détruire ni endommager les moyens de production comme cela peut arriver souvent avec la guerre civile. Pour cette raison, combattre de toutes leurs forces l’idée de sabotage des moyens de production, et expliquer aux masses populaires que la désorganisation de l’économie résulte de l’incapacité de la bourgeoisie à bâtir un ordre nouveau et de sa détermination à la ruiner totalement s’il n’existe pas d’autre moyen d’empêcher la classe ouvrière de s’emparer des moyens de production et de les utiliser au bénéfice des masses populaires souffrantes.
La lutte pour la transformation des syndicats opportunistes ou contre-révolutionnaires ne doit pas non plus être perdue de vue dans les pays où existent déjà des syndicats révolutionnaires.
V
La lutte économique pour l’amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière, s’élargissant et se renforçant, se transformera en lutte pour la conquête du pouvoir, condition nécessaire de la crise des moyens de production. La lutte pour le contrôle de la production constitue une étape intermédiaire dans cette lutte. Plus augmente la pénurie, qui interdit aux travailleurs, même avec des salaires élevés, de satisfaire leurs plus modestes besoins, et plus s’aggrave l’anarchie de la production, plus les forces productives, insuffisantes pour les industries vitales, sont gaspillées dans l’intérêt d’une couche d’accapareurs qui prospèrent sur le capitalisme en décomposition comme des vers sur un cadavre, et plus les travailleurs sentiront la nécessité d’un contrôle de la production. Dans les conditions du chômage croissant, ils établiront, par l’intermédiaire de leurs délégués, si la fermeture de l’entreprise est un acte arbitraire des capitalistes visant à transférer ailleurs le capital variable et à utiliser le chômage pour rendre dociles les travailleurs en lutte. Au moment où les matières premières manquent, la classe ouvrière éprouvera le besoin de surveiller, par l’intermédiaire de ses délégués, leur répartition. Dans le cours des luttes pour les augmentations de salaires, la classe ouvrière aura intérêt à contrôler toutes les conditions de la production afin d’empêcher les capitalistes de présenter la hausse des prix, provoquée par leur soif de profit, comme la conséquence des augmentations de salaire et, ainsi, de dresser contre les travailleurs les masses populaires, petites-bourgeoises accablées par la vie chère.
L’effort pour contrôler la production doit devenir le point de départ d’une lutte prolongée et ininterrompue pour la création des C.U. (Betriebsriite). Ces derniers ne peuvent pas être créés d’en haut, par une simple action propagandiste comme centralisation et articulation et un système de conseils (Rätesystem). Indépendamment du fait que les gouvernements bourgeois chercheront de toutes leurs forces à écraser tout mouvement général organisé pour la construction d’une organisation de conseils économiques, la classe ouvrière n’a de façon générale pas compris la nécessité du contrôle de la production. Sans cette compréhension, les comités d’usine, au lieu de représenter toutes les entreprises, au lieu de représenter la classe toute entière, ne représenteront que les travailleurs révolutionnaires conscients. C’est seulement dans la mesure où des fractions et des groupes toujours plus importants du capitalisme, du fait des échecs subis dans la lutte économique, du fait de l’annulation de leurs conquêtes dans le procès de la décomposition du capitalisme, prendront un intérêt profond au contrôle de la production que les conseils d’entreprise dans des villes ou des secteurs industriels particuliers, au cours de la lutte contre des groupes particuliers d’entrepreneurs, arracheront, en fonction du rapport des forces, un contrôle plus ou moins important dans les usines et tenteront de se réunir par secteurs d’industrie. Ce n’est pas en tant que schéma imposé ou même conseillé d’en haut à la partie révolutionnaire du prolétariat, mais en tant qu’organisation en lutte, soudée dans la lutte, que les C.U. peuvent se développer et préparer des couches toujours plus importantes de la classe ouvrière à la direction ultérieure de l’industrie, après la conquête du pouvoir politique.
