Les Izvestia du Comité central exécutif Panrusse des Soviets, dans le numéro du 4 juillet 1920, donnent le texte de la déclaration faite par Marcel Cachin et Frossard, délégués majoritaires du Parti socialiste français, sur la base de laquelle le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a décidé de les admettre au 2e Congrès de l’Internationale Communiste en qualité d’invités et avec voix consultative.
Voici cette déclaration, qui fut présentée par Cachin et Frossard après une série de réunions du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, où ont été entendus les rapports de Cachin et Frossard sur la position du Parti socialiste français envers la 3e Internationale.
Camarades,
Nous vous avons présenté le mandat que nous a donné le Congrès de Strasbourg. Comme vous pouvez le voir, le Congrès nous a chargés d’entrer en négociations avec les organisations appartenant à la 3e Internationale.
Dans ses résolutions de Congrès, le Parti Socialiste français a affirmé sa solidarité complète avec les grands mouvements d’émancipation prolétarienne dans toutes leurs formes. Le Parti a constaté qu’aucune déclaration fondamentale de l’Internationale de Moscou n’est en contradiction avec les principes du socialisme, que la dictature du prolétariat est la pierre angulaire de la doctrine révolutionnaire, que la formation des Soviets des ouvriers, paysans et soldats doit être reconnue comme une conquête primordiale sur la route de la réalisation du pouvoir prolétarien.
Vous nous avez demandé des éclaircissements complémentaires à propos de quelques points de notre première déclaration. Vous avez émis certaines remarques critiques, surtout sur l’action intérieure de notre Parti et de notre presse. En réponse à toutes les observations que vous avez faites, nous croyons nécessaire de présenter les explications suivantes.
Avant tout, il faut indiquer que depuis deux ans déjà, la majorité de notre parti a lutté à chaque occasion propice contre la tactique réformiste. A l’heure actuelle, dans l’état économique et social présent encore plus qu’à l’époque du Congrès d’Amsterdam, nous sommes de votre avis que toute tentative de restauration, ou seulement d’appui au système économique capitaliste est condamnée par les faits et n’est qu’une pure utopie. La société bourgeoise approche d’heure en heure de sa crise mortelle, et le rôle de la classe ouvrière consiste précisément à abréger le plus possible la période de convulsions que nous vivons. Pour instaurer dans le monde l’ordre et la justice, il faut que partout et le plus tôt possible triomphe le régime socialiste.
Le socialisme ne peut pas naitre aujourd’hui ou demain, comme le résultat des élections parlementaires ou d’un referendum populaire, puisque la classe capitaliste fait tout ce qui est en son pouvoir pour altérer la volonté véritable du peuple, tandis que l’Eglise, la presse jaune, et l’or bourgeois font sans cesse leur œuvre de corruption, pour détourner la conscience des masses ouvrières de sa véritable voie.
Il est entendu que nous ne reconnaissons pas le système du parlementarisme, si cher à la démocratie bourgeoise. Nous connaissons trop bien la valeur intrinsèque du parlementarisme pour espérer, qu’en usant de ce moyen falsifié, la majorité du peuple puisse un jour, par un simple vote, tout en restant dans les cadres de la légalité, accomplir la grande œuvre de la libération du travail.
Pleinement d’accord avec vous, nous déclarons, que la classe travailleuse seule doit transformer et ensuite gouverner l’Etat. Et tout comme vous, nous affirmons, que sous la pression puissante d’une élite, de la minorité d’initiative, de l’avant-garde prolétarienne, qui entraîne avec elle toute la classe ouvrière dans la pleine conscience de son devoir, le vieux régime va tomber, l’heure de la révolution sociale va sonner et le règne du socialisme commencera.
Vous nous avez fait vivre des leçons vivantes d’histoire. Vous nous avez aussi prouvé d’une façon évidente, que c’est seulement par la force et par l’action directe révolutionnaire, dans le feu de la guerre civile, que peut être renversé le vieux régime, et que peuvent être posés les fondements de l’ordre social nouveau.