Il ne sera pas possible de mettre sur pied immédiatement et partout de tels comités d’usine. Le gouvernement peut dévoyer l’aspiration du prolétariat au contrôle de la production en créant de prétendus conseils d’entreprise légaux dont l’objectif sera de faire entrer quelques prolétaires dans l’antichambre des bureaux du capital, tandis que la direction réelle de la production demeurera aux mains des directeurs et des réunions à huis clos des industriels. Là où cela se produit, les communistes doivent faire en sorte que les escroqueries de la bourgeoisie se retournent contre elle. Ils doivent déjouer toute tentative d’établir une apparence de contrôle, en attirant l’attention des travailleurs, dans les assemblées générales et de façon publique, sur toutes les manœuvres patronales et en entamant avec la dernière énergie la lutte contre toutes les atteintes aux intérêts des travailleurs des organismes prétendus de contrôle. Ils doivent combattre avec acharnement les représentants des entreprises qui se font prendre ou acheter par les capitalistes. Sans -se soucier des limites légales imposées au droit de contrôle des travailleurs, les communistes doivent appeler les travailleurs dans les entreprises à lutter pour l’élargissement du droit de contrôle du comité d’usine, comme l’exigent les intérêts de l’économie du peuple et des masses populaires. Cependant que les communistes combattent pas à pas, dans leur lutte contre les conseils d’entreprise créés pour égarer le prolétariat, afin de les transformer en véritables conseils d’entreprise, l’intérêt de la masse des travailleurs pour le contrôle de la production grandira au cours du procès de décomposition du capitalisme, et les faux conseils de contrôle seront ou transformés en de véritables comités d’usines ou leur céderont la place.
VI
La victoire de la révolution prolétarienne sera d’abord acquise, dans chaque pays, quand la classe ouvrière, à travers ses luttes économiques et politiques partielles, aura atteint le degré de cohésion et de conscience nécessaire pour être capable non seulement d’opposer à la violence de la bourgeoisie un refus de se laisser traiter plus longtemps en bête de somme, mais encore brise en un combat ouvert la résistance de la bourgeoisie. La victoire du prolétariat n’est possible qu’à travers la décomposition et la destruction totale de l’organe d’oppression qu’est l’Etat capitaliste Là où ces Etats, en lutte contre la révolution prolétarienne montante, forment des gardes blancs, la victoire résultera de l’insurrection des masses populaires. Toute conception de la conquête du pouvoir politique par des détours, au moyen du sabotage de la production capitaliste, ou en cantonnant la classe ouvrière dans les entreprises au moyen d’une organisation sur la base de l’entreprise, constitue une forme d’opportunisme équivalent à celle qui consiste à croire à la victoire par un vote à des élections parlementaires. Le prolétariat ne peut pas vaincre clans un premier temps sur le plan économique et ensuite s’emparer du pouvoir politique. La conquête du pouvoir politique, la dictature du prolétariat est la condition nécessaire de l’expropriation des expropriateurs à travers toutes les phases de la lutte économique et politique, les communistes doivent diffuser la conviction que tous ces combats ne constituent qu’une partie, une étape de la lutte d’émancipation d’ensemble qui est la lutte pour le pouvoir politique dans l’Etat. L’illusion syndicaliste et anarchiste sur la possibilité d’une émancipation du prolétariat sans construction d’une organisation d’Etat prolétarienne comme moyen d’abattre la résistance de la bourgeoisie doit être combattue autant que l’illusion démocratique du réformisme. Tous les moyens que le prolétariat a jusqu’à maintenant utilisés dans la lutte pour son émancipation doivent l’être désormais en fonction de leur utilité ; comme des moyens auxiliaires pour l’éducation révolutionnaire, l’organisation
et la mobilisation des masses populaires, en temps et lieu propices. De même que la révolution sociale, à son point culminant, à la veille de l’insurrection armée n’a besoin d’aucun moyen de lutte nouveau, mais seulement du renforcement, de l’élévation, de la centralisation des vieux moyens de la lutte économique, de même elle ne connaît dans le domaine de la lutte politique aucun remède miracle ni ne se refuse à utiliser l’un de ceux qu’elle a utilisés auparavant. Dans la lutte économique comme dans la lutte politique il n’y a qu’un changement : c’est la classe ouvrière elle-même qui se met en mouvement et mène le combat en y ajoutant le poids de sa propre masse ; tous les autres moyens utilisés en premier lieu dans une période pacifique demeurent, mais avec une signification secondaire par rapport au mouvement des masses. Au nombre de ces moyens se trouve l’utilisation du droit de vote comme de tous les autres droits que la bourgeoisie concède aux masses populaires tant qu’elle n’est pas contrainte d’engager la lutte physique contre elles, les armes à la main. Quand la lutte classe contre classe sera engagée dans sa phase décisive, le terrain parlementaire sera détruit. Le régime bourgeois apparaîtra pour ce qu’il est, une dictature militaire ouverte. Dans la période où les masses commencent seulement à se rassembler pour combattre, où elles commencent seulement à s’engager dans la voie du combat, ou encore dans les moments qui suivent les défaites, les communistes doivent expliquer aux ouvriers révolutionnaires la nécessité d’utiliser même les plus minimes possibilités d’agitation et d’organisation qu’offre la tribune parlementaire qui permet d’opposer à toute loi et toute décision du parlement les intérêts du prolétariat, que la minorité souligne par ses discours et ses écrits, afin d’appeler par là les masses à l’action. L’abandon dans une telle situation de l’action parlementaire, loin d’être un acte de lutte révolutionnaire contre l’Etat bourgeois, permet à la bourgeoisie de déchaîner contre les communistes ses campagnes de calomnies du haut de la tribune parlementaire exposées aux yeux de tous et facilite les escroqueries bourgeoises.
Immédiatement avant la prise du pouvoir politique par la classe ouvrière, la bourgeoisie peut être à ce point ébranlée qu’elle soit contrainte de laisser à la classe ouvrière un vaste terrain d’actions et de s’accommoder de l’existence de véritables conseils ouvriers politiques. Dans la lutte pour de tels conseils se manifestent la prise de conscience et la cohésion croissantes de la classe ouvrière et la chute prochaine de la bourgeoisie. C’est pourquoi les communistes doivent travailler à la constitution de ces conseils ouvriers politiques, en tant qu’organes où est représenté l’ensemble de la classe ouvrière et à l’intérieur desquels, dans la lutte contre la bourgeoisie et les illusions démocratiques, la volonté des travailleurs se concentre, s’unifie et s’oriente vers la lutte pour la dictature.
A tous les niveaux du mouvement et à toutes ses étapes, le devoir des communistes est de construire dans le mouvement et dans les organisations de masse des fractions communistes particulières qui, dirigées de façon identique, mènent la propagande en faveur des idées communistes dans et par l’action prolétarienne. En fonction de leur force, les communistes pourront se placer à la tête du prolétariat en lutte ou organiser de leur propre initiative la lutte du prolétariat.
Mais, même quand ils sont encore trop faibles et doivent dans la lutte, en pratique, subordonner leur propre organisation aux actions de masse qui se développent sur un rythme lent vers le communisme, les partis communistes, par leur propagande, leurs mots d’ordre au moyen desquels ils cherchent à pousser de l’avant les organisations de masse, les communistes doivent mettre en avant le point de vue clair et authentique du communisme. Et cela avec la conviction que plus la propagande et l’agitation du parti communiste seront claires et conséquentes, plus efficaces elles seront dans l’avenir, même si, au moment donné, les masses ouvrières ne sont pas encore à la hauteur des idées du parti communiste. L’isolement vis-à-vis des masses qui est le résultat du sectarisme communiste constitue pour le développement de la révolution mondiale un danger aussi grand que la dissolution des partis communistes, sans perspectives claires, au sein d’organisations ouvrières générales. En s’isolant des mouvements et organisations de masse du prolétariat, les communistes se coupent de la masse des éléments les plus conscients et les plus combatifs. En renonçant à leur existence propre, à leur organisation cohérente en parti communiste, ils privent les masses en lutte de leur colonne vertébrale et de leur direction. Le parti communiste ne peut pas prendre le pouvoir quand il n’est qu’une minorité ; mais les masses ouvrières ne peuvent pas se libérer sans devenir communistes. La dictature, qui est indispensable pour la réalisation du socialisme, ne peut être que celle des masses prolétariennes compactes et conscientes, mais, dans la mesure où elle est la dictature des ouvriers révolutionnaires conscients, elle est en même temps celle du communisme.