Nous voyons clairement, qu’il n’y a pas d’autre choix devant nous. Ou il faut, comme jusqu’à ce jour, nous courber sous le joug du capitalisme et de l’impérialisme, ou il faut nous jeter contre notre ennemi séculaire avec une implacabilité semblable à celle de la réaction sociale dans son oppression au prolétariat. A la dictature bourgeoise actuelle le prolétariat doit opposer sa propre dictature. Il nous suffit de nous rappeler notre passé national pour trouver la justification des méthodes de violence et de terreur, auxquelles est obligée de recourir inévitablement une classe, qui aspire à l’exercice du pouvoir, si elle veut se maintenir et affermir les bases de l’ordre social futur.
Vous nous reprochez parfois de masquer la nécessité d’exproprier la bourgeoisie, en parlant de la socialisation. Nous ne voulons pas renouveler des discussions vieillies et banales sur ce thème, d’autant plus que dans les sections de l’Internationale, la question de l’indemnisation a été discutée suffisamment. Il suffit de dire que dans l’état financier actuel de tous les peuples, cette question se présente en réalité comme vaine.
Nous restons fidèles à notre programme socialiste et demandons l’expropriation et la confiscation des grandes propriétés foncières et de tous les moyens de production du capitalisme industriel et des transports.
En un mot, aucun des représentants du socialisme révolutionnaire ne peut nier que le but le plus proche de tous les efforts de la classe ouvrière doit être l’expropriation, ou, comme nous le disons, la confiscation. Le seul moyen d’y arriver, c’est certainement la violence avec toutes les conséquences provoquées par la guerre civile, dont l’instrument principal, certes, doit être la dictature du prolétariat. En Russie, cette question a déjà reçu sa solution pratique dans le régime soviétique.
Vous nous indiquez, très justement, qu’il ne suffit pas d’une simple reconnaissance verbale de tous ces principes consacrés par la Révolution russe. Les paroles doivent être justifiées par l’action ; nous en sommes complètement d’accord. Nous ne voulons pas nier l’insuffisance et la faiblesse de notre tactique dans le passé. Sans contredit, nous ayons toujours lutté contre notre bourgeoisie et à chaque mouvement révolutionnaire, nous nous sommes efforcés de préserver ses conquêtes. Mais vous avez raison de votre côté, quand vous nous reprochez de n’avoir pas montré assez d’énergie et la force qu’il eût fallu.
Devant les souffrances longues et terribles des ouvriers et des paysans russes nous comprenons votre colère et vos reproches : nous aurions dû à temps vous venir en aide, et nous n’avons pas eu assez de courage pour remplir ce devoir fraternel. Vous avez également raison d’exiger que la tactique quotidienne de notre parti ait plus de résolution, plus de détermination, plus de caractère révolutionnaire.
Bref, nous devrions suivre le même chemin que celui qui fut suivi en Russie, où triomphe la révolution prolétarienne. Notre visite à Moscou, à part l’importance internationale du Congrès, nous a montré avec évidence toutes ces vérités, que nous concevions peut-être trop théoriquement.
Nous allons retourner chez nous en France avec la ferme résolution de préparer notre prolétariat pour l’appropriation des méthodes héroïques de lutte qui ont permis à la classe ouvrière en Russie de prendre le pouvoir, de le conserver et, sur les ruines de l’ancien régime d’édifier les bases d’un ordre social nouveau, dont toute la grandeur se montre maintenant à nos yeux.
Quelques-uns de nos camarades ont exprimé déjà leur solidarité avec le programme de Moscou. Dans une union fraternelle parfaite avec eux, nous allons unir nos efforts pour que tout le Parti Socialiste français se décide à adhérer à la 3e Internationale. Nous allons demander la convocation d’un Congrès extraordinaire du Parti pour lui faire connaître les décisions du Congrès de l’Internationale Communiste. Nous vous prions, camarades, d’accepter l’assurance sincère que non seulement en paroles, mais par les actes, nous sommes prêts à sceller notre accord complet pour engager une lutte à mort contre le capitalisme.
La rédaction des Izvestia fait en postscriptum la remarque suivante :
"Les camarades Cachin et Frossard, représentants officiels du Parti Socialiste français, se trouvent sur la route de transition entre le social-patriotisme avoué et le camp de la révolution prolétarienne. L’avenir nous montrera dans quelle mesure ils avanceront sur ce chemin".