VII
L’Internationale communiste, née des combats des détachements avancés du prolétariat contre la guerre mondiale impérialiste, bâtie sous l’impulsion de la classe ouvrière du premier pays où se soit réalisée la dictature prolétarienne, sous la direction du parti communiste, se développe parallèlement à la décomposition du capitalisme mondial, au renforcement de la révolution mondiale, cependant que, dans ce contexte la II° Internationale ne cesse de décliner, se transformant de plus en plus dans l’alliance avec les laquais de la bourgeoisie et les meurtriers du prolétariat. Entre la Deuxième et la Troisième Internationale, il ne peut y avoir de compromis, de même qu’entre la bourgeoisie et le prolétariat. La tentative, par certains des éléments hésitants du socialisme, de servir d’intermédiaires entre la II° et la III° Internationale constitue une ruse des chefs socialistes faillis qui constatent toujours de plus chaque jour dans tous les pays que les masses prolétariennes se tournent toujours plus vers la Troisième Internationale. Ces tentatives sont vouées à l’échec car elles sont dénuées de tout contenu politique il n’existe aucun groupe unificateur entre la dictature capitaliste et la dictature prolétarienne. Les partis et les groupes communistes, dans tous les pays où ces éléments hésitants exercent encore une certaine influence sur les masses ouvrières, doivent expliquer à ces masses la signification de leur propre lutte et leur montrer que, dans la mesure où ils luttent contre leur propre bourgeoisie, ils doivent s’unir avec la DI° Internationale dont ne les sépare que l’irrésolution de leur propre pensée et leur fidélité à leurs chefs qui les ont trahis pendant la guerre mondiale soit par leur passivité, soit en soutenant directement la bourgeoisie. Les partis communistes doivent tendre la main pour des actions communes aux masses ouvrières qui deviennent toujours plus révolutionnaires mais ne sont pas encore liées sur le plan de l’organisation à la III° Internationale, afin de les persuader de la nécessité pour eux de rompre avec les dirigeants opportunistes et de s’unir avec la Troisième Internationale. L’unité de la classe ouvrière ne peut pas être obtenue à travers un compromis avec les chefs faillis du social-patriotisme et du social-pacifisme, mais seulement par la clarté et la cohésion des masses ouvrières grandissant dans le cours du combat révolutionnaire.
La Troisième Internationale est née comme Internationale de l’action prolétarienne, du combat d’ensemble du prolétariat mondial contre la bourgeoisie mondiale. Cette unité du prolétariat n’a été pratiquement réalisée jusqu’à maintenant que dans une faible mesure. Le soutien de la Russie soviétique par les travailleurs révolutionnaires du monde entier et en premier lieu ceux des pays de l’Entente constitue en pratique le début de la lutte révolutionnaire solidaire du prolétariat mondial. De même que, de son côté, le capital international se rassemble dans une volonté commune d’abattre la Russie soviétique, de même, de l’autre le soutien de la Russie soviétique constitue le point de départ de la politique mondiale du prolétariat. Dans la mesure où le prolétariat s’unifie pour défendre la Russie soviétique, où, par des actions de masses, il contraint sa propre bourgeoisie à renoncer à la guerre contre l’Union soviétique, le prolétariat mondial non seulement aide la classe ouvrière russe à préserver ses conquêtes de la sanglante contre-révolution internationale, mais encore il crée les conditions nécessaires de la victoire du prolétariat sur le continent européen.
La Russie soviétique, quand elle sera débarrassée du fardeau de la guerre et aura organisé ses propres forces, pourra, en tant que source de matières premières et de produits alimentaires, arriver avec son armée rouge à aider le prolétariat des autres pays — en dépit du danger qui provient du blocus maritime organisé par ceux qui détiennent les moyens de ce ravitaillement — à vaincre leur propre bourgeoisie et à rebâtir l’Europe en ruines sur des bases socialistes. Pour cette raison, la défense active de la Russie soviétique par les masses prolétariennes de tous les pays crée un devoir qu’il faut appeler à remplir sans prendre en compte les sacrifices qui seront nécessaires. Tout Etat prolétarien qui naît pourra faire front plus facilement aux Etats capitalistes si la Russie soviétique sort invaincue du combat que la première brèche ouverte à l’intérieur du système des Etats capitalistes a déclenchée. Toute action du prolétariat en faveur de la Russie soviétique atteint la contre-révolution dans l’application concrète de sa politique mondiale et ébranle les positions du pouvoir des classes dirigeantes dans chaque pays. La III° Internationale communiste, alliance des camarades d’idées dans la lutte commune du prolétariat pour la dictature prolétarienne, se transformera alors en alliance des républiques des conseils, qui émergera victorieuse de la révolution mondiale en tant que gardien du nouvel ordre socialiste.
Secrétariat d’Europe occidentale de l’Internationale communiste.